Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXXI. Discours
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XXXI. Discours
Cita/Lema
Hætibi erunt artes ;
pacisque imponere morem ;
Parcere subjectis, & debellare superbos.
Parcere subjectis, & debellare superbos.
Virg. Æneid. L. VI. 854, 855.
C’est-à-dire, Souvenez-vous de suivre toutes ces maximes ; d’établir des Loix qui procurent la Paix ; de faire grace a ceux qui la demandent avec soumission, & d’abattre les mutains & les orgueilleux.
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Il y a une infinité d’hommes, qui
auroient besoin d’être toûjours occupez à quelque ouvrage
méchanique, & dont le plus grand malheur
consiste à n’avoir pas appris quelque Métier. Ce sont ceux que
nous appellons des Esprits lourds, gens incapables de reflechir,
& qui se mêlent de tout ce qu’ils n’entendent pas plutôt
parce qu’ils n’ont rien à faire, que par un principe de
curiosité.
R.
Metatextualidad
Je ne saurois vous en
donner une idée plus exacte que celle qui se trouve dans une
Lettre que j’ai recuë d’Oxford, & qui me vient de la
part d’un Homme, qui est Membre d’une Societé composée de
gens de cette espèce. La voici mot pour mot.
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Nivel 4
Carta/Carta al director
Monsieur,
J’avouë d’abord qu’il n’y a que trop de ces Coteries, donc le but & tout ce qu’on y agite n’est d’aucune consequence pour l’avantage du Public ou la prosperité de la Nation. Aussi je vous les abandonne de bon cœur. Mais il faut en même tems que vous m’accordiez, qu’il n’y a rien de plus utile ni de plus méritoire, que le Plan que nous suivons.
Abraham 2Froth.
Metatextualidad
« Jai
<sic> vû, dans quelques-uns de vos
derniers Discours, les ébauches que vous y donnez
pour former une Histoire des Coteries ; mais il me
semble que vous les exposez dans un faux jour,
& que vous en parlez d’une maniere un peu
trop badine. Après avoir reflechi mûrement
là-dessus, je ne doute pas qu’on ne puisse
traiter, dans ces petites Assemblées, beaucoup
mieux qu’aucune autre part, des Négociations les
plus importantes. Je vous entretiendrai donc en
peu de mots, pour servir d’Exemple, & pour
le bien du Public, que nous avons tous deux en
vûë, à ce que je croi, d’un Etablissement de cette
nature, que nous avons fait ici.
J’avouë d’abord qu’il n’y a que trop de ces Coteries, donc le but & tout ce qu’on y agite n’est d’aucune consequence pour l’avantage du Public ou la prosperité de la Nation. Aussi je vous les abandonne de bon cœur. Mais il faut en même tems que vous m’accordiez, qu’il n’y a rien de plus utile ni de plus méritoire, que le Plan que nous suivons.
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Ejemplo
Pour ne pas nous
attirer des sobriquets & des coups de
langue, nous avons pris le titre d’Assemblée
hebdomadaire : Notre Président doit servir, en
cette qualités, du moins une année, &
quelquefois même quatre ou cinq. Nous sommes tous
des Gens graves, serieux, & qui roulons de
nobles desseins dans la tête ; nous croions qu’il
est de notre devoir d’empêcher, autant qu’il
dépend de nous, que l’Etat ne souffre aucun
dommage, Ne quid detrimenti res capiat publica ;
de censurer les dogmes & les actions, les
Personnes ou les choses, que nous n’approuvons
pas ; de regler les affaires de la Nation au
dedans, & de pousser la Guerre au dehors,
par tout où nous le jugeons à propos, & de
la maniere qui nous paroît la plus convenable. Si
les autres ne sont pas de notre avis, nous ne
saurions l’empêcher ; mais il vaudroit mieux
qu’ils en fussent. D’ailleurs, nous avons de tems
en tems la complaisance de diriger à quelques
égards, les petites affaires de notre
Université.
Sans mentir, Mr. le Spectateur, nous sommes fort choquez de l’Acte, qui permet l’entrée des Vins de France : Une ou deux Bouteilles d’excellent Vin de Portugal, moileux & corroboratif, que nous bûmes l’autre soir chez l’honnête George, nous mit tous de belle humeur & bannit toute sorte de reserve. Mais ce maudit Vin rouge de France nous coutera plus d’argent, & nous ferra moins de bien : Si nous avions été informez du Projet de cet Acte, avant qu’on l’eût pousse trop loin, soiez assüré, que nous aurions présenté Requête, pour demander qu’on nous admît à y faire nos oppositions. Mais il n’en faut plus parler, puisqu’il n’y a point de remede.
Je vous avertirai en même tems, mon cher Monsieur, que nous ne saurions approuver la marche d’un certain Prince du Nord, de concert avec les Troupes des Infidelles ; que c’est une innovation très dangereuse, quoi qu’en dise Mr. Palmquist, & que nous ne sommes pas encore trop sûrs qu’il n’y ait au fond de tout ceci quelque intrigue secrete de certaines Gens. Du moins, les avis particuliers, que j’ai là-dessus, d’un de mes Amis qui a beaucoup de pénétration, donnent lieu à un Politique, bien versé dans les affaires de cette nature, à le soupçonner.
Nous croions avoir enfin reduit les Mécontens de Hongrie, & en venir bientôt à une Paix avec eux.
Nous n’avons pas déterminé jusques ici entre nous quelles seront les opérations de l’Armée qui doit maintenir la Neutralité du Nord, ni de celle qui est en Flandres, non plus que la manœuvre de deux ou trois Princes ; mais nous attendons avec impatience l’arrivée du Manuscrit de 1M. Dyer, qui est, afin que vous le sachiez, notre Oracle en fait de Nouvelles, & notre Aristote en Politique. Aussi faut-il bien qu’il y ait un dernier ressort, & un Juge absolu de toutes les Controverses.
Nous apprîmes en dernier lieu que la brave Milice de Londres, avoit fait la patroüille toute la nuit dans les ruës de cette grande Ville. Nous ne pouvions pas à la verité, en concevoir le sujet, nous n’en avions pas eu le moindre soupçon d’avance, & nous n’étions en rien du secret ; il nous paroissoit même absolument impossible que les Bourgeois de cette Ville & leurs Apprentifs travaillassent ou qu’ils fissent aucun devoir les jours de Fête. Mais le Manuscrit de Mr. Dyer étoit si positif là-dessus, & s’accordoit si bien avec les Lettres de quelques autres Personnes, qui disoient tenir la nouvelle de quelques-uns qui l’avoient apprise de ceux qui en pouvoient être informez, que le President du Comité, que nous avions établi pour examiner cette affaire, nous rapporta, qu’il étoit possible qu’il y en eût quelque chose.
Sans mentir, Mr. le Spectateur, nous sommes fort choquez de l’Acte, qui permet l’entrée des Vins de France : Une ou deux Bouteilles d’excellent Vin de Portugal, moileux & corroboratif, que nous bûmes l’autre soir chez l’honnête George, nous mit tous de belle humeur & bannit toute sorte de reserve. Mais ce maudit Vin rouge de France nous coutera plus d’argent, & nous ferra moins de bien : Si nous avions été informez du Projet de cet Acte, avant qu’on l’eût pousse trop loin, soiez assüré, que nous aurions présenté Requête, pour demander qu’on nous admît à y faire nos oppositions. Mais il n’en faut plus parler, puisqu’il n’y a point de remede.
Je vous avertirai en même tems, mon cher Monsieur, que nous ne saurions approuver la marche d’un certain Prince du Nord, de concert avec les Troupes des Infidelles ; que c’est une innovation très dangereuse, quoi qu’en dise Mr. Palmquist, & que nous ne sommes pas encore trop sûrs qu’il n’y ait au fond de tout ceci quelque intrigue secrete de certaines Gens. Du moins, les avis particuliers, que j’ai là-dessus, d’un de mes Amis qui a beaucoup de pénétration, donnent lieu à un Politique, bien versé dans les affaires de cette nature, à le soupçonner.
Nous croions avoir enfin reduit les Mécontens de Hongrie, & en venir bientôt à une Paix avec eux.
Nous n’avons pas déterminé jusques ici entre nous quelles seront les opérations de l’Armée qui doit maintenir la Neutralité du Nord, ni de celle qui est en Flandres, non plus que la manœuvre de deux ou trois Princes ; mais nous attendons avec impatience l’arrivée du Manuscrit de 1M. Dyer, qui est, afin que vous le sachiez, notre Oracle en fait de Nouvelles, & notre Aristote en Politique. Aussi faut-il bien qu’il y ait un dernier ressort, & un Juge absolu de toutes les Controverses.
Nous apprîmes en dernier lieu que la brave Milice de Londres, avoit fait la patroüille toute la nuit dans les ruës de cette grande Ville. Nous ne pouvions pas à la verité, en concevoir le sujet, nous n’en avions pas eu le moindre soupçon d’avance, & nous n’étions en rien du secret ; il nous paroissoit même absolument impossible que les Bourgeois de cette Ville & leurs Apprentifs travaillassent ou qu’ils fissent aucun devoir les jours de Fête. Mais le Manuscrit de Mr. Dyer étoit si positif là-dessus, & s’accordoit si bien avec les Lettres de quelques autres Personnes, qui disoient tenir la nouvelle de quelques-uns qui l’avoient apprise de ceux qui en pouvoient être informez, que le President du Comité, que nous avions établi pour examiner cette affaire, nous rapporta, qu’il étoit possible qu’il y en eût quelque chose.
Metatextualidad
J’aurois bien
d’autres particularitez à vous communiquer ; mais
Dominique & Slyboots, deux de mes bons
amis & Voisins, viennent d’arriver dans ma
Chambre, où le Caffe nous attend. Je suis,
&c. »
Abraham 2Froth.
Metatextualidad
Vous voiez par cette Lettre que
les Gens, dont il s’agit, ne cherchent que la nouveauté,
sans se mettre en peine de ce qu’il y a de vrai ou de faux.
Ils seroient au desespoir, s’ils en venoient à quelque
certitude, parce que leurs recherches discontinueroient
alors, & qu’ils ne les font pas tant pour
s’instruire, que pour se donner de l’exercice. Je ne sai si
ce n’est pas la veritable raison de ce qu’on voit souvent,
que de tels Esprits lourds & flogmatiques se rendent
à la fin capables de quelque chose. Les affaires, qui leur
donnent de l’occupation, les déchargent, pour ainsi dire, de
leur pesanteur naturelle : au lieu qu’elles interrompent le
bonheur & les plaisirs de ceux qui ont du feu
& de la vivacité. Quoique les amusemens des premiers
soient fort innocens, il seroit à souhaiter qu’ils n’eussent
jamais de loisir, parce qu’ils l’emploient d’ordinaire à des
choses qui servent à découvrir leur foible. Vous ne voiez
guéres un Homme de cette trempe, s’il a de l’éducation
& du loisir, qui ne se tourne du côté
de la Politique ou de la Poësie, deux amusemens assez
ordinaires pour les Fous les plus distinguez. La premiere
occupe tous les Stupides en genéral ; mais lorsque cette
stupidité se trouve dans une Personne d’un temperament
robuste & vigoureux, elle éclate par les rimes. On
pourroit nommer ici quelques Ecrivains militaires, qui
servent à divertir le monde, par cela même que la stupidité
de leur Genie est animée par l’allégresse de leur courage.
C’est ce qui donne de la force au Galimatias, & qui
fait bouillonner l’eau du Bourbier, qui sans cela seroit
dormante. Le Prince Breton, ce fameux Poëme, qui parut sous
le regne de Charles II, & que les beaux Esprits de
sa Cour appelloient à juste titre incomparable, devoit sa
naissance à un Genie aussi heureux que celui dont nous
parlons. Entre plusieurs endroits que j’en pourrois alléguer
& qui nous en fourniroient de bonnes preuves, je
n’en rapporterai qu’un seul, où le Poëte nous dit, Que le
Prince Voltager étoit orné d’une Veste bigarrée, dont son
grand-Pere avoit dépouillé un Picte qui alloit tout
nud.
Si l’Auteur n’avoir pas été aussi vif que stupide, il n’auroit jamais oublié, malgré l’ardeur & la fougue de son galimatias, que le Prince Voltager, ni son grand-Pere ne pouvoient ôter un Pourpoint à un Homme nud ; mais un autre Fou, d’une constitution plus froide, auroit eu la patience d’écorcher le Picte, & de faire un Buste de sa peau pour en couvrir le Victorieux.
Quoi qu’il en soit, je souhaiterois qu’on conclût de toutes ces remarques, que nous devrions suivre l’exemple de ces sages Nations, où chaque Homme apprend un Métier. Ne seroit-ce pas un fort joli exercice pour un Damoiseau, si au lieu de badiner éternellement avec sa Tabatiere, il emploïoit quelques heures de son loisir à en faire une ? Cette pratique seroit très-avantageuse pour le Public, en ce qu’elle tendroit tous les Hommes bons à quelque chose ; alors il n’y auroit pas un seul Membre de la Societé civile, qui n’eût quelque Espece de droit à y tenir un certain grade ; comme celui qui vint l’autre jour au 3Caffé de Guillaume, pour avoir fait la devise d’une Bague.
Si l’Auteur n’avoir pas été aussi vif que stupide, il n’auroit jamais oublié, malgré l’ardeur & la fougue de son galimatias, que le Prince Voltager, ni son grand-Pere ne pouvoient ôter un Pourpoint à un Homme nud ; mais un autre Fou, d’une constitution plus froide, auroit eu la patience d’écorcher le Picte, & de faire un Buste de sa peau pour en couvrir le Victorieux.
Quoi qu’il en soit, je souhaiterois qu’on conclût de toutes ces remarques, que nous devrions suivre l’exemple de ces sages Nations, où chaque Homme apprend un Métier. Ne seroit-ce pas un fort joli exercice pour un Damoiseau, si au lieu de badiner éternellement avec sa Tabatiere, il emploïoit quelques heures de son loisir à en faire une ? Cette pratique seroit très-avantageuse pour le Public, en ce qu’elle tendroit tous les Hommes bons à quelque chose ; alors il n’y auroit pas un seul Membre de la Societé civile, qui n’eût quelque Espece de droit à y tenir un certain grade ; comme celui qui vint l’autre jour au 3Caffé de Guillaume, pour avoir fait la devise d’une Bague.
R.