Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXVI.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\076 (1723), S. 210-219, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4277 [aufgerufen am: ].


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Discours LXXVI.

Zitat/Motto► Homunculi quanti sunt. Plaut.

Que les petits hommes sont grands à leurs propres yeux. ◀Zitat/Motto

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Seconde Lettre du Sieur Jean le Court.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► «  Monsieur,

Comme notre assemblée s’est séparée aujourd’hui plûtôt que d’ordinaire, j’ai tout le loisir qu’il me faut pour achever la relation que j’ai commencée de vous en donner. Je vous ai déja entretenu de la nature & des vues de notre établissement, & il ne me reste que de vous informer du caractere de nos Membres, & des sujets de nos conversations.

Les personnes, qui se distinguent le plus dans notre societé, sont un petit Rimeur, un petit conteur de Fleurettes, un petit Politique, & un petit Heros. Fremdportrait► Le premier qui s’appelle Theodore Hemistiche a été élu notre President par tous les suf-[211]frages. Il merite cette dignité non seulement par ce qu’il est le plus petit de toute la bande, mais sur tout par ce qu’il est assez glorieux de sa petitesse, pour s’habiller toujours de noir, afin de paroitre encore plus petit. Ce n’est pas tout, il pousse son merite jusqu’à se courber quand il marche dans les rues. Il est difficile de voir une figure plus grotesque, c’est un petit bout d’homme tout des plus vifs avec de grands bras, & de grandes jambes ; Il ne ressemble pas mal à une araignée, & certaines gens l’ont pris à quelque distance pour un petit moulin à vent. Ces avantages corporels sont soutenus par un magnifique talent pour la poesie, & il nous a promis de composer un grand poeme en très petits vers pour celebrer tous les grands hommes de notre taille, qui se sont rendus illustres dans le Monde. Il aime Statius à la fureur pour l’amour de ce seul vers par lequel ce Poete latin depeint Tydée :

Major in exigue regnabat corpore virtus,

Sa bravoure faisoit d’autant plûtôt figure
[212] Qu’elle avoit pour séjour sa petite Nature.

Il a même resolu de traduire toute la Thebaide uniquement par tendresse pour ce petit guerrier. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► M. Thomas Trotte menu est un beau petit Brun, & le Damoiseau le plus galant du siecle. Il est extrémement propre dans ses habits, & pour les avoir faits de bon air il employe le même tailleur qui habille les Princes & les Heros de l’Opera du voisinage. La vivacité de son tempéramment le porte à se vanter assez souvent des faveurs du beau sexe. Il y a quelque tems qu’il s’excusa de ne pas rester à l’assemblée, en alleguant un rendez-vous qu’il avoit avec une belle, & même avec une belle de riche taille, qui avoit bien voulu lui promettre de satisfaire à tous ses desirs ; Un de la Compagnie, qui est son confident nous assura que la chose étoit vraye, mais que la Dame en question qui est d’une humeur un peu gaillarde lui avoit fait cette promesse à condition que le galant & elle seroient attachez ensemble par le gros orteuil. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Pour notre Politique c’est un personnage grave de naissance & habile [213] de profession. La gravité d’un homme de sa taille, paroit en comparaison de la gravité d’un grand homme, comme celle d’un chat mis en parallele avec celle d’un Lion. Notre illustre a pris l’habitude de s’apostropher lui-même quand il est seul, & un jour qu’il croyoit être sa seule compagnie, on l’a entendu se comparer à un petit cabinet, qui renferme tous les secrets des gouvernemens, & les maximes les plus rafinées des Princes.

Son visage est pale & decharné, ce qu’il faut attribuer à ses veilles & aux efforts d’imagination qu’il fait pour le bien de l’Europe ; il est apparent même que c’est la cause de son extrême petitesse, puisque rien n’empêche d’avantage un homme de croitre qu’une succession non interrompue de soins inquiets. C’est ainsi qu’il a ruiné sa propre constitution en ne songeant qu’a affermir celle de sa patrie. Il est ce que Balzac appelle un grand Distilateur des maximes de Tacite. Quand il parle il peze chaque parole avant que de lui donner l’essor ; on diroit qu’il craint de nous enrichir trop vite de ces su-[214]blimes remarques, & il ne ressemble pas mal à un Alambic qui donne goute à goute l’extrait des simples qu’il contient. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Il s’agit encore de vous dépeindre notre Heros le Chevalier de la Brette. Il se distingue surtout par la longœur de son épée, qui coupe sa figure par une ligne oblique en deux parties à peu près égales, ce qui lui donne la figure d’une mouche qui percée d’une épingle au travers du corps par un enfant malicieux ne laisse pas de marcher. Il lui est arrivé un jour d’appeller un grand homme en duel, pour lui avoir donné dans les yeux d’un coup de sa manche. La chose dont il se vante avec le plus d’ostentation, c’est que dans toutes ses campagnes jamais boulet de canon ne lui a fait baisser la tête.

Au reste à l’age de quatorze ans il étoit tout aussi grand qu’il l’est à cette heure ; quelque indifferent que soit cette particularité, je n’ai eu garde de la passer sous silence ; il s’en seroit choqué peut-être, car rien n’est plus colerique que les petits Heros. ◀Fremdportrait

Ce sont la les Messieurs qui ani-[215]ment le plus nos conversations ; Elles roulent d’ordinaire sur les accidents heureux & malheureux, que nous attire tous les jours notre taille ; nous les communiquons les uns aux autres, comme matieres de raillerie ; ou bien comme sujets de consolation mutuelle. Il y a quelques jours que notre President fit une rude chute, parce que le poids de son corps étoit incapable de le soutenir contre au grand coup de vent. Ce malheur lui donna occasion de nous dire que ce desastre n’est pas nouveau, & que la même chose est arrivée a un Poete ancien qui étoit tellement leger, qu’il étoit obligé pour eviter de pareilles culebutes de se lester avec du plomb, d’un coté, & avec ses propres ouvrages de l’autre. Notre petit amoureux tout aussi sincere que le Poete nous raconta hier, qu’il s’étoit gueri de l’amour qu’il avoit eu pour une grande personne, en prenant trois matins de suite avec son the une prise de Roman comique, dont Ragotin est un des premiers Heros.

Notre guerrier a plus de réserve, & il est trop glorieux pour nous in-[216]struire des avantures qu’il a manquées de mettre a fin, & des accidents malencontreux qui ont varié le cours de sa vie. Pour le Politique il se déclare ennemi juré de la raillerie, & de tout badinage ; son front austere ne se deride jamais au recit de nos infortunes burlesques, on peut juger de la s’il est homme a nous etaler les siennes & a les placer dans ce jour agréable qui pourroit leur donner un air risible : s’il nous communique quelques catastrophes de sa vie serieuse, ce n’est que par forme de plainte, & nous avons assez de complaisance pour lui, pour ne jamais rire de ses malheurs, que lorsqu’il est absent.

Nous avons un soin particulier de nous communiquer tous les traits d’Histoire, & tous les characteres d’hommes illustres qui sont propres a faire honneur aux petites figures humaines ; Monsieur de la Brette qui n’a pas plus de lecture, qu’il n’en faut a un homme de guerre nous étourdit continuellement du petit David, qui fit mordre la poussiere au grand Goliat, & du petit Luxembourg, qui a rendu Louis quatorze grand Monarque ; Il n’a garde sur-[217]tout d’oublier le petit Alexandre le grand. Pour le sieur Hémistiche, il ne sauroit se lasser d’admirer l’affabilité d’Auguste, qui dans une lettre a Horace l’appelle son joli petit homme, & il témoigne une une <sic> tendresse particuliere pour Voiture ; & pour Scarron, qui ont bien voulu donner a la posterité l’idée la plus exacte de leur figure abregée. Il décide hardiment contre un grand Literateur, & tous ses Sectaires, qu’Esope n’a pas été d’un brin plus grand & plus joli, qu’on le depeint d’ordinaire ; mais notre guerrier se déclare de l’opinion du savant personnage dont je viens de parler ; il soutient que la guerre des rats & des grenouilles ouvrage attribué à Esope est une Satire sanglante contre les petits Heros, & qu’elle ne sauroit sortir que de l’esprit grossier que de quelque maroufle d’une taille gigantesque. Quant à notre Politique, son lieu commun favori & qui lui égaye le plus l’imagination est un certain Roi d’Egypte nommé Bochor qui, selon le témoignage de Diodore, fut extremement petit, mais qui surpassa tous les hommes qui furent avant lui du [218] côté de la prudence, & de l’art de gouverner.

Comme j’ai l’honneur d’être Secretaire de notre Societé, c’est mon devoir de recœuillir tout ce qui se dit, & tout ce qui se fait de remarquable dans chaque assemblée. C’est là ce qui me met en état de vous communiquer les particularitez que vous venez de voir, & de vous donner dans la suite d’autres memoires de la même force, sur un sujet si important. Je dois vous dire encore que nous avons des Espions dans tous les quartiers de la ville, pour être informez exactement de la conduite des Pigmées rébelles, qui ont l’audace de mépriser nos loix & nos statuts ; qu’ils prennent garde à eux ; les grands airs qu’ils pourront se donner dans leurs amours ou dans leur combats, afin de passer pour des hommes formels, n’échapperont point aux mesures que nous avons prises, pour en avoir la plus exacte connoissance ; nous en serons instruits à coup sur, & nous en instruirons le public, dans la vue de punir & de réformer ces petits ambitieux.

Notre Président m’a accordé à [219] moi seul le droit d’exposer à l’indignation de toute la ville tous ces nains intraitables qui par leurs actions veulent desavouer leur petitesse, quoi qu’il ne leur manque que la pauvreté pour être conduits de foire en foire dans des boetes. Il ne s’est reservé à lui-même en qualité de Poete, que certains ridicules distinguez & propres à aiguiser la pointe d’une Epigramme. Adieu, Monsieur, je vous salue au nom de toute la societé.

Jean le Court, Secretaire. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1