LIX. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Mitarbeiter Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Katharina Tez Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 15.07.2019 o:mws-119-1254 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 382-388 Le Spectateur ou le Socrate moderne 1 059 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Teatro Literatura Arte France 2.0,46.0

LIX. Discours

Omnis Aristippum decuit color, & status, & res.

Hor. Lib. I. Ep. XVII. 23.

C’est-à-dire, Aristippe prenoit toute sorte de caractères, & se faisoit à tout, ils s’accomodoit de toute sorte d’état, & tout lui convenoit.

J‘eus quelque mortification de me voir exposé à la raillerie d’une belle Dame de ma connoissance, Voïez le LII. Discours pag. 342.pour avoir traité Dorimant de vrai Païsan, dans un de mes Discours. Elle fut même assez impitoïable pour tirer avantage de mon invincible taciturnité & pour examiner, d’une maniere fort libre, l’air, la taille, le visage & les allures de celui qui prétendoit juger, avec tant d’arrogance, de la veritable Galanterie. Cette Dame est pleine d’action, vive & gentille dans son impertinence, & du nombre de celles qui passent, auprès des Ignorans, pour avoir beaucoup d’esprit & de vivacité. Quoi qu’il en soit, elle avoir entre les mains la Comédie du Chevalier Fopling, & après avoir dit, que c’étoit un bonheur pour elle qu’il ne se trouvât pas aujourd’hui un Gentilhomme de la tournure de Dorimant, elle le mit à lire, d’un ait & d’un ton de Comédienne, en croïant triompher de moi, quelques endroits des discours de ce beau Personnage. En voici un : C’est elle-même, cette aimable chevelure, cette taille dégagée, ces yeux fripons, avec tous ces charmes attendrissans qui paroissent autour de sa bouche, & que Medley nous a dépeints ; Je veux hasarder à cette Loterie, & tenter d’y attraper un bon Lot avec mon Ami Belair.

« Il est presque inutile de repeter ici, que dans la traduction de tous ses Vers Anglois, on s’attache plus au sens, qu’à la rime.En Amour, les Vainqueurs, S’enfuïent des Vaincus ;Celui qui blesse suit,Et le Mourant poursuit. »

Aprés avoir tourné quelques feuillets, elle continua à lire & à causer tour à tour.

« Vous & Lovoit saurez, aux dépens de ses flammes, Que je connois à fond tous les replis des Femmes. »

« Oh, le charmant Personnage ! Mais ajoûte-t-elle, voici l’endroit que j’admire le plus, lorsqu’il commence à tourmenter Lovoit, & à copier les airs ridicules du Chevalier Fopling : N’est-ce pas une jolie Satire, de vouloir être lui-même un Sot pour se rendre agréable, puisque le bruit & le galimatias ont des charmes si puissans ? »

« Pour pouvoir obtenir de vous un bon succès, Je veux me transformer en ce que vous aimez. »

« Y a-t-il rien de plus extravagant, de plus enjoué & de plus digne d’un petit Maître, que ce nouveau trait ? »

« Les Sages pourront bien distinguer notre sort. Vous prenez une Femme, & j’épouse un tresor. »

Il y auroit eu sans doute de la temerité, pour un homme de mon humeur à m’opposer à ce torrent de paroles qui sortoient de la bouche de ma belle Ennemie ; mais son discours me fournit bien de quoi reflechir, après que je l’eus quittée. Je ne pûs m’empêcher de faire attention, en particulier, aux fausses idées que la plûpart des gens ont, (surtout le beau Sexe), de ce qu’on appelle un Gentilhomme bien fait ; de tourner le sujet de tous les côtez, & de m’en former une idée exacte & précise.

Il me semble donc qu’un Homme ne devroit jamais avoir l’estime des autres ; pour aucune action contraire aux Maximes reçues dans le Païs où il demeure. Tout ce qui est opposé aux regles éternelles de la Raison & du bon Sens doit être banni de la conduite d’un Homme bien né. J’avoue que je ne me suis pas expliqué là-dessus d’une maniere assez distincte, lorsque j’ai appellé Dorimant un vrai Païsan, sur ce qu’il donne à la Vendeuse d’Oranges l’épithéte de grosse Tripiere : J’aurois dû soutenir que l’Humanité engage un honnête Homme à ne faire aucun reproche à qui que ce soit, pour des choses qui peuvent être communes aux Personnes qui ont le plus de merite & de vertu. Lorsqu’un Gentilhomme dit des grossieretez, c’est en vain qu’il a des Habits magnifiques : On doit toujours préferer les ornemens de l’Esprit à ceux du Corps. Les paroles qui sentent une imagination dépravée, choquent plus la Politesse, que les Habits les plus négligez. Mais on est si éloigné d’en avoir cette idée, même entre les Personnes de qualité, que C’est à dire, un Brailleur.Vocifer passe pour un Gentilhomme bien fait & poli. Il parle fort haut, il est altier, civil, doucereux, brutal & complaisant tour à tour, suivant que son petit Genie & son excessive Impudence le menent. Il a d’ailleurs la réputation d’Homme d’esprit, auprès de celles de nos Dames qui n’en ont guères, parcequ’il est toujours en doute, & qu’il ne décide rien. Il hausse les épaules pour insinuer qu’il est d’un autre avis, & il réfute avec un grand air de suffisance, lors même qu’il avoue que la chose dont il s’agit est au dessus de sa portée. Son Caractere est d’autant plus singulier, qu’il se vante de corrompre les Femmes ; & parcequ’il a l’audace de fouler aux piez, sans le moindre scrupule, tout ce qu’il y a de plus sacré & de plus inviolable, j’ai ouï dire à une jeune Demoiselle fort riche que c’etoit dommage qu’un Gentilhomme aussi poli que Vocifer fût un si grand Athée. Il n’y a personne qui n’ait remarqué une foule de ces Impertinens dans toutes les Assemblées ; mais ne seroit-il pas digne de notre attention d’examiner quelle influence auroit dans les Compagnies & tout ce qui regarde la Société civile, un Homme imbu de tous les principes que l’Honneur, la Bienséance & la Religion inspirent ?

A peine ai-je trouvé un seul Homme qui remplit mieux tous les devoirs de la vie qu’C’est à dire, l’Inconnu.Ignutus. Ses actions cachées & celles qui paroissent aux yeux de tout le monde, tirent leur source de nobles & de puissans Motifs. Il les doit toutes à l’esperance ferme & inébranlable qu’il a d’une Vie à venir. Son bon Naturel, fortifié par le Sentiment de la Vertu, produit le même effet sur lui, que la négligence de tout ce qui est honnête & digne de nos soins produit sur quantité d’autres. Fixe & déterminé qu’il est sur toutes les matieres de quelque importance, on remarque dans ses actions cet air noble & aisé qui en releve toujours l’éclat : Quoiqu’il ait un souverain mépris pour toutes les Minuties, il les possede à fond. Ce tour d’esprit le dispense d’étudier ses manieres, qui toutes négligées qu’elles paroissent, n’ont pas la moindre affectation, & c’est ce qui le distingue en particulier.

Celui qui peut envisager avec plaisir l’incertitude de son existence ici-bas, & se promettre que sa dissolution lui sera quelque jour fort avantageuse, peut tout faire dans ce monde de bonne grace, d’un air desinteressé, & en galant Homme. Il ne regarde pas sa vie comme un état malheureux, passager, de courte durée, mêlé de vains plaisirs & de peines réelles ; mais il la considere sous une toute autre face ; ses chagrins disparoissent bien-tôt, & ses joïes sont pour l’Eternité. Il n’a pas une idée triste & affligeante de la Mort ; il est prêt à lui résigner tous ses plaisirs, & à passer de cette courte Nuit à un Jour qui ne finira jamais. C’est à dire, que plus un Homme a de Vertu, plus il est disposé naturellement à être civil, honnête & agreable. Un Homme qui possede de grands biens a la mine contente & un air assuré, que celui oui est réduit à l’étroit & dans la misere ne sauroit jamais prendre. Il en est de même à l’égard de l’Esprit ; celui qui se gouverne, par les regles éternelles du bon Sens & de la Raison, ne peut qu’avoir, dans ses paroles & dans ses actions, quelque chose de si gracieux, que tout lui sied bien, dans quelque état qu’il se trouve. Tout peut changer autour de lui, les Personnes & les Affaires, sans qu’il en soit altéré lui-même ; indifferent pour tout ce qui regarde la Vie & les occupations, il paroît insensible au milieu des revers qui démontent les autres. En un mot, pour être un Gentilhomme bien fait & poil, il faut être généreux & honnête Homme. Le plus sûr moïen d’être toujours de bonne humeur, & de briller, comme on parle, c’est d’être soutenu par celui qui ne peut jamais nous manquer, & de croire que tout ce qui nous arrive est pour le mieux, puisqu’autrement celui de qui nous dépendons ne l’auroit pas permis.

R.

LIX. Discours Omnis Aristippum decuit color, & status, & res. Hor. Lib. I. Ep. XVII. 23. C’est-à-dire, Aristippe prenoit toute sorte de caractères, & se faisoit à tout, ils s’accomodoit de toute sorte d’état, & tout lui convenoit. J‘eus quelque mortification de me voir exposé à la raillerie d’une belle Dame de ma connoissance, Voïez le LII. Discours pag. 342.pour avoir traité Dorimant de vrai Païsan, dans un de mes Discours. Elle fut même assez impitoïable pour tirer avantage de mon invincible taciturnité & pour examiner, d’une maniere fort libre, l’air, la taille, le visage & les allures de celui qui prétendoit juger, avec tant d’arrogance, de la veritable Galanterie. Cette Dame est pleine d’action, vive & gentille dans son impertinence, & du nombre de celles qui passent, auprès des Ignorans, pour avoir beaucoup d’esprit & de vivacité. Quoi qu’il en soit, elle avoir entre les mains la Comédie du Chevalier Fopling, & après avoir dit, que c’étoit un bonheur pour elle qu’il ne se trouvât pas aujourd’hui un Gentilhomme de la tournure de Dorimant, elle le mit à lire, d’un ait & d’un ton de Comédienne, en croïant triompher de moi, quelques endroits des discours de ce beau Personnage. En voici un : C’est elle-même, cette aimable chevelure, cette taille dégagée, ces yeux fripons, avec tous ces charmes attendrissans qui paroissent autour de sa bouche, & que Medley nous a dépeints ; Je veux hasarder à cette Loterie, & tenter d’y attraper un bon Lot avec mon Ami Belair. « Il est presque inutile de repeter ici, que dans la traduction de tous ses Vers Anglois, on s’attache plus au sens, qu’à la rime.En Amour, les Vainqueurs, S’enfuïent des Vaincus ;Celui qui blesse suit,Et le Mourant poursuit. » Aprés avoir tourné quelques feuillets, elle continua à lire & à causer tour à tour. « Vous & Lovoit saurez, aux dépens de ses flammes, Que je connois à fond tous les replis des Femmes. » « Oh, le charmant Personnage ! Mais ajoûte-t-elle, voici l’endroit que j’admire le plus, lorsqu’il commence à tourmenter Lovoit, & à copier les airs ridicules du Chevalier Fopling : N’est-ce pas une jolie Satire, de vouloir être lui-même un Sot pour se rendre agréable, puisque le bruit & le galimatias ont des charmes si puissans ? » « Pour pouvoir obtenir de vous un bon succès, Je veux me transformer en ce que vous aimez. » « Y a-t-il rien de plus extravagant, de plus enjoué & de plus digne d’un petit Maître, que ce nouveau trait ? » « Les Sages pourront bien distinguer notre sort. Vous prenez une Femme, & j’épouse un tresor. » Il y auroit eu sans doute de la temerité, pour un homme de mon humeur à m’opposer à ce torrent de paroles qui sortoient de la bouche de ma belle Ennemie ; mais son discours me fournit bien de quoi reflechir, après que je l’eus quittée. Je ne pûs m’empêcher de faire attention, en particulier, aux fausses idées que la plûpart des gens ont, (surtout le beau Sexe), de ce qu’on appelle un Gentilhomme bien fait ; de tourner le sujet de tous les côtez, & de m’en former une idée exacte & précise. Il me semble donc qu’un Homme ne devroit jamais avoir l’estime des autres ; pour aucune action contraire aux Maximes reçues dans le Païs où il demeure. Tout ce qui est opposé aux regles éternelles de la Raison & du bon Sens doit être banni de la conduite d’un Homme bien né. J’avoue que je ne me suis pas expliqué là-dessus d’une maniere assez distincte, lorsque j’ai appellé Dorimant un vrai Païsan, sur ce qu’il donne à la Vendeuse d’Oranges l’épithéte de grosse Tripiere : J’aurois dû soutenir que l’Humanité engage un honnête Homme à ne faire aucun reproche à qui que ce soit, pour des choses qui peuvent être communes aux Personnes qui ont le plus de merite & de vertu. Lorsqu’un Gentilhomme dit des grossieretez, c’est en vain qu’il a des Habits magnifiques : On doit toujours préferer les ornemens de l’Esprit à ceux du Corps. Les paroles qui sentent une imagination dépravée, choquent plus la Politesse, que les Habits les plus négligez. Mais on est si éloigné d’en avoir cette idée, même entre les Personnes de qualité, que C’est à dire, un Brailleur.Vocifer passe pour un Gentilhomme bien fait & poli. Il parle fort haut, il est altier, civil, doucereux, brutal & complaisant tour à tour, suivant que son petit Genie & son excessive Impudence le menent. Il a d’ailleurs la réputation d’Homme d’esprit, auprès de celles de nos Dames qui n’en ont guères, parcequ’il est toujours en doute, & qu’il ne décide rien. Il hausse les épaules pour insinuer qu’il est d’un autre avis, & il réfute avec un grand air de suffisance, lors même qu’il avoue que la chose dont il s’agit est au dessus de sa portée. Son Caractere est d’autant plus singulier, qu’il se vante de corrompre les Femmes ; & parcequ’il a l’audace de fouler aux piez, sans le moindre scrupule, tout ce qu’il y a de plus sacré & de plus inviolable, j’ai ouï dire à une jeune Demoiselle fort riche que c’etoit dommage qu’un Gentilhomme aussi poli que Vocifer fût un si grand Athée. Il n’y a personne qui n’ait remarqué une foule de ces Impertinens dans toutes les Assemblées ; mais ne seroit-il pas digne de notre attention d’examiner quelle influence auroit dans les Compagnies & tout ce qui regarde la Société civile, un Homme imbu de tous les principes que l’Honneur, la Bienséance & la Religion inspirent ? A peine ai-je trouvé un seul Homme qui remplit mieux tous les devoirs de la vie qu’C’est à dire, l’Inconnu.Ignutus. Ses actions cachées & celles qui paroissent aux yeux de tout le monde, tirent leur source de nobles & de puissans Motifs. Il les doit toutes à l’esperance ferme & inébranlable qu’il a d’une Vie à venir. Son bon Naturel, fortifié par le Sentiment de la Vertu, produit le même effet sur lui, que la négligence de tout ce qui est honnête & digne de nos soins produit sur quantité d’autres. Fixe & déterminé qu’il est sur toutes les matieres de quelque importance, on remarque dans ses actions cet air noble & aisé qui en releve toujours l’éclat : Quoiqu’il ait un souverain mépris pour toutes les Minuties, il les possede à fond. Ce tour d’esprit le dispense d’étudier ses manieres, qui toutes négligées qu’elles paroissent, n’ont pas la moindre affectation, & c’est ce qui le distingue en particulier. Celui qui peut envisager avec plaisir l’incertitude de son existence ici-bas, & se promettre que sa dissolution lui sera quelque jour fort avantageuse, peut tout faire dans ce monde de bonne grace, d’un air desinteressé, & en galant Homme. Il ne regarde pas sa vie comme un état malheureux, passager, de courte durée, mêlé de vains plaisirs & de peines réelles ; mais il la considere sous une toute autre face ; ses chagrins disparoissent bien-tôt, & ses joïes sont pour l’Eternité. Il n’a pas une idée triste & affligeante de la Mort ; il est prêt à lui résigner tous ses plaisirs, & à passer de cette courte Nuit à un Jour qui ne finira jamais. C’est à dire, que plus un Homme a de Vertu, plus il est disposé naturellement à être civil, honnête & agreable. Un Homme qui possede de grands biens a la mine contente & un air assuré, que celui oui est réduit à l’étroit & dans la misere ne sauroit jamais prendre. Il en est de même à l’égard de l’Esprit ; celui qui se gouverne, par les regles éternelles du bon Sens & de la Raison, ne peut qu’avoir, dans ses paroles & dans ses actions, quelque chose de si gracieux, que tout lui sied bien, dans quelque état qu’il se trouve. Tout peut changer autour de lui, les Personnes & les Affaires, sans qu’il en soit altéré lui-même ; indifferent pour tout ce qui regarde la Vie & les occupations, il paroît insensible au milieu des revers qui démontent les autres. En un mot, pour être un Gentilhomme bien fait & poil, il faut être généreux & honnête Homme. Le plus sûr moïen d’être toujours de bonne humeur, & de briller, comme on parle, c’est d’être soutenu par celui qui ne peut jamais nous manquer, & de croire que tout ce qui nous arrive est pour le mieux, puisqu’autrement celui de qui nous dépendons ne l’auroit pas permis. R.