Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXXII.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\082 (1723), S. 269-276, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4283 [aufgerufen am: ].


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Discours LXXXII.

Zitat/Motto► Justum & tenacem propositi virum
Non civium ardor prava jubentium
Non vultus instantis Tyranni
Mente quatit solida, neque Auster
Dux inquieti turbidus Adriæ,
Non fulminantis magna Jovis manus :
Si fractus illabatur orbis,
Impavidum ferient ruinæ.

Un grand cœur amoureux de l’exacte justice
Soutient sa noble fermeté
Contre un peuple fougœux par la brigue emporté ;
Il brave d’un Tyran l’orgœuilleuse malice
Qui l’entoure sans fruit des horreurs du suplice,
Du Crime seul il est épouventé ;
En vain & la foudre & l’orage
Attaquent ses vertus appuis de son courage :
C’est en lui qu’est le fond de sa tranquilité,
De l’univers croulant la chute épouventable
Pourroit l’envelopper paisible, inébranlable. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Il n’y a point de vertu aussi reéllement grande, & aussi approchante des perfections divines, que la justice. La plupart des autres vertus ne sont propres qu’aux Etres créez, mais la justice est par excellence la vertu de Dieu, & c’est Dieu seul qui puisse l’exercer dans toute son étendue. La tou-[270]te-puissance & une science sans bornes sont absolument necessaires pour porter la justice à sa plus haute perfection ; Il faut des lumieres infinies pour découvrir pleinement le bien & le mal réel qu’il y a dans les pensées, dans les paroles, & dans les actions ; il faut pouvoir tout, pour proportionner à chaque dégré de vertu ou de vice, le degré convenable de récompense & de punition.

Si la justice parfaite est un attribut particulier de la Divinité, la justice qui approche autant de cette perfection que la foiblesse humaine le permet, est la plus grande qualité de l’homme, & le comblée de sa gloire. Une personne familiarisée avec cette excellente vertu, s’il tient en main les rênes d’un Etat, est la plus noble image de son créateur, par l’exactitude rigoureuse avec laquelle il punit les coupables, & récompense les gens de bien. En déracinant le crime, il détourne les jugemens de Dieu de dessus un peuple impie, sur lequel ils étoient prêts à tomber ; c’est là une vérité que notre Caton objet de mon admiration continuelle exprime d’une maniere bien forte & bien digne de son caractere.

[271] Zitat/Motto► Quand les juges pieux à leur devoir fidelles

Accablent sous leurs coups les têtes criminelles,

Les Dieux sont satisfaits & desarment leurs mains

Du tonnerre tout prêt à frapper les humains. ◀Zitat/Motto

Dès qu’une fois un Peuple perd le respect qu’il doit à la justice, dès qu’il se desaccoutume de la considerer comme sainte & inviolable, dès qu’il tache de décrediter ou d’effrayer ceux, à qui on en a confié la dispensation. Dès que les juges s’ouvrent à des impressions étrangeres aux Loix ; & que l’Equité n’est plus chez eux le seul poids des causes, on peut dire hardiment que c’en est fait de cette Nation, & qu’elle travaille à hater sa propre ruine.

Rien de plus utile par conséquent, qu’une Loi qu’on a faite de nos jours, qui soutient les juges dans leur dignité tant qu’ils se conduisent bien, & qui les rend indépendants de tous ceux, qui dans des tems malheureux pourroient troubler le cours de la justice, par leur influence sur ses ministres. J’ose avan-[272]cer hardiment, que le Personnage extraordinaire, qui possede à present la plus haute charge de judicature auroit été toujours le même, sans l’appui de cette Loi salutaire ; mais c’est pourtant une douce satisfaction pour les honnêtes-gens, qui voyent le plus grand ornement de la robbe dans le poste qui lui convient le mieux, d’être surs, que ses interêts ne souffriront jamais rien, de l’exactitude impartiale dont il administre la justice, & qui lui attire l’admiration de tout le Royaume. Des personnes comme lui devroient être considerées comme envoyées du ciel pour le bien de Nations entieres ; il faudroit deja pendant leur vie leur rendre ces honneurs, qu’après leur mort on ne refuse jamais à leur mémoire.

Je ne vois jamais sans la joye la plus vive la premiere place d’un Tribunal rempli par un homme integre, & inflexible, qui en executant les Loix de sa Patrie resiste à la crainte, à la haine, aux sollicitations, & à la pitié même. Toute passion, qui entre dans la décision d’un juge, doit y laisser necessairement quelque teinture d’injustice. Cette vertu écarte l’esprit de parti, l’amitié, & les biens les plus respectables [273] du sang. Aussi la peint-on aveugle, pour nous faire comprendre que son attention doit être uniquement fixée sur l’équité, sans permettre que des objets étrangers lui donnent le moindre préjugé, & même la moindre distraction.

Metatextualität► Je finirai ce discours par une Histoire Persane, qui a une rélation très naturelle avec mon sujet. Si le public est de mon gout, elle ne sauroit que lui faire beaucoup de plaisir. ◀Metatextualität

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Certain Sultan étant campé dans les pleins d’Avala, un Officier distingué de l’armée entra par force dans la maison d’un Païsan, & trouvant sa femme jolie, il le chassa, pour lui faire avec plus de liberté l’affront le plus sensible ; le lendemain le pauvre homme en porta ses plaintes à l’Empereur, & lui demanda satisfaction, sans pouvoir indiquer le coupable. Le Monarque irrité d’une pareille violence, lui dit, qu’apparemment le Criminel rendroit une seconde visite à son Epouse, & qu’en ce cas il n’avoit qu’à venir l’en informer sans le moindre delai. La chose arriva comme le Sultan l’avoit prévue ; trois jours après l’Officier entra de nouveau dans la maison du Laboureur, & l’en chassa comme la prémiere fois ; le mal-[274]heureux époux ne perdit point de tems ; il vola vers la tente Imperiale, & instruisit son Prince de la réïteration du crime. Là-dessus l’Empereur prit la noble résolution d’aller en personne examiner le fait, & suivi de ses gardes il arriva à la Cabane du Païsan environ à minuit. Comme tous ceux, qui l’accompagnoient avoient dans leurs mains des flambeaux allumez, il leur ordonna de les éteindre, d’entrer dans la maison de saisir le coupable, & de le mettre à mort. Dans l’instant ces ordres furent exécutez ; le Cadavre fut porté hors de la Hute & placé aux pieds de l’Empereur, qui le vouloit ainsi. Ayant commandé alors qu’on rallumât les torches, & qu’on se plaçât en cercle autour du mort, il se mit à le considerer attentivement ; après quoi la satisfaction peinte sur le visage, il se prosterna, & resta long-tems dans l’attitude d’un homme, qui prie avec ferveur. A peine se fut-il relevé, qu’il ordonna au Païsan de lui apporter tous les alimens qu’il avoit dans la maison ; il fut obei, & mangea avec un très grand appetit des mets grossiers, que le bon-homme avoit mis sur l’herbe devant lui. Le Païsan voyant le Monarque en bonne-humeur [275] eut la hardiesse de lui demander la raison de toute la conduite qu’il avoit tenue dans cette occasion. Dialog► Pourquoi, Seigneur, lui dit-il, as-tu ordonné d’éteindre les flambeaux, avant que de faire punir le Criminel ? Pourquoi dès qu’ils ont été rallumez, as-tu examiné le Cadavre avec une si grande attention ? Pourquoi t’es-tu mis en prieres ? & pourquoi enfin, m’as-tu commandé de t’apporter ces mets, dont tu parois manger à present avec tant de plaisir ? Le Sultan voulant bien satisfaire à la curiosité de son hôte lui répondit ainsi : Lorsque tu m’eus instruit de l’affront, qu’on venoit de te faire, je trouvai tant d’énormité dans ce crime, que je m’imaginai que le coupable devoit être un de mes fils ; quel autre, me dis-je à moi-même, auroit osé porter l’insolence jusqu’à un tel excès ? c’est pour cette raison que je fis éteindre les flambeaux, afin que des traits cheris ne me portassent point à sacrifier la justice à l’amour paternel. Quand à la lumiere des flambeaux rallumez j’ai découvert que le Criminel n’étoit pas mon fils, j’en ai senti une joye inexprimable, & je me suis mis à genoux pour en rendre graces à Dieu ; si je mange avec tant [276] d’avidité des mets, dont tu me regales, ne t’en étonne point ; sache, que les inquiétudes, qui ont déchiré mon ame, depuis le moment que tu m’as porté tes plaintes, m’ont empeché de prendre la moindre nourriture jusques à cet instant, où je vois tant de troubles calmez par une joye si peu attendue. ◀Dialog ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1