Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXXXVIII.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\098 (1723), S. 382-388, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4298 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Discours LXXXXVIII.

Zitat/Motto► Cura pii diis sunt. Ovid.

La Divinité protege les gens de bien. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► En parcourant la derniere Edition des œuvres de M. Boileau, j’ai été charmé d’un article que j’ai trouvé dans ses Remarques sur sa Traduction de Longin. Il nous dit dans cet endroit remarquable, que le sublime a sa source [383] ou dans la noblesse d’une pensée, ou dans la magnificence de l’expression, ou dans le tour vif de toute une periode ; mais que le sublime parfait vient de l’union de ces trois causes. Il allegue un exemple de ce sublime parfait dans quatre vers qu’on trouve dans la Tragedie de M. de Racine intitulée Athalie. Abner un des Genéraux des Israëlites ayant représenté au grand Prêtre Joad qu’ils avoient tout à craindre de la fureur de la Reine, ce saint homme ne s’en effraye point, & voici ce qu’il repond à son ami :

Ebene 3► Zitat/Motto► Celui, qui met un frein à la fureur des flots,

Sait aussi des mechans arrêter les complots ;
Soumis avec respect à sa volonté sainte,
Je crains
Dieu, cher Abner, je n’ai point d’autre crainte. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Des pensées de cette beauté ne prêtent pas moins de sublime a la nature humaine, qu’aux productions de l’esprit ; Cette crainte Religieuse, lorsqu’elle est l’effet d’un respect profond pour la Divinité, donne a l’homme toute la grandeur, dont il est susceptible, & elle doit de necessité bannir de son ame toute autre crainte.

[384] Elle nous fait mettre à cet égard les personnes les plus elevées au niveau des plus foibles ; elle desarme les Tyrans, & les Bourreaux, & represente à notre esprit les gens les plus furieux, & les plus puissants, comme des créatures destituées de pouvoir, & incapables de nuire.

Il n’y a point de véritable courage qui n’ait pour base cette sainte frayeur, qui s’étant une fois emparée d’une ame s’y fixe pour jamais, & devient le grand principe de toutes les déterminations de cette ame. La valeur, qui vient de la constitution du corps, est souvent sujette à abandonner un homme, quand il en a besoin. Si elle a pour cause un certain instinct de l’ame, elle prend l’essor dans toutes les occasions sans attendre les ordres de la raison, & de la prudence ; mais le courage, qui est l’effet d’une crainte respectueuse d’offenser notre Créateur, en négligeant nos devoirs, agit toûjours d’une maniere uniforme & soutenue.

Que peut on avoir à craindre quand dans toute sa conduite on se propose pour but de plaire à un Dieu tout puissant ; à un Dieu, qui peut traverser tous les desseins de nos ennemis, & [385] dont la seule volonté sait détourner les malheurs qui nous menacent, ou les changer en bonheurs. Celui qui a fixé dans son cœur ce respect raisonnable, pour l’Etre, dont la Providence veille sur tout ce qui se passe dans l’univers, doit s’assurer sur sa protection toute-puissante, & se persuader fortement qu’il est à l’abri de tout mal réel. Les Benedictions du Ciel pourront se présenter à lui sous l’image de pertes, de douleurs, de traverses ; mais il n’a qu’à posseder son ame en patience ; bientôt ces benedictions se developperont de ces apparences trompeuses, & s’offriront à ses yeux sous leur véritable forme. Si un nuage épais & noir semble s’amasser sur sa tête, l’orage crevera à côté de lui, ou bien il verra sortir du sein même des dangers, qui le menacent, les instrumens de sa félicité. Je ne viens encore que de dépeindre la situation la plus triste, où se puisse trouver un homme affermi dans l’habitude de cette crainte salutaire, bien souvent l’objet de cette frayeur réligieuse nous épargne jusqu’aux allarmes, il veut bien regarder du même œuil, que nous ce que nous prenons pour des maux réels, & alors il les éloigne certainement de ceux [386] qui se sont attiré sa faveur par la vertu, que je recommande ici. Les Histoires sont pleines d’exemples remarquables de gens de bien échappez, comme par miracle, de perils qui les environnoient, sans qu’ils en sussent rien, & qui paroissoient absolument inévitables.

Entre les exemples de cette nature qui nous sont fournis pas <sic> l’Histoire Payenne, je n’en trouve point de plus frappant, que celui qu’on voit dans la Vie de Timoleon le Corinthien. Cet homme extraordinaire s’est distingué parmi les grands hommes de l’Antiquité, par la coutume, qu’il avoit, de raporter tous ses succez a la Providence Divine. Selon le témoignage de Népos, il avoit consacré dans sa maison une chappelle particuliere là <sic> Déesse sous le nom de laquelle la providence étoit adorée chez les Payens. Il fut souvent recompensé de ce culte, quoique que aveugle, qu’il rendoit a la Divinité ; mais il en éprouva la protection d’une maniere bien étonnante dans un cas que je rapporterai ici, après Plutarque.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Trois séclerats avoient fait une Conspiration pour tuer ce grand homme, lorsqu’il seroit occupé a sacrifier dans un certain Temple. Déja ils se trou-[387]voient dans ce lieu sacré, placez dans les endroits, qui leur paroissoient les plus propres pour executer cet affreux dessein ; déja ils attendoient l’instant favorable pour se jetter sur Timoleon, lorsqu’un étranger entra par hazard dans le Temple ; il fixe les yeux sur un des conjurez, il l’examine avec attention, il se précipite sur lui, il l’assassine. Là-dessus les deux autres se mettent dans l’esprit que leur noir attentat est découvert ; ils se jettent aux pieds de Timoleon, & ils lui déclarent leur abominable dessein avec toutes ses circonstances. Cependant après avoir examiné cet Etranger on trouva qu’il n’avoit rien su de ce projet, mais que son frere avoit été tué, il y avoit plusieurs années, par un des conspirateurs, qu’il avoit long-tems poursuivi en vain, pour l’immoler à sa juste vangeance ; qu’en entrant dans le Temple il l’avoit reconnu, & qu’il n’avoit pas été assez maitre de lui-même pour ne pas saisir cette occasion de le punir. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Plutarque ne peut pas s’empécher, après avoir rapporté ce fait, de parler avec extaze de l’impénetrable sagesse de la Providence, dont on vit dans cette occasion une marque si merveilleuse, & [388] si inattendue. Cette Providence avoit tellement arrangé le plan de la délivrance de Timoleon, que l’Etranger avoit été toujours traversé dans le dessein de punir le meurtrier de son frere jusqu’à ce que par un même coup il put vanger un innocent, & sauver la vie à un homme vertueux.

J’avoue, que je ne saurois m’étonner qu’un Payen comme Timoleon, adorateur constant de la Providence, se soit distingué par une intrépidité inébranlable, & qu’il se soit attiré une protection si marquée de la Divinité. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1