Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXXIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\033 (1716), S. 211-216, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1114 [aufgerufen am: ].


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XXXIII. Discours

Zitat/Motto► Natio Comœda est. — — —

Juv. Sat. III. 100.

C’est-à-dire, Les Grecs sont naturellement de grands Comédiens. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Il n’y a rien que je souhaite avec plus d’ardeur qu’une Paix sûre & honorable, quoique je craigne en même tems les consequences fâcheuses qui la peuvent suivre, non pas à l’égard de nos affaires Politiques, mais de nos mœurs. Quelle inondation de Rubans & de Brocards ne verra-t-on pas fondre sur nous ? A quels éclats de rire, & à combien d’impertinences ne serons-nous pas alors exposez ? Je souhaiterois de tout mon cœur, que, pour prévenir tous ces maux, il y eût un Acte du Parlement qui défendît l’entrée des Galanteries de France.

Les Femelles qui habitent notre Isle ont déja reçu de fortes impressions de ce Peuple badin, quoique, par la longueur de la Guerre, (comme il n’y a point de mal qui ne soit accompagné de quelque bien) ces traces sont presque effacées & bannies de l’esprit. Je me souviens du tems auquel nos Dames Campagnardes, les mieux élevées, se piquoient d’avoir leur Valet de chambre, parce qu’elles trouvoient, ne [212] vous en déplaise, qu’un Homme étoit beaucoup plus adroit & plus propre à les servir qu’une Fille. J’ai vû moi-même une de ces Abigaïls Mâles troter dans une Chambre avec un Miroir à la main, & peigner la tête de sa Dame une matinée entiere. Je ne sai si le bruit qui a couru, à l’égard d’une Dame rendue enceinte par un de ces Amphibies, étoit bien fondé ; mais je croi qu’à present toute la race en est détruite chez nous.

A peu près vers le tems que plusieurs Individus de notre Sexe étoient emploiez à cette sorte de service, les Dames introduisirent la mode de recevoir des Visites au Lit. On auroit pris alors pour une grande incivilité, si une Dame eût refusé d’admettre la compagnie d’un Homme, parce qu’elle n’étoit pas encore levée, & si un Portier eût allegué une excuse aussi frivole, on l’auroit crû incapable d’exercer les fonctions de sa charge. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Comme j’aime à voir tout ce qui est nouveau, je priai un jour mon Ami M. Honeycomb de me conduire chez une de ces Dames du bel air, & de me presenter à elle sur le pied d’un Etranger qui ne parloit pas Anglois, pour n’être pas obligé de tenir mon rôle dans la conversation. Quoique la Dame voulût bien paroître en deshabillé dans son Lit, elle avoit mis ses plus beaux attraits, & s’étoit même fardée pour nous recevoir. Ses cheveux paroissoient dans un desordre fort étudié, & sa Robe de chambre, qui [212] sembloit jettée négligemment sur ses épaules, étoit plissée avec beaucoup de soin. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 Pour moi, je suis si choqué de tout ce qui approche de l’immodestie dans le beau Sexe, que je ne pûs m’empecher de tourner la vûë d’un autre côté lorsqu’elle se remuoit, & que j’étois dans la plus grande confusion du monde toutes les fois qu’elle étendoit un bras ou une jambe. Quoi qu’il en soit, les Coquettes qui avoient introduit cette coutume, y renoncerent peu à peu, à mesure qu’elles vieillissoient ; bien persuadées qu’une femme de soixante ans ne feroit jamais aucune impression, quand elle se donneroit la torture & l’estrapade.

Ebene 3► Fremdportrait► Sempronia est aujourd’hui la plus grande admiratrice qu’il y ait de la Nation Françoise ; mais elle est si modeste qu’elle ne reçoit les Messieurs qui la visitent qu’à sa Toilette. C’est un contraste fort grotesque, de voir cette belle Créature parler de Politique, avec ses cheveux flotans sur les épaules, & examiner dans un Miroir ce visage, qui fait une si terrible execution sur tous les Spectateurs qui l’environnent. Qu’y a-t-il de plus joli & de plus agréable, que de l’entendre raisonner tantôt avec sa Femme de chambre, & tantôt avec ses Visites ? Quelles charmantes Transitions ne fait-elle pas d’un Opera ou d’un Sermon à un Peigne d’Yvoire ou à une Pelote ? Quel plaisir n’ai-je pas eu à lui voir interrompre un recit de ses Voiages, pour don-[213]ner une commission à son Valet, & s’arrêter au milieu d’une reflexion morale, pour appliquer le bout de sa langue sur une mouche? ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Il n’y a rien qui expose une Femme à de si grands dangers, que cet air gai & cet enjouement, qui sont naturels à la plûpart du Sexe. Il est ainsi de l’intérêt de toute Femme sage & vertueuse, d’empêcher que cette vivacité ne dégenére en inconstance. Mais tous les Discours & toutes les manieres des François ne tendent qu’à rendre le Sexe plus capricieux, ou, comme il leur plaît de s’exprimer eux-mêmes, plus éveillé, que la Vertu & la Discretion ne le permettent. De parler fort haut dans les Assemblées publiques, & de faire entendre à tout le monde que vous parlez de certaines choses que vous ne devriez dire qu’en particulier, ou à l’oreille, tout cela marque une belle Education ; pendant que de l’autre côté, la Pudeur qui fait rougir n’est point à la mode, & que le Silence est plus incivil que tout ce qu’on pourroit dire de mal à propos. En un mot, la Discretion & la Modestie, qui ont passé de tout tems & dans tous les Païs pour les plus dignes ornemens du beau Sexe, ne sont regardées aujourd’hui que comme les ingrédiens d’une Conversation gênée, & des qualitez Bourgeoises, qui ne doivent paroître que dans le domestique.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Je me trouvai, Il y a quelques années, à la Tragedie de 1 Mackbeth, & je fus pla-[214]cé, pour mon malheur, sous la Loge d’une Dame de qualité, qui est morte depuis, & qui étoit alors nouvellement revenue de France, comme je m’en doutai bien par le bruit qu’elle faisoit. Un peu avant qu’on ouvrît la Scène, elle se mit à dire à haute voix, Quand est-ce que ces aimables Enchanteurs paroîtrent ? & ils ne furent pas plutôt sur le Théâtre, qu’elle demanda à une Dame, assise à trois Loges d’elle, à sa main droite, si ces Enchanteurs n’étoient pas de charmantes Créatures ? Un peu après, lorsque 2 Betterton prononçoit une des plus belles Harangues de toute la Piece, elle fit signe de son Eventail à une autre Dame, qui étoit à sa gauche, aussi loin d’elle que la premiere, & lui dit à voix basse, qui fut entendue de tout le Parterre, Nous n’aurons pas 3 Baron ce soir. Au bout de quelques momens, elle appella par son nom, un jeune Baronet, assis à trois bancs de moi, pour lui demander si la Femme de Mackbeth étoit encore en vie, & avant qu’il pût lui répondre, elle se mit à parler du Fantôme de Banquo. Elle avoit ramassé déja un petit cercle d’Auditeurs, & fixé l’attention de tous ceux qui l’environnoient. Mais resolu d’entendre la Piece, je sortis de la sphere de son Impertinence, & je m’allai planter dans un des coins les plus reculez du Parterre. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Cette jolie maniere d’agir Enfantine est [215] un des plus beaux traits de la Coqueterie, & il n’y a que les Dames qui ont voiagé pour se former l’esprit, qui puissent arriver à cette perfection. Des manieres aisees<sic> & naturelles ont quelque chose de si agreable, qu’on ne doit pas s’etonner de voir que tout le monde y aspire. Mais il est en même tems si difficile de les attrapper, à moins qu’on n’y ait beaucoup de disposition, que plusieurs en sont devenus ridicules, pour y avoir voulu prétendre.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Un Auteur Francois fort ingenieux nous dit, que, de son tems, les Dames de la Cour de France auroient cru tomber dans une incivilité, & une espèce de Pédanterie Féminine, si elles avoient bien prononcé un mot difficile ; & qu’elles cherchoient souvent l’occasion d’emploier des termes de l’Art, pour avoir le plaisir de les estropier, & de faire ainsi paroître leur politesse. Il ajoûte qu’une Dame de qualité s’étant servie une fois à la Cour d’un de ces mots scabreux, & l’aiant appliqué & prononcé avec beaucoup d’exactitude, toute l’Assemblée en rougit de honte pour elle. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Quoi qu’il en soit, il faut reconnoître, qu’il y a bien de nos Dames qui ont voiagé plusieurs centaines de Milles sans avoir empiré, & qui sont revenues chez elles avec toute la modestie, la discretion, & le bon sens, qu’elles avoient à leur départ. D’un autre côté, il y a un nombre infini de nos Dames du bel air, qui paroissent avoir voïagé, & qui ont demeuré toute [216] leur vie dans le Tourbillon de la fumée de Londres. J’ai connu moi-même une Femme ; qui n’étoit jamais sortie de la Paroisse de S. Jacques, & qui, malgré tout cela, étoit aussi pleine d’impertinences & de minauderies étrangeres, qu’elle en auroit pû glaner dans la moitié des Pais de l’Europe.

C. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Ecrite par Driden.

2Le nom d’un des Acteurs.

3Fameux Acteur François.