Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXII.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\072 (1723), S. 182-193, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4272 [aufgerufen am: ].


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Discours LXXII.

Zitat/Motto► - Constiterant hinc Thisbe, Pyramus illinc Inque vicem fuerat jactatus anhelitus oris.

Thisbé étoit d’un côté de la muraille, Pyramus de l’autre, & ils prenoient plaisir de s’unir du moins par leur haleine. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Je n’ai garde de donner mes discours pour autre chose, que pour un assemblage de ce que je vois, de ce que j’entends, & de ce que je pense de mon propre fond ; il y entre bien des choses, qui ne sont pas de mon cru, & qui fruits de ma lecture & de mes conversations avec des amis éclairez, ne me [183] laissent que le mérite de les mettre en œuvre. Ce qui me chagrine, c’est que certaines matieres graves, que je fournis quelquefois à la reflexion de mes Lecteurs s’attirent moins leur attention, que des sujets badins plus propres à amuser, qu’à instruire. Cette triste experience me force à ne considerer d’ordinaire le vice que de son côté ridicule, & comme une partie de cet amas de mœurs dereglées, que le terme specieux de Galanterie sauve dans son sens indeterminé. A moins que de m’y prendre ainsi, je cours risque d’aller au sortir des caffez chez les beurieres, & de perdre en même tems mon travail, & ma réputation. Quelle mortification pour un Auteur de se voir justement le moins lu, lorsqu’il a fait les plus grands efforts pour meriter de l’être ; je veux faire de mon mieux pour m’épargner ce chagrin, & puisqu’il faut parler galanterie, je parlerai galanterie ; c’est l’unique moyen de plaire universellement, dans un siecle, ou l’esprit d’intrigue amoureuse est descendu jusqu’aux classes les plus viles de la populace, & ou les Laquais mêmes savent languir, & soupirer dans les regles. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► Il y a quelque tems que passant par [184] devant une maison distinguée, je fus l’heureux spectateur d’une Scene de basse galanterie des plus Comiques. Une Servante étoit occupée à frotter les vitres au dedans de la maison, pendant que son très humble serviteur le Laquais jouissoit de la félicité d’en faire autant au même chassis du côté de la rue. La soubrette ne paroissoit d’abord que songer uniquement à son ouvrage, & ayant poussé son haleine contre un des paneaux, la suivit un torchon à la main, pour rendre à la vitre sa beauté naturelle ; Le pauvre galant accablé de l’air froid de sa belle tira du fond de sa poitrine un soupir qui sembloit devoir être le dernier de sa vie, & d’un air triste & abatu il se mit à imiter la manœuvre de sa cruelle ; pendant quelques momens il continua à travailler & à languir de la même maniere ; à la fin la belle déridant son front l’honora d’un souris gracieux, mais dans le moment même étendant son torchon devant son visage elle se fit un plaisir de se derober à son admirateur, qui dans une tendre extaze sembloit vouloir forcer tous les obstacles, qui le séparoient de l’objet aimé ; avec ce joli manége il parcoururent la moitié d’un chassis ; alors chan-[185]geant de badinage ils se firent un divertissement de couvrir de leur haleine le même carreau, comme s’ils avoient envie de s’entrecommuniquer une partie de leur Etre, & de se confondre dans ces exhalaisons.

Les deux amants se donnerent ces marques de tendresse, en tirant de leur proximité distante tout ce qui pouvoit flatter le plus leur imagination, jusqu’à ce qu’enfin le chassis fut assez transparent pour que l’amant pût voir dans leur entier tous les charmes de sa maitresse ; alors comme s’il n’avoit travaillé, que pour parvenir a ce but, il se jette dans la maison d’un air impatient pour voir sans doute si, le brillant des vitres ne fardoit pas sa belle ; heureusement pour lui toute la famille étoit sortie ; Le couple galant disparut bientost, & il est assez aparent qu’il mit en jeu plus d’un des cincq <sic> sens de Nature. ◀Allgemeine Erzählung

Cette conjecture n’est pas sans fondement ; d’ordinaire les amants du plus bas étage font une application plus promte, de leurs soupirs & de leurs tendres regards, que les personnes d’une certaine éducation, qui habituez à un plus grande réserve se disputent le terrain avec plus de methode.

[186] Je me suis fort souvent diverti à faire la revue de toute la galanterie subalterne, qui regne dans la ville, j’ai pris quelquefois un fiacre pendant une journée entiere pour examiner dans ce point de vue toute la foule qui se presentoit a mes yeux. Ce spectacle a son merite, puisqu’on peut asseurer, que dans toute cette multitude prodigieuse d’habitans de Londres, il n’y a peut-être pas une seule creature humaine, qui ne soit engagé dans l’amour d’une maniere legitime, ou criminelle. Ce qui m’a paru toujours le plus amusant dans cette revue, c’est d’observer les intrigues de ces mâles & de ces femelles, dont la vocation est d’agir en public. Si pendant l’Eté rien n’est plus agréable qu’un bois qui résonne de mille accents variez d’oiseaux, qui se font l’amour, on peut dire que pendant toute l’année la Ville n’est pas moins divertissante pour ceux, qui savent demêler les marques de tendresse que se donnent par leurs cris les personnes publiques, dont je viens de parler ; elles sont partagées en differentes classes de males & de femelles qui paroissent faits les unes pour les autres. Les Fiacres, les Porteurs de chaise, & les Croche-[187]teurs sont les amants nez des Laitieres, des Herbieres, & de toutes les Revendeuses. Tout cela compose une espece de monde Sauvage, où l’on exprime ses pensées, & ses désirs, par des termes, dont ceux, qui ne sont pas initiez dans ces misteres, sont incapables de deviner la signification ; c’est ainsi que souvent une Fruitiere paroit avoir perdu l’esprit en criant des denrées qu’elle n’a point, mais ceux qui sont du secret savent que ce cris n’est autre chose, qu’un rendez-vous qu’elle donne à un Fiacre, qui pousse ses maigres haridelles de l’autre côté de la rue, & qui la comprend à merveilles. Il en est de la même maniere de mille heurlements <sic> tendres, qui étourdissent les passants, incapables de distinguer les termes du negoce subalterne d’avec les déclarations d’amour affectées à la basse galanterie.

La modestie est tellement decriée parmi nôtre petit peuple, que l’exterieur même en est entierement hors de mode ; & la marque la plus sensible de la corruption generale de nos mœurs, c’est que les gens du commun exposent leurs vices avec la derniere effronterie aux yeux mêmes des personnes, à qui [188] ils doivent le plus de respect. Les differents ordres, qui composent la nation se suivent de si prez, & s’imitent avec tant d’ardeur, que les desordres les plus honteux descendent des gens les plus qualifiez jusqu’à la plus vile populace par la pente la plus aizée, & sans faire aucune cascade sensible. Cette triste vérité est sur-tout palpable dans ce peuple de Laquais, qui infeste toutes les rues de notre bonne Ville. J’ai toujours cru que c’étoit une grande résolution que d’oser passer par devant une troupe de valets de pieds polis, & du grand air. Ces Messieurs, singes constans de leur maitres savent railler, faire l’amour, satiriser de bonne grace, tourner des passants en ridicule, & faire des Commentaires malins sur les habits, & sur la figure des Bourgeois. La licence, dans laquelle on leur permet de vivre, entre sur ces ames viles differens caracteres à la mode ; c’est par là que la livrée a ses chefs de parti, ses petits-maitres, & ses esprits-forts.

Quel ravage ces Messieurs ne doivent-ils pas faire dans les mœurs de cette Ile, s’il est certain, comme j’en suis persuadé, que tout homme d’une conduite irréguliere entraine pour le moins [189] une femme dans ses desordres ; rien de plus contagieux que le vice, & par conséquent rien de plus sage que d’éviter le crime de repandre le poison de nos mauvaises mœurs sur le caractere de nos prochains. Juvenal enseigne aux gens d’age à respecter les Enfans, & à ne rien dire en leur presence, qui puisse faire de dangereuses impressions sur leurs tendres ames. Cette maxime est très appliquable à la conduite qu’il faudroit tenir avec des domestiques, & ce seroit une espece de vertu de daigner leur cacher les deformitez de notre ame. Notre interêt seul devroit nous porter à cette prudente réserve. Toute autorité est foible, si elle n’a pas pour baze, une véritable estime pour celui qui exerce cette autorité. Les moyens de subsister, que nos domestiques reçoivent de nous, ne suffisent point pour leur inspirer de la soumission, quand nos habitudes vicieuses nous rendent les objets de leurs railleries, & de leur mépris ; jamais on n’est bien servi, que par des gens qui ont une haute idée de notre merite, & nous nous efforcerons en vain à leur inspirer des sentimens de veneration pour nous, si nous leur étalons sans honte des déreglemens, que nous vou-[190]drions bannir de leur conduite.

Un homme sage peut rire quelquefois quand il voit dans un valet l’imitation des airs ridicules de son maitre, mais un amateur de la vertu, ne sauroit être que mortifié quand il voit les desordres des gens distinguez entez sur l’ame de ceux, qui le servent.

Il n’y a rien ou nos Domestiques marquent plus de docilité que dans l’imitation de nos divertissements ; ne faudroit-il donc pas que le simple sens commun nous dictât la prudence de leur cacher tous nos plaisirs, qui s’éloigneroient de l’innocence ? Quelle presomtion insupportable de prétendre que la simple considération qu’ils nous doivent, les détournent du vice, dans le tems que des motifs infiniment plus relevez n’ont pas la force de renfermer nos propres desirs dans les bornes de la vertu ?

Je l’ai deja dit ; ce sont les vices à la mode, & surtout ceux qui entrent dans la composition de ce qu’on appelle galanterie, que les gens, qui nous servent, aiment le plus à emprunter de leurs maitres. Jusqu’ici ils ne se sont pas encore avisez de faire des Elegies & des Chansons ; excepté ce seul trait, les [191] copies valent a peu près les originaux. Mais quels funestes effets ne produit pas une imitation si abominable, & en même temps si naturelle ? De là cette race malheureuse de batards qui expiant les crimes de ceux, qui leur ont donné le jour, ou languissent toute leur vie dans une afreuse disette, ou trouvent la mort dans les premiers jours de leur existance.

La possession d’un bien considerable semble en quelque sorte extenuer le crime de ceux, a qui elle fournit les moyens de se livrer a des voluptez criminelles ; mais la pauvreté & la servitude liées aux vices qui sont naturels a l’abondance, & a la superiorité du rang, composent un Monstre, qui fait a mon avis, la honte particuliere de ce malheureux siecle. Je suis sur que bien des gens ne daignent pas seulement prêter attention à cette particularité mortifiante, & que d’autres en font un sujet de raillerie ; mais pour moi j’y trouve un vaste champ de tristes réflexions ; persuadé que de la corruption de nos domestiques derivée de la negligence, & des mauvais exemples des maitres découle un grand nombre des malheurs, qui inondent notre na-[192]tion, aussi bien que tous les autres peuples de l’Europe. De cette source impure sortent les miseres & l’afreuse disette, qui accablent la vieillesse decrepite. De là les brigandages & les meurtres, ou une malheureuse naissance porte la vigœur de la jeunesse destituée de bien & d’éducation. Si aux malheurs qui naissent du libertinage des gens de famille communiqué à leurs Laquais, on vouloit bien opposer les heureux effets de la conduite paternelle d’un maitre à l’égard de ses Domestiques, il me semble que rien ne seroit plus naturel que de faire tous les efforts possibles pour se rendre les bienfaiteurs de la patrie, en veillant sur les mœurs de ceux qui nous servent.

Fremdportrait► Lycurgue gouverne sa famille d’une maniere si noble, & si prudente, que dans un païs où l’esclavage est si peu connu aux gens du plus bas ordre même, ses Domestiques jouissent d’une liberté, qu’ils chercheroient envain chez tout autre maitre. Il est le Banquier, le conseiller, l’ami, & le Pere de tous ceux, qui dépendent de lui ; la tendresse est la Loi generale de sa maison. Un valet trouve une route sure à la saveur de ce bon Maitre, en aimant [193] ses compagnons, & en leur rendant service ; chacun d’eux se recommande soi même, en parlant avantageusement du merite des autres. Plusieurs petites fortunes sont sorties de sa bonté comme d’une source feconde, & il menage ses bienfaits avec tant de prudence, que cette source bien loin de s’épuiser par les canaux où elle se jette, ne fait que se frayer une route à d’autres ruisseaux subdivisez. Il fait du bien avec un discernement si juste, qu’il augmente ses richesses en les repandant ; mais ce qu’il y a de plus grand en lui, c’est qu’il instruit par son exemple ceux qu’il rend heureux, dans l’art de faire un bon usage de leur bonheur. Je connois plusieurs personnes, que non seulement il a enrichies, mais qu’il a rendues encore capables d’être riches avec bienseance, & avec dignité.◀Fremdportrait ◀Ebene 2 ◀Ebene 1