Zitiervorschlag: Jacques-Vincent Delacroix (Hrsg.): "XXXIIIe Discours.", in: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, Vol.1\033 (1794), S. 394-398, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4627 [aufgerufen am: ].


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XXXIIIe. Discours.

Qui renferme celui d’un Publiciste Défenseur de la Liberté des Opinions.

Ebene 2► Metatextualität► Je voudrois bien avoir, comme le Spectateur Anglais, de bons coopérateurs, des correspondans profonds ou enjoués qui suppléassent à la stérilité de mon imagination, à la foiblesse de mes apperçus, à l’uniformité de mes pensées, à la monotonie de mes regrets ; j’ai beau vouloir varier mes sujets et mon style, je crains toujours qu’on ne reconnoisse le même auteur. En plaçant ici le discours (I1 ) qu’on va lire, et dont je m’empare, quoiqu’il ne m’ait pas été adressé, je suis bien assuré qu’on ne m’en attribuera ni les idées, ni les expressions ; elles appartiennent à l’auteur dont j’ai déjà cité un discours sur le gouvernement révolutionnaire. Puissent tous mes lecteurs se pénétrer des vérités si énergiquement pré-[395]sentées par ce savant Publiciste ! Les écrivains patriotes n’auront alors rien à redouter de la calomnie et de cette haine soupçonneuse qui voudroit pénétrer dans tous les esprits, surprendre le secret de toutes les ames, et s’efforce d’exprimer, des ouvrages les plus innocens, une erreur, pour la convertir en crime, et attirer le déshonneur ou la mort sur son auteur. ◀Metatextualität

Ebene 3► « Dans le tems où chacun pouvoit émettre librement sa pensée, nous faisions un fréquent usage, dans cette feuille, des lettres que nous recevions des départemens, parce qu’elles contenoient des avis salutaires, des instructions locales, des réclamations légitimes. A cette correspondance pleine d’intérêt et d’utilité, la tyrannie des opinions, la terreur universelle ont fait succéder le silence ou des lettres insignifiantes ; et comment auroit-on osé se permettre d’écrire, quand on osoit à peine causer avec son meilleur ami ?

Les dominateurs révolutionnaires ont bien senti que pour arriver à leur but, il falloit intercepter cette libre commu-[396]nication des idées, cette publicité tutélaire des opinions : loin de laisser l’esprit public se former lui-même, ils ont voulu le former à leur manière, c’est-à-dire l’étouffer pour y substituer le leur : c’est dans cette louable intention que Roland avoit organisé son bureau de formation d’esprit public, et Robespierre sa commission d’instruction publique. Leur raisonnement étoit bien simple : nous pensons mieux que tout le monde, il faut donc que tout le monde pense comme nous, que notre opinion soit l’opinion publique ; pour lui donner ce caractère, le moyen le plus court est d’ôter la parole aux autres pour nous la réserver exclusivement à nous-mêmes. C’est-là ce qu’entendoit Couthon, lorsqu’il disoit qu’il falloit tout ramener à une même opinion.

Quelle différence y a-t-il donc entre cette prétention et celle des prêtres, et des inquisiteurs contre lesquels nous avons tant déclamé ? Les moyens d’exécution ne sont-ils pas les mêmes ? Les nouveaux tyrans de la pensée n’ont-ils pas eu, comme leurs prédécesseurs, leurs mouchards, [397] leurs cachots, leur saint-office, leurs processions d’hérétiques, allant à la mort aux acclamations d’une multitude fanatisée ? Les ex-communications et les censures apostoliques ne sont-elles pas bien représentées par les épurations civiques, par cette grande trémie, qui jusqu’à ce jour n’a jetté que de l’ivraie ou des grains pourris dans le moulin révolutionnaire ?

Sans doute il faut une opinion commune ; mais elle doit être de laisser chacun libre dans ses opinions, de ne point en gêner l’émission, la circulation, le frottement ; car c’est de ce travail collectif, de cette trituration de toutes les idées bonnes, mauvaises, folles, raisonnables, que se confectionne l’esprit public, l’opinion publique. Intercepter ce travail, c’est empêcher l’opération. Demander la liberté des opinions, c’est supposer leur diversité, leur opposition, même la plus absolue ; car si elles étoient parfaitement les mêmes, cette liberté seroit inutile. Il y a donc une contradiction manifeste à vouloir qu’elles soient à la fois libres et unanimes ; si elles eont <sic> libres, elles n’ont pas besoin d’unanimité ; vouloir qu’elles [398] soient unanimes, c’est demander qu’elles ne soient pas libres. S. . . . . . . . » ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1(I) Extrait des Annales Patriotiques, du 27 thermidor, l’an 3.