Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXIV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\024 (1716), S. 150-155, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1052 [aufgerufen am: ].


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XXIV. Discours

Zitat/Motto► Si, Mimnermus uti censet, sine amare jocisque
Nil est jucundum ; vivas in amore jocisque.

Hor. L. I. Ep. VI. 65, 66.

C’est-à-dire, si, selon la pensée de Mimnermus, rien n’est agréable dans la vie, à moins qu’on ne la passe dans les Jeux & dans les plaisirs ; passez-la de la sorte. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Une Calamité publique oblige les Hommes à se cherir les uns les autres, quoiqu’ils different à tout autre égard. L’Amour est la Passion la plus universelle qu’il y ait au Monde, & je suis ravi d’apprendre par une Lettre qui m’est venue d’Oxford, qu’il y a, dans cette Université, une troupe de Soupirans, qui ont établi une Coterie entr’eux à l’honneur de la Tendresse. Ils sont du nombre de ces Amoureux, qui n’ont pas tout-à-fait per-[151]du l’Esprit, mais qui connoissent leur Folie ; & c’est pour cela même qu’ils se tiennent séparez des autres, pour avoir le plaisir de parler à tort & à travers sans s’exposer à la risée du Public. Lorsqu’un des Associez arrive dans la Chambre, où ils ont leur rendez-vous, il n’est pas obligé d’entammer un nouveau Discours ; mais quand il se met à sa place, il peut suivre le fil de ses idées, & ajoter brusquement, Elle me donna ce même soir un coup d’œil fort gracieux ; jamais de sa vie elle ne me parut si belle, ou autres reflexions de cette nature, sans aucun égard pour qui que ce soit des Membres ; car ils ne se voïent pas pour raisonner ensemble, mais chacun a pleine liberté de s’entretenir lui-même. Au lieu de Tabatieres ou de Cannes, qui servent de contenance à la plûpart des jeunes Gens, ceux-ci ont chacun quelque morceau de Ruban, un Eventail rompu, ou une vieille Ceinture, dont ils jouent avec les doigts, pendant qu’ils parlent de la Beauté qui leur a fait présent de ces babioles. Suivant l’idée que ma Lettre m’en donne, ces Messieurs ressemblent à des Acteurs qui répetent leur Rôle derriere la Scène ; l’un soupire, & se plaint de sa destinée en termes langoureux, l’autre proteste qu’il veut rompre sa chaîne, & un troisième s’efforce d’exprimer sa Passion par ses gestes, sans dire un seul mot. Il est assez ordinaire d’en voir quelqu’un se lever tout d’un coup, raisonner en général [152] sur la Passion qui l’anime, & dépeindre si bien l’état de son Esprit, que les autres, embrâsez du même feu, suivent son exemple, et se mettent à discourir à leur tour. En pareil cas, celui qui représente l’ardeur, qui le consume, d’une maniere plus pathetique, est déclaré President de l’Assemblée pour ce soir, à cause de la superiorité de sa Passion. ◀Allgemeine Erzählung

Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Il y a quelques années que nous avions dans cette Ville une Societé de Damoiseaux, qui se paroient comme des Amoureux, & qui se donnoient le titre de la Coterie des Gans à frange ; mais ils étoient d’un esprit si médiocre, avant même que la Passion l’eût affoibli, qu’ils n’avoient pas le genie de produire de nouvelles impertinences tous les jours ; de sorte que leur Institution ne fut pas de longue durée. Ceux-ci n’exprimoient leur tendresse que par leurs Habits, au lieu que ceux d’Oxford abondent en Chimeres & en Fantaisies grotesques, à proportion du savoir & de la capacité, dont ils jouïssoient, avant que d’être Amoureux. Ils emploient à l’honneur de quelque Beauté moderne, les Pensees des anciens Poëtes sur cette agréable Frenesie ; Cloris est gagnée aujourd’hui, par le même compliment qui fut adresse à Lesbie, il y a plus de dix Siecles. D’ailleurs, on m’a écrit que le Patron de cette nouvelle Société est le fameux Don Quizote. Du moins parlent-ils souvent des Avantures de ce gentil Chevalier, sous pré-[153]texte de se moquer d’eux-mêmes & de leur Passion : mais, quoique sensibles aux extravagances de cet infortuné Guerrier, ils ne prennent pas garde que s’amuser à faire des Rapsodies, sur le chapitre de l’Amour, des meilleurs & des plus sages Ecrits de l’Antiquité, est une Manie aussi divertissante que celle de ce parfait Chevalier errant. ◀Allgemeine Erzählung Metatextualität► Enfin, un des nouveaux Associez, que je voudrois bien être disposé à me continuer l’honneur de sa correspondance, m’en a écrit la Lettre, que je vais rapporter tout du long. ◀Metatextualität

Ebene 5► Brief/Leserbrief► Monsieur,

« Puisque vous avez publié quelque chose sur les Coteries, permettez-moi de vous entretenir d’une, qu’on vient d’ériger à Oxford, dont vous n’avez pas pris connoissance, & dont peut-être vous n’avez jamais entendu parler. Nous nous distinguons par le titre de la Coterie Amoureuse, & dévouez au service de Cupidon, nous sommes grands Admirateurs du beau Sexe. Réduits à vivre en secret dans l’Université, cela seul nous empêche d’être connus du Public. Notre Gouvernement est les antipodes de celui du Lieu où nous demeurons : Car, en Amour, il n’y a point de Docteurs, & nous professons tous une Passion si violente, qu’on n’y admet pas de graduez ; le nombre des Associez est illimité, & [154] Statuts, semblables à ceux des Druïdes, sont renfermez dans notre sein, & s’expliquent à la pluralité des voix de la Compagnie. Une Maîtresse, & un Poëme fait à son honneur, suffisent pour introduire un Candidat : sans le dernier, on ne sauroit être admis ; car tout Amoureux qui ne rime pas, est indigne de notre Societé. Si quelqu’un de nous parle mal d’aucune Femme que ce soit, il en est banni sur le champ. D’ailleurs, comme on n’y trouve aujourd’hui que des Gens de Robe, au lieu de nous battre en duel quand nous sommes Rivaux, nous buvons ensemble à la santé de notre Maîtresse. Il est vrai que la maniere dont on s’y prend cause quelquefois des disputes ; mais en ce cas nous avons recours à l’institution des Anciens, qui ordonnoient, qu’on bût six rasades à la santé de Nævie, & sept à celle de Justine:

Zitat/Motto► Nævia sex Cyathis, septem Justina bibatur,

Mart. Lib. I. Epig, 72. ◀Zitat/Motto

L’autre soir il y eut de grosses paroles & l’occasion de cette rasade qu’il faut boire pour chaque lettre du nom d’une Maîtresse. Un jeune Etudiant, qui eu amoureux de Mademoiselle Elizabet Dimple ; fut assez déraisonnable pour lever sa santé sous le nom d’Elisabetha ; ce qui provoqua la Compagnie jusques a un-tel point, que d’une commune voix nous réduisimes ce Nom à celui de Babet. Nous croïons qu’un Homme n’est pas [155] d’une bonne conversation, à moins qu’il ne soupire cinq fois dans un quart-d’heure, & nous traitons de ridicules tous ceux de nos Membres, qui se possedent assez pour répondre directement à une Question. En un mot, toute la Societé n’est formée que d’Hommes absens, c’est à dire de personnes qui ont perdu leur Localité, pour me servir d’un terme de l’Ecole ; & dont l’Esprit & le Corps ne se trouvent jamais ensemble. Comme je suis un des malheureux Membres de cette Coterie insensée, vous ne devez pas attendre que je vous en donne un compte plus exact ni plus régulier. Je me flate même que vous me pardonnerez si je me dis brusquement, &c. »

T. B.

P. S. « J’oubliois de vous dire qu’Albine, qui a six Esclaves dans notre Societé, est une des Belles qui s’occupent à la lecture de vos Discours. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 5

R. ◀Ebene 4 ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1