Sugestão de citação: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Ed.): "N°. XVIII.", em: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\018 (1715 [1714]), S. 137-144, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4095 [consultado em: ].


Nível 1►

N°. xviii.

Le Lundi 9. de Juillet 1714.

Suite des Reflexions *1 sur les Occupations.

Nível 2► On ne peut douter que les Sociétez ne doivent leur établissement & à cette intime union qui regnoit autrefois dans ce Païs entre la plûpart des Habitans d’une même Ville, & à la nécessité de prendre quelque relâche après les ocupations les unes plus pénibles que les autres selon les personnes. Je trouve dans cette origine l’Innocence, l’une des qualitez nécessaires aux ocupations agréables. Je ne doute pas même que dans le commencement on n’y ait aussi remarqué une grande Modération. Mais que les choses sont changées de face aujourd’hui ! D’un innocent divertissement, d’une courte récréation, on en a fait une Ocupation, pour ainsi dire nécessaire. Je n’outre rien quand je dis nécessaire ; & pour en être convaincu on n’a qu’à éxaminer le Cérémoniel de ces sortes d’Assemblées.

[138] De peur que l’ocasion ou le lieu ne vient à manquer, on a disposé adroitement & prudemment les choses, de maniére qu’il n’y a point de jour, sans en excepter le Dimanche, qu’on ne tienne Sociétez chez dix ou douze différentes Dames ; & pour ôter aux Etrangers la peine de chercher ces aimables Assemblées, on a ingénieusement fait imprimer une longue Liste qu’on pouroit nommer la Carte du Païs de Commerce avec les Dames. Commerce en Argent, Commerce en Calomnie & en médisance, Commerce en perte de tems, Commerce en mauvaises humeurs, Commerce en subtilitez.

Pour prouver que tous ces Commerces s’entretiennent dans les Sociétez, il n’y a qu’à parcourir ce qui s’y passe. Mais avant cela il faut remarquer que la sote Vanité a porté son Empire jusques sur la Constitution de ces Assemblées ; mais en doit-on être surpris, puis qu’elles ressortissent sous le Gouvernement des Femmes. Clarine se présente à la Société de la Domna Laurenza, on ne daigne pas l’y regarder ; cependant Clarine a de l’Esprit, du Bien, du Mérite, de la Vertu même ; car c’est la premiére fois qu’elle entre à la Société. Mais Clarine [139] n’est pas du rang de la Domna autrefois élevée & recluë dans un chétif Village où les ducats de son vieux Pére ont attiré un Gentilhomme qui l’a mise en état de tenir Société. Clarine irritée de l’orgueil de la Domna, établit Société de gens de son rang ; nouvel acroissement, conflict, & distinction de Sociétez. Distinction pour le rang, mais toutes sont les mêmes dans le fond.

Comme le Jeu fait une des principales ocupations des Sociétez, on voit aisément que j’ai eu raison d’y placer un Commerce d’Argent, mais un Commerce tout diférent de celui de ces Usuriers & de ces Soliciteurs qui ne trafiquent que pour l’intérêt ; car les Joueurs hazardent leur argent, ou par ambition, ou par prodigalité ; par Ambition pour faire tête aux Personnes de la premiére volée, par prodigalité en s’imaginant avoir toûjours quelques ressources assurées. Mais souvent la ressource manque ; un malhûreux revers réduit Micile à jouër jusqu’à son Carosse, ses Chevaux, & ses Laquais ; elle ne sait plus où donner de la tête ; c’est une grande bréche faite à sa réputation, elle hazarde le reste pour trouver de quoi se refaire, elle lie Commerce de Galanterie avec quelque riche [140] Enfant de Famille. Si Micile n’avoit jamais fréquenté les Sociétez, en seroit-elle venuë à cès extrémitez ?

Il y a tant de choses à dire sur ce sujèt que je ne finirois point : je me contente de dire que jamais passion n’a causé dans les Femmes autant de desordres que l’excessive fureur du Jeu qui régne aujourd’hui dans les Sociétez, & je m’en raporte à ce qu’une d’elles en a dit.

Nível 3► Les plaisirs sont amers d’abord qu’on en abuse :

Il est bon de jouër un peu,
Mais il faut seulement que le Jeu nous amuse.
Un Joueur d’un commun aveu,
N’a rien d’ humain que l’aparence,
Et d’ailleurs il n’est pas si facile qu’on pense,
D’être fort honnête Homme & de jouër gros Jeu.
Le desir de gagner qui nuit & jour ocupe,
Est un dangereux éguillon.
Souvent quoi que l’esprit, quoi que le cœur soit bon,
On commence par être dupe,
On finit par être fripon. ◀Nível 3

Metatextualidade► Je ne puis m’empêcher d’insérer ici une petite Lettre qu’on vient de m’écrire sur ce sujèt. ◀Metatextualidade

Nível 3► Carta/Carta ao editor► « Puis que vous nous entretiendrez des Sociétez, Mr. le Censeur, il ne faut pas douter que le Jeu ne fasse partie de [141] votre éxamen ? Je puis même augurer que vous voudriez de bon cœur voir ces Jeux, sur tout ceux où l’on risque beaucoup, entiérement abolis. Je crois que les déclamations n’y feront pas beaucoup : mais j’ai imaginé un moïen d’y mettre des bornes. C’est d’avertir les Maris qu’ils sont en droit, par les Loix, d’obliger les Gagneurs à restituër l’argent que leurs Femmes ont perdu. Parce que celles-ci, par la Loi, n’étant pas libres, ne peuvent faire aucun Acord ou Convention sans le consentement de leurs Maris auxquels elles sont sujetes. S’il se trouvoit quelque Mari qui eut le courage d’intenter une pareille action, on veroit bien-tôt la mesintelligence, la défiance & la dissention, semez dans ces Académies où les Joueuses tiennent les Chaires : c’est le seul moïen, à mon avis, de donner une furieuse entorse au Jeu. »

R.J. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

C’en pouroit être un aussi efficace pour faire faire banqueroute à tous ceux qui font commerce en Amour, en subtilitez, & en mauvaises humeurs, & dont le fonds ne subsiste que par le Jeu. En effet, une Femme qui aime le Jeu aime immanquablement l’Argent, & [142] n’est-elle pas alors en état de faire toutes les fausses démarches que voudront ceux qui connoissent son foible & ladisposition <sic> de son cœur ; & où est l’homme assez brute pour ne pas connoître d’un premier coup d’œil toutes les dispositions d’une Joueuse. C’est-là la source de tant d’atachemens qui sément le desordre contre l’Epouse & le Mari, entre la Fille & la Mére. Car quelle sévérité chez une Joueuse & dans ce Siécle-ci est à l’épreuve des ataques d’un Amant pécunieux & toûjours prêt à augmenter la banque.

Il faudoit ne pas savoir ce que c’est que le Jeu pour pouvoir s’imaginer qu’une séance peut se passer sans ce que j’apelle mauvaises humeurs. Encore est-ce peu de chose. Rarement s’en tient-on là. Car comme ou <sic> ne jouë guére, sur tout gros Jeu, sans qu’il y ait une perte considérable, combien de fois arive-t-il, pour parler avec un Chinois dans un Auteur moderne, qu’en regardant son image fixement, on grince les dents, on mord ses doigts, on frape du pied contre terre. Je ne parle pas des blasphêmes, des imprécations auxquelles un certain reste de pudeur a jusqu’ici fermé l’entrée dans les Cercles de Fem-[143]mes, qui, s’ils n’en disent pas tant, n’en pensent souvent pas moins.

Mais si ces emportemens furieux ne paroissent point dans leur visage, le decorum les empêche-t-il de metre en œuvres certains tours d’adresse & de subtilité. Les plus honêtes gens ne sont pas toûjours à l’épreuve de la délicate tentation de gagner en un moment une grosse somme en se servant de son savoir-faire.

Comme les foiblesses, ou plûtôt les vices d’un Joueur, ou d’une Joueuse, sont communs à tous les autres : comme Agnès emprunte à gros intérêt aussi-bien que Jantine, comme Sélénie dont le Mari est avare au suprême degré, suce Lytron ce vieux Financier, aussi-bien que Lucine le jeune Mondor à qui elle donne maints rendez-vous à l’insu de sa Mére, qui ne veut pas la marier dans l’apréhension d’être apellée Grand-Mére : faut-il s’étonner si dans les Sociétez on se déchire sans miséricorde. Sur tout si les Membres d’une Société n’épargnent pas ceux d’une autre, qui n’étant pas présens pour repousser des traits d’autant plus redoutables, qu’étant lancez par des Personnes qui ne manquent pas de génie, ils sont ordinairement couverts de quelques Véritez, ou du moins de quelques Vrai-semblances. Il est inutile que je m’étende sur l’atrocité de ce vice, & je ne ferois que répéter ce que mille ont dit avant moi, qu’il n’y a personne qui y soit plus sujet que les Femmes.

Je mets des bornes à cès Réfléxions par celles que j’ai à faire sur la perte du tems, qui, [144] parce qu’elle est irréparable en est d’autant plus pernicieuse. Y a-t-il des endroits, ni des ocasions dans la vie, où on le perde davantage, ce précieux tems, que dans ces Assemblées, & non seulement on le perd, mais même on en fait un très méchant emploi, comme nous venons de le voir, ce qui est pis.

Nível 3► . . . . L’aube du lendemain

Souvent les trouve encor les Cartes à la main,
Alors pour se coucher les quitant non sans peine
On se plaint du malheur de la nature humaine,
C’est ainsi qu’une Femme en faux amusemens,
Sait du tems qui s’envole perdre tous les momens. ◀Nível 3

En éfèt, la vie de ces Membres assidus de Société font un certain cercle peu étendu : car qu’a fait Lucie & sa Fille depuis six ans, elles se sont couchées, elles se sont levées, elles se sont parées, elles ont diné ; elles ont joué. Ne voila-t-il pas une distribution du tems, je ne dis pas bien Chrétienne, mais seulement bien raisonnable. ◀Nível 2

On trouve chez H. Scheurleer, Libraire à la Haye, l’incomparable Elixir salutis de Montpelier, qui se fait uniquement par Mr. Jaques Fabre à Groningue, & surpasse de beaucoup en Vertu celui du Docteur Anglois Ant. Dafti, selon le témoignage de plusieurs Personnes qui se sont servis de l’un & de l’autre. Il se vend 24. sous la Bouteille.

Le même Libraire vient d’imprimer & publiera aujourd’hui, Nouveaux Essais de Morale, par Mr. la Placette, en deux volumes, & qui peuvent servir de suite aux autres Essais du même Auteur.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Nível 1

1* Discours XIV.