Cita bibliográfica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours LXXXVI.", en: Le Mentor moderne, Vol.2\086 (1723), pp. 298-503, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4286 [consultado el: ].


Nivel 1►

Discours LXXXVI.

Cita/Lema► Dum flammas Jovis, & sonitus imitatur Olympi.

Pendant qu’il imite les flammes de Jupiter, & les Eclats du Tonerre. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Il y a du plaisir a considerer le grand nombre de Phenomenes de la Nature, qui ont été imitez par l’art humain ; Le Tonerre est devenu une drogue fort commune parmi les Chimistes, on achete des éclairs à la livre, & une poignée de Phosphore contient une grande étendue de flammes, qui badinent autour d’un objet sans le consumer : certains ouvrages hydrauliques imitent la pluie en perfection, & j’ai appris, que des virtuosi François firent tomber, il y a quelques années, de la nege artificielle pendant plus d’une grosse heure, pour amuser Louis le Grand.

Je suis engagé dans cette réflexion, par le merveilleux feu d’artifice, qu’on nous a donné la nuit passée, sur notre belle riviere : nous y avons vu une espe-[299]ce de firmament tout rempli d’un grand nombre de cometes, & d’autres Meteores : rien ne pouvoit être plus étonnant que ces colonnes de flammes, ces épais nuages de fumée, cette prodigieuse quantité d’étoiles qui se meloient avec le desordre le plus agréable ; ces fusées, qui finissoient en autant de constellations, & qui repandoient dans l’air des pluies de lumiere : parmi tant de choses extraordinaires rien n’étoit plus admirable que l’Ingenieur lui-même, qui exécutoit son projet avec ordre, & avec tranquillité, quoiqu’il fût tellement couvert de feu & de fumée, qu’on auroit dit qu’il n’y avoit qu’un Salamandre, qui pût soutenir une pareille situation.

Pendant tout le spectacle j’étois accompagné de deux ou trois Beaux-esprits de ma connoissance. Celui qui brilloit le plus parmi eux étoit un Critique de Profession, c’est-à-dire un homme, qui passe légerement sur ce que les choses ont de beau, pour ne penser qu’à ce qu’elles ont de défectueux.

Il se mit d’abord a exercer son aimable & utile talent sur les objets, qui frappoient nos yeux ; j’aime assez, dit il, ce Chyfre enflammé ; je trouve [300] que le feu est la matiere du monde la plus propre a écrire, & il n’y a point de charactere plus lisible, que celui, qui sert de lumiere a lui-même ; Pour les Vertus Cardinales, que nous voyons là, je vous avoue que je ne les voudrois pas composées d’une matiere si combustible ; on auroit pu, si vous voulez, donner un glaive flamboyant à la justice, & faire jetter feu & flame à la valeur : mais il est ridicule de voir sortir cet élement terrible du sein de la chasteté, & de la temperance.

Notre Critique voyant que la severité d’une censure si déplacée, nous arrachoit de grands éclats de rire, ne la poussa pas plus loin ; & il aima mieux nous entretenir de plusieurs plans de feux d’artifice, inventez par lui-même, dont quelques-uns étoient passables, & dont les autres valloient très peu de chose. Ce que nous trouvames le meilleur dans son discours, c’est qu’il donna occasion à un autre de mes amis de nous parler d’un feu d’artifice décrit par Strada, & exécuté par les ordres d’un Prince d’Italie, qui en vouloit regaler sa maitresse.

Nivel 3►Allegorie► On voyoit au milieu d’un grand lac une montagne flottante qui avoit au [301] sommet une crevasse fort spacieuse, afin de mieux representer le fameux Mont Æthna, dont elle devoit jouer le Rolle. Dès qu’on eut donné le signal, il commença à sortir de cette ouverture un nuage de feu & de fumée mêlé de morceaux de rocaille ; quelque tems après on entendit sortir des entrailles de cette machine d’horribles mugissements, & l’on vit toute la montagne se fendre en deux & découvrir du coté exposé a la vue du Prince & de sa Cour une grande Caverne qui representoit la Forge de Vulcain, & dans laquelle on demesloit, a travers la flamme, de grandes masses de toutes sortes de metail. Une Colonne d’un feu bleuatre se levoit continuellement de cette forge, ou Vulcain s’occupoit avec ses Ciclopes a former des Carreaux de foudre pour le Maître des Dieux. Ces armes redoutables de Jupiter se levoient, de temps en temps de l’Eclume, & sortoient de la Caverne avec une rapidité & un bruit terribles. Venus toute environnée du feu le plus lumineux & le plus brillant se tenoit a coté de son époux environnée d’une nombreuse troupe de Cupidous qui faisoient voler de tous cotez des fleches enflammées ; [302] devant elle on voyoit un autel tout couvert de cœurs brulants, victimes toujours agreables a cette déesse. ◀Allegorie ◀Nivel 3

J’ai oublié plusieurs autres particularitez également curieuses d’une machine si heureusement inventée ; mais ce que j’en ai retenu suffit, pour faire voir qu’on peut placer dans un feu d’artifice une fable, ou une allégorie suivie, capables de donner une beauté accessoire a des objets si merveilleux par eux mêmes.

Il m’arrive rarement de considerer des choses extraordinaires sans en tirer des réflexions propres a me rendre meilleur : toute la nuit passée je n’ai pas pu m’empêcher de ruminer dans mon lit sur le beau spectacle que je venois de voir, & de réflechir sur la petitesse de l’art humain le plus extraordinaire, quand on le met en parallele avec les desseins de la Providence ; en suivant cette idée je me mis a considerer une comête, comme une fusée tirée d’une main toute puissante. Plusieurs de mes Lecteurs se souviennent d’avoir vu un de ces Phenomenes effrayants l’an 1680 ; s’ils ne sont pas Mathematiciens, ils seront surpris d’apprendre qu’elle avoit plus de rapidité qu’un boule de Canon, & que la [303] queue de feu qu’elle trainoit après elle occupoit une espace de plus de vingt & six millions de lieues : le moyen de considerer sans une espece de sainte horreur des corps d’un volume si prodigieux, qui parcourent l’univers avec une rapidité si inconcevable, & qui ne laissent pas de demeurer constamment dans la ligne dans laquelle la toute-puissance a borné leur carriere ; où est l’imagination, qui puisse concilier une regularité si exacte, avec ce mouvement furieux, qui paroit menacer l’univers d’un embrasement général ? De quelle étendue cet Univers ne doit-il pas être, pour ouvrir à des corps si vastes des routes suffisantes sans en soufrir le moindre desordre ? De quel Spectacle ne sont pas frappez certains Etres, devant qui se déploye tout le Theatre de la Nature, & qui voyant des millions de pareils Phenomenes traverser, par des courses reglées, les abimes de l’air ! Peut être qu’un jour nous aurons la vue assez forte pour percer une perspective si magnifique, & l’esprit assez éclairé, pour demêler les differents usages de ces parties considerables du monde ; en attendant un changement si heureux dans nos organes & dans nos lumieres, [386] ces sublimes objets peuvent accoutumer notre imagination, aux plus hautes idées, d’un pouvoir & d’une sagesse sans bornes ; ils peuvent nous enseigner à former des pensées humblement justes de nous-mêmes, & de toutes les viles productions de l’invention humaine.

Voici encore une Lettre du Cavalier Anglois, qui voyage en France.

Nivel 3► Carta/Carta al director►

Blois le 20 de Mai N. Stile

Monsieur,

Votre obligeante Lettre m’a fait un plaisir sensible ; c’est tout l’Anglois, qu’on m’a parlé depuis plusieurs mois, que je suis forcé à considerer l’absence de mes compatriottes comme une espece de bonheur ; Je puis appliquer à la situation, où me met l’envie d’apprendre le François, ce Vers qu’Ovide met dans la bouche de Narcisse,

Cita/Lema► Votum in Amante novum ! Vellem quod amatur abesset.

Je cherche à m’éloigner de ce que je cheris. ◀Cita/Lema

C’est là une des plus fortes raisons qui m’ont fait quitter Paris & la Cour [503] que je suis pourtant charmé d’avoir vus, parce qu’il est difficile de voir ailleurs, tant de beaux lieux, & tant de grands personages. A Versailles sur tout on ne sauroit guerres entendre un nom qui ne vous rappelle dans l’esprit quelque gazette, ni voir un homme qui ne se soit signalé dans quelque bataille. On est tenté de se croire dans quelque Palais enchanté d’un Roman, tant on y rencontre de Heros, & tant les jardins, les eaux, & le statues ont l’air d’être l’ouvrage de quelque enchanteur. Je suis honteux, au reste, de n’avoir pas encore fait de plus grands progrès dans la Langue Françoise ; quand on l’apprend sur les Lieux mêmes, il faut avouer qu’on trouve tout le secours imaginable pour y réussir, puisque on y est toûjours environné du peuple du monde le plus familier & le plus grand parleur. Toutes les compagnies sont ici extraordinairement bruiantes, & l’on crie ici plus fort en déjeunant, que vous autres à Londres, quand minuit vous surprend encore à table. Autant que j’en puis juger, après avoir étudié de mon mieux les deux Nations, il y a plus de gayeté dans une conversation Françoise, & [306] dans une Angloise il y a plus d’esprit ; chez vous on raille plus finement, mais ici on rit de meilleur cœur ; à mesure que j’avance dans le François, je trouve cette langue extremement propre pour le babil ; on diroit presque qu’on l’a appauvrie exprès, afin de rendre les circonlocutions nécessaires, & d’obliger les gens à dire peu de chose en beaucoup de paroles. Ce qui caracterise un étranger, c’est de répondre à une question, tout court, oui ou non ; car vous saurez que de ces deux Monosyllabes les François savent faire des Pensées. Ils ont un assortiment de certaines Phrazes ceremonielles, dont tout le monde va se fournir au même Magasin, & les complimens les plus gracieux, descendent par une cascade continuelle des gens du premier rang, jusques à la Populace. Rien de plus ordinaire que d’entendre un artisan, qui prie son voisin d’avoir la bonté de lui dire qu’elle heure il est, ou deux Savetiers qui protestent qu’ils sont charmez d’avoir l’honneur de se voir l’un l’autre.

Le Païs, où je me trouve, frappe les yeux dans cette saison par des agrémens qui passent l’imagination. Tout est gai, tout est riant ; les oiseaux mê-[307]mes, à l’exemple des hommes, me paroissent de meilleure humeur, que ceux qui égayent nos bocages en Angleterre, & je suis sûr qu’en France l’année devance la nôtre moins par le nouveau stile, que par les productions de la Nature. Je puis dire à present qu’une fois de ma vie j’ai passé le mois de Mars, sans être derangé par les vents, & l’Avril sans être arrosé par les pluies. Je suis &c. ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3 ◀Nivel 2 ◀Nivel 1