Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "V. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\005 (1716), S. 32-37, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.694 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

V. Discours

Zitat/Motto► Spectatum admissi risum teneatis amici?

Hor. A. P. v. 5.

C’est-à-dire, Mes chers amis, pourrez-vous vous empêcher de rire, à la vûё d’un tel spectacle? ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Il est permis d’être prodigue jusqu’à l’excés dans les Décorations d’un Opera, dont le seul but est de plaire aux Sens, & de soutenir l’attention indolente des Auditeurs. Le sens commun exige avec tout cela, qu’il n’y ait rien de pueril ou d’absurde dans les Décorations & dans les Machines. Quels éclats de rire n’auroient pas fait les beaux Esprits, du tems de Charles II, s’ils avoient vû Nicolini en Robe fourrée d’Ermine, exposé à un Orage, & cingler dans un Esquif sur une mer faite de Carton? Quel champ n’auroient-ils pas eu pour exercer leur raillerie, si l’on avoit prétendu les divertir par des Dragons peints qui vomissent feu & flamme, par des Chariots enchantez qu’on attelle à des Cavales de Flandres, ou par des Cascades effectives qu’on joint à des Païsages artificiels? Un peu de bon goût pourroit nous instruire qu’on ne doit pas mettre ensemble, dans la même Pièce, des Ombres avec des Réalitez: & que les Décorations, desti-[33]nées à représenter la Nature, doivent étaler à nos yeux des ressemblances, & non pas les choses mêmes. Si l’on vouloit nous y dépeindre une vaste & fertile campagne, couverte de troupeaux de gros & de menu Bétail, ne seroit-il pas ridicule de transplanter le Païs sur la scène, & de remplir tout le Théâtre de Vaches & de Brebis? C’est joindre ensemble des choses incompatibles, & faire la décoration en partie réelle & en partie imaginaire. Je souhaiterois que les Directeurs, aussi bien que les Admirateurs de notre Opera moderne, se donnassent la peine de réfléchir un moment là-dessus.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Il y a quinze jours, ou environ, que je rencontrai dans la ruë un Homme du commun, qui portoit sur l’épaule une cage pleine de petits oiseaux. Prêt à m’informer de ce qu’il en vouloit faire, il se trouva par hazard qu’un de ses Amis vint à passer, qui eut la même curiosité que moi, Dialog► & qui lui demanda ce qu’il avoit sur l’épaule. L’autre lui répondit qu’il venoit d’acheter des Moineaux pour l’Opera. Des moineaux pour l’Opera, dit son ami, en se léchant les lévres, est ce qu’on doit les rôtir? Non, non, repliqua l’autre; mais ils doivent entrer vers la fin du premier Acte, & voler autour du Théatre. ◀Dialog

Ce plaisant Dialogue me rendit si curieux, que j’achetai d’abord l’Opera, où je vis que les Moineaux devoient chanter dans un agréable Bocage. Mais après une information plus exacte, je trouvai qu’ils [34] avoient fait le même tour à l’assemblée, que le Chevalier Martin1 Mar-all jouoit à sa Maîtresse; car quoiqu’ils voltigeassent à la vûë de tout le monde, la Musique venoit d’un concert de Flageolets & d’Appaux, qu’il y avoit derriere la Tapisserie. Dans le même tems que je fis cette découverte, je fus, par le discours des Acteurs, qu’il y avoit de grands desseins sur le tapis pour perfectionner l’Opera; qu’on avoit déjà proposé d’abattre une partie de la muraille, afin d’introduire sur la scène un corps de cent Cavaliers, & qu’on pensoit d’un autre côté à y amener des eaux de la nouvelle Riviere, pour les employer à des cascades. L’execution de ce dernier Projet a été renvoiée, à ce que j’ai ouï dire depuis, jusques à l’Eté prochain; parce qu’alors la fraîcheur, qui vient des Fontaines & des Jets d’eau, sera plus agréable aux Personnes de qualité. Cependant, pour divertir l’assemblée d’une maniere plus convenable à l’Hiver, l’Opera de Rinaldo est rempli de Tonnerres & d’Eclairs, d’Illuminations & de Feux d’artifice; que les Spectateurs peuvent regarder sans craindre de s’enrhumer, & même sans beaucoup de risque d’être brûlés; puisqu’il y a plusieurs Pompes pleines d’eau, prêtes à jouer à tout moment, en cas qu’il arrivât quelque malheur de cette nature. Quoi qu’il en soit, je me flatte que le Proprietaire de la Maison qui est de mes [35] bons amis, aura la prévoiance de l’assûrer, avant qu’on y jouë cette Piece.

D’ailleurs, il ne faut pas s’étonner si ces Décorations paroissent fort étranges, pusique deux Poëtes de différens Païs les ont inventées, & qu’un Magicien & une Sorciere les font venir sur la Scène. L’Argument nous dit qu’Armide est une Enchanteresse du Païs des Amazones, & la Liste des Personnages représentez nous instruit que le pauvre Signor Cassani est un Sorcier Chrétien, un Mago Christiano. J’avouë que ce n’est pas un petit embarras pour moi de savoir comment une Amazone s’est rendue si habile dans l’Art Magique, & de quelle manière un bon Chrétien, car c’est le rôle que jouë le Sorcier, peut entretenir correspondance avec le Diable. ◀Allgemeine Erzählung

Ebene 4► Après avoir parlé des Ensorceleurs, il faut dire un mot des Poëtes; & pour vous former quelque idées de l’Italien, vous n’avez qu’à jetter les yeux sur ces premieres lignes de sa Préface: Eccoti, benigno Lettore, un Parto di pocho sere, che se ben nato di notte, non è pero aborto di tenebre, mà si farà conoscere Figlio d’Apollo con qualche raggio di Parnasso: c’est-à-dire, «Voici, mon cher Lecteur, un Ouvrage de peu de soirées; & quoi qu’il soit éclos de nuit, ce n’est pas un Avorton des tenébres; mais il se fera connoître, par quelques raions du Parnasse, dont il est environné, pour un Fils légitime d’Apollon.» Il traite ensuite Mymheer Hendel de l’Orphée de notre [36] Siècle; & il nous avertit, avec la même sublimité de Stile, qu’il composa lui-même cet Opera dans quinze jours. Tels sont les Esprits, au goût desquels nous tâchons de nous conformer. On peut dire, avec tout cela, que les meilleurs Ecrivains d’Italie, entre les Modernes, s’expriment en des termes si fleuris, & qu’ils emploient des circonlocutions si ennuyeuses, qu’il n’y a que nos Pédans qui les imitent. Ce n’est pas tout, ils remplissent leurs Ouvrages de Pensées si grotesques, & de ce qu’ils appellent Concetti, que nos jeunes Ecoliers, après avoir demeuré un ou deux ans à l’Université, auroient honte de les produire. Quelques-uns s’imagineront peut-être que la différence qui paroît dans les Ecrits de l’une & de l’autre Nation, vient de la différence de leur Genie; mais pour se convaincre que cette supposition est mal fondée, on n’a qu’à examiner les Ouvrages des Anciens, par exemple de Ciceron & de Virgile, & l’on trouvera que les Auteurs Anglois, dans la maniere de penser & de s’énoncer, approchent beaucoup plus de ces grands Originaux que les Italiens modernes, quoique ceux-ci prétendent l’emporter sur nous. A l’égard du Poëte, de qui l’on a pris les rêveries de cet Opera, je suis absolument de l’opinion de feu M. Boileau2 , qui croioit qu’un seul vers de Virgile vaut plus que tout le clinquant du Tasse. ◀Ebene 4

Allgemeine Erzählung► Mais pour revenir aux Moineaux, on en lâcha de si nombreuses volées dans cet [37] Opera, qu’il est à craindre que la Maison n’en soit jamais exempte; & que dans un tems où l’on joüera quelque autre Pièce, ils ne viennent fort mal à propos sur la scène, & qu’ils n’aillent infester la chambre d’une Dame, ou se percher sur le thrône d’un Monarque, sans parler de l’affront que les têtes des Auditeurs en peuvent recevoir. D’un autre côté, j’ai ouï dire d’assez bonne part, qu’on avoit eu le dessein une fois de placer dans un Opera l’avanture de 3 Whittington & de son Chat, & que pour cet effet on avoit rassemblé quantité de Souris; mais que Mr. Rich, le Proprietaire de la Comédie, ne voulut pas permettre qu’on y joüât cette Pièce, de peur que le Chat ne pût venir à bout de les croquer toutes, & que les Princes de son Théatre ne fussent autant exposés à leurs insultes, que l’étoit le Prince de l’Ile avant l’arrivée du Chat. Pour moi, je ne saurois blâmer sa conduite à cet égard, & j’approuve même fort la réponse qu’on lui attribue à cette occasion: «Je ne crois pas, dit-il, que les Directeurs de notre Opera prétendent être aussi habiles que le célèbre Fluteur, blanc & noir, qui obligea toutes les Souris d’une grande Ville en Allemagne de le suivre au son de sa Flûte, & qui de cette maniere délivra les Habitans de la persecution de ces petits Animaux. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Metatextualität► Avant que de finir ce discours, j’avertirai le Public qu’il y a un Traité sur le tapis avec 4 London & Wise, qui doivent être les Jardiniers de la Comédie, pour fournir à l’Opéra de Rinaldo & d’Armide un Bocage d’Orangers; que la premiere fois qu’on le jouera, le chant des Oiseaux y sera executé par des Mézanges & que les Entrepreneurs n’épargneront ni soins ni dépense satisfaire la curiosité de tout le monde.

C. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Ce mot signifie celui qui gâte tout, un étourdi, & c’est le Personnage d’une Comedie Angloise

2Sat. IX.

3C´étoit, s´il en faut croire la Tradition, un pauvre Apprentif de Londres, qui, pour commencer à faire quelque négoce, envoia un Chat aux Indes, d´où il reçut de quoi s´établit, & devenir à la fin Maire de la Ville.

4Deux fameux Jardiniers de Londres, qui servent dans les Maisons Roiales.