Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXXVII.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\087 (1723), S. 307-313, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4287 [aufgerufen am: ].


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Discours LXXXVII.

Zitat/Motto► Quod neque in Armeniis Tygres fecere Latebris,
Perdere nec fætus ausa Leæna suas;
At teneræ faciunt, sed non impune Puellæ,
Sæpe suos utero quæ necat, ipsa perit.

De jeunes filles osent commettre un crime inconnu aux Tygresses, & aux Lionnes; elles font perir leur fruit; mais ce forfait entraine souvent sa propre punition ; elles se tuent elles-memes, en faisant mourir l’ouvrage de leur amour dereglé. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► De tout le spectacle que nous avons admiré le jour d’Actions de graces rien ne m’a frappé plus vivement que ces deux files de jeunes enfants des deux sexes rangées dans une de nos plus [308] grandes rues : cette troupe nombreuse & innocente qui portoit la livrée de la charité publique, étoit un objet également agreable aux yeux de Dieu & des hommes ; elle exprimoit infiniment mieux la joye & la reconnoissance de la Nation, que tout ce qu’on auroit pu imiter de la magnificence pompeuse, que les Romains étaloient autrefois dans leurs Triomphes. Quel charme n’étoit-ce pas de voir ces orphelins que leur âge preserve encore de la corruption du siecle former un seul Chœur, & reunir d’un air devot leurs voix enfantines dans un Hymne rempli de piété ; Le moyen de n’avoir pas le cœur inondé des sentiments d’humanité les plus vifs en voyant le soin & la tendresse Paternelle briller dans les yeux des differents Maitres, qu’on voyoit rangez parmi cet aimable petit peuple confié a leur conduite !

Je suis mortifié que sa Majesté n’ait pas vu cette multitude d’objets si propres à exiter cette compassion charitable, dont elle aime a donner des marques a tous ceux, qui en ont besoin ; On lui en aura sans doute tracé le tableau, & je ne doute point, qu’elle ne leur fasse sentir les effets de sa bonté royale. Une charité un peu forte employée a [309] j’education <sic> de ce grand nombre de ses leunes <sic> sujets seroit quelque chose d’infiniment plus meritoire, que mille pensions considerables prodiguées à des gens de Distinction.

J’ai toujours consideré l’Etablissement charitable de plusieurs Ecoles, qu’on a fait depuis quelques années par tout le Royaume, en faveur des pauvres, comme la principale gloire de ce siecle, & comme le plus sur moyen de tirer la Nation de l’abime des mœurs depravées, ou elle a été plongée par la coutume, & par la mode.

Cet établissement si digne d’une Nation Chretienne nous promet une race d’honnêtes gens, & de gens de bien ; du moins verra-t-on dans la generation future peu de personnes qui ne sachent lire & écrire, & qui dès leur enfance ne se soient familiarisées avec les principes de la Religion. Rien de plus utile par consequent, que de contribuer autant qu’il est possible à l’execution d’un projet si salutaire. La plupart de nos gens de qualité ont fait le jour d’actions de graces une espece de Procession, au milieu des deux files de ces Eleves de la charité publique, il faut esperer, qu’ils ne les auront pas [310] seulement regardées comme un agréable spectacle, mais qu’ils auront encore formé la résolution de les soutenir & d’en augmenter le nombre par leur bien, & par leur credit.

Pour moi je ne considere pas du même œuil que les autres hommes les victoires étonnantes dont la providence a favorisé nos armes dans le derniere guerre : notre valeur, & l’habileté de nos generaux y sont entrez sans doute ; mais j’ose atribuer la plûpart de ces grands succès, dont nous venons de temoigner à Dieu notre reconnoissance, à la charité Nationale qui a éclaté depuis peu d’une maniere si brillante : j’ose trouver en partie la cause de tant de benedictions signalées dans cette troupe innocente, qui dans ce jour solemnel a excité dans nos ames de si tendres émotions.

Après avoir rendu justice à la charité de mes compatriottes, ils me permettront bien de leur parler d’une branche de ce devoir que nous avons négligée jusqu’ici, & qui mérite d’autant plus notre attention, qu’elle porte des fruits tres precieux chez plusieurs peuples voisins.

Il s’agit du soin charitable qu’il faudroit avoir de la subsistance de certains [311] Enfants malheureux ouvrages d’un amour illégitime ! & qui sans un pareil soin sont livrez a la Barbarie de leurs Meres denaturées. On ne sauroit songer sans horreur a un si funêste sujet ; quel nombre prodigieux d’Enfants ne reçoit pas continuellement la mort par la main même des autheurs de leur vie, que la Honte, ou la disette, empêche de les élever !

A peine y-a-t-il parmi nous une seule séance de juges ou l’on ne condamne pas a mort quelqu’une de ces malheureuses Meres. Combien d’autres de ces Monstres d’inhumanité n’y a-t-il pas, qui échappent a la severité des Loix, ou parce que leur crime est entierement caché, parce qu’on est obligé de les relacher, faute de preuves suffisantes ! Je passe encore sous silence celles, qui par une conduite a la nature s’opposent, pour ainsi dire, aux intentions de la providence, en detruisant leur fruit avant que de le mettre au monde. Elles sont aussi coupables, que les premieres, quoique punies avec moins de rigœur ; mais il n’est pas question ici de l’énormité inexprimable de leur crime ; je ne le considere, que par rapport au tort qu’il fait à la société ; Il la prive d’un nombre considerable de ses mem-[312]bres ; & par consequent, pour le prevenir, un peuple doit employer toute son attention, & toute sa prudence.

J’ai deja dit, que ce qui arrache d’ordinaire une action si horrible à la tendresse maternelle de ces abominables femmes, c’est la crainte de l’infamie, ou l’impossibilité où elle <sic> se trouvent d’élever ceux à qui elles ont donné le jour. Qu’on tarisseles <sic> deux sources de ce crime ; bientôt ce crime cessera, & l’on n’en entendra plus parler ; c’est ainsi qu’on prévient ce malheur dans d’autres Païs, comme j’en suis informé par ceux qui ont vu les grandes Villes de l’Europe.

On trouve à Paris, à Madrid, à Lisbonne, à Rome, certains Hopitaux ; dans les murailles extérieures desquels sont placées certaines machines semblables à de grandes Lanthernes ; elles ont une petite porte du côté de la rue, & à côté d’elles on trouve une sonnette. C’est dans cette Lantherne qu’on pose l’Enfant, & en la tournant on la fait entrer dans l’Hopital, par une ouverture qu’il y a dans la muraille ; on sonne ensuite, & l’on se retire ; là dessus une personne payée exprès, pour s’acquiter de cet emploi, vient prendre l’Enfant, sans se mettre en peine d’où [313] il peut venir. En le plaçant dans cette machine on y joint d’ordinaire un billet, où l’on déclare s’il est batisé, ou s’il faut le batiser encore ; de quel nom on souhaite qu’il soit appellé, & par quelles marques il pourra être reconnu un jour.

Souvent même il arrive, qu’on s’explique dans ce billet sur la maniere dont on voudroit bien, que l’Enfant fut élevé, & qu’on le retire de l’Hopital, après y avoir été quelques années. Quelques fois un Pere reconnoit solennellement un tel Enfant pour son fils, & le déclare héritier de biens considerables.

De cette maniere plusieurs sujets, qui auroient peri comme avortons, ou qui mourant d’une mort violante auroient attiré un trépas semblable à leurs Parens criminels, sont dérobez à cette cruelle destinée, & deviennent par une bonne éducation capables d’être membres utiles de la Societé.

Metatextualität► Je croi que c’est là une matiere, qui merite les réflexions les plus serieuses, & que mes Lecteurs ne trouveront point mauvais, que je la leur ai mise devant les yeux. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1