Sugestão de citação: Jacques-Vincent Delacroix (Ed.): "XX. Discours.", em: Le Spectateur français avant la révolution, Vol.1\020 (1795), S. 174-177, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4129 [consultado em: ].


Nível 1►

XX. Discours.

Sur le malheur de la Beauté indigente.

Nível 2► Emporté dans le torrent dans cette enceinte rétrécie, où la poussière épaissit l’air qu’on y respire ; dans ce lieu si bizarrement nommé Wauhsal, où tant d’hommes qui veulent échapper à l’ennui, se saluent sans se voir, se cherchent sans s’aimer. J’examinois ces femmes que l’art a défigurées, dont la démarche est si fière, et le regard si assuré. Je me disois, que de peines, que d’efforts [175] pour surmonter la timidité de la vertu, et la modestie de l’innocence ! que de graces sacrifiées au préjugé et au desir de l’imitation !

Pendant que j’étois occupé de ces pensées, je vis paroître une femme mise assez simplement : une jeune personne qui avoit à peine quinze ans, parée de toutes les graces dont la nature peut embellir son chef-d’œuvre, sembloit marcher sous ses auspices : ce rouge tendre qui colore la rose qui vient de s’épanouir, n’est pas plus vif, plus éclatant que celui qui étoit répandu sur ses joues : de ces yeux à demi-baissés, partoient ces traits brillans que la beauté lance à ceux qui la contemplent. Tout le monde envisageoit avec intérêt cette aimable enfant ; un murmure d’admiration se faisoit entendre, et appelloit la foule ; le desir brilloit dans tous les yeux ; de vieux célibataires qui la faisoient observer, ne se souvenoient plus de leurs années ; des jeunes gens cherchoient à l’intéresser par la noblesse de leur air et le bon goût de leurs ajustemens ; des financiers calculoient, en l’examinant, ce que pouvoient valoir son déshonneur. Pour moi, pénétré du plus vif intérêt, je me disois, dans ce lieu si rempli, où l’opulence se porte en foule, ne se trou-[176]vera-t-il pas un homme assez riche, assez généreux, pour ravir à l’opprobre, au malheur, une créature si belle, si accomplie ? Pourquoi souffre-t-on qu’un être aussi méprisable, que cette malheureuse femme, corrompe ce qu’il y a de plus beau dans la nature ? qu’elle mette à prix ce que l’amour seul peut acheter. Hélas ! dans le moment où je faisois cette réflexion, un riche vieillard éblouit les yeux de la vile créature qui conduisoit la jeune victime qui devoit être immolée à la débauche : elles les suivirent . . . . . Vertu aimable et compatissante, tu as disparu de dessus la terre ; elle n’est plus habitée que par le crime. En vain la nature fait entendre ses gémissemens, elle est sacrifiée à l’intérêt. Les hommes corrompus n’ouvrent plus leur cœur qu’à des desirs honteux. Semblable à ces animaux qui mugissent dans la prairie, la beauté ne fait qu’exciter leur ardeur. Enlever aux larmes, au mépris une jeune personne que la misère, que le malheur a soumise au vice artificieux, est un plaisir dont ils n’ont pas d’idée.

Je ne connois point de pays, il n’y a jamais eu un siècle où toutes les graces réunies à la vertu, à l’honnêteté, pussent moins ga-[177]rantir de l’opprobre celle qui les rassemble, que celui où je vis : elle n’a plus à choisir qu’entre la honte et la plus affreuse misère ; il faut qu’elle vive deshonorée, ou qu’elle s’éteigne dans l’indigence. Les femmes sont à son égard aussi inflexibles que les hommes ; les unes, en la dédaignant, semblent vouloir lui faire un crime de ses charmes, et les autres ne lui tendent que des pièges. ◀Nível 2 ◀Nível 1