Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXIII.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\063 (1723), S. 78-86, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4264 [aufgerufen am: ].


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Discours LXIII.

Zitat/Motto► -Certum voto pete finem.

Attachez vos desirs à un but fixe. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Les Philosophes moraux reconnoissent deux sortes de biens. Les premiers sont par leur propre nature dignes de nos desirs : les autres, quoi qu’ils ne soient pus désirables par eux-mêmes, le sont pourtant en qualité d’instrumens propres à nous procurer les biens véritables. On exprime d’ordinaire cette vérité en distinguant entre la fin & les moyens ; distinction, qui excite dans les esprits, qui s’y sont familiarisez, la même idée que celle que nous venons d’exposer d’une maniere plus étendue. La Nature même nous porte à la recherche de la prémiere espece de biens ; mais, nous ne nous attachons à la seconde, que par réfléxion & par choix.

Les personnes sensées n’envisagent jamais les moyens, que comme des sentiers qui aboutissent à quelque bien réel ; mais, les petits esprits, qui agissent par [79] imitation, plutôt que par principe, changent le moyen en fin, & s’il m’est permis de parler ainsi, ils confondent le chemin avec le gîte. La conséquence d’un procédé si bisarre, c’est que de tout un systême de félicité ils n’ont pour leur partage, que les peines & les travaux, & qu’ils se privent des avantages, où ces travaux & ces peines conduisent un esprit juste. Leur vue ne s’étend pas jusqu’à la fin naturelle de ces moyens, & elle se termine dans des objets, qui n’ont qu’une bonté relative, & qui par leur propre nature, sont indifférens, ou bien du nombre des maux véritables.

Cette irrégularité de conduite, qui a sa source dans un défaut d’étendue d’esprit, répand les égaremens, qui lui sont naturels, sur toutes sortes d’Etats & de conditions ; mais, elle est sur-tout sensible dans trois sortes de personnes, les Litérateurs, les Avares, & les Libertins. Metatextualität► Je ferai tous mes efforts pour faire voir jusqu’à quel point chaque classe de ces petits esprits est coupable de cette extravagance ; & je commencerai par les Litérateurs. ◀Metatextualität

L’Utilité, & le plaisir, sont les deux buts, qu’une créature raisonnable [80] doit se proposer dans toutes ses entreprises, &, par conséquent, dans le dessein, qu’elle forme de s’appliquer aux Etudes. Les parties du savoir, qui se rapportent à l’imagination, comme la Poésie, & l’Eloquence, conduisent d’abord l’esprit à un de ces buts, savoir à un plaisir digne de l’homme, & supérieur à tous les plaisirs grossiers des sens. Cette satisfaction delicate & touchante est bien tôt accompagnée d’une utilité réelle, quand des véritez importantes & sublimes, renfermées dans des Allegories justes & dans de belles images, font sur un esprit qui raisonne des impressions fortes & durables. C’est alors, que l’imagination n’est occupée qu’à servir la raison, & qu’elle y fait entrer sans peine l’instruction à la faveur de l’agrément.

Il en est de même de l’exercice qu’on donne à la raison, en la portant à la découverte de la vérité, cet exercice, non seulement épure l’ame, étend & fortifie toutes les facultez de l’esprit, & asservit les passions à des regles certaines ; mais, il nous procure encore la jouïssance immédiate des plaisirs les plus satisfaisans. Les opérations de l’esprit sont accompagnées d’une joye secrete, [81] proportionnée à l’excellence de notre ame, & d’autant plus touchante, qu’éloignée de nos sens, elle se concentre dans ce qui fait réellement l’homme.

L’exercice qu’on donne à la mémoire est de toute une autre nature. Au lieu d’être accompagné de plaisir, & de nous faire jouïr d’une utilité immédiate, il nous fatigue & nous accable ; sur-tout quand on en fait usage pour parvenir à la connoissance des Langues.

Cette occupation est par sa nature la plus seche, & la plus ingrate, qu’on puisse concevoir ; &, jamais un homme raisonnable ne s’y livreroit, si ses vues ne s’étendoient pas plus loin qu’à un vain amas de sons. La sterilité même de ces sorres <sic> d’Etudes prouve évidemment, que le motif qui a pu porter les hommes à s’acquerir la connoissance des Langues mortes, a été de pénétrer par là dans les idées des anciens, & de s’enrichir de leurs lumieres.

Il y a pourtant des Litérateurs, qui, voyant qu’on fait cas du Grec & du Latin, s’engagent étourdiment dans l’Etude de ces langues, pour l’amour de ces langues mêmes ; & sans former le moindre dessein d’en faire quelque usage. Ils palissent sur les livres anciens, unique-[82]ment pour en recueillir quelques phrazes, & quelques autres minuties, auxquelles ils prêtent une valeur extraordinaire ; parceque la connoissance en est rare, quoique cette Rareté ne vienne que du mépris qu’ont pour elles les bons Esprits. Dans ces ouvrages admirables il <sic> vont à la chasse des expressions, avec une ardeur merveilleuse, & ils dédaignent de s’arrêter un moment sur les maximes de morale, sur les tableaux des mœurs les plus exacts & les plus vifs ; sur les plus profondes découvertes dans les arts, & dans les sciences, sur les pensées les plus justes, & sur les images les plus brillantes.

Il ne considerent tous ces thrésors, que comme un fatras philosophique, qui n’est pas du ressort de l’Erudition. Le vrai savoir, selon eux, ne doit rouler que sur des mots, sur des points, sur des virgules. Jamais, un de ces fameux Critiques lit-il Platon, d’un esprit attentif aux Lumieres qui sortent de ses ouvrages de toutes parts. S’attache-t-il à Ciceron, pour y puisser ces grands sentimens de vertu, & ces nobles maximes de l’amour de la Patrie, que ce grand Orateur a su mettre dans leur plus beau jour ? Suit-il tout le fil des Histoires [83] Grecques & Romaines, dans le dessein de régler sa conduite sur les grands modelles qu’elle <sic> offrent à notre bon-sens ? Non. Platon est un autheur Grec, Le Latin de Ciceron est beau, Il y a de la Patavinité dans Tite Live : voilà tout ce qu’il en sait, & tout ce qu’il en veut savoir. Il y a des mots dans les Histoires, comme dans les Harangues ; & il faut citer les unes & les autres, simplement pour authoriser quelque Phraze.

Il n’y a point d’amusement plus noble & plus convenable à l’Esprit humain, que la Lecture des bons Auteurs : rien ne sauroit nous rendre plus propres à vivre agréables à nous-mêmes, & utiles aux autres hommes. Mais, quand on s’y jette avec un génie borné, & incapable de Réflexion, quand on n’y éxamine le sens, que pour l’amour des parolles, on s’adonne à une occupation, à la quelle certainement la Nature ne nous a pas destinez, & qui n’a rien de commun avec les plus nobles facultez de notre ame. Bien loin de cultiver & d’orner notre raison, une Lecture si mal dirigée l’enrouille, l’avilit, & la rend incapable de procu-[84]rer le moindre avantage à la société. Tout ce que ces sortes de savants gagnent par leurs veilles & par leurs Lucubrations, c’est l’Encens qu’ils se prodiguent les uns aux autres, en se plaçant réciproquement au haut du temple de Mémoire, bien au dessus de tous ceux qui ont su pénétrer dans la Nature des sciences les plus utiles.

La même petitesse d’Esprit, qui est la source de cette espece de Pédanterie est l’origine véritable de l’avarice. Les expressions & l’argent ne doivent être considerez, que comme les signes des Choses. La connoissance des unes, & la possession de l’autre, n’est d’aucun usage, si on ne les destine pas à une fin plus éloignée.

Pour faciliter parmi les hommes le commerce de tont <sic> ce qui peut remplir leur besoins naturels, ou imaginaires il a fallu convenir d’un certain signe fixe, auquel on pût réduire la valeur de toutes les productions de la Nature, & de l’art. On s’est servi de ce signe, pour se transporter mutuellement la propriété des choses, de la même maniere, qu’on fait usage des mots, pour se communiquer les Idées. L’Or brillant, rare, & d’une nature inaltérable, pa-[85]roit avoir été déstine par la providence à rendre un service si considérable au genre-humain ; & c’est par là qu’il a commencé à s’attirer notre estime & notre tendresse, qu’il mérite en qualité de Moyen excellent. Mais, certaines gens, qui ne savent pas distinguer ce moyen d’avec sa fin ; frappez de l’attachement, que tous les hommes paroissent avoir pour ce métail, ne songent pas à la cause de cette espece de passion ridicule en elle-même, & l’attribuent au prix réel de cet instrument commode du commerce.

Je crois pouvoir inférer de là, que le même homme, qui elevé dans le Cabinet s’occupe à entasser des expressions dans sa mémoire, s’il avoit été elevé dans un Comptoir, auroit entassé de l’or dans ses coffres. L’avare & le Litérateur agissent par le même Principe, quoique sur des objets différens : ils ont la même sorte de génie, & leur ame est précisément dans la même situation.

Si l’on vouloit éxaminer à fond le caractere de nos Esprits-forts modernes, on trouveroit sans peine, que leurs égaremens les confondent avec les deux viles especes d’hommes, dont je viens [86] de développer le naturel. Les vues courtes de ces prétendus sages se terminent dans les objets qui les frappent immediatement, & leur attachement spécieux pour la liberté de penser, & pour la vérité, ne vient que d’un ridicule sophisme, qui confond la fin avec les moyens. Metatextualität► Mais, cette matiere vaut bien la peine d’être réservée toute entiere pour une autre occasion. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1