Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXXIX.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\089 (1723), S. 321-326, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4289 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Discours LXXXIX.

Zitat/Motto► tentanda via est.

Il faut tenter une nouvelle route. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Il y a quelque temps que j’ai gratifié mes Lecteurs de quelques Lettres d’un voyageur de mes amis, & dans la suite je pourrois bien leur faire le plaisir de leur en communiquer d’autres de la même main. En attendant, je leur en donnerai une, qui me vient d’un espece de Correspondant, aussi propre à amuser qu’un voyageur, & qui traitte une matiere aussi curieuse, & aussi embellie des graces de la nouveauté, qu’aucune découverte qu’on puisse faire hors de notre Isle. Le Cavalier en question est un faiseur de projets, & j’avoue, que de tout temps j’ai eu une grande tendresse pour ces sortes d’inventions ; je puis dire même sans vanité, que j’ai un genie assez propre pour des productions de cette nature : je pourrois faire mention ici de quelques projets de ma façon, que j’ai eu le bonheur de voir éclorre, d’autres qui ont [322] été etouffez dans leur naissance, & d’autres enfin que j’ai encore par devers moy, & que dans les conjonctures convenables je lacherai dans le monde pour faire fortune ; Il y en a tels dans le monde qui n’auroient jamais osé se produire, si je n’y avois pas mis le sceau de mon approbation, & j’ai encore été consulté depuis peu sur un projet pour la reforme des mœurs ; mais je crains, que malgré son mérite il pourroit bien ne point passer. J’ai formé de grands desseins a l’égard de la Thamise, & de la nouvelle riviere, sans parler ici de mes rafinements sur les Loteries, & sur les assurances. Une autrefois j’aurai peut-être occasion d’instruire le public d’un autre de mes projets digne du souvenir de tous les siecles, & qui, s’il n’avoit pas échoué, auroit rendu dans ce pais l’argent & l’or aussi communs que l’étain & le cuivre : si mes compatriottes n’ont pas tiré de plus grands avantages de ces nobles & rares inventions, ce n’est pas ma faute ; mes intentions étoient bonnes, & ils me doivent la meme reconnoissance que si tous mes plans avoient réussi.

Tous les projets peuvent être ran-[323]gez en deux differentes classes ; Les premiers tirent leur origine de l’imagination de ces personnes qui se consacrent entierement au bien public. Tels sont les miens : Les autres ont leur source dans un genie qui se ligue avec un cœur interessé, & leur unique but est l’avantage particulier de leurs autheurs ; de ce nombre est celui, qui est contenu dans la lettre suivante. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Monsieur,

Un homme de votre Lecture ne sauroit ignorer qu’il y a eu dans l’ancienne Rome une sorte de personnes a qui on donnoit le titre de Nomenclator ; ce terme, comme vous savez, signifie un homme capable d’appeller chacun par son nom. Lorsqu’un Romain de distinction briguoit quelque charge publique, comme le Tribunat, le Consulat, ou la Censure, il étoit toujours accompagné d’un de ces Nomenclateurs, qui en lui disant a l’oreille le nom de tous ceux qu’ils rencontroient, le mettoit en état d’appeller par son nom chaque citoyen a qui il demandoit son suffrage. Je viens au fait ; après beaucoup de travail & d’appli-[324]cation, j’ai le bonheur de me voir duement qualifié, pour exercer dans cette grande ville la charge de Nomenclator, & je suis tout prest a en faire les fonctions dez que je serai sur qu’on voudra bien me payer de mes peines. Tout gentilhomme Provincial, tout etranger, qui croiront avoir besoin de mes services, n’ont qu’a parler ; ils pourront me louer pour huit ou pour quinze jours, & je m’engage a ne les pas quitter pendant ce temps là non plus que leur ombre, si quelqu’un me mene avec lui, dans son carosse, au Cours, j’entreprens de lui enseigner en trois ou quatre leçons tout au plus, les noms de toutes les personnes distinguées, qui ont la coutume d’y etaler leurs figures, & leurs équipages. S’il veut bien que je l’accompagne a la Comedie, je debrouillerai de la maniere la plus nette tout ce demi-cercle de beauté, qui occupent les loges, & en meme temps je lui indiquerai les Cavaliers qui dispersez dans le parterre s’occupent a lorgner chacune d’entre-elles ; a l’Eglise, ou dans toute autre assemblée publique, je pourrai lui etre de la meme utili-[325]té, je ne m’en tiendrai pas au nom des personnes ; mon habileté s’étend encore sur leurs qualitez, & sur leurs avantures. S’il s’agit par exemple d’une Belle, qui est en vogue, j’entrerai dans le détail de tous ses admirateurs, & de toutes ses intrigues galantes, pourvu qu’elles soient d’une notorieté publique. J’agirai de la même maniere à l’égard de ces Dames, qui ne s’attirent pas une admiration si generale, mais qui goutées par de certaines societez particulieres, meritent le nom de beautez de Cotterie. En un mot, je ne passerai sous silence le Caractere & l’Histoire d’aucune femme, qui fait quelque figure dans le monde comme fille, comme femme, ou comme veuve. Les hommes distinguez seront aussi placez dans tout leur jour avec leur esprit, leur bien, leur humeur, leur conduite, leurs titres, & leurs charges.

J’ai une Epouse qui a toutes les qualitez necessaires pour être une très excellente Nomenclatrice, & qui s’offre à servir les Dames toutes fois & quantes elles auront besoin de ses talens ; je dois lui rendre cette justice, qu’elle est encore plus communicative que moi, & qu’elle sait toute l’Histoire scandaleuse [326] de Londres, de Westmunster, & de tous les bourgs, villages, & hameaux, qui sont à trois lieues à la ronde. Elle a par devers elle les particularitez de cinquante intrigues amoureuses, dont ame qui vive n’est instruite qu’elle seule, & de trente mariages clandestins ou aucune langue n’a touché jusqu’ici. Elle ira voir les Dames chez elles, si elles le souhaitent, & leur parlera, la montre sur table, à trois guinées par heure.

N. B. Elle est proche parente de l’autheur de la Nouvelle Atlantis.

Je n’ai que faire de recommander l’utilité de mon Projet à un homme de votre esprit & de votre experience, persuadé que vous ne lui refuserez pas votre puissante protection. Je suis. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1