Cita bibliográfica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours LXXVII.", en: Le Mentor moderne, Vol.2\077 (1723), pp. 219-233, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4278 [consultado el: ].


Nivel 1►

Discours LXXVII.

Cita/Lema► Est animus lucis contemptor.

L’ame peut se passer de la lumiere du jour. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Metatextualidad► Les Letrres <sic> suivantes sont curieuses & instructives, & c’est tout ce que je donnerai aujourd’hui à mon Lecteur. ◀Metatextualidad

[220] I. Lettre.

Nivel 3► Carta/Carta al director► « Monsieur,

Le papier que je vous envoye contient un passage fidellement traduit d’un auteur ancien ; si vous avez envie de vous en servir laissez à deviner à vos Lecteurs, s’il étoit de la Religion Chrêtienne, ou Payenne.

Nivel 4► Cita/Lema► Dans l’état, où je me trouve, mes chers amis, je ne saurois m’empêcher de vous communiquer mes pensées sur la mort ; plus j’en approche, plus je la contemple de près, & mieux je crois en comprendre la nature ; je suis convaincu que nos Peres, ces illustres personnages, pour lesquels j’ai senti tant d’amour & de veneration, ne cessent pas de vivre, quoi qu’ils ayent passé par ce que nous appellons le trepas ; certainement ils vivent, mais c’est d’une vie, qui seule est digne de ce nom. En effet quand nous sommes emprisonnez dans des corps, nous ne saurions nous considerer raisonnablement, sinon, comme des galeriens attachez à la chaine ; Dans cet état, notre ame, qui est quelque chose de divin & qui tire son origine du ciel me semble des- [221] honorée & avilie par son union avec la matiere ; Elle est exilée de sa véritable patrie. Je ne conçois qu’une seule raison, qui puisse avoir porté l’Auteur de la nature à attacher nos ames à des corps : c’est afin que le grand ouvrage de l’univers puisse avoir des spectateurs capables d’en admirer l’ordre surprenant, & de s’efforcer à en imiter la noble regularité dans toute leur conduite. Quand je prête attention à l’activité infinie de nos esprits, aux traces, que les choses passées laissent dans notre memoire, & à la penetration par laquelle nous perçons jusques dans l’avenir ; quand je reflechis sur tant de nobles découvertes, & sur les grands progrès que nous avons faits dans les arts & dans les sciences il m’est impossible de me persuader, qu’un Etre qui possede la source de tant de choses excellentes soit produit, pour être anéanti. Je crois encore sentir distinctement, que mon ame est une substance simple, qui ne sauroit être confondue avec quelque chose d’une nature differente, & j’en conclus ; qu’elle est indivisible & imperissable.

Gardez-vous bien par consequent de vous mettre dans l’esprit, mes chers amis, que lorsque je vous serai enlevé, je n’existerai plus, & que n’étant plus avec vous [222] je ne serai nulle-part ; souvenez-vous que pendant que nous avons vecu ensemble vous n’avez pas vu mon ame, & que cependant vous avez été surs que j’en avois une, dont mon corps empruntoit son mouvement & toute son activité. Pourquoi donc vous imagineriez vous que cette ame separée du corps n’aura plus d’existance, parce que vous n’en verrez plus les actions ? qu’elle ne seroit pas notre extravagance de rendre, comme nous faisons, des honneurs & des hommages aux grands hommes après leur mort, s’ils étoient entierement anéantis, & si leur ame ne survivoit pas à la matiere, qui l’a enveloppée. Pour moi, je ne saurois jamais concevoir, que l’ame ne vit que pendant qu’elle est liée au corps, & qu’elle perit dès qu’elle l’abandonne, je ne comprends pas qu’elle cesse de sentir & de penser, lorsqu’elle est dégagée de cette enveloppe qui sans elle n’a ni raison, ni sentiment. Il est naturel, au contraire, de se persuader que séparée de la matiere, & jouissant de toute la simplicité, & de toute la pureté de sa nature, elle doive avoir plus de lumieres & plus de sagesse, que lorsqu’elle est obscurcie par le corps, qui l’enveloppe comme un épais nuage. Lorsque le corps meurt, il nous est facile de découvrir ce que déviennent toutes ses differen- [223] tes parties ; mais nous ne voyons point l’ame, ni lorsqu’elle est unie au corps, ni lorsqu’elle en est dégagée, & par consequent son invisibilité après le trépas n’est rien moins qu’une preuve de son anéantissement. Remarquez encore avec moi, que rien ne ressemble plus à la mort, que le sommeil, & que c’est dans le sommeil, que l’ame fait voir principalement qu’elle a quelque chose de divin dans sa nature ; c’est alors que les liers qui l’attachent au corps se relachent pour un tems ; de quelle maniere ce qu’elle a de celeste ne brillera-t-il donc pas, lorsque ces liens seront entierement brisez ? » ◀Cita/Lema ◀Nivel 4 ◀Nivel 3 ◀Carta/Carta al director

II Lettre.

Nivel 3► Carta/Carta al director► « Monsieur.

Puisque vous avez bien voulu inserer quelques pieces Théologiques dans cet ouvrage excellent qui tout les jours nous instruit, & nous amuse j’ose vous prier instamment de faire un pareil usage des réflexions suivantes ; il y a de l’apparences, qu’elles auront les graces de la nouveauté pour le Lecteur Anglois, & si elles sont fondées, on en pourra tirer un [224] grand nombre de consequences tres importantes.

Tout homme qui a lu les Evangelistes avec quelque attention doit avoir observé necessairement, que notre Sauveur n’a jamais negligé l’occasion de se servir de tout son zele pour attaquer l’orgueilleuse Hypocrysie des Pharizéens ; ses discours n’ont jamais plus de vehemence, que lorsqu’ils roulent sur ce sujet. Cette découverte publique de leurs crimes cachez faite par un homme, qui perçoit a travers de tous les voiles brillants sous lesquels ils couvroient la noirceur de leurs ames, leur inspira une telle rage, qu’ils se joignerent tous a le persecuter, avec toute l’opiniatreté possible, jusqu’a forcer Pilate, en quelque sorte, a le faire mourir.

La force & le repetition frequendes censures en question a repandu parmi nous l’air le plus odieux sur le nom de Pharizéen ; nous n’entendons par la qu’un homme qui met un prix execssif <sic> à l’exterieur & à la ceremonie de la Religion, sans songer a s’animer de ces sentimens, qui le porteroient à la pratique sincere & gene-[225]rale des devoirs essentiels ; pratique, qui bien loin de deriver d’un attachement a la vaine gloire, & a un sordide interêt ne sauroient avoir pour source que l’habitude d’une solide vertu.

C’étoit la véritablement le Charactere des Pharizéens ; tous les quatre Evangelistes nous le font voir avec une evidence egale. Mais ils nous sont depeints par des couleurs moins noires dans l’ouvrage d’un de ces saints hommes, savoir saint Luc. C’est pour ainsi dire une seconde partie de son Evangile, & elle nous est connue sous le titre d’Actes des Apotres. C’est la qu’il entre dans un detail exact de ce que les Apotres ont fait & soufert a Jerusalem en executant les ordres qu’ils avoient reçus de leur divin maitre, comme aussi de la conduite de St. Paul, depuis sa vocation à l’Apostolat jusqu’à son départ pour Rome. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que dans toute cette histoire si exactement circonstanciée nous ne voyons pas que les Pharizéens ayent jamais traversé les progrez de l’Evangile ; nous y decouvrons au contraire, que dans plu-[226]sieurs occasions ils ont soutenu les Docteurs du Christianisme naissant. Dans ce temps là, les zelez, les furieux persecuteurs des Disciples de J: Christ, étoient les Sadducéens, qu’on peut appeller avec justice les Esprits-forts du Peuple Juif. Ils n’admettoient ni résurrection ni anges, ni esprits ; En un mot, ils étoient Deistes, si non Athées ; ils se conformoient exterieurement à la forme de gouvernement établie dans l’Eglise & dans l’Etat ; ils prétendoient attachez comme les autres à la Religion de leurs Peres, ne faire qu’une Secte à part, & parce que le Dogme de la Resurrection n’est pas établi dans les livres de Moise d’une maniere directe & literale, ils soutenoient que c’étoit dans ces livres seuls, qu’il falloit chercher tout l’essentiel de la révelation divine. Il ne faut pas s’étonner par conséquent de ce que ces gens-là redoutassent les progrez du Christianisme fondé principalement sur la Résurrection de notre Sauveur, & sur son Ascension dans le Ciel.

De là les efforts continuels, qu’ils firent, pour étouffer cette sainte Réligion dans sa naissance. Lorsque St. [227] Pierre, & St. Jean eurent gueri un aveugle à la porte du temple appellée la belle, & qu’ils se furent attiré par la <sic> l’admiration de tout le peuple, c’étoient les Prêtres & les Sadducéens qui les firent mettre en prison, & qui ne les relacherent, qu’après avoir taché de les effrayer par des censures & par des menaces. Peu de tems après les Prêtres furent terriblement alarmez par la mort d’Ananias & de Saphira, & par un grand nombre d’autres miracles, qui suivirent cette preuve effrayante du Pouvoir dont J. Christ avoit armé ses Apôtres. Ils commencerent à trembler pour le culte Levitique qui seul leur fournissoit les moyens de vivre délicieusement, & soutenus par toute la Secte des Sadducéens ils emprisonnerent les Apôtres de nouveau, dans le dessein de les examiner le jour après devant le grand conseil. C’est là que les Prêtres & les Sadducéens proposerent de traiter ces prétendus coupables avec la derniere rigœur ; mais leurs résolutions furieuses furent traversées par Gamaliel Pharizéen distingué, & Precepteur de St. Paul. C’étoit un homme d’une grande authori-[228]té parmi le peuple, & dont on voit encore plusieurs décisions conservées dans le corps des traditions Juives appellé le Talmud. Il leur dit, qu’il n’étoit pas impossible que les Apôtres ne fussent animez par l’esprit de Dieu, & qu’en ce cas s’opposer à eux c’étoit vouloir combatre Dieu lui-même. Ce Docteur de la Loi étoit si consideré chez les gens de sa Secte, qu’il est très probable que dans cette occasion importante tous les Pharizéens opinerent, pour ainsi dire, par sa bouche.

La mort du premier Martyr St. Etienne arriva peu de tems après, & l’on ne voit point que les Pharizéens y ayent contribué ; il est vrai-semblable que ses persécuteurs furent les mêmes gens qui avoient mis en prison St. Pierre, & St. Jean. Il est vrai qu’un jeune-homme de la secte contraire poussa la chaleur de son zele jusqu’a garder les habillemens des bourreaux de ce saint homme ; ce jeune-homme, qui porta sa ferveur mal entendue à cet excez, étoit le grand St. Paul, qui fut dans la suite honoré d’une vocation particuliere, & qui converti immediatement par [229] J. Christ lui-même devint l’Apotre des Gentils. Excepté ce grand homme arraché a ses erreurs d’une maniere si glorieuse, nous ne trouvons dans tous les Actes des Apotres aucun Pharizéen qui dans les premiers temps de l’Eglise se soit opposé aux progrez de notre sainte Religion. A peine St. Paul converti fut il venu a Jerusalem, que les Sadducéens lui marquerent une haine implacable & qu’ils firent une conjuration contre sa vie ; un des moyens, dont il se servit pour se sauver de leur rage, ce fut de se déclarer Pharizéen dans toutes les occasions ; dans le Chap. 22 il dit au peuple qu’il avoit été élevé aux pieds de Gamaliel, dans la Loy de ses Perers, de la maniere la plus rigoureuse, & dans le chapitre suivant il s’avoue devant le grand Conseil, Pharizeen & fils de Pharizeen, & il asseure qu’il étoit accusé a cause du dogme de la resurrection des morts, dogme favori de cette Secte. Par là il s’attira la bienveillance & le secours des Pharizéens ; Il est vrai qu’il ne les porta point a reconnoitre notre Sauveur pour le Messie, mais du moins ils furent as-[230]sez favorables a sa Doctrine, pour déclarer que peutestre un Ange ou un esprit lui avoit parlé, & qu’en ce cas s’opposer a lui c’étoit s’opposer a Dieu lui-meme ; c’étoit la <sic> l’argument dont Gamaliel s’étoit servi auparavant dans le Sanhedrin. Ils semblent avoir été frappés de la fermeté, avec laquelle les Apotres soutenoient la resurrection de Jesus Christ, comme aussi des miracles qui appuïoient cette fermeté & dont ils étoient tous les jours témoins oculaires.

Plusieurs d’entreux furent assez dociles pour se convertir sans le secours de quelque miracle particulier fait en leur faveur, & les autres plus obstinez se tinrent neantmoins <sic> en repos sans mettre obstacle à l’avancement de la Doctrine de J: Christ.

Voila la maniere dont se conduisirent les Pharisiens dans cette importante conjoncture. Pour les Sadducéens, nous ne voyons pas dans tous les Actes des Apotres qu’un seul d’entre eux daigna ouvrir les yeux a la lumiere de l’Evangile. Il semble meme que les premiers disciples de [231] Jesus-Christ les ayent regardez comme des Heretiques desesperez, & nous ne voyons pas qu’aucun miracle ait été fait pour rappeller quelque’un d’entre eux de ses funestes égarements. Il n’en étoit pas ainsi des Pharizéens, & nous en voyons un sur-tout conduit au chemin du salut par un miracle des plus remarquables ; ce qui met une difference sensible entre ces deux Sectes ; aussi Saint Paul, après sa conversion, s’est toûjours fait une gloire du Pharizéisme dans lequel il avoit été élevé ; c’est ce qu’il a fait voir en parlant à tout le peuple de Jerusalem, & en plaidant sa cause devant le grand Conseil & devant le Roy Agrippa ; on voit encore la même chose dans son Epître aux Philippiens.

De tous ces faits on peut conclure avec fondement, à ce qui me paroît, que les censures dont Jesus-Christ a accablé les Pharizéens n’ont pas porté proprement sur l’essentiel de leur Doctrine, qui estoit réellement pure & sainte ; Elles n’eurent pour objet que leur Hypocrysie, leur Avarice, la Tyrannie qu’ils exerçoient sur le peuple, l’Orgueil, qu’ils fon-[232]doient sur leur zele outré pour les ceremonies de la Loy, & le poids qu’ils adjoûtoient à ce joug par leurs traditions vetilleuses.

En voilà bien assez sur cette matiere, je n’y joindray que quelques réflexions, qui y ont du rapport ; L’Atheisme me paroît infiniment plus pernicieux pour la Societé humaine, que la Religion sous quelque figure terrible qu’elle puisse paroître, pourvû que ceux qui en font profession, en soient veritablement persuadez. Mais un esprit fort qui admet à peine une Divinité, & qui rejette absolument la revelation est un monstre tout autrement formidable. Tant qu’il sera luy-même soûmis au pouvoir d’autrui, il parlera d’une maniere pathetique du droit naturel & des prérogatives communes à tous les membres de la societé, mais dés qu’il se verroit armé du pouvoir souverain, il changeroit sans doute de langage, & de conduite ; aucun de ses principes ne mettroit des bornes à ses projets tyranniques. D’ailleurs fondez sur les remarques que nous avons faites touchant les Sadducéens, nous n’avons gueres lieu d’esperer la [233] conversion de nos incredules modernes. Quelle apparence, qu’un Dieu souverainement juste veuille accorder à des impies, qui se sont fait un jeu de l’attaquer directement, une grace suffisante, pour les tirer de leurs abominables erreurs !

Si ces idées sont justes, comme j’ose le croire, c’est le veritable temps de les rendre publiques, vous en estes prié, Monsieur, par

Vôtre tres-humble, &c. » ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3 ◀Nivel 2 ◀Nivel 1