Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. XXV.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\025 (1715 [1714]), S. 193-200, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4101 [aufgerufen am: ].


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N°. xxv.

Le Lundi 27. d’Août 1714.

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Je ne sais ; Mr. le Censeur, sous laquelle des diverses espéces d’Assemblées, que vous avez nommées dans vôtre IX. Discours, je dois placer celle de quelques Demoiselles, qui, quoi qu’elle ne soit pas fixe ou réguliére, mérite néanmoins un tître aussi-bien que les autres ; je l’apellerai la Société des Demoiselles beaux Esprits ; cette Inscription étonnera sans doute ceux, qui ne savent pas que le savoir &. <sic> la pénétration d’esprit n’est pas une chose dont nous soïons seuls en droit de nous vanter, & que le beau Séxe prétend y avoir, sinon plus, du moins autant de part que les Hommes.

Ebene 4► Avant de vous donner une juste idée de cette Société & des choses qu’on y traite, il faut vous dire que cette Assemblée est formée de quelques Demoiselles de tout âge & de tout rang, qui ne reconnoissent ni Président, ni distinction de capacité ; [194] chacune prétend être aussi spirituelle & aussi savante que ses Amies ; la raison de cette bonne opinion ne viendroit-elle pas de la honte de renier les mœurs de la Patrie ? car il est propre à nôtre Nation de s’imaginer d’être bel esprit. Le tems de cette Assemblée, comme je l’ai déja marqué, n’est pas fixe ; mais assez souvent on y emploïe ce certain jour auquel on a coûtume d’aller entendre un certain Orateur, dans un certain lieu, d’où on s’absenteroit volontiers si ce n’étoit pas la mode d’y paroître : souvent le Discours qu’elles ont entendu fait le sujet de leur Conférence ; n’allez pas croire, en prenant mes paroles à la lettre, que leurs réflexions roulent sur quelques Points de Morale, ou sur les régles du Christianisme ; Loin de là, on y commence par éxercer la critique sur quelques mots, ou sur quelques périodes qui ne paroissent à ces Juges compétens, ni assez justes, ni assez bien rangées, on en vient ensuite à l’éxamen des gestes qui ont accompagné la prononciation, & on finit en repassant les points de controverses qui ne font que trop souvent la plus grande partie du Sermon d’un Orateur qui les entend aussi peu qu’elles [195] sont inutiles & inintelligibles à ses Auditeurs, j’oserois dire, sur tout aux Membres feminins de nôtre Societé : Cependant, on prétend raisonner sur ces matiéres, si c’est raisonner que parler sans raison, par préjugez, & sans fondement ? Mais le champ des Controverses n’est pas assez vaste pour nos Savantes, elles donnent tête baissée dans ce qu’on appelle Litérature. Les matiéres les plus délicates, de Physique de Mathématique, d’Histoire, de Politique même, sont le sujet des conversations distraites, qui accompagnent la distribution du Thé & du Caffé. Vous jugez bien que ces Demoiselles doivent être autant de prodiges de nôtre Siecle : les Deshoullieres, les Scuderis, les Daciers, les Schurmans, ne feront que blanchir devant elles. ◀Ebene 4 Aïant été introduit il y a quelques jours dans cet illustre Corps, j’aurois sujet de vous entretenir de quelques particularitez, si cette Lettre n’étoit déja un peu longue ; mais comme je regarde comme un larcin de priver le Public des actes inestimables d’une Société si spirituelle, j’espére avoir ocasion de vous en donner quelques extraits éxacts si ce commencement est [196] de votre goût, & croïez que je suis, &c. »

Polymorphe. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► Que les personnes du Séxe aïent une certaine passion de passer pour belles ; c’est, à mon avis, ce qu’on devroit pardonner même aux plus laides ; car on reconnoît là dedans d’un côté un certain foible, & de d’autre de certains préjugez d’éducation, deux choses qu’on ne doit pas leur imputer, puisque l’une doit être mise sur le compte de la nature, & l’autre sur celui des Méres & des Gouvernantes. Mais qu’une Fille veuille s’ériger en Bel-esprit, c’est ce qui devroit la rendre la risée de tous ceux qui la connoissent ; car je ne sais guéres d’autre moïen de la guérir de sa folie. C’est en dire assez pour faire comprendre que je prends parti avec ceux qui prétendent qu’on a raison de fermer les Académies aux Femmes ; mais il faut dire quelque chose de plus pour convaincre que nous avons raison. ◀Metatextualität

On doit mettre une grande diférence entre le Savoir ou l’Esprit, & le Bel-Esprit. Le Savoir est le talent le plus digne des souhaits d’un Homme raisonnable, & il n’y a ni peines, ni [197] soins, ni travail, qu’on doive ménager pour l’aquérir. Le Savoir nous met au dessus non seulement de nos égaux, mais même des têtes les plus respectables par leur rang. Le Savoir en un mot, nous atire l’estime, la vénération, la bienveillance de tous ceux dont nous sommes connus, & nous fait un nom chez la postérité.

Mais autant le Savoir & l’Esprit mérite nos admirations & nos éloges, autant le Bel-Esprit est digne de notre mépris & de notre indignation, c’est le fleau de la Société. En éfet, qui pouroit tenir contre les aplaudissemens qu’il se donne, contre le mépris qu’il a de tout ce que les autres louent, & qui mérite d’être loué ? Toutes ses paroles, tous ses gestes, tous ses clins d’œil, signifient qu’il est Bel-Esprit, qu’il en est persuadé, & qu’il veut en persuader les autres. Ce ne seroit pas à tort qu’on apliqueroit à un Homme de ce caractére une des maximes atribuées à la Marquise de sablé, qu’être trop content de soi, est être sot. En effet, qu’y a-t-il de plus fat, de plus impertinent, que ce profond mépris de tous les autres, cette profonde complaisance pour soi-même & cette ridicule afectation de [198] savoir dont un Bel-Esprit fait sotement parade en toute ocasion.

Pour métre une derniére touche au tableau d’un Bel-Esprit, j’emprunterai la plume d’un Savant *1 qui dit, que « l’expérience prouve qu’ils sont vains, fiers, de grande mémoire, de peu de jugement, hûreux & forts en citations, malhûreux & foibles en raisons, & qu’ils parlent simplement pour parler & se faire admirer des Sots. »

Horace, Boileau, & tant d’autres, nous ont laissé des piéces où ils font vivement sentir le ridicule de ce défaut, & combien un Homme de ce caractére est à charge. A combien plus forte raison une Femme le doit-elle être ? car cet entêtement de savoir, joint au flux de bouche si naturel au Séxe, ne la rendra-t-il pas la parleuse perpétuelle dans une Compagnie ; il n’y a rien qu’elle ne se croira en droit de citer à son Tribunal : En qualité de Bel-Esprit toutes les choses concernant les Sciences doivent être de son ressort, en qualité de Femme elle soûmétra à son éxamen une infinité de choses qui regardent ou le Public, ou le Domestique, dont elle se croira Juge & éxaminatrice compétente. Ce n’est pas tout ; toute plei-[199]ne de son prétendu Savoir, elle regardera comme au dessous d’elle une infinité de choses qui doivent être l’ocupation de celles de son Séxe, pour se donner toute entiére à ce qu’elle apelle Méditations, & Lectures. C’est ainsi qu’elle devient au moins inutile à son Domestique ; je dis au moins, car combien n’a-t-on pas vû de ces impérieuses Savantes, être les Mégéres de leurs Familles, la ruine de leur Maison, & comme autant de furies nées pour faire perdre patience au plus Jodelet de tous les maris. Ebene 3► Que le Ciel préserve tous mes Amis de trois fleaux, dit souvent le célébre B * * i, de Pasteur bigot, de grosse Famille en disette, & sur tout de Femme savante ! ◀Ebene 3

Presque toutes les Femmes aïant le cerveau plus foible que les Hommes, l’imagination plus vive, & l’esprit plus orgueilleux, il ne faut pas être supris si la moindre connoissance qu’elles ont aquise, leur fait, pour ainsi dire, perdre aussi-tôt la tramontane ; cela doit ainsi ariver tout naturellement. Leur orgueil s’enfle du moindre vent, & elles s’imaginent aussi-tôt être autant de nec pluribus impar.

Il y a aparence que celles qui composent la Societé, dont l’agréable Polymorphe nous fait la description, sont de ce caractére, petits génies en éfets, mois toutes remplies d’elles-mêmes, il n’y a pas à douter qu’elles ne tranchent sur tout dans leurs Assemblées Dominicales. Et je crois qu’on véra avec plaisir des décisions qui tout au moins pouront servir à corriger toutes celles qui donnent [200] dans un pareil ridicule. Je connois plus d’une Société de ce genre, il en est parmi les Grands comme parmi les Bourgeois. Fremdportrait► Alizon la soubrette qui avoit lû une Satire de Boileau qu’elle avoit ouï louer par sa Maîtresse, s’érigeoit l’autre jour en Juge de tous les Poëtes chez Martje la Coûturiére & métoit hardiment le fade Pradon au dessus de Moliére. ◀Fremdportrait Fremdportrait► Dorine, Femme de la premiére qualité, instruite du fond de toutes les Controverses, décidoit avanthier dans une Assemblée où j’étois, sur chacune des 101. Propositions de la Constitution, mais d’un air plus plein de son Amour-propre, & du desir de faire briller son Erudition, qu’animé de la grace dont elle parloit si savanment : elle donnoit hautement cause gagnée à St. Paul & aux Augustiniens, & condamnoit le Pape à la privation de toutes les douceurs de la grace. Il faut avouer que toutes les Raisons de l’Auteur des Réfléxions desintéressées faisoient la meilleure partie de sa Sentence ; mais quoi qu’il en soit, cette matiére avoit bonne grace dans la petite bouche d’une Femme, qui pour faire cette étude, ne s’étoit informée depuis trois semaines de la moindre chose qui regardoit son ménage. ◀Fremdportrait Metatextualität► J’exhorte l’honnête Polymorphe à tenir sa promesse. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

H. Scheurleer, vient d’imprimer & publie à présent, Nouveaux Essais de Morale, par Mr. la Placette, en deux volumes, & qui peuvent servir de suite aux autres Essais du même Auteur.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Ebene 1

1* Le P. Malbranche.