Le Spectateur ou le Socrate moderne: II. Discours

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Ebene 1

II. Discours

Zitat/Motto

Quicquid delirant Reges, plectuntur Archivi.

Hor. L. I. Ep. ii. 14.

Les Souverains font des fautes ; les Sujets en pâtissent.

Ebene 2

Metatextualität

Le Spectateur ou Socrate moderne avoit assez fatigué ses Lecteurs par son premier Discours sans les ennuyer encore davantage par le sécond & le troisiéme :
Ses suppositions, ses redites & ses idées nous ont été décrites dans Horace, qui par avance les a blamées.

Zitat/Motto

Velut ægri sommia, vanæ Fingentur species, ut nec pes nec caput uni Reddatur formæ.
Ses pensées sont aussi peu suivies que les songes d’un malade qui est en délire, & qui n’ont aucun raport depuis le commencement jusqu’à la fin. Voilà ce que le Socrate moderne nous represente par les deux Portraits qu’il nous a tracez fort infidèlement de Louis xiv. Roi de France, & de Pierre Alexowits Czar de Moscovie ; Nous avons été obligez de les réformer tous deux : l’Auteur s’étoit trop oublié dans l’ébauche qu’il avoit faite de ces Princes ; il a employé pour l’un ses plus vives couleurs, & a chargé l’autre de ses plus sombres. Enfin, cet homme qui a tant ramassé de Rapsodies, a mis en paralelle Louis xiv. avec Vitellius : l’indignité de cette comparaison, son peu de jugement, & ses autres médisances, ont fait comparer leur Auteur à une sangsue, dont on ne peut étancher la soif.

Zitat/Motto

Non missura cutem nisi plena cruoris hirudo.
Cependant, il paroît dans le monde sous le nom & le manteau d’un Philosophe, il voudroit s’y déguiser ; la Métamorphose n’est pas facile : Un Négociant qui n’a que des Marchandises de contrebande, un peu d’Arithmétique de calcul, & la lecture des Gazettes d’Hollande, quoi qu’aidé des avis de ses Correspondants, ne peut pas soutenir longtems un personnage qui lui est étranger. L’Ancien Socrate étoit Athénien, & on ne remarque dans le Nouveau aucun grain de ce sel attique que les Savans ont tant estimé.

Selbstportrait

Le Socrate moderne n’est pas un Prédicateur, il oublie trop tôt son Texte pour son second Discours, qui n’est qu’une invective ; il avoit mis à la tête :

Zitat/Motto

Quicquid délirant, Reges, &c.
La mémoire lui a manqué, l’Histoire du Septentrion lui fournissoit en la Personne du Roi de Suéde un exemple d’un Prince qui pouvoit le faire souvenir de ce qu’il avoit promis par son Texte.
Charles xii. Roi des Gots, & des Vandales, pouvoit devenir un Héros, si les Flateurs, dont jamais les Cours des Souverains ne manquent, ne lui eussent persuadé qu’un Monarque qui avoit de si grands sentimens ne pouvoit être qu’heureux : Qu’Alexandre à peu près à son âge, avoit conquis l’Empire des Perses. Ils firent de la sorte avaler le poison à leur jeune Prince : il se mêla avec trop de hauteur des Affaires des Polonois ; il entreprit de leur donner un Roi, & fit en effet élire le 12. Juillet 1704. Stanislas Leczinski, qui l’année suivante se fit couronner à Varsovie avec fon Epouse. Le 4. Octobre, le Roi de Suéde cependant parcouroit toute la Pologne, victorieux en toutes les rencontres : il avoit pris le 6. de Septembre 1704. la Ville de Leopold Capitale de Russie, où il avoit trouvé six-vingt Canons de Bronze. Le 13. de Février 1706. les Suédois défirent encore à Franstadt près de Liza les Moscovites & les Cosaques, dont huit mille furent tuez sur la place, & six mille faits prisonniers de Guerre : toute leur Artillerie & leurs munitions demeurerent aux Vainqueurs. La même année, le Roi de Suéde défit près d’Ilmenau dans la Turinge les Saxons ; de huit mille, il s’en sauva huit cens. Le Czar. en 1708. osa encore mesurer ses forces avec celles du Roi de Suéde ; l’avantage demeura au dernier : le Moscovite d’autre côté battit le Général Levankaup. Le Roi de Suéde moins réjoui de sa Victoire, qu’irrité de la défaite de son Général, ne consulta que sa vengeance, & prêta trop l’oreille aux Flateurs qui l’avoient comparé à Alexandre & lui avoient representé que ce Conquérant avoit subjugué l’Empire des Perses en trois Batailles, qu’il ne lui en manquoit qu’une pour détrôner le Czar, qu’il devoit l’attaquer dans ses propres Etats : Animé par de tels discours, il prit la résolution de l’aller chercher ; il le trouva pour son malheur, & pour celui de ses Sujets vers l’embouchure du Boristhene. Les deux Armées se rencontrerent le 8. de Juillet 1709 comme nous l’avons raconté dans le discours précédent. Le Roi de Suéde eut besoin de toute sa Prudence pour se tirer d’un mauvais pas ; il ne pouvoit pas se refugier en Pologne, dont il avoit trop offensé le Roi : il n’y auroit pas eu de sûreté pour lui chez le Czar qu’il sçavoit être vindicatif, & qui ne lui auroit pas pardonné. Il se sauva chez les Turcs, où on le reçut avec quelque espece d’humanité, fort maltraité des Officiers du Grand Seigneur, pendant cinq ans qu’il demeura dans ses États. II partit enfin de Demir-Tocca le i. d’Octobre 1714. & arriva à Stralsund le 22. de Novembre. La Fortune sembla avoir abandonné ce Prince ambitieux depuis son retour : il perdit les Conquêtes qu’il avoit faites, & celles de ses Prédecesseurs. Il essaya en 1718. de se signaler par quelque action éclatante ; il assiégea au commencement de. Décembre Friderickshall, Ville située en Norwege, défendue par les Danois : le ii. du même mois entre huit & neuf heures du soir, comme le Roi visitoit la Tranchée, un boulet de Canon lui emporta la tête. Il n’avoit pas trente-sept ans accomplis quand ce funeste coup mit fin à sa vie, & à son ambition. Louis xiv est mort en 1715. le 1. de Septembre à la soixante & dix-septiéme année de son âge, & à la soixante & treizième de son Régne : Il a gouverné avec tant de modération que jamais il n’a refusé la Paix aux Peuples les plus barbares, lorsqu’ils lui ont demandé. Il a conservé les Conquêtes qu’avoient faites ses Prédecesseurs, & celles de plusieurs Provinces qu’il avoit conquises lui-même ; & est mort tranquillement en Paix, sans que ses Ennemis l’ayent troublé depuis par aucune Guerre.

Metatextualität

Nous ajoutons cette Apostille en faveur du Socrate Anglois, afin de corriger cet Auteur, en attendant que Dieu le convertisse.