Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLVIII. Discours

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Livello 1

XLVIII. Discours

Citazione/Motto

Non equidem hoc studeo, bullatis ut mihi nugis
Pagina turgescat, dare pondus idonea fumo.

Pers. Sat. V 19, 20.

C’est-à-dire, Vous avez raison, mon dessein ne fut jamais de faire de ces beaux Vers qui ne signifient rien ; ni de faire valoir des bagatelles, & de leur donner du poids.

Livello 2

Il n’y a point de mauvais Goût, qui ait tant prévalu dans tous les Siècles, que celui qui regarde le Jeu de mots & qui est compris sous le nom général du Quolibetisme. J’avoue qu’il est impossible d’extirper une méchante Herbe, que le terroir a une si grande disposition à produire. Les semences du Quolibetisme naissent dans l’Esprit de tous les Hommes, & quoique la Raison, la Reflexion & le bon Sens les puissent amortir, elles éclatent quelquefois dans le plus grand Genie, s’il n’est pas cultivé avec beaucoup de soin. L’Imitation nous est fort naturelle, & lorsqu’elle n’excite pas l’Esprit à la Poësie, à la Peinture à la Musique, ou à de plus nobles Arts, elle s’échape en Jeu de mots & en Quolibets.

Livello 3

Esempio

Aristote, dans l’onziéme Chapitre de sa Rhetorique, décrit, entre les beautez du Discours, deux ou trois sortes de Quolibets qu’il nomme Paragrammes, & dont il produit des exemples tirez de quelques-uns des plus habiles Auteurs Grécs. Ciceron a parsemé presque tous ses Ouvrages de Quolibets, & dans son Livre où il pose les regles de l’Art Oratoire, il cite un nombre infini de Proverbes ou de bons Mots, comme des traits d’esprit, qui ne sont au bout du compte que de véritables Pagnoteries.
Mais pour s’approcher de nous, ces Pointes d’esprit étoient ici le plus en vogue, sous le regne de Jacques I. Ce savant Monarque étoit lui-même un assez bon Quolibeteur, & il ne faisoit guère d’Evêques ou de Membres de son Conseil pri vé qui ne se fussent signalez par quelque bon Mot ou quelque Plaisanterie. C’étoit alors que les Quolibers paroissoient avec éclat, & qu’ils se voioient sur le trône. On les avoit admis autrefois dans les Discours enjouëz, & les Ecrits burlesques ; mais sous le Roi Jaques, on les débitoit gravement sur la Chaire, ou on les prononçoit dans le Conseil, avec toute la solemnité possible. Les Auteurs les plus célèbres les emploïoient souvent dans les Ouvrages les plus serieux. Les Sermons de l’Evêque André, & les Tragédies de Shakespear, en fourmilloient. Le premier exhortait le Pécheur à la repentance par des Quolibets, & il n’est rien de plus ordinaire dans l’autre que d’y voir un Heros fondre en larmes & les accompagner de Quolibets pendant une douzaine de lignes de suite. A ces grandes Autoritez, qui semblent avoir consacré ce mauvais tour d’Esprit, on peut joindre les Rhétoriciens qui ont traité du Jeu des mots avec beaucoup de respect, & distingué ses differentes espèces par des Noms scabreux, qu’ils mettent au rang des Figures, & qui servent d’ornement au Discours. Je me souviens que le Maître d’une Ecole Latine, avec qui j’avois quelque liaison à la Campagne, me dit une fois qu’il avoit vû le plus habile Paragrammatiste qu’il y eût entre les Modernes. Je voulus savoir qui c’étoit, & j’appris qu’il avoit dîné ce jour-là même avec Mr. Swan, le fameux Quolibateur ; Alors je le priai de me dire ce qui s’étoit passé dans leur Conversation, & il me répondit que Mr Swan s’étoit presque toûjours servi de la Paranomase, qu’il avoit donné quelquefois dans le Place, mais que, s’il lui étoit permis de dire sa pensée, il avoit brillée sur tout dans l’Antanaclase. Je ne dois pas oublier ici, qu’une de nos célèbres Universitez étoit autrefois cruellement infestée de la forte manie des Quolibets ; mais savoir si cela venoit ou non des Marecages qui l’environnoient alors, & que l’on a dessechez depuis, c’est ce que j’abandonne à la décision de plus habiles Naturalites que moi. Après ce petit détail historique du Quolibetisme, il est étonnant qu’il ne paroisse plus aujourd’hui dans la République des Lettres, puis sur tout qu’on le trouve dans les Ecrits des Anciens qui avoient le plus de politesse. Toute la raison qu’on peut en alléguer, est fondée sur ce que les premiers Auteurs, les grands Heros dans l’Art d’écrire, n’avoient aucune regle de bonne Critique. C’est pour cela même qu’ils n’aprochent pas de l’éxactitude & de la justesse de ceux qui les ont suivis, quoiqu’ils les surpassent dans l’élevation de genie. Les Modernes ne sauroient atteindre à leurs beautez, mais ils peuvent éviter leurs imperfections. Lorsque ces Auteurs du premier ordre étoient en vogue, qui se rendirent célèbres par les remarques qu’ils faisoient sur les Ouvrages de ceux qui les avoient précedez. Une de leurs principales occupations se bornoit à distinguer les differentes sortes d’Esprit par des termes de l’art, & à les évaluer plus ou moins, suivant qu’elles se trouvoient fondées sur la verité des choses. Il ne faut donc pas s’étonner, qu’un Socrate, un Platon & un Ciceron aient de ces petits foibles qu’on ne rencontre pas dans des Auteurs d’un mérite fort au dessous du leur, mais qui ont écrit depuis la découverte de ces taches. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas qu’aucun des anciens Critiques, à la reserve de Quintilien & de Longin, ait mis une exacte separation entre les Quolibets & les bonnes Pointes d’esprit ; mais on ne l’eut pas plutot fixée, que tous les gens de bon sens en convinrent. Le Jeu des mots fut ramené à peu près vers le rétablissement des belles Lettres ; mais on ne tarda guéres à le bannir. Il est certain que ce mauvais Goût a paru & s’est éclipsé à plusieurs reprises, & il n’y a nul doute qu’il ne revienne à la longue, toutes les fois que la Pédanterie & l’Ignorance prendront le dessus. Il est même à craindre, par quelques productions de L’Hiver dernier, que nos enfans ne dégénérent bientôt en Quolibateurs : Du moins ma crainte doit être fort excusable, puisque j’ai vû applaudir à des Acrostiches qui couroient la Ville, & à une petite Epigramme qu’on nommoit la Priere des Sorciers, dont toute la magie revenoit à être conçue en Vers, soit qu’on la lût en avant ou au rebours, avec cette difference qu’elle maudissoit d’un côté & qu’elle benissoit de l’autre. Lorsqu’on voit de ces Esprits laborieux parmi nous, qui peut deviner quelle en sera l’issue. Si nous devons nous critiquer les uns les autres, que ce soit par de beaux traits d’une Satire fine & délicate ; car pour moi je suis du goût de cet ancien Philosophe, qui aimoit mieux tomber sous la griffe du Lion, que sous le pied de l’Ane, s’il devoit être la victime de l’un ou de l’autre. Ce n’est point l’esprit de Parti qui m’engage à raisonner de la sorte. Il y a une secheresse effroiable des deux côtez. J’ai vû des Acrostiches de la main des Torys, & des Anagrammes de la tournure des Whigs, & je n’y trouve pas à redire, parecequ’ils viennent des Whigs ou des Torys, mais parce que ce sont des Anagrammes & des Acrostiches.

Metatestualità

Apres avoir fait l’histoire du Jeu de mots, depuis sa naissance jusqu’à la chûte, je le définirai ici une Pointe d’esprit fondée sur l’usage de deux mots qui s’accordent pour le son, mais qui different à l’égard du sens.
L’unique moien pour découvrir, si une Pointe est bonne ou fausse, c’est de la tourner dans une autre Langue : Si elle soutient cette épreuve, vous pouvez dire à coup sûr qu’elle est de bon alloi ; mais si elle s’évanouît dans l’opération, prononcez hardiment que ce n’étoit qu’une miserable Pagnoterie. En un mot, on peut dire de celle-ci ce qu’un Païsan disoit de son Rossignol, que c’est vox & prætereà nihil, un son, & pas autre chose. D’ailleurs, on pourrait appliquer à la véritable Pointe d’esprit l’éloge qu’Aristenetus faisoit d’une belle Femme qu’il trouvoit toujours belle, soir qu’elle fût parée, ou en deshabillé, ou pour me servir de la traduction de Mercerus qui est beaucoup plus emphatique,

Citazione/Motto

Induitur formosa est : Exuitur, ipsa forma est ; «  Met-elle des Habits superbes, elle est belle : En prend-elle des négligez, c’est toujours la même Beauté. »
C.