Citazione bibliografica: Anonym (Ed.): "LXVII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\067 (1716), pp. 432-437, edito in: Ertler, Klaus-Dieter (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1146 [consultato il: ].


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LXVII. Discours

Citazione/Motto► Myrmidonium Dolopumve, aut duri miles Ulyssei
Temperet à lacrymis ?

Virg. Æneïd. L. II. 6, - 8.

C’est à dire, Où est le Soldat, Myrmidon, ou Dolope, ou du cruel Ulysse, qui pût retenir ses larmes, au récit d’un pareil Evenement. ◀Citazione/Motto

Livello 2► Depuis que 1 j’ai parlé de cet ancien Manuscrit, qui contient la Vie secrette de Pharamond, je l’ai lû avec plus de soin, & persuadé que les Hommes se gouvernent, dans tous les Siécles, par les mêmes Passions, j’en ai recueilli divers endroits, qui peuvent servir à nous instruire. L’Ami, de qui je l’ai reçu, m’a donné le Caractère d’Eucrate, le Favori de ce Prince, qu’il a extrait d’un Auteur qui vivoit dans cette Cour. Il ne sera pas mal à propos d’inserer ici quelques particularitez, qu’on y trouve à l’égard de l’un & de l’autre, & qui peuvent aider à mieux entendre le fin de leurs Conversations, que je pourrai publier dans la suite. Metatestualità► Quoi qu’il en soit, voici de quelle maniere cet Auteur s’exprime. ◀Metatestualità

[433] Livello 3► Racconto generale►« Lorsque Pharamond avoit envie de passer une heure ou deux loin du tumulte des affaires, & de l’embarras des Cérémonies, il se mettoit la main sur le visage, ou s’appuïoit d’un air négligé sur une Fenêtre, ou faisoit quelque autre action de cette nature, qui paroissoit indifferente à tout le monde, mais qui servoit de Signal au fidele Eucrate. Là-dessus, celui-ci se retiroit à son Appartement, où le Roi ne manquoit pas de se rendre, & où il donnoit audience à plusieurs Personnes qu’Eucrate y admettoit, par un Escalier dérobé, quoique les Gardes, choquez de leur mauvaise mine, leur refusassent l’entrée du Palais. C’est aussi pour cela que Pharamond appelloit cet endroit privilegié la Porte des Malheureux, & qu’il accusoit son Ministre de se laisser corrompre par leurs présens, qui consistoient en larmes. En effet, Eurcrate étoit l’Homme du monde le plus compatissant, si vous en exceptez son généreux Maître, dont les entrailles s’embrâsoient à l’ouïe de la moindre misere. D’ailleurs, Eucrate avoit un soin tout particulier, que ces indignes Mendians & ces prétendus Affligez, qui hantent d’ordinaire les Cours & y sollicitent des Pensions, pour entretenir leur fainéantise ou leur débauche, n’obrinssent aucune faveur à celle de son Prince : Mais il étoit le Patron de tous ceux qu’un accident imprévu plongeoit [434] dans l’adversité, des Enfans abandonnez ou haïs de leurs Peres, des Femmes maltraitées de leurs cruels Maris, des Riches qu’un Naufrage ou qu’un Incendie rendoit pauvres ; en un mot, de ceux qui n’avoient aucun appui dans le Monde, & qu’il voïoit exposé à quelque revers de cette nature, auquel la vie des Hommes est sujette. On peut dire même qu’il disposoit si bien de la liberalité de son Prince à cet égard sans être envié, qu’on ne se mettoit guére en peine de savoir ce qu’un autre n’auroit pas voulu faire, & par quels moïens les personnes affligées étoient secourues.

Livello 4► Dialogo► Un soir que Pharamond se rendit à l’Appartement d’Eucrate, il le trouva si abattu, qu’il lui demanda, avec cet agréable souris qui lui étoit naturel, D’où vient qu’Eucrate est mélancholique ?Y a-t’il quelque Malheureux que Pharamond ne soit pas en état de soulager ? Je le crains, répondit le Favori ; il y a là dehors un Gentilhomme, de bonne mine, bien mis, qui paroît être à la fleur de son âge, & prêt à succomber sous le poids de quelque rude affliction : Tous ces traits marquent l’agonie de son esprit ; mais il me semble qu’il est plus disposé à fondre en larmes, qu’à tomber dans le desespoir. Je lui ai demandé ce qu’il souhaitoit ; il m’a dit qu’il vouloit parler à Pharamond. Je l’ai prié de m’entretenir de son affaire ; mais à peine a-t’il pû me dire, Eu-[435]crate, daignez me présenter au Roi, mon Avanture est trop accablante pour y revenir à deux fois, & je ne sai pas même si j’aurai la force de la rapporter une seule d’un bout à l’autre. Là-dessus Pharamond commanda qu’il entrât, & ce Gentilhomme s’avança de l’air du monde le plus interdit & le plus embarrassé. Le Roi, qui s’en apperçut d’abord, tâcha de le raffermir par ses manieres civiles & obligeantes, & lui adressa le discours, en ces termes: Monsieur, Que ma présance ne vous intimide point, & qu’elle n’augmente pas a douleur que je vois répandue sur votre visage : Souvenez-vous que vous parlez à votre Ami, & que vous me trouverez tel. Si je puis apporter quelque remede à votre affliction. Oh, très excellent Pharamond ! repliqua ce Gentilhomme, ne parlez point d’un Ami à l’infortuné Spinamont : j’en avois un, mais il n’est plus ; cette main l’a tué, mais Pharamond en est coupable. Je ne viens pas vous demander grace ; je viens vous raconter la douleur qui me navre, & que je n’ai pas la force de soutenir : Il n’y a plus pour moi, ni joie ni plaisir, dans ce monde, tout ne m’y paroîtra qu’un Songe & qu’un vain Amusement. Oh, Prince magnanime ! souffrez que, malgré la bonté de votre naturel, je vous taxe, dans l’amertume de mon ame, d’avoir part à l’effusion de ce généreux sang que cette malheureuse main [436] a répandu aujourd’hui. Oh, plût à Dieu que je l’eusse perdue avant ce coup fatal ! Après avoir fait ici une petite pause, & recueilli un peu ses idées, il reprit sa narration avec plus de calme, & la continua de cette maniere. ◀Dialogo ◀Livello 4

L’affliction est accompagnée de quelque espece d’autorité, & puisque tous les Hommes y sont sujets, il n’y en a pas un seul qui ne soit obligé de lui donner audience : Je suis bien persuadé que Pharamond est toujours disposé à l’entendre. Sachez donc que j’ai eu le malheur de tuer ce matin en Duel l’Homme du monde que j’aimois le plus. J’ai trop de retenue en présence de Votre Majesté Roïale, pour vous dire que vous me rendiez mon Ami, & que c’est vous qui m’en avez privé : Je n’oserois m’écrier, Est-ce que le pitoïable Pharamond détruiroit ses propres Sujets, & que le Pere de la Patrie égorgeroit son Peuple ? Cependant vous faites l’un & l’autre. La Fortune est si recherchée de tout le monde, que toute la gloire & tout l’honneur des Sujets sont entre les mains de leur Prince, parcequ’il distribue les graces & les emplois, qu’il éleve & abaisse tous ceux qu’il veut. Ainsi les Monarques sont responsables de toutes les mauvaises Coutumes qui s’introduisent dans leurs Etats, au préjudice de leurs ordres. Une Cour peut faire que la Mode & le Devoir marchent d’un pas égal ; & il [437] n’arrivera jamais qu’on y approuve le Crime, à moins qu’elle n’en soit Complice. Mais helas ! dans le Royaume de Pharamond, par la tyrrannie d’une malheureuse Coutume, qu’on appelle faussement un Point d’honneur, le Duelliste tue son Ami, & le Juge le condamne, quoiqu’il approuve son action. Que signifient toutes les Loix, si les Violateurs ne sont exposez qu’à la Mort, & que la Honte, qui est le plus grand de tous les maux, soit le partage de ceux qui les observent ? Pour moi, il m’est impossible d’exprimer les differentes sortes de tendresse & de regrets que je sens, lorsque je reflechis sur les petites avantures de ma vie passée avec mon Ami, & mon Esprit en est si accablé de chagrin que j’ai de la peine à me retenir en présence de Pharamond. Là-dessus il versa un torrent de larmes, & se mit à crié à haute voix : Pourquoi est-ce que Pharamond n’entendroit pas ces cruels soucis qui me rongent, & dont lui seul peut délivrer les autres à l’avenir ? Qu’il apprenne de moi jusqu’où vont les remords de ceux qui ont tué leurs Amis par la fausse douceur de son Gouvernèment, & qu’il se représente la vengeance que demande le sang de tous ceux qui ont péri par l’inexecution de ses Loix. » ◀Racconto generale ◀Livello 3

R. ◀Livello 2 ◀Livello 1

1Voïez page 389, &c.