Cita bibliográfica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours LXXXXII.", en: Le Mentor moderne, Vol.2\092 (1723), pp. 341-348, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4284 [consultado el: ].


Nivel 1►

Discours LXXXXII.

Cita/Lema► Hic aliquis de gente hircosa centurionum Dicat ; quod satis est sapio mihi ; non ego curo Esse quod Arcesilas ærumnosique Solones.

Quelque jeune Officier brutal me dira ; j’en sai autant qu’il m’en faut ; je me soucie bien d’etre aussi habiles que les sages de l’antiquité, que leur air ne rendoit pas plus riches. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Rien ne me chagrine d’avantage que de voir un jeune-homme qui a du bien & de la naissance se livrer si absolument aux plaisirs, qu’il néglige de se pousser dans les sciences, qui dans tout le reste de sa vie pourroient le rendre utile & agreable à lui-même & aux autres. La plus grande partie de notre jeunesse Britannique devient hors de vogue & perd tout son merite à l’âge de vingt & cinq ans ; dès que cette gayeté, & cette grace, qui sont naturelles à la flœur de l’âge, commencent à s’alterer, c’en est fait de nos jeunes Cavaliers ; il ne leur reste rien qui puisse les rendre recommandables ; & membres inutiles de la societé, ils sont en [342] quelque sorte civilement morts ; il arrive quelquefois, il est vrai, que pour reparer la faute qu’ils ont faite dans leur jeunesse, ils s’attachent à la Lecture dans l’automne de leur âge, & qu’Ecoliers sexagenaires ils donnent quelque esperance d’être un jour habiles gens ; leur triste exemple appuye l’exhortation, que je prends liberté d’adresser ici à la jeunesse ; qu’y a-t-il de plus raisonnable à un jeune-homme, que d’éviter cet apprentissage tardif & presque toûjours inutile ? qu’y a-t’il de plus naturel que de s’appliquer de bonne heure à acquerir ces avantages solides, qui peuvent faire succeder, aux agrémens de la jeunesse, de la dignité, & un merite véritable.

C’est dès l’âge de quinze ans qu’il faudroit songer à former chez soi-même l’homme de cinquante, & à se procurer les moyens de s’attirer la veneration publique dans la vieillesse la plus avancée.

Les jeunes-gens, qui sont d’ordinaire ambitieux feroient bien d’observer que les hommes les plus illustres parmi les anciens se sont fait une aussi grande gloire de se distinguer parmi leurs contemporains par l’Erudition, que de les [343] surpasser en puissance & en authorité. Jules Cæsar & Alexandre les plus celebres exemples de la grandeur humaine n’ont rien négligé pour s’acquerir une haute réputation dans la République des Lettres. Il nous reste encore du premier des écrits, qui justifient les grands éloges, qui lui ont été donnez par les habiles gens de son siecle. Pour ce qui regarde le dernier, on sait qu’il étoit accoutumé de dire qu’il avoit plus d’obligation à Aristote, qui l’avoit instruit, qu’à Philippe, à qui il devoit la vie & la couronne. Nous voyons dans Plutarque, & dans Aulu-gelle, une Lettre , qu’il écrivit à ce grand Philosophe, après avoir été informé, qu’il avoit rendu publique les Leçons qu’il avoit données autrefois en particulier à cet auguste éleve. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est qu’il lui envoya ce billet, dans le tems qu’il étoit le plus occupé à pousser ses conquêtes. Voici cette Lettre mot à mot.

Nivel 3► Carta/Carta al director►

Alexandre à Aristote.

Vous n’avez pas bien fait de publier vos livres des connoissances choisies ; si les choses dans lesquelles vous m’avez ins-[344]truites, sont communiquées à tout le monde, que reste-t-il dans les sciences, qui puisse me donner le moyen de surpasser les autres. Pour moi je vous declare, que j’aimerois mieux me distinguer parmi les hommes par le savoir, que par la puissance, bien vous soit.

Nous voyons par ce billet que l’amour des conquêtes n’étoit que la seconde passion dans le grand cœur d’Alexandre ; aussi, après la vertu ce sont les lumieres de l’esprit, qui sont les plus propres à donner à l’homme une grandeur véritable & essentielle. Elles font la juste moitié de la perfection de l’ame humaine. Elles nous rendent notre existence sensible & agréable. Elles remplissent l’esprit de mille vues utiles & amusantes, & lui fournissent une suite non interrompue d’agremens. Elle, sont une ressource perpetuelle contre l’ennui, & de la retraite elles savent faire la plus charmante societé ; non seulement elles nous mettent à notre aise dans les emplois les plus embarassans & les plus penibles, mais encore elles procurent de la dignité à ceux qui les possedent, & les rendent capables de donner aux plus brillantes charges plus d’é-[345]clat, qu’ils n’en reçoivent.

Dans les Gouvernemens populaires & mixtes toutes les connoissances réellement utiles, soit speculatives, soit pratiques, sont la source naturelle de l’honneur & de la richesse. Si nous examinons ce qui s’est passé chez nous depuis Guillaume le Conquerant, nous verrons que les favoris de chaque Regne, ont été des personnes, qui devoient leur élevation a leur genie, & a leurs talents. On a presque toujours remarqué dans notre patrie que nos plus grands hommes ont tiré de l’obscurité des noms, qui etoient inconnus, avant le siécle dans lequel ils ont brillé. Pour me servir d’une expression Romaine ce sont des hommes nouveaux, qui embellissent le plus notre Histoire, Ils ont trouvé dans une erudition peu commune, ou dans une capacité superieure pour les affaires, des degrez pour arriver a la faveur des souverains, & aux postes les plus elevez. Mais cette verité d’experience ne doit pas detourner de l’Etude les personnes qui sont nez pour les titres & pour la grandeur ; qu’elles sachent qu’en se proportionnant par les sciences a ce bonheur, qu’ils tiennent de la main de la fortune, elles [346] y donnent une nouvelle étendue & y mettent le sceau de la veritable felicité.

Exemplum► L’Histoire du choix fameux que fit Salomon apres etre parvenu a la Royauté, ne nous instruit pas seulement d’une particularité tres remarquable de la vie de ce grand Roi ; mais elle est encore a notre esprit l’occasion d’en tirer une magnifique morale ; Elle nous fait sentir que celui qui livre son cœur a l’amour de la sagesse se sert en meme temps de la mehode la plus naturelle, pour se procurer une longue vie, des thresors, & de la reputation.

Le trait d’Histoire, dont je viens de parler, n’est ignoré, a ce que j’espere, d’aucun de mes Lecteurs ; Dieu se présente a Solomon en songe, il lui offre le choix de toutes les benedictions, qui sont entre les mains de l’Etre tout puissant, & ce jeune Prince se determine vers la sagesse ; Pour recompenser un choix si judicieux & si digne d’un Monarque qui aime son peuple, Dieu lui accorde sa demande ; il lui donne la sagesse la plus étendue, & il y ajoute les autres avantages, qui auroient peu être les objets du choix d’un Souverain moins sensé ; la gloire, les richesses, une longue vie. ◀Exemplum

[347] Je rapporte ici un abregé de cette Histoire, & par ce qu’elle appuie mes Reflexions sur cette matiere, & par ce qu’un celebre Poëte François l’a renfermée dans une belle Allegorie, dont je donnerai ici un précis, pour faire plaisir à ceux d’entre mes Lecteurs, qui aiment les heureuses productions d’un beau genie.

Allegorie► Cet Auteur paroit avoir tiré l’idée de sa fiction du jugement de Paris, ou plûtôt de la Fable morale rapporté par Xenophon, dans laquelle le Plaisir & la Vertu, se présentent à Hercule avec tous leurs charmes, pour se disputer le cœur de ce Heros. Salomon est mis ici à la place d’Alcide ; la santé, la richesse, la victoire, & l’honneur s’offrent à ce Prince l’une après l’autre, sous des figures & des ajustemens, qui représentent leurs differens caracteres, & elles font tous leurs efforts pour s’attirer le choix du jeune Monarque. La sagesse paroit sur la Scene la derniere, & sa seule vue triomphe si absolument du cœur du Roi, qu’il se livre à elle sans la moindre résistance. Charmée de sa conquête elle lui découvre que les personages qui s’étoient d’abord présentez n’étoient que son cortege, & elle lui [348] promet que la sagesse qu’il a choisie auroit toujours pour sa suite fidelle l’honneur, la victoire, la richesse, & la santé. ◀Allegorie ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3 ◀Nivel 2 ◀Nivel 1