Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XX. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\020 (1716), S. 125-130, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1175 [aufgerufen am: ].


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XX. Discours

Zitat/Motto► Fuit haec sapientia quondam,
Publica privatis secernere, sacra profanis :
Concubitu prohibere vago : dare jura maritis :

Hor. A. P. vs. 396.

Toute la Philosophie de nos Ancêtres consistoit à faire ce qu’ils avoient apris des Poëtes ; à distinguer le bien public d’avec le particulier ; ce qui étoit sacré d’avec ce qui étoit profane ; à défendre le concubinage ; à régler les gens mariez. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Lettre sur l’Amitié Conjugale. ◀Metatextualität

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« Il me semble que vous n’avez point parlé de l’état du Mariage dans toute l’étendue que l’importance du sujet le demande. Je croi qu’il ne seroit pas mal à propos de réfléchir sur l’humeur particuliere à notre Jeunesse de la Grande Bretagne qui se mocquent de cette institution : qui, après avoir mené une vie déréglée, s’engagent dans cet état, & qui, peu sensibles aux douceurs qu’on y goûte, traitent leurs Femmes avec le dernier mépris.

Eu égard à la différence des tempéramens, on ne doit pas s’étonner qu’il y ait bien des chagrins dans le Mariage, ni [126] que certains Esprits bizarres ayent de l’aversion pour l’Amitié conjugale : mais je ne sçaurois croire qu’aucune Personne soit d’un naturel assez fâcheux pour en tourmenter une autre par cela seul qu’elle est étroitement unie avec elle. En effet, peut-on rien voir de plus indigne d’un Homme, ou qui déroge plus aux lumieres de sa Raison, que de rendre le mal pour le bien, & de payer d’ingratitude une innocente Créature, qui s’est confiée à ses belles promesses, & qui a eu bonne opinion de lui, qu’elle a mis tout son bonheur entre ses mains ? Ne faut-il pas qu’un Homme ait renoncé à tout principe d’Humanité, lorsqu’il peut marquer de la tendresse à une Femme, dans la seule vue de la chagriner à loisir, & avec plus d’empire ? Y a-t-il rien de plus oposé à l’honneur d’un Gentilhomme, que de manquer de parole, sous prétexte qu’on ne peut l’obliger la tenir, & d’être seul la cause du malheur d’une Personne, dont le bonheur, à ce qu’il avoit dit un million de fois, lui étoit plus cher que le sien propre ? Doit-on se fier à cet Homme dans ce qui regarde les intérêts de la Vie civile, & ne doit-on pas croire plûtôt qu’il n’a de l’honneur que par l’incapacité où il est de faire du mal ?

Une des sources de cette conduite, qui n’est pas moins absurde que générale, & qui a lieu sur tout entre ceux qui ne réfléchissent guéres, vient de l’envie qu’ils [127] ont de paroître à leurs Amis aussi libres qu’ils l’ayent jamais été, & avoir secoué le joug, qu’ils ont tant de fois tourné en ridicule. Pour en venir là, ils donnent dans l’extrêmité oposée, & ils se rendent Tyrans, afin qu’on les croye Maïtres. Sous prétexte qu’une marque certaine de l’empire absolu est de se gouverner toûjours à sa guise, & de ne souffrir jamais qu’on les contrôle, ils ne voudroient pas relâcher une seule fibre de leur visage pour complaire à leurs Femmes. Ils croyent qu’un coup d’oeil gracieux sentiroit un peu trop la cajolerie, & qu’une réponse honnête seroit brèche à leur supériorité. C’est à cela que nous devons attribuer l’air austére qui les suit partout : Quel autre motif pourroit engager un Homme à être de mauvaise humeur avec sa Femme, quoiqu’il soit si agréable en toute autre compagnie ? L’aigreur de ses répliques, & la sévérité de ses regards à la plus tendre de toutes les Femmes démontrent clairement qu’une crainte mal fondée, de passer pour un Mari trop soumis, est la principale origine de cette bizarrerie affectée, comme je veux bien l’apeller ; mais s’il ne la met en usage que pour convaincre ses Amis de sa Domination absolue, qu’il prenne du moins garde aux suites qu’elle peut avoir, mille fois pires que le mal qu’il cherche à éviter ; son indifférence se changera peu à peu en véritable mépris, & quand elle [128] n’alieneroit pas tout-à-fait le cœur de son Epouse, ils n’en seroient l’un & l’autre que plus malheureux.

L’envie de passer pour un Homme bien élevé n’a pas moins bonne part à cette humeur brutale, quelque contradiction que cela renferme : de sorte qu’un Discours sur les manieres honnêtes & polies, qu’un Mari doit avoir à l’égard, d’une aimable Epouse, seroit d’un grand usage pour ces beaux Messieurs. Metatextualität► Si vous pouviez les convaincre une fois qu’il n’est pas indigne d’un Gentilhomme d’être du moins civil, & que la tendresse même envers une Personne, qui les payeroit de retour, ne marque aucun foible, dont le courage le plus mâle doive témoigner de la honte ; si vous pouviez leur faire sentir que c’est le caractère d’un Esprit noble & généreux d’avoir de la bienveillance sans y être forcé ; si vous pouviez les engager à suivre l’exemple de ce bon Mari, dont vous avez parlé dans 1 un de vos Discours, & qui disoit qu’il étoit bien aise que l’inclination de la Femme marchât de concert avec son devoir ; si vous pouviez, dis-je, leur persuader qu’il est beau & raisonnable d’en user d’une manière honnête & civile envers une Femme, j’ai assez de charité pour croire que du moins quelques uns d’entre eux aprouveroient une chose que la seule hon-[129]te les empêche d’avouer. ◀Metatextualität D’ailleurs, si vous exposiez l’état du Mariage dans son plus beau & véritable jour, je ne doute pas que ses plus grands ennemis ne revinssent du faux préjugé qu’ils en ont conçu, & qu’ils ne vous en eussent de l’obligation. Le Mariage deviendroit alors un état plus doux & plus aisé qu’il n’est d’ordinaire ; le Mari ne seroit aucune part si bien que dans sa Maison, & la Femme ne seroit jamais si contente qu’avec son Epoux ; l’Amant devenu Mari n’auroit qu’une plus forte envie de plaire, & la Maitresse devenue Femme ne chercheroit qu’à se rendre plus aimable. Ajoutez à ceci que les Hommes deviendroient plus sages, sélon toutes les aparences, si ceux qui les ont mis au Monde s’aimoient plus tendrement les uns les autres, & qu’ils seroient en général de meilleure humeur, si, au lieu de suivre le plus doux penchant qui les anime, ils ne s’abandonnoient au pire de tous. Je suis, &c. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Voici une Lettre qui ne quadrera pas mal avec la précédente, puisqu’elle nous fournit un Exemple de ces Maris incivils & brutaux que l’Auteur y a dépeint.

Metatextualität► Lettre sur un Epoux sot & riche. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« Après avoir fait l’admiration de toute la Ville, & pu choisir entre une foule de [130] Gentilshommes de bon sens qui soupiroient pour moi, l’amour des richesses m’a précipitée entre les bras d’un Sot. Je croyois à la vérité que mon génie supérieur au sien le rendroit plus traitable ; mais hélas ! mon Epoux, d’une humeur soupçonneuse & rusée, qui est le partage ordinaire des petits Esprits, ne voit pas plutôt que je cherche à le divertir par des airs enjouez & d’innocentes caresses, qu’il s’imagine d’abord que j’en veux à l’empire qu’il s’attribue sur moi. Que toutes celles qui n’ont pas encore choisi, & qui se flattent de pouvoir gouverner un Sot, se souviennent de l’Infortunée. »

Tristan. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

T. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1C’est le xlix du Tome ii. p. 312.