XXV. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Mitarbeiter Stefanie Lenzenweger Mitarbeiter Katharina Tez Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 24.07.2019 o:mws-117-948 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 155-162 Le Spectateur ou le Socrate moderne 1 025 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Imagem humana Andere Länder Altri Paesi Other Countries Otros Países Autres Pays Outros países France 2.0,46.0

XXV. Discours

Nil illi larvâ, aut tragicis opus esse cothurnis.

Hor. L. I. Sat. V. 64.

C’est à dire, Il n’avoit besoin, pour se déguiser, ni de masque, ni de brodequins.

Le dernier Discours que j’ai publié sur la Coterie des Laids, établie à Oxford, y a été si-bien reçu, que, sans avoir aucun égard à leurs Statuts qui s’y opposoient, mon témoignage a servi dans ma propre Cause, & qu’ils m’ont admis dans leur incomparable Societé. Tout glorieux de l’honneur qu’ils me font, je ne saurois m’empêcher de le rendre public. Ce n’est pas une petite joie pour moi de voir que j’ai donné occasion à leur President de faire paroître la secondité de son Genie, & cette vaste Litterature, qu’on lui attribue ; mais je ne doute pas que sa Harangue ne fût entrecoupée de bien des Pauses & d’Applaudissemens, qui perdent toute leur grace par la narration, & que mon Correspondant, s’il m’est permis de le dire, n’a pas sû représenter au juste. Quoi qu’il en soit, j’approuve fort le mépris que la Societé marque pour la Beauté. Un Homme ne doit pas être louable pour des choses où sa volonté n’a aucune part ; de sorte que toutes les fois que la Nature juge à propos de se moquer, pour ainsi dire, d’elle-même, notre Societé peut suivre son exemple, & badiner à cette occasion. Voici la Lettre que mon Correspondant m’a écrite là-dessus.

Monsieur,

« La publication, que vous avez faite de ma derniere Lettre, vous attire celle-ci, comme vous le verrez par la suite. Qui diriez-vous que je trouvai l’autre soir à la porte de notre Caffé ? Vous ne devineriez peut-être pas que ce fut mon ancien Ami, notre vénérable Président. Je reconnus d’abord à son air qu’il y avoit quelque chose qui le chatouilloit, aussi n’eut il pas plutôt jetté les yeux sur moi, qu’il me dit : Ho, ho, Docteur, savez-vous bien qu’il y a de bonnes nouvelles de Londres : que Monsieur le Spectateur a parlé de notre Societé en des termes fort honorables ; qu’il marque une grande envie d’y être admis, & que pour se recommander, avec plus de succès, il a donné une description exacte & naïve de sa trogne. Il est vrai que nos Reglemens ne disent pas un seul mot en faveur des Visages courts, mais son Cas est un peu extraordinaire, & je ne doute pas qu’il n’y ait quelque ouverture à travers laquelle il pourra se glißer ; du moins, nos Canons ne l’excluent pas tout à fait, & s’il a le reste du corps proportionné a la brieveté de son visage, il n’aura pas besoin de se défigurer pour devenir un des nôtres. Là-dessus, je demandai le Discours imprimé, où vous vous êtes dépeint au naturel, pour voir si vous avez bon air ; & après nous être un peu regalez de votre plaisante Figure, Mr. le Président me dit que je vous servirois de Procureur, le lendemain au soir, à notre Assemblée. Nous n’y fûmes pas plutôt arrivez, qu’on nous donna des Pipes, & que Mr. le President commença une Harangue sur l’Introduction que vous avez mise à la tête de mon Epître : il y fit voir avec autant de force de raison que de volubilité de discours, Qu’on avoit manqué depuis long-tems d’une Speculation de cette nature, & qu’il ne doutoit pas que celle-ci ne fût d’un prix inestimable pour le Public, puisqu’elle tendoit a reconcilier les Ames avec leurs Corps, à tranquilliser l’Esprit de ceux qui ont des superfluitez, des defectuositez, ou quelque autre irrégularité naturelle, & à obliger tous les Hommes à se contenter de leurs propres Carcasses, quoiqu’elles ne soient peut-être pas disposées aussi mathematiquement qu’ils le souhaiteroient bien. Il ajoûta, Que pour n’avoir pas reflechi sur ce que vous dites, que nos visages ne sont pas de notre choix, des Personnes avoient violé toutes les Regles d’une bonne Education, & s’étoient portées à des extravagances incroïables : Combien de Miroirs, s’écria-t-il, n’ont-ils pas été censurez ou calomniez ; que dis-je, & brisez en mille pieces, pour avoir annoncé la verité : Combien n’y a t’il pas eu d’Attaches qui servent à lier les cheveux, & de Jartieres, mises au croc, par cela seul qu’on veut se quereller à tout prix avec son ombre ? Qui ne sait qu’une des grandes sources du trouble & de la misere qui accompagnent cette vie, surtout entre les Personnes de qualité, ne vient que de l’examen trop rigide de la configuration irrévocable de nos parties exterieures, ou de certaine dispositions naturelles & invincibles à devenir gros ou maigres ? Cependant un peu plus de la Philosophie de Mr. le Spectateur les délivreroit de toutes ces inquiétudes, & leur feroit voir même qu’il n’y a presque pas un seul de ces défauts, dont ils se plaignent, qui n’ait été autrefois en vogue, qui ne le puisse être de nouveau, & qui ne le soit peut-être aujourd’hui dans quelque endroit du Monde, Madame Ample s’est rendue la plus miserable de toutes les Femmes : elle se plaint le manger & le boire, de peur de trop engraisser, & vous l’entendez s’écrier à toute heure : Dans trois mois je serai toute ronde, & je n’aurai plus de taille ! Du reste, il me semble que tout le malheur de cette Dame consiste à être plantée dans un mauvais terroir ; puisque de l’autre côté de la Mer, par exemple à Harlem, une des moindres Tailles y est de 150 liv. pesant. Ces habiles Négocians reglent leurs Beautez à la livre comme le Beurre ; & lorsque Mademoiselle Cross fut dans les Provinces-Unies, on ne la trouva pas si belle que Madame van-Brisket, d’environ un demi Tonneau. D’ailleurs nous avons Mr. Lath, qui est un Gentilhomme bien fait, d’une vie sans reproche, & qui a quinze cens Livres Sterling par an ; avec tout cela, je ne voudrois pas être à sa place pour la moitié de ce revenu, puisqu’il en donneroit le double, s’il l’avoit, pour une paire de Jambes tournées à sa fantaisie. On n’étoit pas si délicat sous le regne d’Edouard I, de glorieuse memoire ; il n’y avoit rien alors qui fût plus à la mode que les Jambes minces, & sa Majesté, qui gouvernoit en Paix & en Guerre, aussi bien que le plus habile de ses Ancêtres, n’étoit pas moins redoutable à ses Voisins, sous le nom de Jambes de Fuseau, que Cœur de Lion l’avoit été aux Sarrasins avant lui. Si l’on remonte plus haut dans l’Histoire, on trouvera qu’Alexandre le Grand panchoit un peu la tête sur l’épaule gauche ; qu’il n’y avoit pas un seul Homme qui sortit alors de sa Maison qu’après avoir ajusté la nuque de son coû ; que tous les Nobles parloient au Prince, & s’entretenoient eux-mêmes obliquement, & que toutes les affaires d’importance se traitoient à la Cour de Macedoine avec la tête panchée d’un côté. Ce n’est pas tout, environ le premier Siecle du Christianisme, les Nez Romains étoient en grande vogue ; mais on n’en parla plus ensuite jusqu’à ce que la mode s’en renouvella en quatre-vingt huit. Il n’y a pas même fort long-tems que Richard III. releva le dos de la moitié de nos Ancêtres, & que les grosses Epaules, de même que les Nez aquilins, faisoient une bonne partie de leur gloire. Mais pour en venir à nous, Messieurs, il me semble, après avoir fait des observations continuelles depuis cinq ans, qu’il nous seroit difficile de trouver un assez grand nombre de nos Dames, pour en formér une double Societé, & que nous réussirions mieux à cet égard chez quelques-uns de nos Alliez. Qu’en dites-vous, si notre Bureau se déclaroit en faveur des Hollandoises ? Vous en penserez tous ce qu’il vous plaira, mais, quelque laids que nous paroissions en chair & en os, je croi que ce mélange n’iroit pas tant mal. Du reste, ce n’est qu’un Projet, qui peut demeurer au croc jusqu’à ce que notre Assemblée soit complete ; il s’agit ce soir de l’élection d’un Membre, & permettez que je vous propose Mr. le Spectateur : Vous savez déja ce qu’il tient, il pourroit bien être que nous n’avons pas son pareil.

J’observai à cette occasion ce qui arrive d’ordinaire en tels cas, c’est que la plûpart des Membres étoient gagnez d’avance ; mais un des plus vénérables, que Mr. le President avoit tâché d’ébranler, par le beau Discours que vous venez de lire , se releva le menton, qu’il mit à niveau de son nez, & déclara d’un air grave : Que si vous lui étiez sufisammens connu, il n’y auroit personne au Monde plus disposée que lui à vous rendre service ; mais qu’il avoit toûjours eu égard à sa conscience et au mérite des Gens ; qu’il ignoroit au fonds, si vous étiez bel homme, ou non, & que votre témoignage là-dessus ne signifioit rien, puisque chacun incline à parler en sa faveur. S’il est bel homme ! repliqua Mr. le Président, Et ne savez-vous pas qu’il est bel Esprit ? Avez-vous donc oubliée le Proverbe ? Afin même de lever tous les scrupules de ce Vieillard, il ajoûta, Que le Mérite n’étoit pas si essentiel, & que vous pourriez mettre un Mas-que. Ceci obligea le bon Homme à faire une pause, & à demander trois jours pour y reflechir ; mais Mr. le President continua sa pointe, & lui soutint, Que les beaux Esprits de tous les Siecles avoient eu le privilege de se masquer comme ils vouloient, & que la Couronne destinée à leurs travaux avoit toujours été un Masque, qu’un Satire leur présentoit, ou quelquefois Apollon lui-même. Pour confirmer sa Thése, il en appella d’abord au Frontispice de plusieurs Livres en particulier, à la Traduction Anglois de Juvenal, à laquelle il le renvoïa, & dit de plus, que ces Auteurs étoient les Larvati, ou Larvâ donati des Anciens, leurs Masquez, ou ceux qu’ils beneroient d’un Masque. Ce trait de Litterature dissipa toutes les objections, & il fut conclu que vous seriez choisi pour un de nos Eleves. Là-dessus, Mr. le Président fit boire votre santé à la ronde, & protesta, Que, malgré ce qu’il avoit dit d’un Masque, il ne crïoit pas que vous en eussiez plus de besoin que le Chat-part : de sorte que vous n’avez autre chose à faire qu’à païer les droits, qui sont ici fort médiocres, pourvû que l’on ne vous en impose pas, & vous pouvez à l’avenir prendre le titre d’Associé de la Societé difforme. C’est ce qu’on m’a ordonné de vous écrire, & je vous prie de vouloir accepter en même tems la félicitation de celui qui est, &c. »

A. C.

R.

XXV. Discours Nil illi larvâ, aut tragicis opus esse cothurnis. Hor. L. I. Sat. V. 64. C’est à dire, Il n’avoit besoin, pour se déguiser, ni de masque, ni de brodequins. Le dernier Discours que j’ai publié sur la Coterie des Laids, établie à Oxford, y a été si-bien reçu, que, sans avoir aucun égard à leurs Statuts qui s’y opposoient, mon témoignage a servi dans ma propre Cause, & qu’ils m’ont admis dans leur incomparable Societé. Tout glorieux de l’honneur qu’ils me font, je ne saurois m’empêcher de le rendre public. Ce n’est pas une petite joie pour moi de voir que j’ai donné occasion à leur President de faire paroître la secondité de son Genie, & cette vaste Litterature, qu’on lui attribue ; mais je ne doute pas que sa Harangue ne fût entrecoupée de bien des Pauses & d’Applaudissemens, qui perdent toute leur grace par la narration, & que mon Correspondant, s’il m’est permis de le dire, n’a pas sû représenter au juste. Quoi qu’il en soit, j’approuve fort le mépris que la Societé marque pour la Beauté. Un Homme ne doit pas être louable pour des choses où sa volonté n’a aucune part ; de sorte que toutes les fois que la Nature juge à propos de se moquer, pour ainsi dire, d’elle-même, notre Societé peut suivre son exemple, & badiner à cette occasion. Voici la Lettre que mon Correspondant m’a écrite là-dessus. Monsieur, « La publication, que vous avez faite de ma derniere Lettre, vous attire celle-ci, comme vous le verrez par la suite. Qui diriez-vous que je trouvai l’autre soir à la porte de notre Caffé ? Vous ne devineriez peut-être pas que ce fut mon ancien Ami, notre vénérable Président. Je reconnus d’abord à son air qu’il y avoit quelque chose qui le chatouilloit, aussi n’eut il pas plutôt jetté les yeux sur moi, qu’il me dit : Ho, ho, Docteur, savez-vous bien qu’il y a de bonnes nouvelles de Londres : que Monsieur le Spectateur a parlé de notre Societé en des termes fort honorables ; qu’il marque une grande envie d’y être admis, & que pour se recommander, avec plus de succès, il a donné une description exacte & naïve de sa trogne. Il est vrai que nos Reglemens ne disent pas un seul mot en faveur des Visages courts, mais son Cas est un peu extraordinaire, & je ne doute pas qu’il n’y ait quelque ouverture à travers laquelle il pourra se glißer ; du moins, nos Canons ne l’excluent pas tout à fait, & s’il a le reste du corps proportionné a la brieveté de son visage, il n’aura pas besoin de se défigurer pour devenir un des nôtres. Là-dessus, je demandai le Discours imprimé, où vous vous êtes dépeint au naturel, pour voir si vous avez bon air ; & après nous être un peu regalez de votre plaisante Figure, Mr. le Président me dit que je vous servirois de Procureur, le lendemain au soir, à notre Assemblée. Nous n’y fûmes pas plutôt arrivez, qu’on nous donna des Pipes, & que Mr. le President commença une Harangue sur l’Introduction que vous avez mise à la tête de mon Epître : il y fit voir avec autant de force de raison que de volubilité de discours, Qu’on avoit manqué depuis long-tems d’une Speculation de cette nature, & qu’il ne doutoit pas que celle-ci ne fût d’un prix inestimable pour le Public, puisqu’elle tendoit a reconcilier les Ames avec leurs Corps, à tranquilliser l’Esprit de ceux qui ont des superfluitez, des defectuositez, ou quelque autre irrégularité naturelle, & à obliger tous les Hommes à se contenter de leurs propres Carcasses, quoiqu’elles ne soient peut-être pas disposées aussi mathematiquement qu’ils le souhaiteroient bien. Il ajoûta, Que pour n’avoir pas reflechi sur ce que vous dites, que nos visages ne sont pas de notre choix, des Personnes avoient violé toutes les Regles d’une bonne Education, & s’étoient portées à des extravagances incroïables : Combien de Miroirs, s’écria-t-il, n’ont-ils pas été censurez ou calomniez ; que dis-je, & brisez en mille pieces, pour avoir annoncé la verité : Combien n’y a t’il pas eu d’Attaches qui servent à lier les cheveux, & de Jartieres, mises au croc, par cela seul qu’on veut se quereller à tout prix avec son ombre ? Qui ne sait qu’une des grandes sources du trouble & de la misere qui accompagnent cette vie, surtout entre les Personnes de qualité, ne vient que de l’examen trop rigide de la configuration irrévocable de nos parties exterieures, ou de certaine dispositions naturelles & invincibles à devenir gros ou maigres ? Cependant un peu plus de la Philosophie de Mr. le Spectateur les délivreroit de toutes ces inquiétudes, & leur feroit voir même qu’il n’y a presque pas un seul de ces défauts, dont ils se plaignent, qui n’ait été autrefois en vogue, qui ne le puisse être de nouveau, & qui ne le soit peut-être aujourd’hui dans quelque endroit du Monde, Madame Ample s’est rendue la plus miserable de toutes les Femmes : elle se plaint le manger & le boire, de peur de trop engraisser, & vous l’entendez s’écrier à toute heure : Dans trois mois je serai toute ronde, & je n’aurai plus de taille ! Du reste, il me semble que tout le malheur de cette Dame consiste à être plantée dans un mauvais terroir ; puisque de l’autre côté de la Mer, par exemple à Harlem, une des moindres Tailles y est de 150 liv. pesant. Ces habiles Négocians reglent leurs Beautez à la livre comme le Beurre ; & lorsque Mademoiselle Cross fut dans les Provinces-Unies, on ne la trouva pas si belle que Madame van-Brisket, d’environ un demi Tonneau. D’ailleurs nous avons Mr. Lath, qui est un Gentilhomme bien fait, d’une vie sans reproche, & qui a quinze cens Livres Sterling par an ; avec tout cela, je ne voudrois pas être à sa place pour la moitié de ce revenu, puisqu’il en donneroit le double, s’il l’avoit, pour une paire de Jambes tournées à sa fantaisie. On n’étoit pas si délicat sous le regne d’Edouard I, de glorieuse memoire ; il n’y avoit rien alors qui fût plus à la mode que les Jambes minces, & sa Majesté, qui gouvernoit en Paix & en Guerre, aussi bien que le plus habile de ses Ancêtres, n’étoit pas moins redoutable à ses Voisins, sous le nom de Jambes de Fuseau, que Cœur de Lion l’avoit été aux Sarrasins avant lui. Si l’on remonte plus haut dans l’Histoire, on trouvera qu’Alexandre le Grand panchoit un peu la tête sur l’épaule gauche ; qu’il n’y avoit pas un seul Homme qui sortit alors de sa Maison qu’après avoir ajusté la nuque de son coû ; que tous les Nobles parloient au Prince, & s’entretenoient eux-mêmes obliquement, & que toutes les affaires d’importance se traitoient à la Cour de Macedoine avec la tête panchée d’un côté. Ce n’est pas tout, environ le premier Siecle du Christianisme, les Nez Romains étoient en grande vogue ; mais on n’en parla plus ensuite jusqu’à ce que la mode s’en renouvella en quatre-vingt huit. Il n’y a pas même fort long-tems que Richard III. releva le dos de la moitié de nos Ancêtres, & que les grosses Epaules, de même que les Nez aquilins, faisoient une bonne partie de leur gloire. Mais pour en venir à nous, Messieurs, il me semble, après avoir fait des observations continuelles depuis cinq ans, qu’il nous seroit difficile de trouver un assez grand nombre de nos Dames, pour en formér une double Societé, & que nous réussirions mieux à cet égard chez quelques-uns de nos Alliez. Qu’en dites-vous, si notre Bureau se déclaroit en faveur des Hollandoises ? Vous en penserez tous ce qu’il vous plaira, mais, quelque laids que nous paroissions en chair & en os, je croi que ce mélange n’iroit pas tant mal. Du reste, ce n’est qu’un Projet, qui peut demeurer au croc jusqu’à ce que notre Assemblée soit complete ; il s’agit ce soir de l’élection d’un Membre, & permettez que je vous propose Mr. le Spectateur : Vous savez déja ce qu’il tient, il pourroit bien être que nous n’avons pas son pareil. J’observai à cette occasion ce qui arrive d’ordinaire en tels cas, c’est que la plûpart des Membres étoient gagnez d’avance ; mais un des plus vénérables, que Mr. le President avoit tâché d’ébranler, par le beau Discours que vous venez de lire , se releva le menton, qu’il mit à niveau de son nez, & déclara d’un air grave : Que si vous lui étiez sufisammens connu, il n’y auroit personne au Monde plus disposée que lui à vous rendre service ; mais qu’il avoit toûjours eu égard à sa conscience et au mérite des Gens ; qu’il ignoroit au fonds, si vous étiez bel homme, ou non, & que votre témoignage là-dessus ne signifioit rien, puisque chacun incline à parler en sa faveur. S’il est bel homme ! repliqua Mr. le Président, Et ne savez-vous pas qu’il est bel Esprit ? Avez-vous donc oubliée le Proverbe ? Afin même de lever tous les scrupules de ce Vieillard, il ajoûta, Que le Mérite n’étoit pas si essentiel, & que vous pourriez mettre un Mas-que. Ceci obligea le bon Homme à faire une pause, & à demander trois jours pour y reflechir ; mais Mr. le President continua sa pointe, & lui soutint, Que les beaux Esprits de tous les Siecles avoient eu le privilege de se masquer comme ils vouloient, & que la Couronne destinée à leurs travaux avoit toujours été un Masque, qu’un Satire leur présentoit, ou quelquefois Apollon lui-même. Pour confirmer sa Thése, il en appella d’abord au Frontispice de plusieurs Livres en particulier, à la Traduction Anglois de Juvenal, à laquelle il le renvoïa, & dit de plus, que ces Auteurs étoient les Larvati, ou Larvâ donati des Anciens, leurs Masquez, ou ceux qu’ils beneroient d’un Masque. Ce trait de Litterature dissipa toutes les objections, & il fut conclu que vous seriez choisi pour un de nos Eleves. Là-dessus, Mr. le Président fit boire votre santé à la ronde, & protesta, Que, malgré ce qu’il avoit dit d’un Masque, il ne crïoit pas que vous en eussiez plus de besoin que le Chat-part : de sorte que vous n’avez autre chose à faire qu’à païer les droits, qui sont ici fort médiocres, pourvû que l’on ne vous en impose pas, & vous pouvez à l’avenir prendre le titre d’Associé de la Societé difforme. C’est ce qu’on m’a ordonné de vous écrire, & je vous prie de vouloir accepter en même tems la félicitation de celui qui est, &c. » A. C. R.