Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Chapitre VIII.", in: Le Monde, Vol.4\008 (1760-1761), S. 191-200, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4482 [aufgerufen am: ].


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Chapitre VIII.

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Histoire.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Monsieur Botel étoit depuis vingt-trois ans Curé du petit Village de B * *: content d’un revenu très-modique, il n’avoit jamais connu d’autre ambition que celle de remplir ses devoirs. Sa vertu, qui l’avoit sçu rendre aimable, lui avoit gagné l’estime & l’affection de tous ses Paroissiens. L’étude de l’Agriculture & le plaisir innocent qu’il prenoit à embellir sa demeure, partageoient ses loisirs . . . M. Botel étoit heureux . . . Une lettre du nouvel Evêque de * * * vient lui apprendre qu’il-est, nommé à une Cure de trois [192] mille livres, au Bourg de C * * *, à douze lieues de celle qu’il occupe actuellement ; le Curé qu’il va remplacer est mort la veille : il n’y a point de tems à perdre, il faut qu’il parte sans délai.

M. Botel n’étoit point préparé au coup funeste qui renversoit tout son bonheur : pour la premiere fois il connut le chagrin. Eh ! pourquoi a-t-on songé à lui ? La seule grace qu’il eût jamais desiré, on la lui avoit accordée jusqu’à ce jour en le laissant vivre pauvre & obscur. Qu’il parte sans delai, croit-on qu’il puisse abandonner ainsi ses chers Paroissiens, eux qui le regardent comme leur pere, & qu’il regarde comme ses enfans ?  . . . non, il ne peut s’y résoudre : il est pénétré de reconnoissance pour son digne bienfaituer, mais il ne peut accepter le bienfait.

Telles étoient les réflexions ameres [193] qui occupoient M. Botel, telle fut en substance la réponse forte & respectueuse qu’il fit à son Evêque. Il en reçut beintôt une autre lettre plus pressante encore que la premiere : rien de si obligeant que les reproches du généreux Prelat, il disoit : Je n’ai pas prétendu vous rendre riche, vous l’êtes puisque vous ne connoissez pas les desirs ; mais j’ai besoin de vous, la religion vous reclame, faites le sacrifice de votre pauvreté.

M. Botel n’avoit pas achevé de lire cette lettre, qu’il étoit deja vaincu ; le nom sacré de la religion avoit frappé ce cœur vraiment chrétien. Dès-lors il s’étoit résigné à tout ce qu’on exigeoit de lui : il ne murmura point, il ne se plaignit point, mais il étoit attendri. Il résolut de partir la nuit suivante, & il ne s’ouvrit de ce dessein qu’à son Vicaire qu’il nomma Curé sur le champ, & à une vieille sœur qui de-[194]puis quinze ans présidoit à son petit ménage. Ils convinrent ensemble qu’elle resteroit quelques jours à B * * pour y justifier M. Botel & mettre ordre à ses affaires ; & qu’ensuite elle viendroit le rejoindre.

Après ces arrangemens il se mit à parcourir tout son Village ; il lui sembloit qu’il y arrivoit, qu’il le voyoit pour la premiere fois. Il se repassoit avec avidité de mille objets qui n’étoient rien moins que nouveaux pour lui : il visita tous ses Paroissiens, il ne leur dit pas adieu, mais il leur recommanda de ne point l’oublier, de l’aimer toujours, & sur-tout d’aimer le bon Dieu ; il leur distribua de legers présens, il les consola dans leur misere . . . son cœur étoit ému, agité avec violence, & son secret ne lui échappa point.

De retour chez lui & rendu à lui-même dans le silence de la nuit, il [195] éprouva des combats auxquels il ne s’étoit pas attendu : il se promenoit à grands pas dans sa chambre, il étoit tenté de ne point partir ; il rejettoit cette idée, il y revenoit, il la rejettoit encore, il prioit Dieu, il disoit à sa sœur : ah ! ma sœur, que diront-ils de moi ? ils pleureront, ils diront ; nous l’aimions tant & il nous laisse seuls, oui tout seuls.

A cette pensée le bon M. Botel ne put s’empêcher de verser des larmes, il en donna aussi quelques-unes à ce beau Presbytere qui lui avoit coûté tant de peines à bâtir, à cette allée couverte où il aimoit tant à lire son Breviaire, à ce noyer si élevé, si touffu qu’il avoit planté de ses propres mains . . . mais l’heure fatale du départ est sonnée, M. Botel reprend tout son courage, embrasse sa sœur & monte à cheval.

Il fit le voyage sans aucun accident, & avec tant de promptitude, qu’il ar [196] riva le lendemain sur le midi à un Village voisin de C * * * : il jugea à propos de s’arrêter-là, & de lier connoissance avec le Curé du lieu, pour lui demander quelques éclaircissemens nécessaires. Celui-ci étoit à table avec plusieurs autres Curés : il reçut poliment M. Botel, & l’invita à dîner. Une offre faite avec tant de cordialité fut acceptée de même : M. Botel s’assit & prit part à la conversation : on ne lui fit d’abord aucune question, mais il eut bientôt lui-même occasion d’en faire aux autres. Parmi les convives il y avoit un Ecclésiastique dont l’air pâle & languissant excita vivement sa curiosité : le son de sa voix étoit lugubre, il étoit d’une maigreur affreuse ; les assistans le regardoient avec une satisfaction mêlée d’attendrissement : ce spectacle parut si extraordinaire à M. Botel, qu’il ne put s’empêcher d’en témoigner son étonnement à celui qui en étoit l’objet. [197] Ebene 4► Monsieur, répondit le Curé, mon aventure est singuliere en effet ; je mourus il y a deux jours ; on m’enterra, & je ne m’apperçus que j’étois tombé en léthargie que douze heures après avoir été mis en terre. Je criai, je m’agirai, il étoit nuit. Quelques femmes m’entendirent & s’enfuirent en publiant qu’elles avoient vu le diable : on accourt en foule, on s’approche en tremblant, on recule, on m’appelle de loin ; personne n’ose aborder l’esprit malin. Dans cette consternation générale un vieux soldat de mes Paroissiens qui revenoit du cabaret passe par là ; c’est un brave à qui sa haute valeur a fait donner un sobriquet fort militaire, il crut que l’occasion étoit digne de lui, & le voilà qui s’avance fierement fut le bord de la fosse, & de-là il me fait des questions si comiques & dans un style si peu châtié, que, malgré la tristesse du lieu, je ne pus m’empêcher de rire : oh ! [198] parbleu, s’écria-t-il, si c’est le diable, nous n’avons rien à craindre, car il est de bonne humeur ; & à l’instant même il se jette dans la fosse, brise la biere & me rend à la vie. ◀Ebene 4

Ma résurrection, à un peu de langueur près, n’a eu aucune suite fâcheuse : je voudrois sçavoir seulement si dans l’intervalle on m’a nommé un successeur.

Monsieur, reprit M. Botel, n’êtes-vous pas Curé du Bourg de C * * * ?

Justement.

Eh bien, Monsieur, je venois pour vous remplacer, (& il lui déclara son nom) je ne l’ai pas sollicité au moins . . . on m’a arraché malgré moi à ma pauvreté, à mes Paroissiens que je chéris. Mon Vicaire a pris ma place, je m’en retournerai auprès de lui, & je serai son Vicaire à mon tour.

Restez, restez, s’écria l’autre Curé ; restez, Monsieur, ma Cure est à vous ; [199] je confirme le choix de notre Evêque. Un patrimoine assez riche me met en état d’achever ma vie dans l’aisance : il est vrai que je ne vous connois point personnellement, mais tout le Diocèse connoît vos vertus.

M. Botel ne se laissa pas vaincre cette fois-ci : il remercia le Curé dans les termes les plus affectueux, & immédiatement après le dîner, il reprit le chemin de sa Cure, où on ne l’attendoit plus : on l’a revu avec des transports de joie inexprimables. Son Vicaire veut lui rendre sa Cure, M. Botel refuse encore : l’Evêque de * * * vient d’apprendre ces derniers événemens. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Voilà où en est cette affaire singuliere sur laquelle je ne me permettrai qu’une réflexion. Lequel de ces trois Curés est le plus généreux ?

[200] Avis

Metatextualität► L’histoire qu’on vient de lire m’a été adressée avec la lettre suivante. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

J’ose vous prier d’inserer dans le Monde l’histoire suivante ; elle vous appartient de droit, elle est vraie & elle peut être utile.

J’ai l’honneur d’être avec toute la considération possible,

Monsieur,

Votre très-humble & très-obéissant serviteur, l’Abbé Selis de Garelles. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► Comme M. l’Abbé de Garelles est anonyme pour moi, j’ai cru devoir supprimer les noms des lieux & des personnes ; mais s’il veut se faire connoître, je les restituerai volontiers, persuadé que cette aventure & l’exemple de vertu qu’elle renferme, ne pourront plus être regardés comme douteux, & n’en deviendront que plus intéressans. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1