Citazione bibliografica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours LXXXXIII.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\093 (1723), pp. 348-355, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4293 [consultato il: ].


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Discours LXXXXIII.

Citazione/Motto► Udam Spernit humum fugiente penna. Hor.

Il abandonne la terre d’une aile rapide. ◀Citazione/Motto

Livello 2► Sous le Regne de Charles second les Philosophes Anglois s’occupoient extremement à chercher l’art de voler ; le fameux Evêque Wilkins entre autres, étoit si sur d’y réussir, qu’il se persuadoit que dans le siecle suivant il seroit aussi ordinaire à un homme qui va faire un voyage de demander ses aisles, qu’il l’est à présent de demander ses bottes. Cette fantaisie étoit si fort en vogue parmi les virtuosi de ce tems, qu’il faisoient à la lettre des parties pour aller ensemble à la Lune, & qu’ils s’embarassoient moins des moyens d’y arriver, que de ceux de trouver de quoi vivre par les chemins ; il est vrai que dans le même tems une Dame de la premiere [349] qualité songea à batir des chateaux en l’air pour servir de gites à des voyageurs si extraordinaires. Metatestualità►Je ne m’étendrai pas sur ces choses ; elles sont trop connues de mes Lecteurs ; je ne m’amuserai pas non plus à ramasser dans l’Histoire les exemples des personnes qui sont arrivées à quelque perfection dans l’art dont il s’agit, & qui en ont donné des preuves devant un grand nombre de Spectateurs ; j’aime mieux communiquer au public une lettre qui m’a été écrite par un illustre, qui s’occupe entierement à perfectionner cet invention. Voici ce que me mande ce Dedale moderne : ◀Metatestualità

Lettera/Lettera al direttore► Livello 3► Monsieur.

Persuadé que vous êtes plus porté qu’homme au monde à favoriser les grands desseins, j’ai cru devoir vous instruire des progrès que j’ai fait dans l’art magnifique de voler. Je ne manque pas de mettre mes aisles tous les matins & de voltiger autour de ma chambre pendant deux ou trois heures ; je vole deja aussi bien qu’un Dindon, & lorsque je suis ailé je gagerois de saute à pied joint plus de trente verges ; [350] si je continue, comme j’ai commencé je pourrois bien dans quelque temps d’ici donner au public un échantillon de mon savoir-faire. Le premier jour d’actions de graces, qu’on celebrera ici, je pretends une mettre a califourchon sur la girouette d’un Clocher qui est a un des bouts de la ville ; après la premiere décharge du Canon de la tour je m’eleverai dans l’air, & après avoir traversé une grande partie de la ville, je viendrai percher sur le Monument ; de la je prendrai un nouvel essor, & en descendant peu a peu je pretends enfin m’abatre dans le Parc de St. James.

Une épreuve de cette force fera voir évidemment que je suis pas un imposteur, & que mon art n’est rien moins, que chimerique ; mais avant que de donner cette marque éclatante de mon habileté, j’ai dessein de demander une patente qui me mettra en droit moi seul de faire des ailes pour mes compatriottes, & qui defendra sous peine de mort à qui que ce soit de voler avec des ailes qui ne seront pas de ma façon : je travaillerai moi-même pour la Cour, & j’aurai sous moi des garçons, qui serviront les gens du commun. Je [351] tends encore être seul privilegié, pour enseigner mon art a la noblesse, & je promets de faire tout mon possible pour y rendre mes écoliers en peu de temps aussi habiles, que leur maitre. Comme les Dames sont timides, je m’engage a les porter dans les airs sur mon dos pendant les premiers quinze jours afin de les enhardir peu a peu. J’ai resolu encore paroitre, au premier bal du theatre, masqué en Prince Ameriquain, avec un habit de plumes, qui sera assorti a mes ailes ; par la les gens de qualité verront quelle jolie figure ils pourront faire dans leurs habits de campagne.

Vous savez, Monsieur, jusqu’à quel point le peuple pousse d’ordinaire la prévention, contre tout autheur de projets, & vous ne vous étonnerez pas de la sottise de certains petits esprits, qui, lorsque je leur parle de mon invention, me traittent de hibou & de chat huant. Un homme de votre esprit regardera certainement la chose d’un autre œuil, & vous verrez d’abord tous les avantages considerables, qu’il en reviendra a la Nation. N’est-il pas vrai, Monsieur, que les brigands qui se trouvent en plus grand [352] nombre dans ce pais que dans aucun autre periront plutot par la faim, que par la corde, dez que nous voyagerons par ces nouveaux grands chemins ; n’est-il pas vrai encore que mon art diminuera extremement les depenses des familles ; en leur rendant inutiles les chevaux, & les carosses ?

Il est clair qu’on fera la meme épargne a l’égard des postes, & des chaloupes, qui nous voiturent nous <sic> & nos lettres dans les pais étrangers, & a l’égard de plusieurs autres choses, qui absorbent a present des sommes tres considerables. Mais ce qu’il y a de plus important, c’est qu’aussi-tôt que les hommes possederont cet art dans la perfection, ils seront en état d’expedier plus d’affaires dans l’espace de soixante & dix ans, qu’ils en pourroient faire en mille, sur le pied que les choses sont a l’heure qu’il est ; C’est une verité, qui saute aux yeux, & qui suffit pour rendre mon projet & moy dignes de vos applaudissements, & de votre protection. Je suis. ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3

J’ai meurement consideré le projet qu’on vient de voir ; mais plus je le considere, & plus je me sens porté a faire [353] en sorte qu’on ne l’execute pas du moins pendant ma vie ; si l’art, dont on vient de faire un si bel Eloge, devenoit commun, on verroit bien-tôt les vertus qui nous restent encore s’envoler sur ces ailes de nouvelle invention. Il fourniroit surtout aux intrigues galantes une infinité d’occasions favorables, qui manquent a des hommes, qui n’ont que des jambes pour se transporter d’un lieu a un autre. Rien ne seroit plus commun que deux amans qui se donneroient un rendez-vous pour minuit au haut du Monument, & le Dome de l’Eglise de St. Paul seroit aussi couvert d’hommes & de femmes que le toit d’un Colombier l’est d’ordinaire de pigeons de l’un & de l’autre sexe. On verroit tres souvent quelque Damoiseau entrer a tire d’ailes dans la fenetre d’un grenier, ou un Petit maitre donner la chasse dans les airs a une beauté timide, avec la meme impétuosité sont un Oiseau de proye poursuit une craintive Colombe : il n’y auroit pas moyen de se promener dans quelque bocage sans faire lever toute une volée de Belles. Que le sort des maris seroient a plaindre, ils auroient toujours mille inquietudes sur ce qui se passeroit dans [354] la moyenne Region de l’air. En vain un juste jalouzie les porteroit à rogner les ailes de leurs Epouzes. A quoi leur serviroit cette précaution, pendant que les amants des belles planeroient au dessus des maisons pour épier l’occasion de s’y jetter ? Dans quelle situation ne seroit pas un Pere de famille, tandis que sa fille prendroit l’air ? Deja l’honneur d’un jeune tendron n’a pas trop besoin d’ailes pour faire en peu de tems bien du chemin. Passe encore pour des gens riches qui pourroient donner à leurs heritieres des Duegnes ailées qui voleroient toujours à leurs trousses ; Mais que feroient ceux qui ne sont pas en état de faire cette depense ? Helas, leurs filles à force de voler deviendroient bientôt du véritable Gibier. Je conviens avec mon Correspondant, que son invention est très propre a dépêcher un grand nombre d’affaires en moins de rien ; mais comme les hommes font plus de mauvaises affaires que de bonnes, je ne say si cette facilité de les expedier doit être considerée comme un grand avantage.

Quoiqu’il en soit, je doute fort qu’on accorde a notre Dedale la patente, dont il paroit si sur : du moins suis-[355]je persuadé que la plûpart de nos citoyens s’y opposeroient de toutes leurs forces. Un artizan ne peut pas donner un carosse a sa femme, mais il pourroit lui donner, a peu de frais, une paire d’ailes ; il faudroit bien qu’il passât par la si jamais les promenades par les airs devenoient a la mode ; jugez si les gens du Commun ne se ligueront pas pour traverser ce projet, & s’ils ne feront pas tous leurs efforts, pour empêcher leurs Epouzes de prendre un essor si dangereux tous les matins & tous les soirs.

Metatestualità► Si je n’ai considéré ici que les inconvenients de cet art par rapport a la galanterie, ce n’est pas que je ne le trouve fertile en desordres, a plusieurs autres égards ; mais j’ai resolu de garder mes reflexions la dessus par devers moy, jusqu’à ce que j’aye vû mon correspondant a Califourchon sur la Girouette. ◀Metatestualità ◀Livello 2 ◀Livello 1