Sugestão de citação: Jean-François de Bastide (Ed.): "Chapitre III.", em: Le Monde, Vol.4\003 (1760-1761), S. 69-93, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4480 [consultado em: ].


Nível 1►

Chapitre III.

Lettre.

Nível 2► Nível 3► Carta/Carta ao editor► Spectateur? dormez-vous? quoi, vous nous laissez inonder de paradoxes, vous ne vous élevez pas contre ce déluge fatal ! avez-vous vendu une lâche complaisance à des sectateurs <sic> ambitieux ? vous a-t-on promis des louanges, de la cabale, des proneurs en échange de cette tolérance scandaleuse ? . . . je vous entends ; vous êtes borné à la morale, à la poursuitedu <sic> ridicule & du vice, & l’oppression des Arts par la tyrannie des esprits singuliers [70] n’est point de votre ressort ? Spectateur, quittez la plume ; vous n’êtes pas fait pour nous remontrer nos devoirs, puisque vous ignorez les vôtres. Sçachez qu’il n’y a point de paradoxe de bonne foi ; ni de Sectateur <sic> innocent; sçachez que l’orgueil fait les novateurs, & que tout novateur peut porter des coups terribles aux mœurs par ses triomphes, en desaccoûtumant les esprits d’obéir aux usages & à la décision des siecles. Sçachez que quiconque veut nous apprendre à penser dans quelque sens que ce soit, mérite d’être examiné de près par le gardien des loix morales, parce qu’un grand mal peut naître de la plus petite faillie de la vanité, quand l’inconstance des esprits peut y trouver un charme qui l’entraîne. Eveillez-vous, Docteur, & songez que vous nous répondez du mal qu’on peut nous faire. Point de pusillanimité, encore moins de lâche politique ; connoissez vos droits, respectez-[71]les comme des devoirs ; ils sont notre confiance & notre sureté. Parlez-nous de tout ce qui peut nous nuire : il n’est pas question ici du fond de la chose, il est question de l’intention ; elle est contraire à nos intérêts, conséquemment soumise à votre censure : on veut nous faire penser faux, nous induire à juger hardiment : faut-il vous instruire du mal qui en peut résulter ? n’entendez-vous pas les loix, les vertus, la nature même gémir de leur danger ! oui la nature ; les erreurs de l’esprit sont toujours nuisibles au sentiment. Hélas ! ce sont ces erreurs maudites qui ont tout renversé dans le monde : elles le détruiront sans doute, & vous n’en frémissez pas ! nous cachez-vous donc un ennemi sous une forme respectable ?

Je suis, Docteur, votre très-humble, & très-obéissant, &c. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

Doucement, Monsieur le Critique ; point d’humeur. Sans doute [72] les arts tiennent à la morale, & je puis & je dois jetter un coup d’œil sur les nouveaux systêmes, sur les nouvelles idées qu’on s’efforce d’établir en dépit du goût & de la raison. Je le répete, les arts tiennent aux mœurs, & pour ramener les uns à leur premiere pureté, à leur premiere regle, il faut ramener les autres à leur premier principe. Or écoutez :

L’esprit systématique fait de jour en jour de nouveaux progrès. On bouleverse les principes des arts ; on les asservit à sa manière de voir & de sentir : il semble que chaque homme de lettres célébre ait le droit de consacrer ses erreurs & de les sceller, pour ainsi dire, du sceau de sa réputation. Malgré ce vertige général, je pensois que la poésie seroit respectée. La philosophie peut enfanter une foule de systêmes tous différens, & tous vraissemblables ; les songes ingénieux de la métaphysique peuvent varier à l’infini : rien de si [73] vaste que le champ des conjectures. La vrai poésie est une ; son caractere est fixe, sa beauté invariable : il étoit réservé à quelques hommes d’esprit de nos jours, de prétendre la rabaisser de vouloir la sapper jusque dans ses fondemens.

A leur tête est M. d’Alembert, ce Géometre fameux, estimé du Public, & qui mérite de l’être, par le coup-d’œil vaste qu’il a jetté sur les Sciences abstraites. Je vais mettre un article de son systême sous les yeux des Juges éclairés ; qu’ils prononcent. La richesse des images, le style pittoresque, le coloris, sans lequel il n’y a point de tableaux, tout ce qu’on exige des Poëtes, est précisément ce qu’il leur interdit : il veut apparemment que nos poésies soient des Traités, nos vers des Sentences, & nos Poëtes des raisonneurs. Il valoit mieux ne point admettre de poésie, que de nous l’offrir sous des traits si étrangers. L’innovation de l’in-[74]génieux M. de la Motte, contre laquelle on a déclamé avec tant de justice & d’avantage, me paroît judicieuse en comparaison de celle qu’on veut introduire. Il n’en vouloit qu’à la rime ; elle n’est que la forme de la poésie : aujourd’hui c’est le fond qu’on attaque ; sous prétexte de la perfectionner, on voudroit l’anéantir. Mais pourquoi les images choquent-elles M. d’Alembert ? pourvû qu’elles n’ôtent rien à la justesse des idées, il me semble que la Philosophie, même la plus sévere, pourroit les adopter avec succès. Le Père Mallebranche, ce Philosophe si plein de sens, étincele souvent de beautés vraiment poétiques : sa recherche de la vérité joint à la force du raisonnement, les charmes d’une riante imagination. Platon qui chassa Homere de sa ville idéale, ne persuade jamais mieux que lorsqu’il emprunte les couleurs de l’Iliade : Baile enfin, ce Logicien si subtil, abandonne quel-[75]quefois le fil de la Dialectique, pour cueillir les fleurs qui se présentent sous sa main. Ces Auteurs sentoient bien que la vérité a besoin d’embellissemens. Pourquoi donc enlever à la Poésie des ornemens que la raison même ne proscrit point ? Le vrai Philosophe, ce me semble, est celui qui loin d’ôter aux Sciences & aux Arts, ce qu’ils ont déja, ne travaille qu’à les enrichir de ce qu’ils n’ont point encore. Il est beau, si l’on peut, d’enchérir sur les découvertes des siecles précédens ; mais doit-on chercher à éteindre les lumieres qu’ils nous ont transmises ? ce seroit le moyen de nous replonger dans le cahos <sic> de la barbarie. Il faut (du moins je me l’imagine) reprendre la route où nos grandshommes l’ont quittée, suivre leurs traces immortels & s’étayer de leurs efforts. Le génie a toujours assez de chemin à faire ; & il me paroît inutile de recommencer une carriere immense, [76] lorsqu’on approche du terme, & qu’on pourroit ensuite en ouvrir une nouvelle. C’est que malheureusement la vanité préside bien plus à nos recherches, que l’amour désintéressé des Arts : nous détruisons pour obtenir le titre de Créateurs. Jamais le goût des paradoxes n’a été porté si loin ; le dernier sur-tout me paroît inconcevable, du vivant d’un Poëte Philosophe, & qui doit, à ce qu’on voudroit bannir de la poésie, le plus grande partie de sa réputation. J’ose croire que M. de Voltaire ne pense pas comme M. d’Alembert sur cet article, & qu’il défendroit la cause de son art, si ses poésies ne la défendoient assez. Où les images sont-elles plus prodiguées ! où la raison est-elle embellie de plus de charmes ! Quel argument contre M. d’Alembert ?

Je ne me serois pas élevé contre une nouveauté faite pour tomber d’elle-même, si les sentimens d’un homme estima-[77]ble n’avoient toujours quelque crédit ; le Public accoutumé à respecter ses décisions, lorsqu’elles sont sages, peut accorder la même faveur à celles qui sont moins raisonnables.

M. Marmontel, dont une Compagnie respectable vient de couronner l’Ouvrage sans doute avec raison, est selon moi beaucoup moinsexcusable <sic> que notre sublime Géometre. Ce dernier, en proposant son systême, n’attaquoit qu’indirectement la réputation de nos grands Poëtes. L’autre leur porte, ou veut leur porter des coups plus réels. Il les cite à son tribunal, pese leurs différens mérites, leur assigne leur place, les juge enfin avec une souveraineté, dont il n’y a point d’exemple. Homere, Virgile, Pindare, Horace ne sont plus ces Maîtres superbes que l’admiration de plusieurs siecles sembloit mettre à l’abri d’un nouvel examen : ils nous sont offerts comme des esclaves soumis qui viennent attendre que M. [78] Marmontel leur renouvelle, pour ainsi dire, un bail d’immortalité : heureux encore s’ils sont accueillis avec faveur, & ne se voyent point déchûs de leurs prétentions ! M. Marmontel a sans doute du poids dans la littérature : quelques succès dans la Tragédie, des contes charmans, des articles bien faits dans le Dictionnaire encyclopédique, plusieurs autres Ouvrages, sont des titres pour briller sur le Parnasse moderne, mais non des droits pour bouleverser l’ancien. Est-il possible, par exemple, qu’un homme de goût préfere Lucain, le dernier de nos bons Poëtes, à Homere, à Virgile ? Lucain a sans doute des morceaux brillans, des éclairs d’éloquence qui échauffent, qui entraînent pour le moment : mais a-t-il cet ensemble plein de chaleur, cette connoissance profonde du cœur humain, cette variété de caracteres, cette imagination enflammée, ce pinceau toujours vrai [79] qu’on admire dans l’Iliade ? a-t-il cette sage économie, ces ressources de l’art, ce fil imperceptible, cette gradation d’intérêt, cette magie de style qui caracterisent l’Enéïde? celui de Lucain n’est presque jamais naturel ; souvent ses pensées paroissent sublimes à l’oreille, & deviennent puériles lorsqu’on les décompose. Il affecte une pompe d’expressions, un faste monotone qui fatigue. Son poëme est dépourvû d’imagination, de machines. Lucain est un Historien Versificateur, son Poëme, une gazette boursoufflée. Tel est le jugement de nos meilleurs Critiques. Je n’oserois y joindre le mien, si je n’étois en hardi par leurs décisions, & par l’arrêt irrévocable de la postérité. Virgile, nous dit M. Marmontel, a suivi de trop près les traces d’Homere. Qu’importe, pourvû qu’il l’égale, qu’il le surpasse. Didon fait oublier Calypso : ce n’est point sur les pas d’Ulysse qu’Enée descend aux Enfers. Le Poëte [80] latin n’employe cet épisode admirable, que parce qu’il étoit nécessaire à son plan. Que de beautés, vraiment originales, n’en résulte-t-il pas ? Quel développement ingénieux de la philosophhie de son tems ! Quelle flaterie delicate pour la Cour d’Auguste ! Que M. Marmontel n’a-t-il cette sage timidité qu’il reproche à Virgile ? elle l’auroit empêché de s’élever si singulierement contre la mémoire de nos grands Poëtes que nous ne devrions jamais nommer qu’avec un respect mêlé d’attendrissement. Virgile imitateur ! & depuis quand une noble imitation est-elle interdite aux Poëtes ! M. de Voltaire n’a-t-il pas profité lui-même des beautés des Anciens ? Dira-t-on pour cela que le massacre de la S. Barthelemi n’est qu’une copie de l’embrasement de Troye ? que c’est à Didon que nous devons la belle Gabrielle ? la Pharsale, d’après ces idées, seroit donc au-dessus de la Henriade, si vantée autrefois par M. [81] Marmontel ? notre aristarque paroît aussi pencher beaucoup pour le Tasse ; mais du moins qu’il s’accorde. Il paroît qu’il déteste dans le Poëme épique, ce que nous appellons la machine; c’est-à-dire l’intervention des êtres allégoriques personnifiés : eh ! quel Poëte les a plus prodigués que l’Auteur de la Jérusalem délivrée ! on rencontre à chaque pas dans son ouvrage des Dieux & des Démons. L’enfer, les cieux, toute la nature y est en mouvement. Milton intéresse de même à son action toutes les puissances célestes & infernales. Homere est créateur de ces ressorts employés depuis avec succès. Ce sont eux cependant à qui il accorde la palme, tandis qu’il la refuse à Virgile, cet écrivain si sage, si intelligent dans l’art de remuer les passions, si économe du merveilleux, & qui semble s’être rapproché davantage du systême de son injuste Critique. Il auroit dû éviter ces contradictions, & ne point s’em-[82]barrasser dans ses propres pieges. Les Geants étoient bien armés lorsqu’ils firent la guerre aux Dieux.

M. Marmontel ne se contente pas de préférer Lucain aux meilleurs esprits de l’antiquité ; il cherche encore à jetter du ridicule sur le théâtre d’Athenes, dont la gloire vit toujours parmi nous, & dont les beautés vraies & de tous les siécles, seront applaudies sur notre scene tant que la nature aura des droits sur nos cœurs. Quels transports n’a point excité la Tragédie d’Iphigénie en Tauride, si intéressante, quoique tirée des Grecs ! Je suis sûr que l’inimitable Mademoiselle Clairon y fit répandre des larmes à notre Censeur lui-même.

Il ne traite pas avec plus ménagement Rousseau & Despreaux, ces restaurateurs de la belle Poésie. Rousseau, à entendre M. Marmontel, insulte à la raison. Ce grand Poëte qui ne s’appliquoit qu’à la peindre, pour-[83]roit-il lui insulter ? On nous renvoye à l’Ode du Marquis de la Fare, & cette Ode est justement le triomphe de la raison : en voici quelques Strophes.

Nível 3► C’est-elle qui nous fait accroire

Que tout cede à notre pouvoir ;
Qui nourrit notre folle gloire
De l’yvresse d’un faux sçavoir;
Qui par cent nouveaux stratagêmes
Nous masquant sans cesse à nous-mêmes,
Parmi les vices nous endort ;
Du furieux, fait un Achile,
Du fourbe un politique habile,
Et de l’athée, un esprit fort.

Mais vous mortels qui dans le monde

Croyant tenir les premiers rangs,
Plaignez l’ignorance profonde
De tant de Peuples différens ;
Qui confondez avec la brute
Ce Huron caché sous la hute,
Au seul instinct presque réduit :
Parlez : quel est le moins barbare,
D’une raison qui vous égare,
Ou d’un instinct qui le conduite ! ◀Nível 3

[84] Quoi de plus raisonnable que de nous désabuser sur cette raison orgueilleuse, mere des faux systêmes, qui prend des jugemens hazardés pour des arrêts respectables, dont la frêle autorité n’est fondée que sur des sophismes brillans, & qui conduite par l’amour-propre, porte toujours au-delá des limites l’ambition de ses erreurs. Est-ce là ce qu’on appelle insulter à la raison ? écoutons encore le grand Rousseau.

Nível 3► Lorsqu’à l’époux de Pénélope

Minerve accorde son secours,
Les Lestrigons & le Cyclope
Ont beau s’armer contre ses jours :
Aidé de cette intelligence
Il triomphe de la vengeance
De Neptune, en vain courroucé :
Par elle il brave les caresses
Des Syrenes enchanteresses,
Et les breuvages de Circé. ◀Nível 3

La véritable raison, cette intelligence qui nous conduit, qui nous éclai-[85]re, qui nous garantit de toutes les illusions de l’esprit humain, peut-elle être peinte avec des couleurs plus vraies ? M. Marmontel a donc avancé un paradoxe.

Mais si Rousseau peut se plaindre de notre Critique, quels reproches Despreaux n’a-t-il pas à lui faire ? Partisans de l’Horace François, cessez de lui prodiguer votre encens: M. Marmontel a fait disparoître jusqu’aux traces de sa réputation, & il ne reste plus à Despreaux que ses ouvrages & la voix de la postérité. Quelles foibles ressources contre l’arrêt qui vient d’être lancé contre lui ! En vérité M. Marmontel a-t-il pu se permettre une sortie aussi violente contre le plus élégant, le plus ingénieux, le plus pur de nos Poëtes! est-ce avec cette liberté qu’on parle de ses Maîtres! je sçais qu’il y a bien des choses à reprocher à Boileau : le genre de la satyre devroit être inconnu parmi les hommes : je sçais qu’il s’est échappé [86] avec trop d’indiscrétion contre des Ecrivains estimables. Quinaut surtout, l’aimable Quinaut, triomphe aujourd’hui de son injustice & la lui reproche par ses beautés ; de ce nombre est encore le Tasse, dont il semble que Boileau n’ait pas senti tout le mérite. Si je voulois l’excuser, je dirois que, rigide défenseur des regles de l’art, accoutumé aux beautés séveres de nos modeles, il a pu, ainsi que la Bruyere & Saint-Evremond, ne point goûter l’éternel merveilleux des ouvrages lyriques où une baguette tranche toutes les difficultés, où la nature est toujours asservie, où enfin l’art du Poëte n’est autre chose que l’art du Magicien. Je dirois au sujet du Tasse, que le mêlange des dieux & des diables, les extravagances de la Forêt enchantée, & les autres défauts de ce Poëme charmant ont dû refroidir Boileau sur les épisodes immortels de Clorinde, d’Armide & d’Herminie : mais je suis le pre-[87]mier sur cet article à me joindre à M. Marmontel, je lui abandonne les satyres & l’injustice. Despreaux peut faire des sacrifices sans intéresser sa gloire : son Art poétique, son Lutrin, presque toutes ses Epîtres déposeront toujours pour lui au tribunal des Connoisseurs. Il a fait ceder, dit-on, la nature aux lents efforts d’un travail obstiné : ce n’est point la nature chez lui qui étoit indocile, c’étoit le goût qui étoit sévere & impérieux. Le génie est toujours lent dans ses productions, la médiocrité toujours rapide. Si l’Auteur du Lutrin avoit voulu se livrer à son imagination, peut-être l’avoit-il aussi brillante & aussi facile que beaucoup d’autres : mais comme il ne trouvoit rien de beau que le vrai, il aimoit mieux être solide qu’ingénieux, & marcher dans le terrein sauvage de la vérité, que de se perdre dans la région brillante des paradoxes.

On le taxe encore d’être froid, sans [88] verve, sans fécondité ; de n’avoir qu’une gayeté pénible. Jamais un Vers n’est parti de son cœur, il ne faut qu’ouvrir ses ouvrages pour refuter ces imputations. Je tombe sur une Epître au Roi, & je trouve cette peinture.

Nível 3► Au pieds du Mont Adulle, entre mille roseaux,

Le Rhin tranquille & fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d’une main sur son urne penchante :
Dormoit au bruit flateur de son onde naissante :
Lorsqu’un cri, tout-à-coup, suivi de mille cris,
Vient d’un calme si doux retirer ses esprits :
Il se trouble, il regarde, & par-tout sur ses rives
Il voit fuir, à grands pas, ses Naïades craintives,
Qui toutes accourant vers leur humide Roi,
Par un récit affreux redoublent son effroi. ◀Nível 3

Voici un autre morceau tiré du Lutrin.

Nível 3► Là, parmi les douceurs d’un tranquille silence, [89]

Regne sur le duver une heureuse indolence ;
C’est-là que le Prélat muni d’un déjeuner,
Dormant d’un leger somme, attendoit le dîner.
La jeunesse, en sa fleur, brille sur son visage :
Son mention sur son sein descend à triple étage . . . . ◀Nível 3

Cela est-il pénible, contourné !

Nível 3► L’air qui gémit du cri de l’horrible Déesse *1 ,

Va jusque dans Citeaux réveiller la mollesse ;
C’est-là qu’en un dortoir elle fait son séjour :
Les plaisirs nonchalans solâtrent à l’entour.
L’un paîtrit dans un coin l’embonpoint des Chanoines,
L’autre broye en riant le vermillon des Moines . . . ◀Nível 3

Le discours de l’Horlogere n’est-il pas plein de sentiment ? est-ce le travail qui a produit ces Vers ?

Nível 3► Où vas-tu, cher époux ! est-ce que tu me fuis ! As-tu donc oublié tant de si douces nuits ?

Quoi ! d’un œil sans pitié tu vois couler mes larmes !
[90] Au nom de nos baisers, jadis si pleins de charmes . . . ◀Nível 3

Est-ce l’enclume qui a forgé ceux-ci.

Nível 3► La plaintive Elégie, en longs habits de deuil,

Sçait, les chevaux épars, gémir sur un cercueil.
. . . . . . . . . . . . . . . 
. . . . . . . . . . . . . . . 
Telle qu’une Bergere au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et sans mêler à l’or l’éclat des diamans,
Cueille, en un champ voisin, ses plus beaux ornemens. ◀Nível 3

Le Lutrin & l’Art poétique sont partout écrits sur ce ton : c’est par-tout la même harmonie, la même abondance, la même pureté, le même naturel ; que prétend donc l’Auteur de l’Epître aux Poëtes? on doit sans doute déferer beaucoup à ses opinions; sa Muse nous a déja enrichis de quelques productions; je ne sçais ce qu’elle nous donnera dans la [91] suite, mais il me semble qu’il faut se sentir bien de la chaleur pour oser avancer que Boileau est froid, bien de la verve pour l’accuser d’en manquer, bien de la fécondité, pour lui reprocher de la sécheresse & de la stérilité.

Si quelqu’un, de nos jours, avoit le droit de juger Boileau, c’étoit M. de Voltaire, qui a remplacé, pour ainsi dire, tous nos grand Poëtes par le talent le plus rare, & le plus universel: cependant avec quel ménagement, quel respect ne parle-t-il pas de lui dans son Temple du Goût? il le place dans le sanctuaire du Temple, il en fait le législateur de notre Parnasse. Voici comme il s’exprime.

Nível 3► La regnoit Despreaux maître en l’art d’écrire.

Lui qu’arma la raison du vers de la satyre,
Qui donnant le précepte & l’exemple à la fois
Etablit d’Apollon les rigoureuses loix.
. . . . . il semble encor leur dire,
[92] Ou sçachez vous connoître, ou gardez-vous d’écrire. ◀Nível 3

Excellente leçon! tel est le langage de la supériorité,

Metatextualidade► J’ai cru pouvoir hazarder mes réflexions sur cette matiere, sans blesser la délicatesse de ceux dont je combats le systême, en rendant justice à leur mérite. Rien de plus dangereux que le despotisme qui s’introduit depuis quelque tems dans les Lettres : tous les esprits y sont ou tyrans, ou esclaves ; si quelque parti domine, on applaudit à ses paradoxes, tandis que l’autre ose à peine bégayer quelques vérités. Cette tyrannie annonceroit, selon moi, la décadence prochaine des Lettres & des Arts : la mâle liberté d’écrire peut seule hâter la lenteur de leurs progrès ; c’est du choc de différents lumieres réunies que naît enfin le jour de la raison. Pour moi, ennemi des disputes littéraires qui troubleroient mon repos, je n’ai élevé une voix foible, & qui ne [93] sera peut être pas entendue, que parce qu’on attaquoit des goûts qui contribuent à mon bonheur. J’aime la Poésie, j’adore les Anciens, & je ne changerai point de culte jusqu’à ce que les Modernes les surpassent. On peut renoncer à des systêmes, jamais à des sentimens. ◀Metatextualidade ◀Nível 2 ◀Nível 1

1* La Discorde.