Sugestão de citação: Jacques-Vincent Delacroix (Ed.): "Discours IX.", em: Le Spectateur françois ou le Nouveau Socrate moderne, Vol.1\009 (1790), S. 181-200, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4418 [consultado em: ].


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N°. 9.
Discours IX.

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Sur le génie des Femmes comparé à celui des Hommes.

Lorsque dans l’Illiade d’Homere la femme d’Hector s’entretient avec son époux sur le combat où il alloit s’engager, ce héros la prie de lui en laisser la conduite, de se retirer dans son appartement avec ses femmes, et de borner ses soins à celui de sa quenouille : ce poëte veut insinuer par là, que chaque sexe a un genre particulier d’administration, soit politique ou civile, dont il ne doit pas sortir. Qui le diroit ! c’est cette misérable quenouille, comparée à l’épée, qui a donné lieu au plus grand procès qui ait été dans le monde. Il est question de savoir dans celui-ci auquel des deux [182] sexes on doit donner la préfèrence pour l’esprit et le génie : le mal est que ce procès est d’une nature à ne pouvoir être jugé faute de tribunal légal, puisque les hommes et les femmes sont juges et partie dans la même cause.

En attendant, il n’y a point d’outrage qu’on ne fasse au sexe. Après lui avoir donné tous les défauts qui peuvent le rendre méprisable dans la société civile, on a poussé l’insulte jusqu’à dire qu’il n’entreroit point dans le paradis, que ce séjour de délices n’étoit pas fait pour lui. Il y a même un peuple (I1 ) entier qui soutient par l’autorité de ses livres sacrés, que les femmes n’ont point d’ame : malheureux ce peuple, qui croit que le plus joli morceau de chair qui existe sur la terre ne soit qu’un composé de matiere !

En qualité de grand admirateur du sexe dont j’ai toujours été le très-humble esclave, je vais défendre ici sa cause, qui, si elle n’est pas la plus juste, est au moins la plus belle, au sentiment d’un célebre auteur anglois (I2 ), qui dit : que les femmes sont composées de la plus fine porcelaine du genre-humain. Il est vrai que ce philosophe galant oublie de dire que c’est aussi la plus fragile.

Nível 3► Narração geral► Metatextualidade► Quoi qu’il en soit, je vais faire ici le récit d’une dispute qu’il y eut derniérement à ce sujet entre un homme et une femme, où je me trouvai comme simple spectateur dans une [183] assemblée mêlée. Au reste, je ne suis ici que le Rapporteur des pieces justificatives de part et d’autre, sans prétendre prononcer sur le fond du procès. ◀Metatextualidade

L’affaire s’engagea à trois heures après midi, et ne finit qu’à huit heures du soir. La dame, qui défendott <sic> son sexe, étoit vive et gentille. Elle avoit des belles dents, qui est la partie essentielle de l’orateur ; d’ailleurs, le ton décisif, comme l’ont la plupart des jolies femmes.

Le cavalier qui défendoit la cause des hommes, étoit trop galant pour vouloir avoir raison avec sa belle adversaire : aussi n’employa-t-il que des raisonnemens vagues, des lieux communs, dont on se sert depuis deux mille ans contre les femmes.

Diálogo► De tout tems, dit le cavalier en commençant, nous avons été les plus fermes appuis des empires par notre force et notre courage.

Je le crois bien, dit la dame ; vous faites tout ce que vous pouvez pour nous affoiblir l’esprit et le corps, et vous dites ensuite que vous êtes les plus forts : mais qui vous a dit que la bravoure et le courage ne soient pas égaux entre les deux sexes. Eprouvez-nous dans les qualités et les exercices que l’éducation n’a point affoiblis, et nous verrons si vous êtes les plus forts ?

Lorsqu’il a fallu que nous fissions la guerre, nous l’avons portée dans les lieux les plus reculés de la terre.

C’est-à-dire, que depuis la création du [184] monde, vous avez égorgé la moitié du genre-humain : vous avez fait là un bel ouvrage ; vantez-vous-en. Mais si c’est par là que vous avez l’avantage sur nous, les lions ont l’avantage sur vous ; eux qui dévorent tous les hommes qu’ils trouvent. Voici, ajouta-t-elle, une étrange contradiction de l’esprit humain. Lorsque la fureur des armes ne vous agite point, que le plaisir et la molesse vous retiennent auprès de votre foyer, vous vous récriez contre cet art ; vous lui donnez le nom de brigandage militaire. Arrive-t-il une révolution dans la politique à vous prenez les armes, et vous cherchez à vous faire honneur de ce même fléau que vous avez méprisé, et à qui vous donnez le nom de gloire.

Nous perpétrons la société, nous peuplons le monde.

Quoi ! tous seuls ? J’espere que vous voudrez bien nous faire la grace de croire que nous y entrons pour quelque chose ; j’ose même dire pour plus que vous : car, monstres que vous êtes, si lorsque nous sommes liées avec vous par l’hymen, et que vous vous livrez à vos passions déréglées, si nous ne vous retenions pas par nos pleurs, par nos larmes, vous ne manqueriez pas de vous livrer aux courtisannes, vice honteux, qui sans remplir l’objet du mariage, n’en représente que les plaisirs.

Nous avons fait des livres.

N’en eussiez-vous jamais fait. Ce sont vos livres qui ont garé l’esprit. Avant que vous eussiez mis la plume à la main, on avoit du génie ; maintenant [185] on n’a que des saillies. Citação/Divisa► La fureur de la plupart des françois, dit un philosophe moderne, c’est d’avoir de l’esprit ; et la fureur de ceux qui veulent avoir de l’esprit, c’est de faire des livres. Cependant, ajoute-t-il, il n’y a rien de si mal imaginé. ◀Citação/Divisa La nature sembloit avoir sagement pourvu à ce que les sottises des hommes fussent passageres, et les livres les immortalisent. Un sot devroit être content d’avoir ennuyé ceux qui ont vécu avec lui ; il veut encore tourmenter les races futures. Il veut que sa sottise triomphe de l’oubli, dont il auroit pu jouir comme du tombeau. Il veut que la postérité sache qu’il a vécu, et qu’elle soit informée à jamais qu’il a été un sot. Voilà l’histoire universelle des livres et des auteurs. S’il y a quelque exception, elle est si petite, qu’elle ne change rien à la regle générale.

Nous possédons les sciences.

Voilà précisément la raison pourquoi vous êtes des ignorans ; puisque le prince des philosophes a dit, que la premiere de toutes les sciences, est celle de ne savoir rien. C’est ce même savoir qui a jetté le trouble et la confusion par-tout ; car lorsqu’un savant prouve qu’il est jour, un autre démontre qu’il est nuit : de maniere qu’en fait de savoir, aujourd’hui, il n’est ni jour ni nuit.

Nous avons établi les académies.

Ce n’est pas ce que vous avez fait de mieux. Voyez celle qui porte le nom de Françoise ; les membres qui la composent ne sont pas plutôt réunis, que la maladie de jaser vient [186] les attaquer. N’est-ce pas là un bel établissement que celui de s’assembler pour s’encenser et se louer ?

Nous sommes législateurs.

Hélas ! oui, pour le malheur du monde, et sur-tout pour celui de ces derniers temps, puisque votre maladie est d’être des innovateurs, oubliant cette premiere maxime du gouvernement politique : que les anciennes lois sont des préceptes, et les nouvelles des abus. Mais les faiseurs de lois de nos temps modernes n’entendent pas ce langage : il faut qu’ils bouleversent, qu’ils renversent, qu’ils changent tout, pour rétablir tout.

Nous sommes politiques.

Bon ! nous y voilà : c’est-à-dire, des hommes sans foi et sans loi, honneur ni probité. Un auteur anglois a dit : que tous les beaux esprits méritoient d’être pendus. Je crois qu’il s’est trompé de potence, qu’il a voulu dire les politiques. Un bel esprit n’est souvent qu’un sot, un fat, qui mérite compassion ; au lieu qu’un politique est ordinairement un fourbe, Un scélérat, qui a mérité plusieurs fois la corde. Je pourrois vous en citer mille exemples ; mais je me bornerai à deux. Exemplum► Si on avoit pendu Cromwel, il n’auroit pas fait mourir Charles I son roi. ◀Exemplum Exemplum► Si on avoit fait renfermer Richelieu, il n’eût pas gouverné la France en tyran. ◀Exemplum

Nous avons été les premiers orateurs qui aient professé l’éloquence.

Point du tout, c’est nous ; puisqu’Aspasie, (femme ne vous en déplaise,) en donna les [187] premiers éléments à Socrate. D’ailleurs, l’éloquence nous revient de droit, puisque nous la tenons de la nature. On dit que Demosthene se mettoit de petits cailloux dans la bouche pour se délier la langue, afin de parler avec plus de facilité. Oh ! pour nous, nous n’avons pas besoin de petits cailloux ; graces au ciel, les fibres de ce petit instrument sont si déliés, que notre langue va d’elle-même ; c’est un tocsin perpétuel ; nous pouvons parler six heures sur rien, au lieu qu’il y a peu d’hommes qui en puissent pérorer deux sur quelque chose, à l’exception de ces orateurs mercenaires, dont les parlemens et les assemblées nationales abondent, qui travaillent à leurs pieces, et qui sont payés à tant le rôle.

Nous gouvernons le monde.

Point du tout ; encore c’est nous : celui-ci est notre grand département. Si vous parcourez les cabinets, les tribunaux, les corps de magistrature, vous y trouverez toujours une femme cachée derriere un homme. Nous gouvernons la cour comme la ville. Exemplum► En lisant l’histoire moderne, on y voit un Louis XIV qui aspiroit à la possession de tous les états de l’Europe, borner son ambition à posséder une femme qui le gouverna pendant trente ans. ◀Exemplum Exemplum► Louis XV éprouva le même sort ; deux femmes sans nom gouvernerent l’empire. ◀Exemplum Exemplum► On dit des Romains, qu’ils commandoient à toutes les nations, et qu’ils obéissoient à leurs femmes. ◀Exemplum

Il est vrai qu’aujourd’hui il n’y a en France ni roi, ni princes, ni pairs, ni ducs, ni comtes, [188] ni marquis, ni grands ; mais la nation entiere nous reste en la personne de ses représentans. Nous en avons déja trois ou quatre cents dans nos filets, qui sont nos très-humbles esclaves. On ne sauroit croire combien il nous est facile de faire la loi à ces législateurs : ils tonnent en public ; mais ils sont doux comme des agneaux en particulier. Ce qui nous dégoûte de ces faiseurs de décrets, c’est qu’ils sont pauvres comme des rats d’église. Les dix-huit francs que la nation leur donne pour renverser l’empire, suffisent à peine pour pénétrer jusqu’à notre anti-chambre.

Nous représentons la nature : c’est nous qui avons inventé les scenes ; nous sommes comédiens.

Pas tant que nous, j’espere. Vous n’êtes sur le théâtre que deux ou trois heures par jour ; au lieu que nous jouons la comédie depuis le matin jusqu’au soir, et cela avec d’autant plus de succès, que nous vous représentons ce que vous êtes, c’est-à-dire, des sots.

Nous sommes médecins.

Tant pis pour vous, ou, pour mieux dire, tant pis pour tous. On diroit que cet art porte la mort avec lui. C’est une regle générale, que plus il y a de médecins dans un état, et moins il y a d’hommes.

On m’a parlé d’une ville dans le nord de l’Europe, où il est défendu, sous peine de la vie, d’exercer la médecine : on y vit des sieclès ; elle est remplie de vieillards ; il faut assommer les hommes pour les enterrer.

[189] Nous sommes peintres.

Mauvais. Depuis Raphaël, il ne s’est pas fait un tableau qui mérite qu’on le nomme. Les peintres d’aujourd’hui ne font que copier les ouvrages de ce grand homme : or, rien n’affoiblit plus le pinceau que la copie pittoresque. Tout peintre qui n’imagine pas, n’est point artiste. On a donné dans le portrait, ce qui marque une sécheresse dans le génie. La derniere fois que je fus au cabinet de peinture du Louvre, où chaque professeur expose toutes les années ses travaux aux yeux du public, je comptai cent visages pour un tableau ; cependant ce dernier est la premiere partie de cet art, parce qu’il transmet à la postérité les principaux événemens de chaque siecle ; au lieu que le portrait va s’ensévelir avec la cendre de celui qu’il représente, parce qu’après une génération ou deux, il ne reste aucun modele pour le comparer.

Nous sommes architectes.

Plus mauvais encore. Il faut distinguer l’architecture d’avec la maçonnerie ; il suffit des bras pour celle-ci, au lieu qu’il faut du génie pour celle-là. Cet art qui fut du temps des Grecs et des Romains le plus bel ornement du monde, est réduit de nos jours à entasser des pierres les unes sur les autres, sans goût, sans génie. On parle beaucoup de Sainte-Sophie, qu’on regarde comme un morceau d’architecture comparable à ceux des anciens : pour moi, je ne connois point de monument qui ressemble plus à un moulin-à-vent, que celui [190] de cette église ; il ne lui manque les aîles : on diroit qu’elle va prendre le vol, à l’exemple de la Santa-Caza de l’Eurete, qui fit le voyage dans les airs depuis la Palestine jusqu’en Italie.

Voyez les édifices pour les amusemens publics. On a mis le théâtre d’Arlequin dans une église, et celui de Pourceaugniac dans un temple.

Examinez le jardin du palais-royal, monument rempli de fautes d’architecture. Voyez le cirque, ce caveau informe, plein de défauts d’architecture. ◀Diálogo

En cet endroit, la dispute finit, dont la dame sortit triomphante, ce qui me fit souvenir de ces vers de Virgile : Citação/Divisa► Hæc memini et victum frustra contendere Thyrsint. ◀Citação/Divisa ◀Narração geral ◀Nível 3

Metatextualidade► Pour venir à la morale de ce discours sur le préjugé établi à l’égard de la préférence sur l’esprit et le génie qu’on doit à l’un des deux sexes, je dirai qu’il y a une chose remarquable dans cette fameuse querelle qui dure depuis la création du monde ; je veux dire que pour la résoudre, on n’a jamais établi de principes généraux tirés de la nature des choses. Pour juger si l’un des deux sexes est inférieur à l’autre, il faut établir l’égalité dans l’éducation, les faire passer par les mêmes écoles, leur apprendre les mêmes sciences, leur donner les mêmes talens, les mêmes maîtres, alors celui des deux sexes qui sortiroit de ces exercices dans un état de supériorité, seroit le supérieur.

[191] Je ferai ici une remarque qui a échappé à tous les auteurs qui ont traité cette matiere avant moi. Si, en général, on réfléchit à l’éducation qu’on donne aux hommes, on trouvera qu’on le divise presque en autant de branches, qu’il y a d’individus qui la reçoivent. Par exemple, si un pere de famille découvre dans son fils la moindre vocation pour le sanctuaire, il lui donne des maîtres qui l’instruisent dans les sciences propres à le faire distinguer dans l’église. Si au contraire un pere s’apperçoit que son fils a du goût pour les armes, il l’envoie dès sa premiere jeunesse à la guerre pour le former à bonne heure dans l’art militaire : ainsi de la robe, ainsi du commerce, ainsi de toutes les professions qui distinguent les hommes dans la société politique et civile.

Il n’en est pas de même des filles, à qui, en général, on ne donne guere qu’une sorte d’éducation, indépendamment de leur humeur, de leur caractere, ou de leur fortune, qui se réduit aux qualités qui les font passer pour aimables. Pour arriver à ce but principal, les peres et meres s’y prennent de bonne heure.

Saint Evremont dit dans ses Œuvres mêlées : lorsque les filles arrivent à un certain âge, on leur donne le titre flateur de maîtresses, et on leur persuade que l’unique soin est de penser à plaire aux hommes. Là-dessus celles commencent à s’ajuster et à faire dépendre toutes leurs espérances, de l’ornement de leur personne. Mais je prendrai la cause de plus loin, je remonterai aux principes de leur éducation.

[192] Une fille a à peine atteint l’âge de huit ans, qu’on la met entre les mains de M. Rigodon, qui lui éstropie les jambes pour lui apprendre à porter les pieds. Il lui enseigne d’abord à faire la révérence et à se présenter dans une compagnie de bonne grace. Pour peu que l’enfant ait de l’intelligence, et le maître du talent, elle ne perd gueres que deux ans à ce noble exercice, le premier de tous : car en bonne éducation féminine, il faut qu’une demoiselle sache danser avant de savoir parler.

A la suite de M. Rigodon, paroit M. Piano-forte, Maître de Clavecin, qui lui place ses petits doigts sur des morceaux d’ébene, ou d’ivoire. Dès la premiere leçon, elle entend des sons qui lui donnent des sensations. Il est vrai qu’elle ne sait pas ce qu’elle sent ; mais elle sent, et c’est déjà beaucoup pour une petite fille que de sentir.

Après ces deux professeurs, vient M. Arietta, maître de musique vocale. Comme pour l’ordinaire, celui-ci est Italien, dès la premiere leçon, il lui dit dans son idiome : Signorina bisogna cantare di buon gusto. Qu’est-ce que c’est que ce gusto, lui demande l’enfant. Il gusto, è il gusto. En attendant el gusto <sic>, il lui fait perdre le goût de la vertu, en lui faisant passer les années les plus précieuses de sa vie à recevoir les premiers principes du chant. Pendant tout ce petit manege, la fille de chambre ne perd pas son tems ; elle lui met un collier de fer au cou pour l’accoutumer à porter la tête droite, la coeffe avec des rubans, et [193] des pompons couleur de feu, lui façonne sa petite gorge, et lui recommande sur toutes choses de se rendre aimable, sous peine, si elle y manque, de n’avoir point de mari. La petite fille, qui a déjà onze ans, creuse son cerveau pendant la nuit, pour savoir ce que c’est que ce mari dont on lui parle tant. Elle se démene de tant de façons, et s’y prend de tant de manieres, qu’à la fin, elle découvre la chose. Dès ce moment, elle sait tout : elle n’a pas besoin d’autre maître que celui de la nature, pour savoir ce qu’on vouloit lui tenir caché.

Le reste de son éducation, jusqu’à seize ans, se réduit à plaire ; et comme ce noble art ne s’apprend pas en chambre, elle galope à côté d’une mere, d’une tante, ou d’une vieille cousine, les théâtres de l’Opéra, de la Comédie Françoise, de l’Italienne, sur-tout le jardin du palais royal, où une jeune demoiselle apprend à marcher devant cinq à six cens hommes qui la passent en revue.

Comme il faut qu’elle ait de l’esprit, ne fut-ce que pour faire semblant d’en avoir dans les premieres visites de son mariage, on lui donne des livres à fictions à lire ; ce qui ne manque pas de produire cet admirable effet, qu’on remarque dans celles qui ont lu la célebre bibliotheque des romans. A l’âge de 21 à 22 ans, on la livre à un mari qui la lâche dans le monde : voilà en général ces femmes qui disputent aux hommes l’empire du monde et celui des connoissances et du savoir.

[194] Cependant, on dit continuellement que les femmes sont d’une création inférieure à celle des hommes. A qui en est la faute ? Ce n’est pas certainement à la nature, qui n’est imparfaite dans aucune de ses productions ; c’est à l’éducation. Elevez un garçon comme une fille, et une fille comme un garçon, je crois que le garçon sera plus fille que la fille ne sera garçon. Il arriveroit de cette hypothese, que le sexe, toute chose égale d’ailleurs, auroit l’avantage, puisque les principes de l’éducation influeroient plus sur lui que sur l’autre. Je puiserai le sujet dans un autre discours. ◀Metatextualidade

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Suite des grandes époques.

Henri IV.

Retrato alheio► On peut regarder le régne de ce prince comme le précurseur du siécle de Louis XIV, soit par la révolution qu’il causa dans les esprits, la politique dont il jetta les premiers fondemens, ou par l’ambition qu’il fit naître dans tous les cœurs. Henri IV fut un des plus grands rois dont l’histoire ait jamais fait mention. Il avoit appris l’art de régner à l’école de l’adversité qui est la seule qui puissent former un grand roi. Par un bonheur assez rare, à la cour des souverains, Sully son ami et son ministre, fut le plus grand homme d’état [195] qui ait jamais gouverné la France. Cet agent de la couronne avoit l’esprit assez vaste pour embrasser toutes les parties du gouvernement politique et économique. Il rétablit l’ordre dans les finances. Il fut le premier qui déchira le voile qui cache les monopoles des gens d’affaires.

A la mort d’Henri IV, la France tomba dans le premier cahos où elle étoit auparavant. ◀Retrato alheio

Louis XIII.

Retrato alheio► Ce monarque qui lui succéda, monta sur le trône dans un tems, où le gouvernement François avoit de grandes discussions avec les cours étrangeres. Des intérêts délicats, mais ménagés, des pertes à rétablir, une grande monarchie à diriger, et une gloire à réparer.

Il eût fallu pour cela un prince d’une politique profonde, qui eût eu le coup d’œil juste, des lumieres étendues, l’art de manier les esprits factieux, occuper les inquiets et contenir les mécontens. Ce prince au contraire, avoit l’esprit foible, n’ayant point de caractere, sans vertus comme sans vices ; aimant mieux vivre dans l’obscurité d’un particulier, que de régner avec éclat sur le trône. On a dit de Charles II, qu’il n’avoit pas été roi un seul quart-d’heure de sa vie. On peut dire que Louis XIII ne régna pas un seul jour pendant vingt-cinq ans qu’il porta la couronne. ◀Retrato alheio

[196] Richelieu.

Retrato alheio► Ce ministre qui avoit dirigé l’empire des François, pendant que Louis XIII étoit caché derriere son trône, avoit un caractere à lui, qu’il ne devoit qu’à son caractere, ou pour mieux dire, qu’à son ambition. Dévoré du désir, de dominer, et de régner seul, il ne fut pas plutôt à la tête du gouvernement, qu’il lui communiqua toute sa chaleur. Grand dans toutes ses vertus, extrême dans chacun de ses vices, il ne perdit pas le tems à dénouer le nœud gordien de ce tems-là, il le coupa. Il établit pour maxime fondamentable <sic> : que dans une monarchie, il ne doit y avoir qu’un roi, un ministre et des sujets, c’est-à-dire en langue orientale, un sultan, un visir, et des esclaves. Il ne vouloit point de rangs intermédiaires. Il ne donnoit d’autre appui au trône, que celui du trône lui-même. Quand cet homme, dit le président Montesquieu, n’auroit pas eu le despotisme dans le cœur, il l’auroit eu dans la tête.

Au masque imposant de ses vertus, il joignoit le talent imposteur de donner de l’éclat à ses vices. Il étonna l’Europe par le brillant de son esprit, et encore plus par l’audace de son génie. Il devint l’arbitre de tous les événemens, et le maîre de la république générale. Son ambition commença par où celle des plus grands ministres finit. C’est néanmoins un problème en politique, si Richelieu fut un [197] grand homme d’état, ou un génie ordinaire. Ce qu’il y a de très-vrai, c’est qu’aucun de ses projets ne réussiroit dans nos tems modernes, et que ce que l’on regardoit alors comme des plans admirables, seroit regardé aujourd’hui, indépendamment de leur attrocité, comme des fautes politiques : tant il est vrai que ce sont les circonstances qui font les ministres, et que tel qui est un grand homme d’état dans un tems, est un très-petit génie dans un autre.

D’ailleurs, Richelieu avoit tous les vices des ames foibles. Il ne pardonna jamais a ses ennemis, et fit mourir tous ceux qui tramerent contre sa vie. Il conserva la rancune jusqu’au tombeau : voilà ses vices en qualité de ministre. Comme auteur, il eut un amour-propre qu’on reproche aux écrivains ; car il se piquoit de l’être, quoiqu’il n’eût aucuns talens qui en en <sic> font mériter le nom. Mais cette petitesse d’écrivain se perdoit dans la grandeur des qualités du ministre. Il força routes <sic> les cours de reconnoître la France pour la premiere puissance de l’Europe. Il commanda en maître dans tous les gouvernemens ; et il est à présumer qu’il eût élevé la maison de Bourbon au-dessus de toutes celles de l’Europe, si la mort ne l’eût surpris au milieu de ses projets ambitieux. Ce ministre, avant sa mort, avoit établi qu’il falloit que la France fit continuellement la guerre pour acquérir par les armes cette supériorité qu’elles seules peuvent donner. Il est triste qu’on puisse reprocher à un homme d’é-[198]glise d’avoir fait une maxime de puissance et de grandeur du plus grand de tous les maux. Il l’a fondé sur l’équilibre de l’Europe, sur cette balance idéale dont on a toujours parlé, et qui n’a jamais existé. ◀Retrato alheio

Le grand Condé.

Après la mort de Richelieu, il falloit une grande victoire à la France pour rétablir la puissance de son empire que tant de secousses avoient ébranlée. La bataille de Rocroy se donna : la victoire fut due au duc d’Anguien, fils du prince de Condé, à qui on avoit donné le commandement de l’armée de Flandre. Il est certain que Condé étoit le plus grand capitaine de son tems, dans un âge où l’on a à peine commencé la carriere de la gloire ; ce qui prouve que les grands hommes peuvent se passer de l’expérience, et qu’ils trouvent en eux toutes les vertus des héros sans le secours de l’éducation.

On trouve dans plusieurs livres, que Condé la veille de l’action, après avoir donné les ordres nécessaires, s’endormit d’un sommeil plein, et qu’il fallut l’éveiller le lendemain pour donner la bataille. On a dit de même d’Alexandre ; mais cette anecdote n’ajoute rien à la gloire de ces deux héros.

Après la bataille de Rocroy, et une seconde aussi glorieuse que la premiere, la France acquit une gloire dont elle n’avoit pas joui depuis plusieurs siecles : mais par une fatalité [199] attachée à ce trône, la cour détruisit par ses intrigues et sa cabale la puissance que Condé venoit de donner au trône par ses armes.

Minorité de Louis XIV.

L’enfance des rois est la partie foible du gouvernement monarchique. C’est ce que la France éprouva après la mort de Louis XIII.

Retrato alheio► Anne d’Autriche, à qui le parlement avoit donné la régence, n’avoit ni assez de génie, ni assez de lumieres pour diriger l’empire. Ce n’est pas qu’elle manquât d’ambition. Pour l’ordinaire, ceux qui n’ont pas assez d’esprit pour gouverner un état, aspirent au gouvernement. Cependant cette princesse eut assez de modération pour se persuader qu’il lui falloit un maître pour conduire les affaires de l’empire, et elle s’en donna un en la personne de son ministre. ◀Retrato alheio

Mazarin.

Retrato alheio► Le portrait de Mazarin n’a pas été flatté. Son nom n’a échappé à aucun de ceux qui ont eu à parler contte <sic> son ministere : mais si l’on fait attention que ce premier agent de la couronne surmonta tous les obstacles qui s’opposoient à son élévation, qu’il dissipa toutes les intrigues et les cabales qui se formerent contre lui, et qu’il se mit au-dessus de tous les grands coups du sort, on verra bien que ce n’est pas un homme ordinaire. Les places que le génie [200] et le talent donnent, sont sujettes comme les autres : ce malheur à tout homme d’état qui servit à un parti qui devient le dominant.

Il vient toujours dans l’esprit que le ministre a besoin d’une grande étendue de lumieres, sur-tout un génie supérieur, pour diriger l’empire : on se trompe. Un esprit d’ordre et de méthode, suivi d’un travail constant relatif à la chose publique, vaut mieux que ces génies transcendans, qui, pour diriger tout, gâtent tout ; en un mot, c’est le caractere qui fait le ministre.

Ce qui prévient en faveur de Mazarin, c’est que Richelieu l’avoit désigné pour son successeur ; et Richelieu n’étoit pas homme à se méprendre en fait de caractere. Ce grand politique prévoyant les troubles qui après sa mort devoient agiter la France, crut que sa modération apparente, sur-tout ses détours et ses sinceres, seroient plus utiles à la France que la sincérité et la droiture. Il n’est pas impossible que les vices qui le déshonnorerent le plus, fussent ceux qui le servirent le mieux. Il est certain du moins que jamais mortel ne cacha tant d’ambition sous le masque de la modération. Mazarin étoit italien : et c’est assez l’ordinaire de ceux de cette nation, de montrer beaucoup de désintéressement pour les choses qu’ils souhaitent le plus ardemment. Un ministre françois obtient la premiere place par son ambition. Un italien y parvient par la duplicité, la feinte et la dissimulation. ◀Retrato alheio ◀Nível 3 ◀Nível 2 ◀Nível 1

1(I) Le Peuple Juif.

2(I) M. Dridem.