Zitiervorschlag: Jacques-Vincent Delacroix (Hrsg.): "XVe Discours.", in: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, Vol.1\015 (1794), S. 132-149, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4609 [aufgerufen am: ].


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XVe Discours.

Projet d’une loi favorable à la République.

Ebene 2► Heureusement je n’ai ni amis ni ennemis parmi les émigrés ; je frémis cependant à la seule idée que s’il plaisoit à l’un de ces messieurs de m’écrire qu’il conserve toujours un sincère attachement pour moi ; qu’il est très-satisfait de ma correspondance, et me prie de lui continuer mes soins ; je serois d’abord retranché de la société, privé de mon revenu et peut-être condamné à la mort pour cette petite espiéglerie. Ce qui, graces à l’obscurité où j’ai toujours vécu, ne m’arrivera pas, un bon et franc patriote ne pourroit-il pas l’éprouver ? Par la raison même qu’il auroit montré plus de zèle dans la révolution, ne seroit-il pas plus exposé à être atteint d’un de ces traits de la vengeance ? Je doute si peu que la méchanceté ne mette ce moyen [133] perfide en usage, que j’engage tous nos législateurs et nos véritables citoyens à s’en garantir par la plus prompte remise de lettres semblables aux comités de surveillance. J’ai vu, il y a quelques jours, une mère de famille très-alarmée des confidences qu’un émigré qu’elle connoissoit à peine s’étoit permis de lui faire ; il l’engageoit à ne pas s’inquiéter de l’approche des étrangers, lui donnoit les plus fortes assurances de sa protection pour ses propriétés. Eh ! malheureux, protège-toi toi-même contre la faim, contre le fer qui te menace ; n’expose pas, par tes jactances, ceux qui ne veulent avoir rien de commun avec toi, à perdre la liberté et la vie !

Je voudrois qu’un citoyen ne fût jamais responsable que de ses fautes ; qu’il ne pût être inquiété, recherché que pour ses paroles ou ses actions criminelles ; que la soumission à la loi fût une sauve-garde pour tous ceux qui existent sous son empire. Je sais bien qu’une crise révolutionnaire exige des formes sévères, une surveillance rigide ; mais la sévérité même doit se concilier avec la justice et l’humanité. Si j’avois le malheur d’être législateur dans ces temps ora-[134]geux, je rendrois les pères responsables des fautes de leurs enfans, lorsqu’il auroit été en leur pouvoir de les prévenir. Jamais je ne punirois les enfans des délits de leurs pères.

Je crois même que la grande et principale mesure dont j’userois envers tous les habitans d’un empire qu’une révolution subite auroit fait passer de l’état monarchique au gouvernement républicain, seroit une proclamation solemnelle par laquelle j’annoncerois que la volonté prépondérante étant de substituer la liberté à la servitude royale, la démocratie demeureroit immuable ; que tout individu, qui ne se sentiroit pas assez heureusement constitué pour exister dans une association d’hommes qui veulent vivre égaux entr’eux, et n’être dominés que par la loi, seroit tenu de s’en séparer dans le plus court délai : s’il n’avoit que son industrie pour moyen d’existence, il seroit le maître d’aller la développer par-tout où bon lui sembleroit. S’il avoit des propriétés, il en feroit l’abandon à la société qui auroit la générosité de lui payer pendant vingt ans une pension alimentaire, proportionnée à l’étendue des [135] fonds qu’il auroit délaissés, sous la condition qu’il choisiroit pour asyle le territoire d’une puissance neutre où sa résidence seroit constatée. Comme ses enfans appartiendroient encore plus à la patrie qu’à lui, il ne pourroit user de son ascendant pour les lui ravir ; la république se chargeroit de les élever et de les nourrir dans les principes républicains ; et si, parvenus à leur majorité, ils étoient assez ingrats pour vouloir se détacher de cette mère commune qui les auroit adoptés, ils seroient libres de suivre leur penchant pour la servitude.

J’accorderois à ceux qui n’auroient jamais porté les armes contre leur patrie, et ne s’en seroient éloignés que par un sentiment de crainte bien pardonnable, la faveur de rentrer dans son sein, en leur imposant l’obligation de ratifier à leur retour les ventes qui auroient été faites en leur absence au profit de la nation qui leur accorderoit un cinquième du produit de leurs terres pour fournir à leur existence.

Un mois après cette proclamation, toutes les maisons d’arrêt seroient converties en prisons ; tous les individus qui n’auroient pas été admis à l’avantage d’opter entre l’exil et [136] le titre de citoyens, parce qu’ils seroient prévenus de conspiration contre la république, seroient transformés tout-à-coup en accusés, et jugés sur les preuves de leurs délits : si parmi tous les citoyens, reconquis à la république, ou qui auroient paru soumis à ses loix, il s’en trouvoit un seul qui manifestât par la suite des regrets pour l’ancien gouvernement, et tentât de le faire revivre, il seroit traité comme ennemi public.

Ce titre vague de citoyen suspect, qui a donné lieu à tant d’affronts, à tant de saisies, à tant de persécutions ; que la haine et l’envie appliquent à leur gré, seroit effacé de notre législation : on ne connoîtroit plus que de bons ou de mauvais citoyens ; que des hommes dignes de la liberté, ou qui auroient mérité l’exil, la servitude ou la mort.

D’après cette mesure, le royaliste seroit sans excuse. Pourquoi auroit-il persisté à vivre dans une république, puisqu’il-auroit nourri dans son cœur le desir de renverser le gouvernement auquel il feignoit de vouloir s’associer ? Si c’étoit pour conserver sa fortune, celui qui ne sait pas lui sacrifier son honneur et son opinion est [137] un lâche. Etoit-ce pour conspirer avec plus d’avantage ? Dans ce cas il ne devroit pas se plaindre d’être puni comme un conspirateur.

On sent bien que je ne fais ici qu’user de la faculté que tout citoyen a de laisser échapper un vœu inspiré par l’amour de la justice. Je n’entends pas substituer mon opinion à la loi existante ; j’ai d’autant plus de mérite à m’y soumettre que je lui sacrifie souvent jusqu’à ma pensée. Je me suis depuis plus de vingt ans permis de publier ce que j’ai cru de plus conforme à l’intérêt de la multitude. Je ne ferai pas au gouvernement que j’ai adopté l’injure de me condamner à un silence que je ne m’imposois pas sous le despotisme.

Lettre d’un Républicain qui a moins de revenu et plus de richesses.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Je ne me croyois pas assez riche, il y a quelques années, avec trente mille livres de rente placées en immeubles et sur d’opulens capitalistes ; aujourd’hui ce revenu est diminué de moitié, et quoique les ob-[138]jets de consommation aient doublé de prix ; je me trouve du superflu.

La cause de ce prodige est dans la révolution. J’avois des domestiques qui me faisoient payer chèrement leur service, et qui me servoient mal. La prudence m’a forcé de ne conserver qu’un vieux laquais, et de substituer aux autres deux bonnes servantes qui préviennent tous mes ordres. Ma femme fatiguoit quatre chevaux pour ses visites de politesse ; depuis qu’elle n’en fait plus que d’amitié ses jambes lui suffisent.

J’avois autrefois des divisions de loge à tous les spectacles, je ne me plais plus qu’à celui de la nature qui ne me coûte rien ; des gardes-chasse absorboient le fruit de mon domaine, ils ne tirent plus que sur les ennemis de la république, et c’est elle qui les paie ; des parasites venoient tous les jours assiéger ma table et boire mon meilleur vin, je n’ai plus que d’utiles journaliers à nourrir. Mes vêtemens que je renouvellois souvent, et qui n’étoient jamais assez frais, me paroissent aujourd’hui trop beaux pour être exposés au soleil ou aux injures du temps. Je n’ai plus de compte à régler [139] avec mon sellier, depuis que je ne voyage que dans des voitures publiques ; mon tapissier, qui encombroit mon appartement de meubles, a racheté tous ceux que le luxe étaloit, et il est aujourd’hui mon débiteur. Ma femme, qui épuisoit ma bourse pour son jeu, ses modes et ses goûts littéraires, ne s’amuse plus qu’avec ses enfans, n’est plus assaillie de marchandes, et trouve assez de livres dans ma bibliothèque. Mon domaine, sur lequel je vis, me produit plus de légumes et de fruits que je n’en consomme ; ma basse cour, qui ne suffisoit pas aux moindres demandes lorsque je demeurois à la ville, est aujourd’hui si peublée qu’elle forme une des sources de mon revenu.

Je vous avoue que je ne m’attendois pas à m’enrichir par mes pertes, et à être ramené à la raison par ce qui me sembloit être un délire national.

Depuis que j’habite le manoir de mes pères, et que j’ai renoncé au projet de lui substituer l’extérieur d’un château, mes idées, au lieu de se tourner vers des dépenses vaines, se dirigent sur des améliorations productives. Je ne souffre pas qu’une [140] toise de terrein demeure en friche ; j’augmente mes troupeaux, je multiplie mes ruches à miel ; chaque jour je vois l’abondance s’accroître autour de moi. Je me fais des amis à peu de frais ; je réjouis le vieillard avec une bouteille de vin vieux qu’il emporte. Des enfans, auxquels je donne des gâteaux, des fruits, accourent à moi avec transport ; je comble de joie une jeune fille qui reçoit un agneau ou une jolie chèvre. La bonne mère, qui tient une vache de ma générosité, m’appelle le soutien de sa famille. A l’entrée de l’hiver, je ne laisse pas venir au pauvre la tentation de voler mon bois, je lui en fais porter dans sa chaumière. Personne n’envie ma richesse, parce qu’elle n’est pas pour moi seul. Que d’argent et de temps j’ai perdu ! Il me semble que je n’existe que depuis que j’ai appris l’usage qu’on doit faire de sa fortune et des jours que nous avons à passer sur la terre.

Je conçois à présent comment tant d’anciens seigneurs, qui auroient pu être adorés de leurs vassaux, leur sont devenus indifférens ou même odieux. Souvent ils ne se montroient à eux qui sous les traits [141] d’un inexorable créancier ; ils n’étoient pas touchés de leur misère, pourquoi ceux ci auroient-ils eu pitié des persécutions qu’ils ont éprouvées ?

J’ignore ce qui m’arrivera un jour : mais si mes propriétés sont dévastées, si ma personne est emprisonnée, ceux au milieu desquels je vis ne se réjouiront pas de mon malheur, et j’aurai la consolation de sentir que plus d’un d’entr’eux aura pleuré sur mes peines. Voilà la pensée qui me rapproche de mes semblables, qui me porte à m’enquérir de leurs besoins, à les rendre heureux autant qu’il dépend de moi. Le sort de mes voisins est tellement uni au mien, qu’ils ne peuvent que gagner à ma prospérité, et que perdre à mon malheur. On parle beaucoup de l’ingratitude des villageois ; la reconnoissance se trouve-t-elle plus à la ville qu’au village ? Si quelques seigneurs ont été pillés, poursuivis par leurs propres habitans, combien d’autres n’ont pas eu de plus ardens solliciteurs, et n’ont dû leur liberté qu’au zèle et aux réclamations d’une commune qui avoit oublié leur injustice ou leur insensibilité ? Peut-être, aux yeux de l’im-[142]partialité, se trouve-t-il moins d’ingrats parmi ceux qu’on dégrade sous ce titre, que parmi les hommes qui le leur donnent pour se dispenser d’être bienfaisans ? ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Réponse.

Brief/Leserbrief► Homme vraiment patriote ! vous savez maintenant ce qui constitue la véritable richesse. Vous étiez pauvre lorsque vous aviez plus de besoins que d’argent ; aujourd’hui vous êtes riche, parce que vous avez plus de revenu que de besoins. Entretenez, multipliez les sources de vos bienfaits, elles ne tariront pas toutes à la fois. Le cœur des hommes est comme la terre qui ne rend pas toujours à la main qui lui confie ses semences ; mais s’il en est de stériles, d’autres rapportent au centuple. Moins on compte sur la reconnoissance, plus on s’épargne de regrets, et plus on se ménage d’agréables surprises. Vous ne serez point confondu parmi ceux qui portent la peine de leur orgueil et de leur insensibilité ; si ce malheur vous arrivoit, vous n’auriez pas comme eux tout perdu, parce qu’il n’est au pou-[143]voir d’aucune autorité de ravir à la vertu ses heureux souvenirs, et la joie attachée à ses actions généreuses. ◀Brief/Leserbrief

Lettre d’une Femme qui, sans amour, veut toujours avoir un amant.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Ma conduite paroît si bizarre à tant de personnes, que j’ai résolu de vous entretenir de mes principes, sans néanmoins m’engager à en changer, quand bien même vous ne les approuveriez pas.

Selbstportrait► Je me considère dans ce monde comme dans ma demeure, c’est à moi à m’y arranger pour y être bien : que les autres adoptent le genre de vie qui leur convient, je le trouve bon. N’est-ce donc pas assez que de s’être fait un bonheur à son gré, faut-il encore qu’il soit au gré de la multitude ? Quand, pour complaire à certaines femmes, dont l’opinion m’est assez indifférente, j’aurois vécu de privations et d’ennui, quel seroit le prix de mes sacrifices ? leur estime. Mais si j’ai commencé par leur refuser la mienne, quel cas puis-je faire de la leur ? Serois-je même sûre de recueillir leurs suffrages, en m’enveloppant d’une [144] pruderie monotone ? L’une dira de moi : c’est une femme très-froide, à qui il en coûte peu d’être vertueuse ; l’autre, c’est un esprit étroit que resserrent encore les moindres préjugés ; une troisième plus soupçonneuse, avant de convenir que sa conduite est irréprochable, il faudroit avoir le secret de ses gens.

Croyez-moi, M. le Spectateur, je n’ai pas pris mon parti sur la censure sans avoir apprécié ce qu’elle vaut, et jugé d’où elle part. Une femme qui la redoute se croit donc un être bien essentiel ? Quelle présomption d’imaginer que tous les yeux sont attachés sur elle, qu’on s’occupera long-temps de ce qu’elle est, de ce qu’elle fait, de ce qu’elle deviendra ; qu’on doit uniquement s’entretenir de ses foiblesses ou de ses perfections. Pour moi, qui me fais tout au plus l’honneur de me croire une fleur de plus dans un immense parterre, je suppose que les hommes ont bien autre chose à faire que d’examiner si je me laisse approcher par un papillon, par une mouche à miel, par un insecte, ou si je me dérobe à toute atteinte pour conserver plus long-temps mon éclat. Je sais [145] que je n’ai que quelques jours à briller, et qu’il faudra toujours finir, comme celles qui m’ont précédée, par tomber effeuillée et obscure au milieu des ronces. D’après cette idée, mêlée d’un peu de vanité et de beaucoup de modestie, vous voyez que je n’ai dû prendre pour règle de conduite que mes fantaisies, sans m’inquiéter des murmures des chastes sensitives qui ne s’épanouissent qu’à la lumière, redoutent le moindre toucher, et tombent en langueur à l’approche de la nuit.

Jeune, jolie et libre, je n’ai pas voulu me passer d’un amant ; mais comme j’ai entendu en tirer le parti le plus avantageux, je me suis arrangée pour qu’il fût à moi sans être à lui : je me suis, en conséquence, bien gardée d’en choisir un qui me fît tourner la tête. Fremdportrait► Celui que j’ai adopté en a une si petite que j’aurois bien du malheur si elle l’emportoit un jour sur la mienne. Sa grande occupation est d’avoir des vêtemens qui dessinent parfaitement sa personne ; sa plus grande jouissance est d’entendre dire lorsqu’il passe : voilà un aimable jeune homme, il est fait à merveille. ◀Fremdportrait C’est moi qui dirige ses études et ses lectures ; vous imaginez bien qu’elles [146] se bornent, les unes à peindre quelques fleurs, à composer de petites chansons ; les autres à quelques poésies légères, ou à des romans agréables. Lorsque nous allons au spectacle, je lui fais admirer ce qui me convient, et nous sommes toujours d’accord pour nous amuser du sublime. Je ne lui ai pas permis de prendre la moindre part à notre révolution ; elle est à ses yeux ce qu’est la mer agitée pour un enfant fixé sur le rivage ; si elle lui donne quelque terreur, je l’éloigne et nous nous enfonçons dans la retraite. Mais, direz vous : pourquoi se donner tant de soins pour annihiler un pauvre être qui auroit pu devenir un homme tout comme un autre ? Dieu me garde qu’il le devienne. Dans sa prétendue nullité, il m’est plus utile que quatre serviteurs que j’aurois à mes gages. Ai-je le desir de sortir, il est toujours à mes ordres ; ai-je une commission à donner qui exige de la promptitude, de la probité, de la discrétion, je suis sûre qu’elle sera faite à mon gré ; si je parois hésiter à la lui confier, je redouble son impatience et son zèle ; si j’ai de l’humeur, il la supporte avec résignation et sans murmurer ; la [147] nuit éprouvé-je quelques migraines, il part comme un trait et m’amène un chirurgien, un médecin ; faut-il aller à la campagne, il connoît toutes mes habitudes, toutes mes fantaisies, ma voiture est chargée de tout ce qui m’est nécessaire ; dans mes momens de silence, je n’ai pas besoin de parler pour être entendue, un signe de tête, un air de déplaisance, un mouvement d’approbation suffisent pour me faire comprendre.

Lorsque je suis satisfaite, je ne laisse entrevoir qu’une partie de mon contentement ; un mot d’éloge, un sourire, une main tendue obligeamment, voilà de quoi payer toutes les démarches, toutes les attentions, toutes les assiduités d’un jour.

Ai-je envie qu’il ne me quitte pas, je lui dis : allez voir vos amis, dissipez-vous, je le sens, je dois vous ennuyer ; avec ce peu de mots, prononcés d’un ton doux et languissant, je le cloue à mes côtés ; il ne s’éloigneroit pas pour un empire. Sa présence m’incommode-t-elle, je le charge d’aller observer une société, de me rendre un compte exact de ce qui s’y sera dit, des personnages qui y auront figuré ; je l’engage [148] à s’y montrer très-aimable ; j’en sais le soir plus que je ne desirois d’en apprendre. Personne ne s’entend mieux à choisir des étoffes, à procurer du crédit, à débarrasser d’un importun, à surveiller les domestiques, à ramener ceux qu’on veut conserver. ◀Selbstportrait

Convenez, monsieur, qu’un pareil esclave vaut bien qu’on se l’attache par de légères faveurs, et qu’il est préférable à tous les maris. Aussi ai-je résolu de n’en prendre un que lorsqu’il ne me sera plus possible d’obtenir que sous ce titre les soins que j’exige d’un amant.

Comme il faut tout prévoir, j’en élève dans ce moment un autre qui brûle déjà du desir de remplacer celui que je tiens dans mes chaînes ; je le façonne au joug qu’il doit porter un jour, et je commence à m’appercevoir qu’il ne tromperoit pas mon espérance, si son rival étoit tenté de se soustraire à mon empire. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Réponse.

Brief/Leserbrief► Lorsqu’on sait, comme vous, se passer de l’estime des autres, il y a tout lieu de [149] croire qu’on n’a pas besoin de la sienne ; ainsi je n’ai que des éloges à donner à la force de votre esprit. Quelque sévère que soit l’opinion de vos juges, elle vous placera toujours au dessus de l’esclave qui vous est attaché ; il est dans son espèce ce qu’est à la sienne le virtuose qui a payé si cher le talent de charmer l’oreille par ses sons.

Une autre auroit préféré de profiter de l’ascendant que vous avez sur notre sexe, pour relever à la dignité d’homme ceux que l’amour met à vos pieds ; mais pour remplir une aussi noble tâche, il faudroit que vous prissiez la peine de vous agrandir à leurs yeux, et il me semble que votre attitude favorite est celle qui plaît le plus à la beauté nonchalante.

Je ne vois qu’un inconvénient à vos principes, c’est qu’ils ne peuvent retenir la jeunesse qui s’enfuit, et fixent les remords et le mépris autour de celle qui leur a confié le bonheur de sa vie. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1