Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement XXIX.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\029 (1748), S. 233-248, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4207 [aufgerufen am: ].


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Amusement XXIX

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Les Muses françoises,
Cantate, a l’honneur de
Leurs Majestés
.

Chantés, Nymphes du Permesse !

Le plut <sic> aimable des Rois :
Esclave de la Sagesse,
Il en fait fleurir les lois.

De Lui nous devons tout attendre ;

Il ramenera l’âge d’or ;
Il sera le Numa du Nord,
Et, s’il le faut, l’Alexandre.

C’est ainsi qu’Apollon, aux plus sublimes chants

Invitoit les sçavantes Fées ;
Déjà le docte Chœur préludoit des accents,
Qu’auroient envié les Orphées ;
Mais Thalie s’oppose à ces concerts charmans :

Que sert de le chanter, dit-elle ?

Nos éloges sont superflus ;
L’amour de Son Peuple fidelle
Eternisera Ses vertus.
[234] Son nom, au Temple de Mémoire
Se placera sans nous, mes Sœurs !
Quels sons égaleroient la gloire
D’un Roi, qui régne sur les Cœurs ?

N’importe ; obéïssons, répliqua Melpomène,

Aux ordres du sage Apollon ;
Quoi ? Lorsque Frederic, Protecteur de la Scène,
Daigne étendre Ses soins sur le sacré Vallon,
Et de Son Auguste présence
Honorer les Jeux d’Hélicon,
Muses ! nous garderions un indigne silence ?

Il nous prète Son appui,

Que notre reconnoissance
A Ses yeux éclate aujourd’hui
Par l’harmonie & la cadence.

Frederic est ami des Arts ;

A Sore, il nous ouvre un Parnasse ;
Du plus Auguste des Césars
Il suit fidellement la trace.

Il nous prète Son appui ;

Que notre reconnoissance,
Par l’harmonie & la cadence,
A Ses yeux éclate ajourd’hui.

Que des Rois ennivrés d’un funeste délire,

De la nature & des besoins
[235] Rompant les sacrés nœuds, mettent à se détruire
Tout leur plaisir & tous leurs soins :
Frederic, de Titus veut égaler la gloire :
Il entretient la Paix ; il préfère au Laurier
Le pacifique Olivier :
Modérer les Impôts, vaut bien une Victoire.

Qu’à jamais vive la mémoire

D’un Roi, qui, pour premiers essais,
Compte Ses jours par Ses bienfaits !
Qu’à jamais vive la mémoire
D’un Roi, Pére de Ses Sujèts !
Qu’à jamais vive Sa mémoire !

Quels chants ! quels titres plus flatteurs !

Le Conquérant vit dans l’Histoire ;
Les bons Rois vivent dans les Cœurs.

Danois ! trop fortunés Danois !

A qui de son amour le Ciel donna ce gage ;
Redites après nous d’une commune voix :
Frederic est de tous les Rois
Et le plus jeune & le plus sage.

Que manque-t-il à Son bonheur ?

Je vois à Ses côtés une aimable Héroïne ;
Son grand cœur est égal à Sa noble origine,
Et son esprit brillant est égal à Son cœur ;
Cette Auguste Princesse, assise sur ce Thrône,
Où brillent à la fois mille & mille vertus,
[236] Digne de Frederic, peut-on en dire plus ?
Partage en même tems Son Cœur & Sa Couronne.

A ce Couple heureux

Qu’à plaire on s’empresse !
A de si beaux nœuds
Que tout s’intéresse !
Formés mille vœux,
Peuple ! qu’en ces lieux,
Le plaisir assemble ;
Formés tous ensemble
Mille & mille vœux
Pour ce Couple heureux.

Que filés d’or & de soïe

Leurs jours coulent dans la joïe !
Puisse sur nos derniers neveux
Régner encor ce Couple heureux !

Pour exprimer tout ensemble

Et Leurs vertus & nos vœux,
Puisse bientôt naître d’Eux
Un Héritier qui Leur ressemble !
Qu’il naisse de ce Couple heureux
Un Héritier qui Leur ressemble !

Et bene conveniunt, & in unâ sede morantur Majestas & Amor.

A Jægersbourg.

de la Beaumelle. ◀Ebene 3

[237] Metatextualität► Les suffrages distingués qu’a eu cette Piéce, les noms respectables qu’elle porte, les loüanges de Leurs Majestés qui y sont chantées, la permission, que la Cour eût la bonté d’accorder à l’Auteur, pour la faire éxécuter sur le Théâtre de la Comédie Françoise, tout cela devoit, ce semble, la mettre à couvert de la critique. Mais ces circonstances favorables n’ont fait qu’aigrir la mauvaise humeur de quelques Envieux ; je dis quelques, parceque je sai de bonne part, que ce qu’on va lire est l’ouvrage de trois personnes. De la part d’un Trio, on s’attend à des merveilles. Qu’on juge s’il en a produit. ◀Metatextualität

Ebene 3► « I)1 Le 20. Decembre 1748. on doit chanter sur le Théâtre de la Comédie Françoise une Cantate, 2)2 forgée par un 3)3 certain La Beaumelle.

[238] La Musique est composée par un Allemand, qui 4)4 n’entend point le François ; & celui qui chantera [239] 5)5 ignore aussi cette Langue. Tout cela ne nous promèt pas beaucoup. L’éxécution en décidera. Une chose, sur laquelle on est en état de juger dès à présent, c’est que l’auteur, qu’on peut appeller de la 6)6 sorte, puisque ses vers sont aussi [240] 7)7 prosaïques, que sa prose dans d’autres ouvrages est 8)8 poëtique a manqué son titre. Il auroit du intituler saCantate <sic> 9)9 Les Anes du Parnasse, & non, les Muses Françoises, si on veut des preuves qui justifient cette critique, les voici.

[242] 1°. N’est il pas du dernier 10)10 ridicule, que les Muses, qui sçavent, que leurs vers sont plus 11)11 durables que [243] l’airain & le bronze, & qu’elles seules sont capables de donner l’immortalité, soutiennent que l’amour des Peuples a plus de force que leurs vers pour éterniser la mémoire des [244] vertus, que le nom de 12)12 quelquun peut se placer sans elles au Temple de Mémoire, & que les sons d’un Dieu & de neuf 13)13 Déesses ne sauroient 14)14 égaler la gloire d’un Roi, [245] qui régne sur les cœurs ? 2°. Y a-t’il rien de plus 15)15 impertinent, & de plus indigne du Chœur des Muses, que de dire, que les 16)16 Rois de l’Europe ennivrés d’un funeste délire rompent les sacrés nœuds de la nature & des besoins, & mettent tout leur plaisir & tous leurs soins à se détruire, lors qu’ils se font la guerre ? C’est soutenir qu’il n’y a point [246] de guerre juste, c’est prononcer sur les droits des Princes, & décider souverainement des motifs, qui leur font prendre les armes ; deux choses, qui ne furent jamais du ressort du Parnasse. 3°. Quelle 17)17 brutalité de refuser de faire vire les bons Rois dans l’Histoire ? Si Titus n’avoit vécu que dans le cœur de ses Peuples, comment aurions-nous aujourd’hui une idée de ses vertus ? Et si les Muses étoient assés déraisonables [247] pour refuser à l’imitateur de Titus une place au Temple de Mémoire, comment la connoissance de ses belles actions se transmettroit-elle à la postérité ? 4°. Les Muses n’ont-elles donc aucun 18)18 ménagement à garder ; & leur convient-il de dire sans détour ; que Frederic est le plus jeune des Rois & le plus sage de tous ? Ignorent-elles, qu’il y a des vérités, qui ne sont pas bonnes à dire, & qui pourroient leur attirer un bannissement des Etats des Souverains, qu’elles offenseroient par une préférence si marquée ? Aulieu [248] 19)19 « de mettre toutes ces pauvretés dans la bouche des Muses, mettons les dans la bouche des Anes. Les loüanges des Animaux ne diminûront point la gloire des Augustes personnes à qui elles sont adressées, puisque David dit : Laudate Dominum Bestiæ & universa pecora. » ◀Ebene 3

Metatextualität► J’avois envoïé mon Manuscrit à l’Auteur de la Cantate. J’en ai reçu ce matin cette Lettre. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Je vous remercie, Madame, de la chaleur avec laquelle vous prenés mes intérêts. Mais je ne saurois m’empècher de vous dire ; que, Vous me défendriés mieux, en me défendant moins. Des ennemis aussi peupolis <sic> que les miens ne sont pas des adversaires dignes de vous. Ils ont cru, que je leur répondrois sur le même ton qu’ils ont écrit. Qu’ils ne s’en flattent pas. J’ai montré leur Libelle à qui l’a voulu voir ; & si je ne découvrois dans ma Cantate nombre de fautes, si je ne voïos, qu’elle ne peut passer qu’à la faveur de l’indulgence de Leurs Majestés, & de la vérite des loüanges, je croirois mon ouvrage fort bon ; & il ne pourroit que l’étre, s’il n’y avoit que les 4. défauts, que les Critiques y ont remarqué. Voici une Epigramme, qui exprime ma reconnoissance.

Je n’y saurois tenir, arrètés : votre encens

Zoile ! me monte à la tête :
Pour l’amour propre d’un poëte
Aiés plus de ménagemens.

J’ai frondé, direz-vous, votre transport lyrique ;

J’ai - - - D’accord ; mais votre Critique
Vaut bien mille applandissemens <sic>.

A.D.L.B. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

[241] (*20 ) Reflexions historiques
sur la Monarchie universelle
.

Ebene 3► Ferdinand d’Arragon, le plus grand Politique de son Siécle, & dont le Génie fut infiniment plus étendu que la puissance, fut le premier qui forma le vaste dessein d’une Monarchie Universelle. La maniére dont il s’y prit est remarquable.

Il en jetta le premier fondement en mariant sa Fille Jeanne son Héritiére à l’Archiduc Philippe fils de l’Empereur Maximilien. Observés, qu’il avoit déjà eû la précaution ou le bonheur d’enter dans sa Maison toutes les Roiaumes d’Espagne, par son mariage avec Isabelle de Castille.

Ce Prince Ambitieux, ne mettant point de bornes à ses desirs, attaqua le Roiaume de Naples, l’enleva aux Fançais, & réunît à la portion que ceux-ci lui en avoient laissée celle qu’ils avoient gardée pour eux en le conquérant.

La Navarre étoit à sa bienséance. L’Interdit, que le Pape Jules II. fulmina contre Henri qui en étoit Roi, lui fournit le pretexte d’usurper ce Roiaume, sous couleur d’obéir au Saint Pére.

Ajoutés à cela qu’il eut le bonheur d’accepter les propositions de Christofle Colomb, qui, par la découverte des Indes Occidentales, le rendit Maitre des plus riches Mines du Monde.

Cette puissance, ajoutée à celle de l’Archiduc, rassembla en une mème maison cent différens Etats, comme autant de bras épars en divers endroits pour embrasser & enchainer le reste de la Chrétienté. Cette jonction du feu & du courage Allemand avec la séchéresse & la prudence Espagnole fut comme le lien, qui devoit captiver l’Europe.

Le plus, Ferdinand posa pour principe de l’ambitieux sisteme qu’il laissoit à sa Postérité, de retenir toujours la Couronne Im-[242]périale, comme la baze de la grandeur où elle aspiroit. Voilâ la premiére idée de ce grand dessein, & le germe d’où il a commencé d’éclore.

Ses Successeurs entrérent parfaitement dans ses vües. Quels stratagèmes ne mirent-ils pas en œuvre pour étendre leur Puissance à l’ombre de la dignité Impériale ? Combien de Ligues ne sçurent-ils pas former en Allemagne ? Avec quelle adresse ne les ajusterent-ils pas à leurs intérèts particuliers sous prétexte de l’intérèt des Confédérés ? Par ces Ligues ils disposoient des forces qui n’étoient pas à eux comme de celles qui leur appartenoient : & quoiqu’ils ne fussent pas maîtres de la source c. à d. des Etats de leurs Alliés, cependant ils avoient l’usage du Ruisseau c. à d. de leur puissance. Quels avantages n’ont-ils pas tiré de la Ligue Catholique ? Quoiqu’elle n’eut pour fondement & pour prétexte de son établissement, que la défense du Catholicisme contre les Protestans, il est certain qu’elle ne préta jamais ses forces qu’a remettre les affaires délabrées de l’Empereur, & à rendre sa puissance plus formidable, ses Etats plus florissans, l’Europe esclave.

Un autre moien, que la possession de l’Empire a fourni aux Princes de la Maison d’Autriche pour entreprendre sur la liberté de l’Europe, c’est l’obligation spéciale que l’Empire apporte à son Chef de faire la guerre au Turc, & d’être le défenseur de la Chrétienté contre les Infidelles. Ce moien leur servoit efficacément pour faire les apprèts de l’éxecution de leur dessein sans causer des troubles & presque sans exciter la jalousie. Combien de fois Charle-quint arma-t’il puissamment & fit-il armer l’Allemagne sous ce prétexte ? Combien de fois duppa-t’il ses Alliés en tournant ses armes contre la France ? Par les menées de cet artificieux Politique, la France étoit réduite à cette triste alternative, ou d’ètre surprise par le violent orage qui se formoit, comme il arriva quelquefois à François I ; ou d’ètre accusée de peu de zele [243] pour la Religion, si elle usoit de quelque précaution pour se mettre à l’abri de la tempète, comme il arriva à Henri II.

Les Successeurs de Charle-quint ne profitérent pas mal de son éxemple ; ils furent très dignes éleves d’un si savant Maître. La Barbarie a plusieurs fois été le sujet apparent des armemens qu’ils ont faits & des flottes qu’ils ont équipées contre la France Cet artifice sembloit ètre naturel & comme inféodé à la Maison d’Autriche.

Un troisiéme moien que l’Empire a fourni à la Maison d’Autriche pour s’agrandir, c’est la puissance soit légitime soit usurpée que les Empereurs se sont de tout tems attribuée de convoquer les Conciles écumeniques. Le Concile de Trente fut entre les mains de Charle-quint comme un couteau qui tranchoit tantôt contre le Pape & tantot contre les Protestans d’Allemagne. A la faveur de la crainte & de l’espérance & par le ministére de ces deux puissantes passions, il tâchoit de dominer à Rome & en Allemagne, de donner la loi à la Chrétienté, & surtout d’affoiblir la France, qui seule s’opposoit à son ambition : car le but de tous ses artifices étoit la ruine de cette Couronne, parcequ’il savoit que l’Empire de l’Europe en seroit le fruit.

Un quatriéme moien propre à s’agrandir à peu de frais & à vaincre sans combattre, & qui eut mené fort loin la Maison d’Autriche, si elle n’eut été arrétée par la France, c’est la voie des Séquestres. Cette voie, s’ils l’avoient pu établir, auroit assuré insensiblement aux Empereurs, sous un <sic> apparence d’équité, la possession des Etats dont ils ne se seroient emparés que par simple bienséance. La Nature de l’affaire n’auroit jamais été nettet <sic> Les incidens & les difficultés auroient arreté les procédures de la Justice. Les veritables Maitres du Bien contesté, lassés de longueurs sans fin, auroient été obligés de céder leurs droits moiennant un <sic> espèce d’Arbitrage.

[244] Un cinquiéme moien de s’agrandir, c’est la confiscation des Fiefs relevans de l’Empire : & la Maison d’Autriche le mit souvent en usage. Heureusement la puissance des Empereurs à été bridée par les Pragmatiques Sanctions, & par les résolutions des Diétes de l’Empire ; mais les Princes Allemands seroient-ils venus à bout de cette entreprise, si la France ne leur avoit preté son appui ? c’est à la France que l’Empire doit la conservation de sa liberté. C’est elle qui a maintenu les contrepoids qui balançoient l’autorité du Chef. Comme l’Allemagne faisoit autant de pas vers sa ruine, que l’Empereur ajoutoit de nouveaux dégrés à sa puissance, elle a des obligations infinies aux armes des Princes qui ont conservé l’équilibre.

Charle-quint, parvenu à la Couronne Impériale, visa droit à la Monarchie de l’Europe ; mais elle lui échapa presque d’entre les bras, pareille à ces fruits qui descendent sur le bord des levres de l’affamé Tantale, & disparoissent au-moment qu’il veut les goûter. La Journée de Pavie lui offroit la fortune la plus riante ; il n’en sut pas profiter ; il fut ébloüi par cet excès de prospérité inespérée. La défaite de la Ligue Protestante d’Allemagne sembloit relever ses esperances ; mais la prèvoiance du Pape Paul III coupa, pour ainsi dire, les ailes à sa victoire dans la rapidité de son vol & dans la force de son mouvement. Depuis ce tems-là, il fût réduit à des souhaits impuissans ; & dans son entreprise sur la Provence, qu’il destinoit à déthrôner le Roi de France, comme il le disoit lui mème, tous ses efforts ne tournérent qu’à sa honte.

Ce qui lui fit manquer, de mème qu’à ses Successeurs, sa prétenduë Monarchie, ce fut & la stérilité de gens de guerre, & la disette d’argent : il n’avoit pas assés de matériaux pour construire son édifice.

Ces deux difficultés ne l’arrètérent point : il tâcha de s’ouvrir quelque source abondante en Soldats, & de s’assurer de quel-[245]que Pais fort peuplé, qui fut la pêpiniére de ses armées & la ressource de ses pertes. Pour cela, il falloit se rendre d’abord maître de l’un de ces trois Etats, de la France, de l’Italie ou de l’Allemagne. Quant à la France, il n’avoit point de prétexte pour l’attaquer ; il n’étoit point de roîaume dans le monde dont la possession fut moins embroüillée De l’Allemagne, il n’en pouvoit venir à bout par la force ouverte. Tant qu’elle étoit unie, elle étoit invincible : il fallut donc prendre le parti d’y allumer le feu de la discorde, & de se tenir prèt pour accourir à toutes les nouveautés. & pour recueillir le fruit des divisions.

En attendant, que la Fortune lui offrît une conjoncture favorable, il s’attacha à l’Italie ; & sa passion de conquérir y jetta sa premiére flamme. Mais comme cette conquète n’étoit pas aisée ; il sçut ménager les occasions avec tant de sagesse, qu’il se vit enfin maitre du centre de l’Italie, je veux dire du Milanois. Le plan qu’il avoit dressé pour subjuguer le reste de l’Italie, & qu’on peut voir dans Guicciardin, montre que ce Prince etoit un grand Maitre en l’art de conquérir.

Voiant que le plus fort obstacle qu’il recontroit en ses projets venoit de la France, il tourna tous ses efforts contre François I pour ruiner le fondement sur lequel s’appuioit le salut de l’Europe. Mais ses diverses expeditions ne firent voir qu’une impuissante volonté de faire du mal. Il s’attacha ensuite à l’Allemagne ; mais le vent du Nord ne lui fût pas plus favorable. Après avoir fait prisoniers François I, Clement VII & l’Electeur de Saxe, il ne fût guere plus avancé qu’auparavant. Après s’étre epuisé á anéantir la Ligue de Scamalde, & y avoir réussi, Mets fut l’écueil où sa fortune vint se brizer. C’est après cet affront qu’il se resolut à descendre d’un Théatre, où il ne pouvoit plus esperer des applaudissemens. La journée de Renti fut la conclusion de cette piéce ; & la peur qu’il eut, quand Guise fut sur le point de [246] l’enlever, le confirma dans la résolution de quitter le monde, sans avoir la consolation de voir son Fils son successeur à l’Empire.

Philippe second eut la mème maladie que Charles, & recueillît l’amour de la Monarchie Universelle comme une portion de son héritage. Il tourna ses armes contre la France, qu’il réduisit à deux doigts de sa perte ; mais, après avoir mis tout en usage pour parvenir à son but, il ne lui resta pour se consoler d’avoir manqué son véritable dessein, qui étoit d’usurper la Couronne, que la beauté du prétexte, qui étoit de donner aux François un Roi Catholique.

On ne peut guéres trouver de vie plus mêlée de bien & de mal, plus tissuë d’événemens heureux & malheureux, que celle de Philippe. Si, d’un côté, il a gagné beaucoup, il a beaucoup perdu de l’autre. Son Mariage avec la Reine d’Angleterre, les victoires de saint Quentin & de Gravelines, le rétablissement du Duc de Savoie, les François chassés d’Italie, tant de Païs conquis & tant de mines découvertes dans le nouveau Monde, la Succession du Portugal, l’esclavage des Arragonois, la défaite des Mores, le gain de la Bataille de Lépante, la reprise de Tunis & de la Goulette annoncoient un Prince digne de commander à l’Univers.

Mais d’un autre côté, la perte des Provinces-unies ; la France qui s’est sauvee de ses mains, sa descente en Irlande, l’Invincible, qui devoit subjuguer l’Angleterre, & qui fut le joüet des Vents ; la perte de Cadis, de Flessingue & de la Goulette, places que son Pére lui avoit le plus recommandées comme les clés de l’Espagne, des Païs-Bas & de l’Afrique, la dépopulation de ses Etats par le troc des hommes dont il avoit à faire contre de l’argent qui lui étoit moins utile ; tout cela mit un obstacle invincible à ses desseins.

Depuis, ses Successeurs tàcherent envain de s’établir dant <sic> le cœur de l’Allemagne pour faire rentrer l’Empire dans leur [247] Maison, & s’en servir comme d’une Planche pour passer à la Monarchie Universelle ; tous leurs projèts, grace à la France, n’ont été qu’une fusée qui s’embroüille à mesure qu’on la démèle. Les Bourbons ont lié les mains à la Maison d’Autriche, qui ne peut plus soutenir les ambitieuses prétentions qu’elle avoit exprimées par les cinq voielles A. E. I. O. U. qu’elle plaça au frontispice d’un Palais, & qui signifient : Austriacorum Est Imperare Orbi Universo ; paroles qu’on m’a expliquées ainsi : il n’appartient qu’à l’Autriche de commander au Monde entier.

L’Europe soupconne <sic> la France des mèmes desseins. Si cela est, ses progrès seront fort lents. Sa modération dans la victoire, qualité dont elle ne s’est pas départie jusqu’ici, n’est pas fort propre à l’agrandir. Jamais Loüis le Grand, dans le fort mème de ses prospérités, proposa-t’il à ses Ennemis des conditions qui approchassent de la hauteur de celle qu’éxigeoient de lui ses Alliés, quand ils voulont qu’il fournit des Troupes pour déthrôner sont Petit-Fils, qui avoit un droit incontestable à la Couronne d’Espagne. On parle beaucoup de l’Ambition de Loüis XIV. ; & l’on ne dit mot de celle de Guillaume III. qui s’avisoit de partager les Etats d’un Prince encor vivant. ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

Fin de la premiére Partie. ◀Ebene 1

1I) Ce début a tout l’air d’une Gazette, & dans cet air-là on découvre une basse malignité, qui certainement ne prêvient pas en faveur des Gazetiers. Dans un ouvrage satirique, on doit répandre le sel à pleines mains, & colorer des agrémens du badinage le fiel que la plume distile. Dailleurs est-ce connoitre le Public, est-ce savoir mettre les rieurs de son côté, que de commencer par copier l’affiche de la Comédie ? Rare & sublime effort de l’imaginative !

22) Dans ce siécle poli, les Lecteurs se revoltent contre une piéce, dont l’éxorde est une invective. Hier au soir, à la Comédie, je voulus lire celle-ci à un jeune seigneur, qui ne pût passer outre. Peu s’en fallut, qu’il ne mit en piéces mon Papier. Il venoit d’offrir généreusement à Mr. la Beaumelle, qui lui en avoit parlé, de lui servir de second ; Mais, à la premiére Ligne, il changea d’avis, & prétendit que ce seroit se deshonorer, que de réfuter pareille chose. Ce [238] dernier mot est bien foible, & bien adouci. Le Lecteur, qui sait appeller tout par son nom, y suppléra.

33) Voilà M. de la Beaumelle érigé en Quidam. Il est assés connu, pour pouvoir mépriser cette nouvelle dignité. Il est si peu sensible à ces sortes d’insultes, qu’il en rit, dit-on, de bon cœur. Il lui suffit, que les honnetes gens en soient indignés. Un mépris mal fondé est un trait, qui retombe sur la tète de ceux qui le lancent. On affecte de parler de lui comme d’un homme obscur, & plus bas, on en parle comme d’un homme connu par des ouvrages écrits en Prose Poëtique. Fut-il encore plus obscur, qu’il ne l’est, cette obscurité, dout <sic> il cherche peut-ètre à se tirer, rejaillit-elle sur sa Cantate ? Il est Gouverneur d’un jeune seigneur de ce Païs ; & il ne rougit point de son état. Ce titre n’est pas à la vérité aussi brillant, que le seroit ceux de quelqu’un qui pourroit mettre à la tête d’un livre, cette longue Kyrielle : a) ouvrier en tabac, en cire, en chandelles, & en suppliques, ci-devant maire d’une ville maritime ; nourricier de vers a soie, ci-devant avocat ; copiste de gagiste de libraire, ci-devant abbe & chanoine ; teneur de livres, ci-devant ecuier ; procureur du roi de France dansune <sic> generalite, ci-devant regent ches les PP. de l’oratoire &c.&c.&c.&c.&c. Mais, au bout du compte, il vaut peut-être beaucoup mieux n’être point connu, que l’être de cette maniére. a) Je n’ai en tout ceci personne en vuë. Le Lecteur verra bien, que c’est une Kyrielle de fantasie, & un trait d’imagination.

44) Je me suis informée du fait. On m’a assuré, que le Compositeur de la Cantate entendoit la Langue Françoise. [239] Cet Allemand, qu’on veut désigner avec mépris, est un homme estimable par ses talens & par son mérite. C’est Mr. Scheibe, Maître de Chapelle. Je ne sai, si la Musique est belle ; mais je sai bien, qu’elle a été païée comme excellente.

55) On pourroit répondre aux Critiques, ce que le P. Valérien répondoit à ceux qui avançoient des faussetés. Comme je serois obligée d’en venir trop souvent à ce réfrein, j’aime mieux le supprimer. Le Musicien Danois, qui doit chanter avec une Actrice Françoise, ne parle pas François, à la vérité ; mais il l’entend ; & il chantera la Cantate aussi bien qu’il chanteroit un morçeau <sic> Italien. Ne peut on pas apprendre à un homme à prononcer quelques vers ? On enseigne bien de longs rôles à des Filles e’Opéra <sic>, qui ne savent pas une note de Musique. Il leur sied bien en vérité, de dire, que le Musicien en question ne sait pas le Francois ! Le savent-ils mieux ? Non ; au moins à en juger par leur Libelle. Dit-on, ignorer une langue ? Dit-on, etre capable de doner l’immortalite ? Di-ton, juger sur quel que chose ? &c. Est ce sçavoir le François, que de se servir du stile des harangéres <sic>, que d’assaisoner chaque remarque d’une injure grossiére ?

66) Fausse idée. Les Critiques veulent dire, qu’un bon Poete ne sauroit ètre appellé Auteur ; ils se trompent assurément. Car de-même qu’on peut dire : M. des Roches de Parthenai est Auteur d’une pitoïable Histoire de Dannemarc, on peut dire aussi : Voltaire est Auteur de la belle Tragédie de Brutus. Que les vers soient Prosaiques ou [240] non ; le Poete n’en est pas moins Auteur, bon ou mauvais. Qu’un homme, qui ne sait pas les premiers élémens de la Langue Françoise, s’avise de s’ériger en prévôt du Parnasse François, c’est ce que je ne saurois comprendre.

77) Ce grief n’est point prouvé. Les critiques s‘imagïnent qu’on les en croira sur leur parole. Mais est-ce à une pareille autorité, que le Public se fiera ? Le reproche le plus amer qu’on puisse faire à un Poete, c’est de lui dire que ses vers sont prosaïques, & je suis persuadée, que, si on avoit pû prouver dans les formes cette accusation à l’auteur de la Cantate, il en auroit été infiniment plus piqué, que de Epithétes insultantes qu’on lui a donne mal à propos, auxquelles il ne répondra ni de la plume ni du bâton, quoiqu’on le lui ait conseillé, & que ces Critiques méritassent autant ce dernier châtiment, qu’ils sont indignes du premier.

88) Ils m’ont bien la mine de confondre les termes. Peut-ètre appellent-ils Prosaïques, un stile lourd & pesant ; Et poetique un stile leger, vif & fleuri ; si l’on donne à ces définitions droit de Bourgeoisie dans la République des Lettres, j’avoüe que l’ouvrage intitulé : Les delices de Dannemarc, est la plus belle prose du monde. Quel dommage, que nous n’en aïons qu’un tome de vingt-huit pages in 4 . ! sur ce pié là, javoüe <sic> encor, que toutes les piéces que M. de la Beaumelle m’a fournies sont détestables. Mais aussi, que le Public avoüe, qu’il a eu tort de les lire avec plaisir.

99) Je ne ferai aucune réfléxion sur la finesse de cette [241] plaisanterie. Cet inimitable trait d’esprit a si fort plu à nos trois Critiques, qu’ils l’ont répété quatre ou cinq fois avec la même politesse & les mêmes graces. Cette pensée est si heureuse, que celui d’entreux qui la trouva, s’écria avec raison, malgré le poids des ans : Allons, saute, Marquis. Après ces fumées de vanité, il étoit bien naturel, qu’il perdit de vuë son objèt ; & qu’il ne se mit pas en dépense de raisonnemens pour appuïer ce qu’il avançoit. Une saillie a t’elle besoin d’ètre prouvée ? J’achevois d’écrire cette derniére phrase, lors qu’un Ami s’est fait annoncer. Je me suis hâtée de mettre à l’écart mon manuscrit. Mais comme il est grand fureteur de papiers, il a découvert, où je l’avois serré ; pour me délivrer de ses importunités, je le lui ai lu. Y penses-vous, Made, m’a t’il dit, de réfuter cette critique ? Pourquoi la tirer du néant ? Elle a été répanduë partout à la faveur des ombres de la nuit, lui ai-je répondu. Eh bien ! m’a t’il répliqué, voila ce qui devroit vous engager à la mépriser. Des écrivains nocturnes méritent-ils votre colère ? Qui lira vos feüilles, si Vous les remplissés de ce fatras? Dailleurs, l’ouvrage, que vous critiqués, cet impur enfant de ténèbres, ne porte-t’il pas sa réfutation avec soi? Elevés-vous à des sujets plus nobles. Amusés, instruisés vos lecteurs aux dépens des sots & des vicieux ; & laissés dans la poussiére ces insectes du Parnasse. Vous voulez venger l’Auteur de la Cantate ; reposés-vous de cette tâche-là sur le Public. Tout cela, lui ai-je dit, est fort sensé : mais le nombre des sots étant plus considérable que celui des sages - - - Bon ! a-t’il interrompu, les sots ne lisent pas vos feüilles. Soit ; ai-je reparti ; mais ne dois-je pas les préserver de l’erreur où l’on voudroit les jetter ; si je me tais, ils croiront, que la Cour a donné son approbation [242] à des âneries. A cela je n’ai rien à dire, a t’il reparti : Mais si vous travaillés pour les sots, vous devés les avertir que la derniere note de votre commentaire n’est que pure ironie, & en même tems faire vos excuses aux gens sensés, de ce que vous vous abaissés jusqu’à ces détails. Après ce court entretien, il m’a remis l’Extrait du Journal d’un Gentilhomme Jutlandois ; je lui ai promis de le placer dans la Feuille suivante ; & il m’a quitté.

1010) N’est-il pas du dernier ridicule ? Grossiéreté, & par conséquent point de réponse.

1111.) Nos critiques prenneut <sic>, ce semble, l’essor : on croiroit, qu’ils vont se perdre dans les nuës ; saisi d’un enthousiasme poëtique, ils se guindent :mais la montagne en travail enfante une souris. Comptons par plaisir les fautes de cette assommante période. 1° On ne sait pas ce que signifie cette expression les vers des muses ; qu’on la prenne pour les vers qu’elles composent ou pour ceux qu’elles inspirent, d’un & d’autre côté l’embarras est égal ; & quoique ce terme soit bon, il ne peut être placé ici sans bévuë. 2°. Il est absolument faux, que les vers des Muses soient plus durables que l’airain & le bronze. Que les Poetes le disent, à la bonne heure : mais que gens, qui s’érigent en critiques, adoptent cette réverie Poëtique, c’est ce qui s’apelle donner un soufflèt au sens-commun. Les Poëmes de Varius, qu’Horace loüe comme le plus grand Poete Epique du siécle d’Auguste, c.à.d. du siécle le plus fécond en beaux génies, ne sont-ils pas perdus ? Ont-ils été plus durables que [243] l’Airain & le Bronze ? 3°. Qui a dit aux Critiques, que les Muses sont seules capables de donner l’immortalité ? Ce n’est pas sans doute Apollon qui leur a révéle ce secrèt. Où en seroient les Héros, si les loüanges des Muses pouvoient seules les immortaliser ? 4°. Ce Principe étant faux, le ridicule qui en est une conséquence, tombe de lui-même. 5°. Notre Trio se forme des chimères pour les combattre. Il dit, que, les muses soutiennent ; la passion l’a aveuglé. Il auroit pû voir aisément, que Thalie seule s’oppose aux concerts des Muses. Pourquoi Thalie ? parceque, présidant à la Comédie, il étoit naturel & dans l’ordre des fictions Poëtiques, qu’elle s’ennuiât à des chants aussi sérieux, que le sont les loüanges d’un grand Roi. 6°. Elle ne soutient pas ; & ses avis ne sont point suivis : mais elle dit, que l’amour des Peuples promèt à Frederic l’immortalité. Elle apelle à son secours cette figure de Rhétorique, qu’on appelle, je crois, Preterition, par laquelle on dit ce que l’on veut dire, en assurant qu’on ne dit rien. Les oraisons funèbres de Fléchier, de Mascaron & de Bossuet fourmillent de ces sortes de tours. Ces Messieurs sont assurément de grands maîtres dans l’art de loüer. On ne risque rien à suivre de si bons guides. 7°. Quel ridicule y a t’il à dire, que le nom du Roi peut se placer sans les Muses au temple de memoire ? Pour y en trouver, il faut prétendre, que si le Roi ne recevoit pas l’encens des Poëtes, il devroit renoncer à l’immortalité. C’est en vérité faire trop d’honneur à la Poësie.

1212) Je ne sai à quoi se rapporte ce quelquun? - - C’est sans doute au Roi, dont il est parlé plus haut. Admirable maniére de varier ses expressions ! Est-ce en des termes si peu respectueux qu’on parle du Roi de Dannemarc ? Reconnoitroit on à ces traits un homme, qui n’éxiste que par ses bienfaits ?

1313) Faux exposé. Encore un coup, ces huit vers ne sont que dans la bouche de Thalie.

1414) A qui en veut-on ? Se peut-il, qu’il y ait en Dannemarc des gens, qui ne conviennent pas, que les plus beaux vers ne sauroient égaler la gloire, que sa Majesté acquiert tous les jours ? Eh ! Messieurs les critiques ! si vous n’en croiés pas Thalie sur sa parole, Croïés-en vos yeux & vos oreilles. Etes-vous si étrangers dans ce païs, que Vous n’aiés oüi parler de la clémence du Roi, de la douceur de son Gouvernement, du relief qu’il a donné au suprème tribunal de la Haute Justice, du nouveau Code auquel il fait travailler, de son application aux affaires, de son discernement dans le choix de ses Ministres, & dans la distribution des graces, de la sagesse de ses ordonnances, de la modération des impôts dans les Provinces, où la maladie des bêtes à cornes a regné ? Les enfans, qui sont à la bavette, savent déjà tout cela. Vous ètes les seuls qui l’ignoriés ; si vous le savez, que ne convenez-vous de bonne grace, que l’Auteur de la Cantate n’a rien dit en cela de ridicule ? Me. Deshoulières avoit dit avant lui : De vos versus, Loüis ! la puissance est suprême, Pour les représenter, l’Eloquence elle-même Feroit d’inutiles efforts.

1515) Oui, sans doute, il y a quelque chose de plus impertinent, à savoir, de parler la langue des Crocheteurs, en critiquant un ouvrage à tort & à travers. Les injures étoient jadis les ornemens du discours. Aujourd’hui, on abandonne ce stile aux portefaix, sur. les droits desquels nos trois critiques empiétent sans pudeur. Ne les troublons point dans la paisible possession de ce thrésor.

1616) L’Auteur de la Cantate ne parle point des Rois de l’Europe. Il dit, des rois : mais quand il les auroit en vuë, quel mal, je vous prie, y auroit-il ? Ne peut-on pas dire, non seulement qu’il y a des Rois ambitieux, qui entêtés de la manie de conquérir, se détruisent mutuellement ; mais encore, qu’il y en a en Europe Parmi les Puissances qui sont entrées dans cette guerre, il n’est pas possible, qu’elles aient toutes eu raison d’y entrer ; Parmi celles mêmes dont les droits sont incontestables, n’y en a-t’il pas, qui auroient pû terminer leurs différens à l’amiable, par la voïe des Négociations, voïe à laquelle il faut recourir, après avoir répandu bien du sang ; est-ce là décider souverainement des prétentions des Souverains ? Pour découvrir dans la Cantate cette décision, il faut avoir autant de pénétration qu’en avoit l’homme, qui se vantoit d’avoir trouvé le secrèt de refondre la Porcelaine, & de métamorphoser, sans doute d’un coup de baguette, en tasses à caffé des tabatiéres de papier hâché.

1717) Je veux supposer, que dans ces deux vers de M. de la Beaumelle, Le Conquérant vit dans l’Histoire Les bons Rois vivent dans les cœurs : il y ait une faute ; cette faute est-elle une brutalité ? Mais le plaisant de l’affaire, c’est que cette injure n’a pas le moindre fondement. Nos trois Aristarques n’ont pas fait attention que le mot, vivre, du second vers, se prend dans un autre sens que dans le premier. Il est clair, que l’Auteur de la Canate a voulu dire, que les Conquérans, tels que César, Aléxandre, Charles XII. e vivent que dans l’Histoire, aulieu que les bons Princes, tels que Titus, Marc-Aurèle, Henri IV. Frédéric V. vivent dans les cœurs, & par là s’assurent une place honorable dans les Annales du monde. L’homme sage ne se rappelle la vie des Rois ambitieux que pour les détester ; il les regarde comme les destructeurs du Genre humain ; il traite de crimes heureux leurs plus glorieux exploits : il sait apprécier les choses. Les bons Rois, au contraire, vivent dans son cœur, lui sont chers ; Il se retrace avec plaisir le souvenir de leurs actions. Il les admire, les chérit, les aime, souhaiteroit de les avoir vûs, les regarde comme les seuls vrais héros. Après ces réfléxions, que doit-on penser du goût [247] de nos trois Critiques ? Que doit-on penser de l’acharnement avec lequel ils traitent de brutal M. de la Beaumelle ?

1818) Quel ménagement un Poëte à-t’il à garder ? Pourquoi ne sera t’il pas permis à M. de la Beaumelle de dire, que Frederic est de tous les Rois Et le plus jeune & le plus sage ? Pourquoi chercheroit-il des détours pour exprimer ce qu’il pense ? Pourquoi, si, touché des vertus de notre Auguste Monarque, il le croit le plus sage Roi du monde, pourquoi ne lui sera-t’il pas permis de le dire ? Si c’est là une Anerie, qu’il y a des ânes en Dannemarc ! Mais, selon nos savans Critiques, M. de la Beaumelle pourroit, à cause de cette juste loüange, ètre banni des Etats des autres Souverdins <sic>, offensés de cette préférence marquée. L’avis est charitable ; mais il est contradictoire. Car si la Cantate est une Anerie, les Princes étrangers en prendront-ils connoissance ? En menacer l’Auteur, c’est lui faire trop d’honneur, ce me semble. Il seroit assés plaisant, que, suivant nos trois critiques, le Roi de Dannemarc fût obligé par honneur à protéger M. de la Beaumelle, qui ne pourra plus sortir de ce Païs, parce que tous les autres Rois puniront du bannissement son zéle pour la gloire de Frederic V. & les justes loüanges qu’il lui a données.

1919) Autant d’injures presque que de mots, & par conséquent point de réponse. Le principal Auteur de cette Critique ne peut pas, en consciense <sic>, s’imaginer qu’il excelle dans ce qui est du ressort du goût. La critique n’est pas son fort ; & il ne peut pas dire : C’est par là que je vaux, si je vaux quelque chose.

20(*) Suite de l’Amusement XXIX.