Sugestão de citação: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours C.", em: Le Mentor moderne, Vol.2\100 (1723), S. 394-401, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4300 [consultado em: ].


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Discours C.

Citação/Divisa► Poetarum veniet manus, auxilio quæ sit mihi. Horace.

Une troupe de Poetes va venir à mon secours. ◀Citação/Divisa

Nível 2► Il n’y a rien qui prouve d’une maniere plus évidente, qu’un Ecrivain n’a ni gout ni discernent, que sa methode décisive de juger d’un Auteur, pour ainsi dire, sur l’Etiquette du sac, sans distinguer ce qu’il y a de bon, d’avec ce que l’on peut y trouver de mauvais. Ces décisions vagues sont sur-tout impertinentes, quand elles ont pour objet des auteurs, qui se sont attiré de l’estime dans une longue suite de siecles. Quelques ridicules quelles soient, elles ne [395] laissent pas d’être fort en usage chez la plûpart de nos critiques modernes. Leur admiration est aussi vague que leur mépris. Homere, Virgile, Sophocle, se sont attiré les éloges des savants de tous les ages, en voilà assez pour que tout garçon bel-esprit n’en parle qu’avec transport ; ces mêmes savans ont jugé d’une maniere moins favorable d’autres auteurs de l’Antiquité, ils ont donné à ces derniers un rang inférieur, voilà qui suffit à nos petits critiques, pour ne leur point donner de rang du tout : comme ils élevent les uns jusqu’au ciel sans trop savoir pourquoi, ils foulent les autres aux pieds par des raisons de la meme force.

Strada s’y prend d’une maniere bien differente, en apreciant le merite des Poetes Latins, dans sa fable, dont j’ai commencé de tracer un plan. Je le continuerai aujourd’hui en donnant à mes Lecteurs un recit en Prose des sujets de chaque Poeme, qui fut recité dans l’assemblée savante, dont j’ai fait mention ; ceux qui se sont familiarisez avec les auteurs, dont il s’agit ici, verront avec combien de discernement chaque matiere est proportionnée au genie du Poete, a qui on la fait traiter, & avec [396] quel gout fin chacun de ces grands hommes est caracterisé, dans le jugement, qu’on donne de son ouvrage.

Celui qui devoit representer Lucain fut le premier qui parut sur la Scene. Comme il étoit Espagnol, son Poeme semble fait exprès pour faire honneur à sa Nation, dont en même tems le caractere romanesque donne de la probabilité à son sujet : le voici :

Nível 3► Narração geral► Alphonse étoit Gouverneur d’une Ville assiegée par les Mores, son fils unique ayant été fait leur prisonnier dans une sortie, ils le menent devant les remparts & l’exposent aux yeux du Pere, en protestant qu’ils le tueroient à sa vue, s’il differoit de rendre la ville. Ce genereux Pere leur repond, que s’il avoit cent fils, il aimeroit mieux les voir tous perir, que de trahir sa Patrie, & que de faire même la moindre lacheté ; mais, continue-t-il, si vous trouvez tant de plaisir à verser le sang innocent, voici mon épée, vous pouvez-vous en servir. Là-dessus il leur jette son épée par dessus les remparts, retourne à son Palais, & se met à table d’un air froid, & tranquille ; au milieu du repas, ses oreilles sont frappées par des cris confus poussez en même tems par [397] les ennemis, & par les assiegez ; il se leve, il court vers les murs, & il voit son fils à demi mort nager dans son sang ; mais loin de faire voir à ce funeste spectacle la moindre marque de foiblesse, il censure la douleur de ses Soldats, & de ses amis, & il la force d’aller se remettre à table. ◀Narração geral ◀Nível 3

Le recit de cette Histoire admirablement bien exprimée dans le stile & dans le gout de Lucain, fut suivi d’un long murmure où se confondoient les critiques & les applaudissemens des auditeurs. Chacun jugeoit de cette Piece conformement à la prévention favorable, où desavantageuse, où il étoit par rapport à Lucain ; ces préjugez étoient si directement contraires, que les uns l’élevoient par dessus tous les Poetes Latins, tandis que les autres lui réfusoient jusqu’au titre de Poete. Les plus judicieux pourtant déclarerent que le genie de Lucain étoit grand jusqu’au prodige, mais trop farouche & trop indocile pour se laisser imposer le joug de l’art ; que son stile semblable a son tour d’esprit, étoit élevé, hardi, vif, mais trop ami de l’ostentation & de l’enflure. Enfin, que ce Poete sembloit avoir préferé une réputation étendue, [398] à une réputation bien fondée, & que l’impetuosité de son imagination l’avoit porté à souiller par ces expressions temeraires la pureté de la langue Romaine.

Lucrece succeda à Lucain ; il commença par dire à l’Assemblée, qu’elle verroit bientôt la difference entre un Espagnol Latinisé, & un Poete né à Rome même ; & après ce court exode il entra en matiere.

Nível 3► Narração geral► Deux amis inventerent un moyen très particulier d’entretenir ensemble un commerce de pensées ; ils avoient découvert un aimant d’une telle vertu, que lorsqu’il avoit touché deux éguilles, l’une ne se mouvoit que l’autre n’en fit autant, & de la même maniere, quelque distance qui les séparât. Les deux amis ayant chacun une des éguilles frottées à cet aimant extraordinaire le poserent sur une plaque semblable à celle d’un Horloge ; & y firent graver les vingt & quatre Lettres de l’Alphabet, de telle maniere qu’elles environnoient l’éguille en question, qui étoit dressée en sorte qu’elle put tourner sans le moindre empéchement. En se séparant pour aller voyager, ils convinrent ensemble, qu’à une certaine heure du [399] jour ils se retireroient tous deux dans leur cabinet, pour lier conversation ensemble par le moyen de cette invention merveilleuse ; ils n’y manquerent point ; éloignez l’un de l’autre de plusieurs centaines de lieues, chacun s’enfermoit à l’heure marquée, & commençoit d’abord à jetter les yeux sur son éguille. Celui qui avoit envie de communiquer quelque chose à son ami la dirigeoit vers toutes les lettres, qui composoient les termes, dont il avoit besoin, s’arrêtant un peu à chaque mot, & à chaque Phraze, pour éviter toute confusion.

Dans ce même tems l’autre ami voyoit son éguille sympathetique se mouvoir d’elle-même vers chaque lettre, dont son correspondant approchoit la sienne. C’est ainsi qu’ils furent causer ensemble à travers une vaste étendue de Païs, & conduire leurs pensées dans un instant, par dessus des Villes, des Montagnes, des Forêts, & des Mers.

La plûpart de ceux qui composoient l’Assemblée furent charmez de l’adresse du Poete, qui parfait imitateur de Lucrece avoit su par la nouveauté de sa matiere, & par la maniere curieuse de la manier, attacher leur attention à des [400] vers en partie trop plats, & en partie peu harmonieux. Ils s’imaginoient, que sans ce tour singulier rien ne seroit plus insupportable que le stile & la versification de Lucrece.

Les plus savans de la compagnie étoient d’une opinion bien differente ; ils soutinrent que c’est un talent particulier à Lucrece d’enseigner toujours quelque chose & d’animer sa Poesie par l’action ; que son stile est le plus propre du monde à enseigner & à developper une matiere, & qu’il fait plus de plaisir que tout autre, à ceux qui ont penetré comme il faut dans le genie de la langue Latine. Ils y ajoutent que si le genie de ce Poete n’avoit pas été gené par la difficulté de son sujet, & ne s’étoit pas en quelque sorte avili par l’affectation d’employer de vieux termes, il auroit eu peut-être la gloire de porter la poesie Latine au plus haut degré de perfection.

Après Lucrece entra Claudien ; il avoit choisi pour matiere de son Poeme la fameuse dispute, entre le Rossignol, & le Joueur de Lut, ce sujet est trop connu à tout le monde, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre.

A peine eut-il fini que toute la cham-[401]bre retentit de cris applaudissants ; ce qui dans son Poeme frappoit le plus l’esprit des auditeurs, ce fut la clarté & la netteté du plan ; on étoit encore extremement charmé de la douceur de ses vers, & de leur harmonieuse facilité ; il y eut pourtant des personnes d’un gout plus fin, qui tournerent en ridicule cette teinture de Phrazes étrangeres dont il souilloit la langue Latine, & qui mépriserent cette uniformité de ses nombres, qui ne sauroit que lasser les oreilles, & rebuter l’esprit ; ils le censurerent encore sur le stile pompeux & sublime, qu’il a prodigué mal à propos, dans des occasions, où le bon-sens lui ordonnoit d’aller avec son sujet terre à terre. ◀Narração geral ◀Nível 3

Le reste pour une autrefois. ◀Nível 2 ◀Nível 1