Le Spectateur ou le Socrate moderne: XL. Discours

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XL. Discours

Citazione/Motto

Quandóque bonus dormitat Homerus

Hor. A. P. V. 359.

C’est-à-dire, L’incomparable Homère s’endort quelquefois.

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Metatestualità

J’ai reçu depuis peu tant de Lettres de mes Correspondans, que je ne saurois éviter d’en publier ici quelques-unes, pour leur satisfaction & la mienne, sans me piquer neanmoins de les joindre ensemble par des Transitions recherchées.

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Lettera/Lettera al direttore

Mr. le Spectateur, « Je suis ravi de pouvoir vous apprendre que vos efforts pour orner le Sexe, qui fait la plus belle partie des Créatures visibles, sont très-bien reçus, & qu’ils ne manqueront pas de succèes, suivant toutes les apparences. Le triomphe de Daphné sur Latitia a servi de matière à la conversation dans les Cercles de plusieurs Dames, aux heures qu’elles boivent le Thé. Je m’y suis trouvé moi même, & j’ai pris garde qu’elles se fassoient un grand plaisir de voir que vous les traitez en Personnes raisonnables, & que vous tâchez de bannir la Coutume Mahometane, qui n’a que trop prévalu dans cette Isle, d’en agir avec leur Sexe, comme s’il n’avoit point d’Ame. La justice qui leur est dûë, m’engage à dire, que, pour finir ces aimables Chefs-d’œuvres de la Nature Humaine, il semble ne manquer autre chose qu’à tourner leur ambition vers des objets propres, & leur faire sentir en quoi consiste leur veritable mérite.

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Epictete, ce sage & vertueux Philosophe, malgré son peu de galanterie, paroît les avoir estimées leur juste prix, aussi bien que le poli Mr. de St. Evremond, & a touché fort heureusement cet article. 1Lorsque les jeunes Filles, dit-il, arrivent à un certain âge, on leur donne le titre flateur de Maîtresses, & on leur persuade que leur unique soin doit se borner à plaire aux Hommes ; là-dessus, elles commencent à s’ajuster, & font dépendre toutes leurs esperances de l’ornement de leur Personnes. Il est ainsi digne de nous, continue-t-il, de ne rien oublier pour les convaincre, que toutes les civilitez qu’on leur fait ne regardent que le vrai Mérite, la Vertu, La Modestie & la Discretion.
Mais pour me servir de cette idée, & rendre les soins que vous prenez de perfectionner le beau Sexe plus efficaces je voudrais proposer une nouvelle méthode, qui agiroit par la même vertu qu’on attribue à la poudre de sympathie ; c’est-à-dire, que pour embellir la Maîtresse, il faudroit donner une meilleure Education à l’Amant, & apprendre aux Hommes à ne se laisser plus éblouïr par de faux charmes & une beauté superficielle. Je ne doute pas que si notre Sexe savoit toujours bien placer son estime, l’autre ne prît de plus justes mesures pour la mériter Car de même qu’un Homme qui est amoureux d’une Fille spirituelle & vertueuse, en devient plus poli & plus sage ; ainsi de l’autre côté une Fille, qui se rend aimable à un Homme d’esprit & d’une probité distinguée, s’aquiert un nouveau degré de mérite & de perfection. Je conclus de tout ceci, que le moïen de rendre les Femmes plus agréables, est de rendre les Hommes plus vertueux. Je suis, &c. » R. B.

Livello 4

Lettera/Lettera al direttore

Monsieur, « J’ai lû, avec quelque espèce de chagrin, celui de vos 2Discours, où vous semblez craindre que si la Paix vient à se faire, notre Isle sera inondée d’une Flote de Rubans, de Brocars, & de nouvelles Modes de France, qui ne serviront qu’à redoubler la vanité des Angloises. Mais je m’imagine que vous n’entendez parler que des plus extravagantes de notre Sexe, que rien n’est capable d’amener à la Raison. Quoi qu’il en soit, il y en a quantité d’autres, à qui vos Instructions seroient d’un grand secours, & qui, après avoir emploié tous leurs efforts, pour se mettre à couvert de la Critique du Siecle, ne savent plus quelquefois de quel côté se tourner, pour la prévenir. Cependant, je ne croi pas que vous desaprouviez tout commerce, honnête & discret, entre les Dames & les Messieurs, puisque par tout où l’on s’y oppose, on trouve que les Femmes perdent leur esprit, & les Hommes leurs bonnes mœurs. Il est certain, qu’à l’occasion de ces manieres trop libres, que vous avez blâmées, il y a des Dames, sans aucun discernement, qui banniront de leurs anti-chambres les Hommes les plus polis du monde, & qui condamneront celles qui ne suivront pas leur exemple.

Metatestualità

Si vous preniez la peine d’éclaircir un peu mieux cet article, & de le mettre dans tout son jour, je croi que vous rendriez un bon service au Public, & vous obligeriez en particulier celle qui est, &c. »
Anna Bella.

Metatestualità

Point de Réponse à l’Interrogatoire, jusqu’à ce qu’Anna Bella ait expliqué un peu au long ce qu’elle entend par les Hommes les plus polis du monde.

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Livello 4

Lettera/Lettera al direttore

Mr. le Spectateur, « Tous ceux qui me connoissent savent que je suis attaqué du mal de rate, depuis bien des années, & que ce mal m’est venu de la Lecture des meilleurs Livres, & de la fréquentation des plus beaux Esprits : J’ai contracté par-là une si grande délicatesse, que je ne puis souffrir la moindre inexactitude dans le Discours, ni la moindre grossiereté dans les manieres. D’ailleurs, j’avois toûjours cru que cette Maladie ne regardoit que les Gens d’esprit, mais j’ai observé depuis quelque tems, qu’il n’y a pas un seul miserable Cancre, qui ne se plaigne de la rate, & ne l’accuse de la pesanteur de son cerveau, quoiqu’il n’ait jamais un mot à dire. Ce n’est pas tout, je vis, l’autre jour, dans la cuisine d’un Cabaret, deux Estafiers, qui prétendoient être attaquez de ce mal, faire venir chopine de vin, avec des Pipes, avaler cette Liqueur, à la santé l’un de l’autre & se pousser la fumée au nez, dans l’esperancc de se guérir ainsi de la rate. J’en appelle à votre témoignage, si l’on doit deshonorer jusques à ce point la Maladie des Personnes les plus distinguées & les plus polies. Je vous conjure donc, Monsieur, de vouloir avertir ces Estafiers qu’ils ne peuvent être sujets à ce mal, puisqu’ils ne sauroient dire un mot sans avoir le verre à la bouche, ni se communiquer leurs pensées sans l’interposition d’un nuage épais qui leur créve les yeux. Pour moi, je vous déclare, franc & net, que si vous ne remediez au plutôt à ce desordre, je vais renoncer à la Maladie, & être toûjours de bonne humeur avec le Vulgaire. Je suis, &c. »

Livello 4

Lettera/Lettera al direttore

Monsieur, « J’ai conçu tant d’aversion pour le mêtier de Lorgneur, 3sur ce que vous en avec <sic> écrit, que j’y ai absolument renoncé. Mais puisque votre Mercuriale a été si rude à l’égard des Hommes qui le pratiquent dans les Eglises, au milieu du Service Divin, je me flate que votre indulgence pour les Femmes n’ira pas jusques à les laisser tout-à-fait impunies. Si elles mettent tout en œuvre pour attirer nos yeux, sommes-nous plus coupables qu’elles, lorsque nous les regardons ?

Livello 5

Esempio

Dimanche dernier, je me trouvai dans un Banc, plein de jeunes Demoiselles qui étoient à la fleur de leur âge & de la Beauté. Lorsque le Ministre eut commencé le Service, & qu’il prononça la Confession des Péchez, je voulus incliner le genou, mais il n’y eut pas moïen, faute de place ; ainsi je me tins debout & je ne tournai les yeux, ni à droite ni à gauche, autant qu’il me fut possible, jusqu’à ce qu’une de ces Beautez, du nombre de celles qui jouënt du coin de l’œil, & que j’apellerai demi-Lorgneuse, si vous me pardonnez cette Expression, resolut d’attirer mes regards & de fixer ma dévotion sur elle. Il faut que vous sâchiez de plus qu’une demi-Lorgneuse, a toujours les mains, les yeux, ou son éventail, en mouvement, jusqu’â ce qu’elle se croit admirée par quelque Lorgneur. Environné de tous côtez, je ne savois quelle posture prendre, lorsque cette jeune Dame se mit à genoux tout devant moi. Elle étaloit le plus beau sein du monde, qui s’élevoit & s’abaissoit à diverses reprises ; elle avoit la main potelée & le bras fait autour, & se couvroit le visage avec un Eventail magnifique. En un mot, il étoit impossible de n’être pas frappé de cet objet, ou de s’en interdire la vûë ; & je ne pûs m’empêcher d’ailleurs d’examiner son Eventail, enrichi de figures, qui n’étoient guéres convenables au Lieu, ni à la Bienséance. On y voïoit, dans le corps de la Piece, une Venus, sous un Dais, orné d’une Draperie couleur de pourpre, enjolivée de guirlandes, où elle paroissoit à moitié nuë, & accompagnée d’une troupe d’Amours, occupez à rafraîchir l’air avec des Eventails, pendant qu’elle dormoit. Un Satire montroit le nez à côté du chevet, au-dessus d’un rideau de taffetas, & sembloit menacer de franchir cette mince barriere. J’essaiai plusieurs fois de tourner la vûë d’un autre côté ; mais il n’y eut pas moïen d’en venir à bout, retenu par les enchantemens de cette demi-Lorgneuse, stilée de longue main à ce petit manége, & qui savoit rapeller les yeux de ses Spectateurs.
Voilà, Moniteur, en quoi consiste mon grief ; c’est à vous, s’il vous plaît, d’y remedier ; & je me flate, qu’aprés avoir examiné le Cas, vous trouverez qu’une demi-Lorgneuse est beaucoup plus mal-faisante & plus redoutable qu’un Lorgneur, pour la même raison qu’une embuscade est plus à craindre qu’une Attaque ouverte. Je suis, &c. »

Metatestualità

Puisque cette demi-Lorgneuse emploie l’Eventail & les yeux pour faire des conquêtes, on doit la regarder comme une Picte, & la traiter à l’avenir sur ce pied-là.
R.

1Voïez son Enchiridien Sect. 62

2C’est le XXXIII p. 110.

3Voiez le XV. Discours P. 97. &c.