Sugestão de citação: Jacques-Vincent Delacroix (Ed.): "XXVIII. Discours.", em: Le Spectateur français avant la révolution, Vol.1\028 (1795), S. 224-232, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4137 [consultado em: ].


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XXVIII. Discours.

Réverie philosophique.

Nível 2► Nível 3► Le triste hiver étoit allé désoler d’autres climats ; déjà le printemps réparoit ses outrages et embellisoit la nature. Le soleil qui se levoit plus éclatant, appeloit les habitans des villes, et les invitoit à venir respirer l’air suave des campagnes. Dorine, excédée de fêtes, de danses, de spectacles, quitta Paris pour aller à sa terre. Ses habitans la revirent comme une divinité bienfaisante qui ramenoit parmi eux la paix et l’abondance. Elle avoit mené avec elle une vieille amie, une jeune parente que l’amour devoit bientôt conduire à l’autel, et le sage Dolmont, dont l’esprit étoit aussi agréable que son cœur étoit pur. Un soir, comme il revenoit de la promenade, on remit à Dorine une lettre qui lui apprenoit la mort d’une femme qui venoit de disparoître à la fleur de son âge. Après quelques réflexions sur ce triste évènement, Dorine [225] s’écria : qu’il est affreux de mourir ! Est-il donc bien vrai, ajouta-t-elle, en s’adressant à Dolmont, que nous cesserons d’être un jour ? Vous qui avez lu dans le grand livre de la nature, qui en connoissez tous les secrets, apprenez-nous comment on pourroit se garantir de ce malheur. Regardez, je vous prie, ma petite cousine, et dites : ne seroit-ce pas dommage que ces yeux vifs perdissent leur éclat, que cette bouche vermeille se flétrit, que le sourire s’envolât pour jamais de dessus ses lèvres ? Oui, sans doute, répondit Dolmont, ce seroit un grand malheur pour ses amis ; et pour elle aussi, reprit Dorine avec vivacité. La petite cousine embrassa sa parente, et fut de son avis. Mais, poursuivit Dolmont, si tous ces charmes que l’on n’ose observer devoient un jour, sous une autre forme, paroître encore plus éclatans, qu’auroit-elle perdu ? Ah ! que ne suis-je plus jeune, ajouta-t-il, d’un air riant, je serois peut-être un jour paré de ces attraits qui donne tant de pouvoir à la beauté qui le rassemble ! Mon cher philosophe, répliqua Dorine, je ne vous comprends pas trop ; expliquez-nous comment la mort peut nous rendre plus aimable, et par quel hazard [226] nos charmes pourroient vous embellir. Dolmont, qui étoit debout, voulut s’asseoir : la petite cousine, d’un air enjoué, lui présenta un fauteuil. Dorine prêta toute son attention, et la vieille s’approcha. Rien ne périt dans la nature, dit Dolmont ; tout ne fait que changer de forme : un peu plus de feu, ou un peu moins d’air, une moindre quantité d’eau, ou une plus grande abondance de terre, voilà de quoi défigurer tous les objets qui frappent vos regards. La mort n’est qu’une dissolution des quatre éléments qui composent toutes les parties matérielles ; mais toutes ces parties retournent à leur principe, pour s’agréger ensuite et présenter un autre objet. Ce mouton doux et craintif qui paît dans la prairie, et le lion terrible qui fait jaillir le feu de ses paupières, dont les rugissemens jettent au loin l’épouvante, sont deux animaux bien différens. Cependant, lorsque l’un aura senti le couteau qui doit faire couler son sang, que l’autre étendu sans vie sera déchiré par le vautour qui fondra hardiment sur ses membres desséchés, tout ce qui composoit ces deux êtres retournera aux mêmes principes, par une progression plus ou moins [227] lente. Le feu doux que renfermoit dans son sein l’animal bêlant, étant augmenté, deviendra plus actif ; il communiquera à la matière un mouvement plus violent ; l’air auquel il sera réuni le fera fermenter, et toutes les particules qui l’environnent seront agitées. Si la combinaison de ces particules forment un œil, il sera étincelant ; la gueule qu’elles composeront sera blanchie d’ecume ; le poil qu’elles offriront sera hérissé, et une queue redoutable battra souvent les flancs de l’animal dont elles formeront l’ensemble. M. Dormont, s’écria la petite cousine, n’allez pas faire de moi un lion dévorant, car je ne veux manger personne. Le grave philosophe, dont la tête commençoit à s’échauffer, fut un peu déconcerté par l’aimable folie de cette jeune enfant. Non, lui dit-il, vous ne serez point un lion rugissant, mais vous serez la fleur brillante qui embellit nos jardins. Je vais, poursuivit-il, vous dévoiler les mystères de la nature ; mais ne craignez pas que je dégrade la noblesse de votre être. Ce qui inspire aux animaux la crainte de la mort ; ce qui conduit le loup haletant vers la source où il se désaltère ; ce qui lui fait fuir le chas-[228]eur qui l’apperçoit ; ce qui dirige le castor industrieux ; ce qui indique a l’oiseau où il doit suspendre son nid, est étonnant sans doute. Mais, quelle distance y a-t-il entre ces facultés bornées, et celles que l’auteur de la nature a données à l’homme ? Les premières sont asservies à des règles fixes ; les autres s’accroissent et s’étendent sans cesse. L’animal obéit aux éléments, et l’homme leur commande. Il bâtit des villes sur l’Océan ; il oppose à la mer des digues qu’elle n’ose franchir ; il purifie l’air ; il fait jaillir le feu du sein de la terre, et lui envoie porter la mort au loin ; il force le sol aride qu’il déchire, de produire la plante dont il lui a confié la semence : il est donc par sa nature au-dessus des éléments ; et quoiqu’une partie de lui-même soit sujette à la dissolution que les objets animés et inanimés éprouvent sans cesse, celle qui l’élève n’en est pas moins pure et inaltérable. A ces mots, Dorine qui craignoit déjà les écarts de la philosophie, se rassura ; le front de la vieille se dérida un peu, et la petite cousine, dans l’espoir de devenir un jour une fleur éclatante, se rengorgea. Elle interrompit encore une fois Dolmont, pour lui demander si [229] elle seroit une rose ou un beau lys. Vous serez tous les deux, lui répondit le galant philosophe ; les vives couleurs répandues sur vos joues formeront la reine des fleurs . . . . . . Vous savez mieux que moi combien de lys pourront naître de la blancheur de vos charmes. Voilà, reprit Dorine, ce que je veux que vous m’expliquiez.

Je vous ai dit, lui répliqua, Dolmont, que tous les objets provenoient de la réunion des quatre éléments, que leur forme étoit le résultat de la portion plus ou moins grande de chacun de ses éléments. Je vous ai fait voir que la mort n’étoit que la dissolution de ces différentes parties modifiées, rassemblées d’une manière quelconque. Or, s’il est vrai, comme on n’en peut douter, que rien ne se perde, ne s’égare dans la nature, mais que chaque chose retourne à son principe pour reparoître sous une autre forme, et quelquefois sous la même, la mort ne peut rien avoir d’effrayant ; car l’air que vos poumons compriment, et qui fait circuler votre sang, l’eau épaissie et chargée de suc dont ce sang est formé, n’éprouveront pas plus de douleur, lorsqu’ils seront réunis à la masse [230] des airs et à celle des eaux, après dissolution des parties qui composent votre individu, qu’ils n’en ressentent à présent. Cela est vraisemblable, dit Dorine. La vieille qui ne trouvoit pas tous ces raisonnemens-là d’une grande clarté, sécouoit sa tête tremblante ; mais la petite cousine qui brûloit d’impatience de savoir comment ses joues deviendroient des roses, encourageoit Dolmont à poursuivre.

Si rien ne périt dans la nature, continua le philosophe, rien n’est produit sans causes. L’arbre qui croît, et dont les rameaux étendus répandent au loin la fraîcheur et l’ombrage, reçoit sans cesse un nouveau suc ; mille particules d’air, d’eau, de terre, de feu, se réunissent pour grossir son contour, et prolonger ses branches. L’éléphant qui fait gémir la terre sous ses pas dépouille la prairie pour conserver sa masse énorme. Plus les objets que nous voyons sont déliés et éclatans, plus leur principe est pur. Lorsqu’une main destructive a séparé les particules qui les composoient, elles se répandent dans leur nature, et vont embellir ses productions. La femme que la mort surprend parée des graces de la jeu-[231]nesse, rend à la nature tous les charmes qu’elle en a reçus. Que savons-nous, peut-être le bleu de ses yeux va-t-il se placer sur la queue du paon superbe, qui la déploie alors avec plus de fierté. La rose dont son teint étoit animé, va rougir le bouton qui commence à s’ouvrir ; j’aime à croire que l’émail de ses dents, attiré du sein de la terre comme une poussière brillante, est porté par les vents dans l’océan, et là se change en perles ; mais le vieillard dont le front livide est silonné par rides, qui a perdu toute la fraîcheur, tout le coloris de la jeunesse, et la femme qui n’a reçu ni l’éclat, ni les vives couleurs qui parent la beauté, ne pourront rendre à la nature que des particules ternes qui iront se confondre dans le limon de la terre.

La petite cousine s’amusoit beaucoup des idées folles du philosophe : Dorine en plaisantoit ; la vieille ; dont les yeux ne devoient point embellir la queue du paon, et qui n’osoit se flatter que ses dents fussent devenues des perles, ne les trouvoit pas fort consolantes. Mais, reprit Dorine, ma petite cousine sera-t-elle donc la seule changée en rose ? Vous le serez aussi, répliqua [232] Dolmont ; mais des épines vous environneront ; un amant heureux vous enlèvera cependant un jour ; il vous portera sur le sein de sa maîtresse, qui lui paroîtra alors encore plus belle ; lorsque vos feuilles tomberont, les zéphirs les soulèveront, la terre les recevra dans son sein, elles se pétrifieront et deviendront des rubis. Vous avez, mon cher Dolmont, répondit Dorine d’un air enjouè, la philosophie la plus galante. Et M. de Saint-Just, reprit la petite cousine en rougissant, (c’étoit de son amant dont elle parloit) sous quelle forme paroitra-t-il ? Sous celle d’un brillant, répondit le philosophe. Voilà celle des amans tendres et fidèles ; ceux qui ont été discrets, sont placés aux oreilles des femmes ; ceux qui ont été très-carressans, rendent leur cou ou leurs bras plus éclatans. Puisque ce sont les amans tendres et discrets qui produisent les brillans, je ne m’étonne plus, s’écria la vieille, qu’ils soient si rares et d’un si grand prix. ◀Nível 3 ◀Nível 2 ◀Nível 1