Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XLV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\045 (1716), S. 289-296, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1126 [aufgerufen am: ].


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XLV. Discours

Zitat/Motto► Ut Pictura, Poëtis erit,

Hor. A. P. v. 361

C’est-à-dire, La Poësie & la Peinture ont beaucoup de rapport. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Il n’y a rien qu’on admire tant, & que l’on connoisse si peu, que l’Esprit. Je ne sâche pas qu’aucun Auteur en ait écrit de propos deliberé ; & pour ceux qui en disent quelque chose, ce n’est qu’en passant & par occasions ; ils n’y emploient que de petites reflexions courtes, & de genéralitez, exprimées en termes fleuris ; mais ils n’entrent pas dans le fond de la matiere. Ainsi je croi que mes Compatriotes seront bien aises de voir que j’en traite un peu au long, & que je tâche en même tems de n’encourir pas le reproche qu’un fameux [290] Critique a fait à un Auteur qui s’est avise d’écrire du Sublime en stile bas & rampant. J’emploïerai une semaine entiere à l’execution de mon dessein, pour ne pas interrompre le fil de mes pensées ; & j’ose me flater, que si mes Lecteurs m’accordent une attention favorable, cette grande Ville aura de meilleures idées à cet égard au bout du terme que je viens de marquer. J’essaïerai d’ailleurs de me rendre intelligible à tout le monde ; mais si l’on trouve, dans l’un ou l’autre de mes Discours, quelques endroits un peu au-dessus de la portée des Esprits ordinaires, cela ne doit pas les décourager, puisque le suivant ne manquera jamais de les éclaircir.

Comme le principal & l’unique but que je me propose est de bannir le Vice & l’Ignorance de tout le territoire de la Grande Bretagne, je ne plaindrai pas mes efforts pour y établir le bon goût & la politesse dans les Ouvrages d’esprit. C’est dans cette vûë que j’ai relevé déja plusieurs défauts à l’égard de l’Opera & de la Tragedie ; & que je publierai à l’avenir mes idées sur la Comédie, & les moïens qu’il y aurait de la perfectionner. Je vois même, par ce que mon Libraire m’a dit de ces Discours de Critique, 1 & de celui que j’ai donné sur la vivacité d’Esprit & l’Enjouement, qu’ils ont eu plus de succès que je n’en pouvois attendre de sujets de cette nat-[291]ture ; ce qui n’est pas un foible motif pour m’animer à l’execution de ce nouveau dessein.

Dans ce Discours & les deux suivans, je parcourrai l’histoire de l’Esprit de mauvais aloi, & j’en marquerai les différentes especes à mesure qu’elles ont prévalu dans le Monde. Ceci me paroît d’autant plus nècessaire, qu’on fit, l’hiver dernier, des tentatives pour rappeller quelques-unes de ces antiques sortes d’Esprit qui ont été bannies depuis long tems de la République des Lettres. On fit courir plusieurs Satires & Panegyriques en Vers acrostiches ; ce qui donna l’occasion à quelques-uns de nos plus miserables Genies d’entretenir des pensées ambitieuses, & de s’ériger en Auteurs polis. Ainsi je décrirai un peu au long tous ces artifices de l’Esprit de mauvais aloi qui font plutôt paroître l’application d’un Ecrivain que la beauté de son genie. ◀Metatextualität

La première espece que je trouve de cet Esprit est fort venérable par son antiquité, puisqu’elle a produit divers Ouvrages qui ont vêcu presque aussi long-tems que l’Iliade même : je veux dire ces Poëmes en mignature qu’on a imprimez avec les petits Poëtes Grecs, & qui ressemblent à un Oeuf, à une paire d’Aîles, à une Hache, à un Autel & au Chalumeau d’un Berger.

A l’égard du premier, c’est un petit Poëme ovale, qu’on pourroit appeller, avec quelque ration, l’Oeuf d’un jeune Ecolier. [292] Je voudrois bien essaïer de l’éclorre, ou, pour me servir de termes plus intelligibles, le traduire en Anglois, si l’explication ne m’en paroissoit trop difficile, puisque l’Auteur paroît avoir été plus attentif à la figure de son Poëme, qu’à y mettre du sens.

La paire d’Ailes est formée de douze vers, ou plutôt de douze plumes, dont la longueur diminue peu à peu, suivant la place où chacun se trouve. Le sujet de ce Poëme, aussi bien que de tous les autres de cette espece, a quelque rapport éloigné avec sa Figure ; car il nous décrit un Cupidon, qu’on représente toujours ailé.

La Hache aurait pû servir, à ce que je croi, de bonne figure pour un Libelle, si les parties les plus satiriques de la Piece en avoient composé le tranchant ; mais telle qu’on la voit dans son origine, il semble que ce n’étoit autre chose que la Devise de la Hache consacrée à Minerve, & qu’on croïoit être la même que celle dont Epeus s’étoit servi à la structure du Cheval de Troïe. C’est un soupçon du moins qui m’est venu dans l’esprit, & que j’abandonne à l’examen des Critiques. Je m’imagine d’ailleurs que la Devise étoit autrefois gravée sur la Hache, comme celles que nos Ouvriers mettent aujourd’hui sur les Couteaux qu’ils font ; & qu’ainsi la Devise retient encore son ancienne figure, quoique la Hache soit perdue.

[293] L’Inscription qui paroît sur l’Autel est l’Epitaphe de Troilus fils d’Hecube ; ce qui, pour le dire en passant, m’engage à soupçonner que ces prétendues Pieces d’Esprit sont plus anciennes que les Auteurs ausquels on les attribue d’ordinaire ; du moins je ne me persuaderai jamais, qu’un Ecrivain aussi délicat que Théocrite puisse avoir donné le jour à un Poëme si ridicule.

Ebene 3► Exemplum► Pour le Chalumeau du Berger, on peut dire qu’il est plein de Musique, puisqu’il est composé de neuf sortes de Vers, qui, parleurs differentes longueurs, ressemblent aux neuf tuïaux de cet ancien instrument, qui est aussi le sujet du Poëme.

Il étoit presque impossible qu’un Homme réussît dans cette sorte d’Ouvrages, s’il ne savoit un peu peindre, ou du moins dessiner. Il faloit qu’il traçât d’abord le contour du sujet sur lequel il prétendoit écrire, & qu’il y ajustât ensuite sa Composition ; c’est-à-dire, qu’il devoit alonger ou acourcir ses Vers, les étendre ou les estropier, suivant la figure du Moule, où il les jettoit : à peu près comme le Tyran Procrustes en aggissoit avec ces Malheureux qu’il faisoit mettre dans son Lit de fer ; s’ils étoient trop longs, il leur coupoit les jambes ; & s’ils étoient trop courts, il les appliquoit à la torture, jusqu’à ce qu’ils fussent d’une longueur proportionnée à celle de son Lit. ◀Exemplum ◀Ebene 3

Mr. Dryden fait allusion à cette sorte [294] d’esprit dans quelques Vers d’un de ses Poëmes, intitulé 2 Mac Fleckno ; mais un Anglois auroit de la peine à les entendre, s’il ne savoit qu’il y a de ces petits Poëmes, Metatextualität► dont je viens de parler, qui forment une paire d’Aîles, ou un Autel. Quoi qu’il en soie, voici la Traduction de ces Vers : ◀Metatextualität

Ebene 3► Zitat/Motto► « Mais si tu m’en croïois, tu prendrais, pour ta Niche,
Quelque paisible Coin du Domaine Acrostiche ;

C’est-là que tu pourrois, malgré tous les Mortels,
Voler à tire d’Aile, ou dresser des Autels,
Et mettre un pauvre Mot cent sois à la torture,
En dépit du bon Sens, & contre la Nature. » ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Plusieurs Poëtes du dernier Siecle s’aviserent de renouveller ce mauvais Goût, qui regne en particulier dans quelques-unes des Poësies de Mr. Herbert, & si je ne me trompe, dans la Traduction de Du Bartas. Je ne sâche point au reste qu’il y ait aucun Ouvrage entre les Modernes., qui ressemble mieux à ces Pieces d’esprit, que la fameuse Estampe du Roi Charles I, qui a tout le Pfeautier écrit dans les traits du [295] Visage & les cheveux de la Tête. La derniere fois que je me trouvai à Oxford, je lûs un des côtez de la Moustache, & j’avois entamé l’autre, lorsque l’impatience de quelques Amis, avec qui je voïageois, & qui s’empressoient tous de voir cette Curiosité, m’empêcha de passer outre. J’ai ouï dire depuis que nous avons un célèbre Ecrivain en Ville, qui a rangé tout le Vieux Testament sous la forme d’une Perruque longue ; & qui promet d’y joindre tous les Apocryphes, par l’addition de deux ou trois nouvelles tresses, en cas que les grosses Perruques, qui étoient en vogue il y a peu d’années, reviennent à la mode. Il avoit destiné, celle-ci pour le Roi Guillaume, & dispose les deux Livres des Rois aux deux côtes du devant ; mais il ne l’avoit pas encore achevée lorique ce glorieux Prince mourut ; il y reste ainsi le vuide qu’il saut pour placer le visage de toute Personne qui voudra en païer la façon. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Mais pour revenir à nos anciens Poëmes en mignature, j’aurois quelque envie de proposer à nos petits Versificateurs modernes, qu’ils voulussent imiter les Anciens, leurs Confreres, dans ces Inventions ingenieuses. J’ai communiqué cette pensée à un jeune Amoureux de ma connoissance, qui se mêle de versifier, & qui a resolu de présenter à sa Maîtresse un Poëme sous la figure d’un Eventail, dont il a déjà fini les trois premiers bâtons, à ce qu’il dit. Il a même dessein d’avoir la mesure [296] de son quatriéme doigt, où nos Femmes portent l’anneau de mariage, & de faire une Devise qui ait tout juste la même circonference. D’ailleurs il est si aise d’encherir sur une bonne idée, que je ne doute pas que nos beaux Esprits n’appliquent ce que je viens de dire à quantité d’autres sujets, & que nous ne voïïons bientôt la Ville pleine de Fichus Poëtiques, de Tabatieres, de Palatines, & de tous les Ornemens du beau Sexe figurez en rimes. Metatextualität► Pour conclusion, je donnerai un mot d’avis à ces admirables Ecrivains Anglois qui se disent les Imitateurs de Pindare, c’est qu’ils devroient s’attacher incessamment à publier de ces Pieces galantes & spirituelles, puisqu’ils sont mieux pourvûs qu’aucun des autres Poëtes, de Vers de toutes les tailles & de tous les ordres. ◀Metatextualität

C. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Voïez Discours XXVII. P. 170 . &c.

2C’est le Nom que Dryden donne au Poëte Shadwel, contre lequel il a écrit cette Satire.