Le Spectateur ou le Socrate moderne: V. Discours
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Nivel 1
V. Discours
Cita/Lema
Nescio quomodo inhaeret in mentibus quasi
sæ
culorum quoddam augurium futurorum ; id
que in maximis ingeniis altissimisque animis
& existit maximè et apparet facillimè.
culorum quoddam augurium futurorum ; id
que in maximis ingeniis altissimisque animis
& existit maximè et apparet facillimè.
Cic. Tusc. Quæst. L. I. c. 15.
Je ne sai d’où cela vient, mais la plupart des Hommes ont quelque pressentiment d’une Vie à venir ; & cette idée se manifeste sur tout, & paroît avec plus d’éclat dans les Génies les plus élevez & les plus profonds.
Metatextualidad
Sur l’immortalité de l’Ame & une Vie à venir.
Nivel 2
Nivel 3
Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur, « Je suis très-persuadé qu’une des
meilleures forces d’où naissent les actions nobles & généreuses, est la juste &
noble idée qu’on a de soi-même. Tout Homme, qui entretient une idée basse & indigne
de sa Nature, ne peut jamais s’élever au dessus du rang où il s’est mis. S’il regarde son
Etre comme borné par le terme incertain d’un petit nombre d’années, ses vues se
renfermeront dans les bornes étroites qu’il donne à son existence. Comment peut-il
s’élever à quelque chose de grand & de noble, s’il croît qu’après avoir joué un rôle
fort court sur le Théâtre de ce Monde, il vient à s’éteindre pour jamais,
& qu’il n’aura plus aucun sentiment de ce qu’il a fait dans cette Vie. C’est pour
cela même que, selon moi, si on ne sauroit méditer trop souvent sur l’Immortalité de
l’Ame. Il n’y a point d’exercice plus capable de perfectionner l’Esprit Humain que de
réfléchir souvent sur les priviléges, & les avantages dont il jouit ; ni aucun moyen
plus propre à nous inspirer une Ambition, qui s’éleve au dessus de tous les objets qui
nous environnent, que de nous regarder comme des Etres destinez pour l’Eternité.
D’ailleurs n’est-ce pas une grande satisfaction de voir que les Hommes les plus sages
& les plus grands Génies de toutes les Nations & de tous les siécles ont aspiré,
d’une commune voix, à l’Immortalité comme à leur droit naturel qu’elle nous est confirmée
par une Révélation expresse ? D’un autre côté, nous venons à réfléchir sur nous-mêmes,
nous y trouvons une espece de sentiment intérieur qui s’accorde très-bien avec les
preuves que nous avons pour l’immortalité de nos Ames. Voyons donc quelle est notre conduite lorsque nous sommes parvenus à ces Points
imaginaires de Repos. Nous y arrêtons-nous en effet, & y jouissons-nous en paix de
l’Etablissement que nous avons obtenu ? Ou plûtôt ne transportons-nous pas plus loin les
bornes que nous nous étions prescrites, & ne marquons-nous pas de nouveaux Points de
relâche, vers lesquels nous courons avec la même ardeur, & qui
disparoissent aussi vîte que nous les atteignons ? Il en est à peu près de nous à cet
égard comme de ceux qui voyagent sur les Alpes, & qui s’imaginent que le sommet de la
prochaine Montagne doit terminer leur course, parce qu’il borgne leur vue, mais ils n’y
sont pas plutôt arrivez, qu’ils découvrent de nouvelles Montagnes au- delà, & qu’ils
sont réduits à continuer leur marche. Cet Emblême represente si bien le sort de tous les
Hommes, qu’il n’y en a pas un seul capable de refléchir, qui ne puisse remarquer, qu’avec
quelque rapidité que sa Vie s’envole, il a toujours quelque nouveau desir, & quelque
chose de plus à souhaiter que ce qu’il possede actuellement. Puis donc que la Nature ne
fait rien en vain, comme parlent certains Philosophes, ou, pour m’exprimer d’une maniere
plus juste, puisque notre Créateur n’a mis dans nos Ames aucune Passion vague, ni aucun
Desir indéterminé, il faut que l’existence future soit le propre objet de cette passion
qui nous anime à sa recherche ; & ce manque de repos dans la jouissance du present,
cette nouvelle durée, dont nous nous flattons à chaque âge de la vie, cette ardeur qui
nous fait toujours aspirer à quelque chose qui est à venir, me paroît, quelque idée que
les autres s’en forment, une espece d’Instinct ou de Symptome naturel que l’Esprit Humain
a de son Immortalité. Je supose d’ailleurs que l’Immortalité de l’Ame est
suffisamment établie par d’autres Preuves ; de sorte que le Desir, dont il s’agit ici,
& qui seroit absurde si l’Ame n’étoit immortelle, ne sait que concourir au même but,
& leur donner un nouveau poids. Mais qu’il y ait des Créatures doüées de Raison, qui
mettent leur gloire à les combattre, c’est ce qui me passe. Il y a quelque chose de si
bas & de si indigne dans l’ambition dénaturée de ces Hommes qui se flattent d’être
anéantis, & qui se plaisent à penser que toute leur fabrique sera un jour réduite en
poussiere, & confondue avec la masse des Etres inanimez, qu’elle mérite autant notre
surprise que notre pitié. Quoiqu’il en soit, il n’est pas difficile d’en pénétrer la
cause : les Incrédules souhaitent leur anéantissement, parce qu’ils n’ont pas le courage
d’être immortels. Ceci me raméne à ce que j’ai dit dès l’entrée de mon Discours, & me
fait ajouter de plus, que, si les grandes actions viennent des pensées nobles &
dignes de nous, de même celles-ci sont une conséquence des autres : Mais le Perfide, qui
s’est dégradé jusqu’à se mettre au dessous des Bêtes brutes, est bien aise de résigner
ses prétentions à l’Immortalité, & de les remplacer par un Bonheur négatif, qui
consiste dans l’extinction de son Etre. L’admirable 3Shakespear nous donne une vive image du
triste & malheureux état, où se trouve une telle Personne à l’heure de sa mort,
lorsque, dans la seconde Partie de son Poёme sur le Roi Henri vi. il nous represente le
Cardinal de Winchester à l’agonie. Ce Cardinal, qu’on soupçonnoit d’avoir trempé dans
l’assassinat du brave Duc de Glucester, lâche quelques paroles entrecoupées, qui marque
le trouble d’une conscience bourrelée de son crime. Là-dessus, le Roi, ému de compassion
en sa faveur, s’adresse à lui en ces termes : Ce tour marque mieux le desespoir du mourant, que les
expressions du monde les plus vives ne pourroient jamais le dépeindre. D’ailleurs, si
l’anéantissement ne peut s’obtenir par un souhait, il n’y a rien de plus indigne que de
le souhaiter. Que signifient l’Honneur, la Réputation, les Richesses & le Pouvoir,
lorsqu’on les compare avec la glorieuse esperance d’une Eternité & d’un Bonheur sans
fin ? Je ne vous retiendrai pas davantage, mon cher Monsieur ; mais je ne saurois
m’empêcher de vous avertir, avec tout le sérieux que ces idées m’inspirent, qu’on dit de
certaines choses de vous qui ne me plaisent pas, quoique j’aie de la répugnance à les croire, & qu’on soit porté à médire de tous ceux qui se distinguent
par leurs beaux talens. Du moins, je souhaite que vous soyez aussi honnête Homme que vous
êtes bon Auteur, & je suis, &c. T. D.
Metatextualidad
1Celle que vous en avez donnée,
Monsieur, & que vous fondez sur le desir ardent qu’à l’Esprit Humain pour étendre
ses connoissances & se perfectionner lui-même, dont il ne sauroit venir
à bout dans l’espace d’une vie si courte, quoique la même durée, ou une moindre suffise
aux Créatures d’un ordre inférieur pour arriver à leur perfection : cette preuve,
dis-je, de notre Immortalité s, me paroït assez vraisemblable. Mais on peut en tirer une
autre de la même espece de l’attachement que nous avons pour la Vie, & des nouveaux
projets que nous formons dans chacun de ses périodes.
Cita/Lema
Quoique nous reconnoissions tons que la Vie est courte en elle-même, 2comme vous l’avez remarqué dans un de vos Discours, ses
différens périodes nous paroissent longs & ennuyeux. Nous envisageons l’Avenir
comme un Pays rempli de vastes deserts, que nous voudrions traverser à la hâte, pour
arriver à ces prétendus Etablissemens fixes, & à ces Point imaginaires de Repos,
qui s’y trouvent dispersez d’un côté & d’autre.
Cita/Lema
Mr. Le
Cardinal, si vous pensez à la félicité du Ciel, marquez-le par le mouvement de la main,
& donnez quelque signe de votre esperance. Le Poёte ajoute d’abord : Il meurt, &
ne donne aucun signe.