Cita bibliográfica: Anonym (Ed.): "XXII. Discours", en: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\022 (1716), pp. 137-143, editado en: Ertler, Klaus-Dieter (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1050 [consultado el: ].


Nivel 1►

XXII. Discours

Cita/Lema►  — — neque semper arcum
Tendit Apollo.

Hor. L. II. Od. X. 19, 20.

C’est-à-dire, Apollon ne tient pas toujours son arc bandé. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Metatextualidad► Je regalerai ici le Public de la Lettre d’un Faiseur de Projets, qui voudroit établir un nouvel Office, dans l’esperance qu’il contribueroit beaucoup à l’embellissement de la Ville, & à chasser la barbarie de nos Ruës. Pour moi, je la regarde comme une Satire délicate sur tous les Faiseurs de Projets en genéral, & comme une vive peinture de toute la Critique moderne. La voici telle que je l’ai reçue. ◀Metatextualidad Nivel 3► Carta/Carta al director►

[138] Monsieur,

Satire► « Après avoir vû d’un côté, 1 que vous avez dessein d’établir quelques Officiers subalternes, pour avoir inspection sut certaines petites choses ausquelles vous ne sauriez prendre garde vous-même, & remarqué de l’autre, qu’il se commet tous les jours de lourdes bévûës dans les Enseignes de cette Ville, au grand scandale des Etrangers, & de ceux de nos Compatriotes, qui en sont les curieux Admirateurs : je vous prie en toute humilité de vouloir bien me choisir pour votre Sur-Intendant à l’égard de toutes ces figures qui sont ou qui seront mises en usage en pareil cas ; avec plein pouvoir de corriger ou d’effacer même tout ce que j’y trouverai d’irregulier ou de mal conçu. Parce que nous manquons d’un tel Officier, on ne voit rien dans ces Objets, qui s’élancent par tout à nos yeux, & qui tâchent de se rendre visibles, on n’y voit rien, dis-je, qui sente la belle Litterature ou le bon Goût, nos Ruës sont pleines de Sangliers bleus, de Cygnes noirs, & de Lions rouges ; pour ne rien dire des Cochons volans, ni de quantité d’autres Créatures plus monstrueuses, qu’aucunes de celles qui hantent les Déserts de l’Afrique. N’est-il pas étonnant que celui qui peut choisir [139] entre tous les Oiseaux de l’Air & les Bêtes de la Terre, s’avise de loger à l’Enseigne d’un Etre de raison?

Quoi qu’il en soit, si j’obtenois cet Emploi, ma premiere tâche seroit, à l’exemple d’Hercule, de nétoïer la Ville des Monstres. Je défendrois en deuxiéme lieu qu’on joignît dans la même Enseigne des Créatures qui ne sympatisent point, ou des choses qui ne quadrent pas ensemble, comme une Cloche & une Langue de Beuf, un Chien & un Gril. Pour le Renard & l’Oie, on peut supposer leur rencontre ; mais qu’est-ce que le Renard a de commun avec les sept Planetes ? L’Agneau & le Dauphin se sont-ils jamais vûs aucune part que dans une Enseigne ? A l’égard du Chat & du Violon il y a quelque Esprit caché là-dessous, & c’est pour cela même que je ne prétends pas l’attaquer ici. D’ailleurs, il faut observer que tout jeune Artisan qui s’établit ajoüte d’ordinaire à son Enseigne celle du Maître chez qui il a fait son apprentissage, comme un nouveau Marie joint à son Ecusson les armes de sa Maîtresse. Je ne doute pas que ceci n’ait produit un nombre infini de ses Peintures absurdes que nous voions dans les Ruës ; & j’ai même ouï dire que l’Enseigne des trois Nonains & du Liévre, qui est si commune, doit son origine à une pareille cause. Je voudrois donc établir de certaines Regles, [140] pour déterminer jusques à quel point un Artisan pourroit adopter l’Enseigne d’un autre, & en quels cas il lui seroit permis de l’écarteler avec la sienne.

En troisiéme lieu, j’ordonnerois à tout Boutiquier d’avoir une Enseigne, qui eût quelque raport avec ce qu’il y vend. Qu’y a-t- il en effet de plus absurde que de voir une Maquerelle logée à l’Enseigne de l’Ange, & un Tailleur à celle du Lion ? Il me semble qu’un Rotisseur ne devroit pas être logé à la Bote, ni un Cordonnier au Cochon rôti ; mais à faute de ce Reglement, j’ai vû l’Enseigne du Bouc à la Maison d’un Parfumeur, & le Buste du Roi de France à celle d’un Armurier.

Un Auteur étranger, qui a beaucoup d’esprit, remarque dans un de ses Ouvrages, que la plûpart de ces Messieurs qui se piquent de Noblesse, & qui regardent de haut en bas tous ceux qui s’attachent au Commerce, portent dans leurs armes les instrumens de la rôture de leurs Ancêtres. Je n’examinerai pas si cela est vrai en genéral ; mais sans vouloir que les Enfans arborent aujourd’hui les Enseignes de leurs Aieux, il me semble qu’il seroit bien juste que ceux qui exercent quelque trafic, en eussent les marques au-dessus ou à côté de leurs Portes.

Lorsque le Nom d’une Personne, fournit matiere à une allusion ingenieu-[141]se dans une Enseigne, je lui conseillerois d’en profiter, pour faire savoir au public qui elle est. Aussi la spirituelle Madame Saumon n’a t-elle pas manqué de mettre un Saumon à son Enseigne, & il auroit été ridicule, si elle se fût avisée de loger à la Truite. Mr. Cloche s’est aussi distingué par une invention du même goût ; mais à propos de Cloches, permettez-moi de vous dire que ce mot a donné occasion à plusieurs traits d’esprit de cet ordre. Un Homme d’une aussi vaste litterature que vous, n’ignore pas qu’Abel Drugger s’aquit beaucoup de reputation par-là, du tems de notre fameux Poëte Ben. Johnson. Dailleurs, le Dieu apocryphe de nos Ancêtres Paiens nous est représenté sous cette Figure, qui, accompagnée du Dragon, fait une très-jolie Enseigne dans plusieurs de nos Ruës. Pour ce qui regarde la Cloche-Sauvage, qui est l’Enseigne d’un Sauvage, point debout à coté d une Cloche, je me suis rompu autrefois la cervelle, pour en découvrir le fin, jusqu’à ce que je tombai par hasard sur la lecture d’un vieux Roman traduit du François, où il est parlé d’une très-belle Femme, qui fut trouvé dans un Désert, & que l’Auteur François nomme la belle Sauvage, que l’Anglois traduit toûjours the Bell-Savage, c’est à-dire, la Cloche-Sauvage. Vous voiez, Monsieur, par ce trait de Philologie, que j’ai fait mon [142] étude particuliere des Enseignes, & qu’ainsi je suis bien & dûement qualifié pour l’Emploi que je sollicite auprès de vous. Ce n’est pas tout, je puis deviner assez juste de quelle humeur est le Locataire d’une Maison, par l’Enseigne qu’il a suspendue. Un Homme fier & bilieux choisit d’ordinaire un Ours, & celui qui est d’un naturel doux se loge souvent à l’Agneau. Il y a quelque tems qu’à la vûe d’une Enseigne, près de Charing-Cross, où l’on voioit une espece de Cuvette fort jolie, avec deux petits Anges, qui voloient au-dessus, & dans laquelle ils pressoient un Citron chacun, j’eus la curiosité de m’informer du Maître du Logis, & il se trouva que c’étoit un François, comme je l’avois bien conjecturé sur les petits rapports qu’il y avoit entre lui & son Enseigne. Du reste, j’ai une si haute idée de votre capacité, qu’il seroit inutile de m’étendre davantage sur cet Article. Ainsi je me recommande très humblement à vos bonnes grâces & à votre puissante protection. ◀Satire Je suis, &c. » ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3

Metatextualidad► Je reçus le même jour une autre Lettre, qui ne quadrera pas mal, si je ne me trompe, avec la précedente. La voici mot pour mot. ◀Metatextualidad

[143] Nivel 3► Metatextualidad► « De mon Apartement près de Charing-Cross. ◀Metatextualidad

Carta/Carta al director► Monsieur,

Sur ce que j’ai ouï dire que cette Nation encourage beaucoup l’adresse & l’industrie, j’ai améné ici un Danseur de Corde, qui a été pris dans une des Forêts du Grand Mogol. C’est un Singe d’extraction ; mais il voltige sur la Corde, il fume une pipe de tabac, & avale un verre de Biere, aussi gaillardement qu’aucune Créature raisonnable. Il donne toute sorte de satisfaction aux Personnes de qualité, & si elles veulent bien se cotiser en sa faveur, je ferai venir de Hollande un de ses Freres, qui est un très-habile Sauteur, de même qu’un autre de la même Famille, qui me servira de Bouson, & qui est le plus drôle Corps qu’il y ait dans tout le Païs. Je me flatte qu’ils seront en état de paroître l’Hiver prochain, & je ne doute pas que ce Spectacle ne soit plus goûté que l’Opéra ou les Marionnettes. Je ne dirai pas qu’un Singe est plus galant Homme que certains Heros de l’Opera ; mais à coup sûr il représente mieux un Homme, que la Machine la plus artistement composee de bois & de fil d’archal. Si vous avez la bonté de dire un mot en ma faveur dans quelqu’un de vos Discours, je vous promets de vous donner tous les soirs une place à la Comédie de mes Singes, sans qu’il vous en coûte rien. Je suis, &c. » ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3 ◀Nivel 2

C. ◀Nivel 1

1Voïez ci-dessus p. 79