Le Spectateur ou le Socrate moderne: IV. Discours

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Livello 1

IV. Discours

Citazione/Motto

Τ’υνχιχός γδέ χρήμ’ άνηρ ληίζεται
Εσθλής άμεινcγ, γδέ ρίγιον χαχής.

Un Homme ne sauroit posseder rien de meilleur qu’une bonne Femme, ni de pire qu’une méchante.

Metatestualità

Les differens Caracteres des Femmes, suivant les idées du Poete Simonide

Livello 2

Autoritratto

Il n’y a point d’Auteurs que je lise avec plus de satisfaction que ceux qui representent la Nature Humaine sous différentes vues, & qui décrivent la diversité des moeurs qui étoient en vogue dans les siécles dont ils parlent.
Un Lecteur ne sauroit avoir un entretien plus agréable, que celui de comparer les Vertus & les Vices de son tems avec les Vices, & les Vertus qui régnoient du tems de ses Ancêtres & de former dans son Esprit un Paralelle entre son Caractere particulier & celui de ses Contemporains, ou de ceux qui l’ont précédé. La confédération du Genre humain, sous ces différentes couleurs, peut nous inspirer de la honte & du rebut pour quelque Vice, ou nous animer à la pratique d’une certaine Vertu ; elle peut nous rendre contens ou mal satisfaits de nous-mêmes dans les Points les plus esentiels de la Vie, nous dépouiller de nos préjugez, & donner de l’étendue à la petitesse de nos Esprits, qui nous porte à avoir méchante opinion de ceux qui different de nous. Si nous tournons les yeux sur les Coutumes & les manieres des siécles les plus reculez, nous voyons la Nature Humaine dans sa premiere simplicité : mais plus nous approchons du nôtre, plus elle se cache sous l’envelope de l’Artifice & du Rafinement ; plus elle se polit & s’éloigne peu à peu de son premier état, jusqu a ce qu’enfin elle se perd sous les formalitez & les cérémonies, ou ce qu’il nous plaît d’apeller une belle Education. Vous n’avez qu’à lire ce que les plus anciens Auteurs, sacrez ou profanes, nous ont dit du caractere des Hommes & des Femmes, & il vous semblera que vous lisez l’histoire d’une autre espece de Créatures. Entre les Ecrivains de l’Antiquité, il n’y en a point qui nous instruisent plus ouvertement des Mœurs de leurs differens siécles, que ceux qui se sont attachez à la Satyre, de quelque couleur qu’ils l’aient revêtuë. En effet, il n’y en a pas d’autres, dont le but aille si droit à examiner la conduite des Hommes, & à mettre leurs défauts dans un si grand jour.

Eteroritratto

Simonide, fameux Poëte de son tems, est l’Auteur, si je ne me trompe, de la plus ancienne Satyre que nous aïions, & même, à ce que disent quelques-uns, de la premiere qui ait jamais paru. Ce Poёte florissoit environ quatre cens années après le Siége de Troie, & son Stile est une preuve de la simplicité, ou plutôt de la grossiéreté du siécle où il vivoit. J’ai déja remarqué, dans1un de mes Discours précédens, que la Régle d’observer ce que les François apellent bienséance, lorsqu’il s’agit d’une Allusion, est de nouvelle date ; & que les Anciens, pourvu qu’il y eut quelque raport éloigné dans leurs Similitudes, ne s’embarrasoient guére de la bienséance ou du décorum. La Satire en Vers ïambiques de Simonide, dont je veux entretenir ici mes Lecteurs, est un bon Exemple de ce que j’ai avancé autrefois à cette occasion. Les Femmes en sont le Sujet. Il y décrit tous leurs Caracteres, qu’il fait dépendre d’une suposition chimérique bâtie fut le Dogme de la préexistence des Ames. Il nous y enseigne que les Dieux formerent les Ames du Sexe Féminin de ces premieres semences ou principes qui composent les différentes sortes d’animaux & d’Elemens ; & que leurs bonnes ou mauvaises qualitez viennent de ce que tels ou tels principes dominent dans leur constitution. Si notre Langue ne souffre pas que je traduise mot pour mot cet Auteur ; du moins je l’ai rendu assez fidélement, pour n’y avoir rien ajouté de mon cru, & avoir exprimé toutes ses pensées. J’ai déjà insinué qu’il est un peu grossier : je dirai de plus ici que ses traits satiriques ne tombent que sur quelques Femmes du plus bas étage, & non pas sur celles qui sont polie par une bonne Education, qui n’étoit pas si commune du tems de notre Poёte.

Metatestualità

Quoi qu’il en soit, voici ses Vers réduits en Prose.

Livello 3

Satira

Au commencement Dieu créa les Ames du beau Sexe, dans un état séparé de leurs Corps & les tira de différentes matieres. Il en forma les unes de ces ingrédiens qui entrent dans la composition du Pourceau. Une femme de cet ordre est une Salope dans sa Maison, & une Goulue à sa Table. Elle est malpropre dans ses habits & dans sa personne, & la Maison qu’elle occupe, a tout l’air d’une Ecurie. Il tira une seconde sorte d’Ames Féminines des matériaux qui servent à former le Renard. La Femme, qui en est pourvue, a de l’esprit & du discernement, elle connoît le bien & le mal, & rien n’échape à sa pénétration. Dans cette Classe de Femmes, il y en a quelques-unes qui ont de la vertu, & d’autres qui sont vicieuses. La troisiéme sorte de ces Ames fut prise des particules Canines, & les Femmes qui la reçoivent, sont celles que nous appelons communément des Grondeufes ; c’est-a-dire, qu’elles imitent ces Animaux, desquels elle est tirée, qui sont toujours en action, qui aboient sans cesse, qui grondent contre tous ceux qui les aprochent, & qui vivent dans une criaillerie continuelle. La quatriéme sorte fut prise de la Terre. Celle-ci anime les Paresseuses, qui vivent dans l’ignorance & l inaction, qui n’abandonnent pas leur foïer de tout l’hyver, & qui ne s’appliquent à quoi que ce soit avec ardeur qu’à la mangeaille. La cinquiéme sorte fut tirée de la Mer. Celle-ci produit ces Humeurs inégales qui passent quelquefois de l’Orage le plus terrible au Calme le plus profond, & du tems le plus sombre au plus beau Soleil au monde. Un Inconnu, qui verroit une de ces Femmes dans sa belle humeur la prendroit pour une Merveille de la Nature mais qu’il attende un moment ; ses regards & ses paroles changent tout d’un coup, elle ne respire que la rage & la fureur, c’est un véritable Tonnerre & un Ouragan. La sixiéme sorte fut composée de ces ingrédiens qui servent à former l’Ane, ou une Bete de somme. Les Femmes, qui la reçoivent, sont naturellement d’une paresse tout-extraordinaire ; mais si leurs Maris viennent à déployer leur autorité, elles se contentent de vivre fort maigrement & mettent tout en usage pour leur plaire. Avec tout cela, elles ne sont pas ennemies des plaisirs de l’Amour, & ne refusent guéres les caresses de leurs Maris. Le Chat fournit les matériaux pour la septiéme sorte de Femmes, qui sont d’un naturel mélancolique, bizarre, chagrin & si opposé eux enjoûmens de l’Amour, qu’elles sont prêtes à égratigner leurs Maris, & à leur sauter au visage, lorsqu’ils veulent s’aprocher d’elles. D’ailleurs, cette espece de Femmes est sujette à commettre de petits Larcins & des Friponneries. La jument, avec la criniere fiotante, qui n’avoit jamais subi le joug, servit à la composition de la huitiéme sorte de Femmes. Celles-ci, qui n’ont que peu d’égard pour leurs Maris, passent tout leur tems à s’ajuster, à se baigner & à se parfumer ; elles s’occupent à friser leurs cheveux avec beaucoup de soin, & à les orner des plus belles fleurs, & des guirlandes les pus enjolivées. Une Femme de cet ordre est un Objet fort agréable pour un Etranger, mais fort ruineux pour le Possesseur, à moins que ce ne soit un Roi ou quelque Prince qui s’entête d’une pareille Poupée. La neuviéme sorte a en son extraction du Singe. Celles- ci sont laides & malicieuses : Comme elles n’ont rien de beau, elles tâchent de noircir & de tourner en ridicule tout ce qui paroît tel dans les autres. Enfin, la dixiéme & la derniere espece a été prise de l’Abeille ; & bienheureux est l’Homme qui en trouve une de cette origine pour sa Femme. Elle n’est entachée d’aucun vice, sa Famille prospere & fleurit par son bon ménage. Elle aime son Mari, & en est aimée à son tour. Elle cultive une race de beaux & vertueux Enfans. Elle se distingue de toutes les autres de son Sexe. Elle est environnée de grâces. Elle ne se trouve jamais avec les Femmes. d’une vie déréglée, & ne perd point son tems à causer avec elles sur des choces indignes. Elle est ornée de Vertu & de Prudence, & c’est en un mot la meilleure Femme que Jupiter puisse étonner à l’Homme.
Si le Poëte Grec marque beaucoup de pénétration dans tous ces Caracteres qu’il nous a donné des Femmes, on peut dire qu’il a évité le défaut, où Juvenal & Mr. Boileau sont tombez, l’un dans sa sîxiéme & l’autre dans sa 2dixiéme Satire, lorsqu’ils ont voulu noircir le Sexe en général, sans rendre justice à celles qui ont du mérite. Des Satires de cet ordre, qui réduisent tous les Individus sur le même pié, ne sauroient être utiles au monde ; & c’est à cause de cela que je me suis toujours étonné que ce beau Génie François, qui avoit un jugement exquis, & qui paroissoit aimer la Vertu, pût croire que la Nature Humaine étoit un sujet propre à la Satire, comme il semble du moins l’insinuer dans une autre de ses fameuses Piéces ; qu’on apelle pour cet effet 3la Satire de l’Homme. Quel Vice ou quel Foible peut-on corriger, lorsqu’on censure toute l’Espece en général sans aucune distinction, & qu’on tâche de faire voir, par quelques traits d’esprit superficiels, que les Bêtes brutes valent mieux que nous à tous égards ? La Satire devroit se borner à la critique de ces défauts, dont les Hommes peuvent se garantir, & mettre une juste différence entre ceux qui en sont les véritables sujets, & ceux qui ne le sont pas.

1Voiez Tome ii. p. 22

2De l’Edition d’Amsterdam en 1717.

3C’est la viii. dans la même Edition.