Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. XIII.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\013 (1715 [1714]), S. 97-104, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4090 [aufgerufen am: ].


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N°. xiii.

Le Lundi 4. de Juin 1714.

Ebene 2► Rien de plus saint, rien de plus respectable que la Religion. Je parle en général : je ne distingue aucune Secte. Cependant, rien dont on se jouë & plus généralement, & plus impunément. Ces deux réfléxions sont assez vagues pour pouvoir fournir matiére à de gros-Volumes, je vais cependant faire en sorte de les mettre ici dans tout leur jour, selon mes vûës ordinaires.

Je ne veux pas m’arrêter à éxaminer la pensée de ceux qui prétendent que l’établissement de la Religion est purement Politique. Il suffit qu’on fasse atention, d’un côté, que la Religion a pour objèt l’Etre souverainement parfait, & pour fin le Bonheur infini de l’Homme ; d’un autre côté, que la Religion est, sans contredit, un des principes fondamentaux de la Loi naturelle. En éfèt, la Raison nous portant d’elle-même à la connoissance du Créa-[98]teur qui a gravé cette Loi dans nos cœurs, elle nous dicte en même tems avec quelle soûmission nous devons l’observer ; C’est encore par la même voïe que nous sommes persuadez que la possession de l’Etre éternel est seule capable de nous rendre parfaitement hûreux. Enfin, c’est la Religion qui nous donne les moïens de parvenir à ce souverain Bonheur. Peut-on, après cela, trop estimer un bien aussi précieux que la Religion, qu’on peut à bon droit nommer un Don du Ciel. Tous ses mistéres sont sacrez & divins, doit-on y assister qu’avec une certaine vénération mêlée d’une crainte respectueuse. On fait cependant tout le contraire, du moins parmi les Chrétiens.

Qu’on entre dans leurs Eglises, dans quelle distraction ne les trouve-t-on pas, Hommes, Femmes, Enfans. Je trouve dans les Assemblées publiques de Religion quatre sortes de Personnes.

Ebene 3► Fremdportrait► Les uns y sont conduits par leur zèle & leur atention aux choses de leur Salut. Ceux-là se conduisent d’une maniére aussi sage que leur motif est pieux & sincére. ◀Fremdportrait Fremdportrait► D’autres y vont pour n’être pas exposez à la censure du Public & ne point passer pour des gens sans [99] Religion ; comme leur dessein est de tromper, ou du moins d’amuser les autres, il ne faut pas s’étonner s’ils savent se contrefaire avec tant d’art, qu’on les distingue dificilement d’avec ceux du premier ordre. ◀Fremdportrait Fremdportrait► Une troisiéme sorte d’Assistans, sur tout parmi nous autres Réformez, sont des curieux & des critiques, qui ne courent un habile Orateur, que pour trouver matiére à éxercer leurs réfléxions. Ceux-ci atentifs à certains endroits se relâchent de leur atention á une infinité d’autres, & cherchent autant à mordre sur les Auditeurs, que sur le Prédicateur. ◀Fremdportrait Fremdportrait► Enfin, un quatriéme ordre, qui est le plus nombreux, parce qu’il renferme la plûpart des Femmes, est de ceux qui n’y viennent que pour voir & pour être vûs. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Metatextualität► Quoi que ces trois derniéres sortes d’Assistans méritent également une juste Censure ; je me fixe aujourdhui <sic> aux derniers, laissant les deux autres pour quelqu’autre ocasion. ◀Metatextualität

Avec quel soin se met-on sur son plus propre pour se rendre au Sermon, sur tout quand on sait que ce doit être un fameux Orateur qui atirera après lui une foule d’Auditeurs dont on [100] poura se faire voir. Avec quel orgueil fait-on porter le Careau à sa place, & se fait-on suivre par un ou plusieurs Laquais, comme pour faire parade de sa vanité jusques dans le Sanctuaire, où l’on ne devroit venir que pour aprendre des Leçons d’abaissement & d’humilité. Encore, si l’immodestie s’en tenoit-là ! Mais est-on mêlé parmi la foule des Auditeurs, que ne fait-on pas pour s’en distinguer ! tantôt debout, tantôt assis, tantôt crachant, tantôt toussant ; il semble qu’on n’afecte tant de contorsions que pour avertir les autres de nous regarder, & que nous sommes-là. Une mouche qu’on change dix fois de place, une boucle d’oreille qu’on redresse, une manchette qu’on repasse, un gand qu’on tire, & puis qu’on remet, un cheveux pendant qu’on remet à sa place, un sein tombé qu’on reléve de moment à autre, une tabatiére qu’on ouvre & referme cent fois, un flacon à Eau de la Reine, puis un autre à sel d’Angleterre paroissans tour à tour, voila les ocupations continuelles des trois quarts des Assistans à un Sermon ; est-ce le moïen d’en tirer quelque profit, aussi n’y vient-on point pour cela ? C’est la coûtume d’aller à l’Eglise, sur [101] tout à certains jours, on y va, comme par habitude on va un autre jour, ou même le même jour, à une autre heure, à la Société, au Bal, à l’Opéra.

Toutes ces choses ont leur tems fixé, & chacune a son Cérémoniel établi ; on trouve, sur tout à la Haïe, des Listes éxactes du nombre & des jours d’Assemblées ou Sociétez, le Dimanche chez Madame une telle, à une telle heure ; & à une telle heure chez cette autre ; le Lundi de même, & ainsi des autres jours ; comme on trouve la Liste des Prédicateurs, le matin un tel, après-midi celui-là, le soir celui-ci, dans une telle ou une Eglise. Enfin, à tous les coins des ruës on trouve les Afiches des Jeux publics : grandes commoditez ! avoüons que nos Compatriotes sont ingénieux à rendre leurs Divertissemens aisez.

Comment, me dira quelque Misantrope, metez-vous donc les Assemblées de Religion au nombre des divertissemens ? Pourquoi non ? Car est-ce pour autre chose que pour le plaisir de voir & d’être vû que Cenante qui n’entend pas un mot de François, assiste réguliérement dans le Temple des Réfugiez. Metatextualität► Lisez la Lettre suivante, & ju-[102]gez ensuite s’il ne seroit pas à souhaiter qu’on se comportât au Temple avec autant de circonspection qu’au Spectacle, puisque si ici aussi-bien que là, on étale avec pompe toute sa magnificence, du moins y garde-t-on quelque circonspection, dans la crainte de devenir l’entretien d’un Parterre critique. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. Le Censeur,

« Je suis fort surpris qu’étant aussi atentif que vous me le paroissez à tout ce qui se passe du côté du sanctuaire, vous n’aïez pas encore pris en considération l’irrévérence avec laquelle on assiste à nos Assemblées. Je ne me vante pas d’une morale aussi sévére que celle dont vous faites profession, cependant il faut vous avoüer que ce n’a pas été sans scandale que j’ai été il y a quelque tems spectateur d’une Séne qui mérite la Censure, s’il en fut jamais. Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Célamire est la Femme du monde qui a les plus belles maniéres : son défunt Mari a souvent souhaité qu’elle les eut moins Françoises ; c’est à dire moins libres. Je me trouvai l’autre jour au Temple à côté d’elle : voici de quelle maniére elle y passa le tems. [103] La jeune Agnete qui est de ses intimes, étoit à un bout de l’Eglise, & à quelque banc d’elle étoit Alcime, qu’on apelle dans le Cercle, le Pére aux Ecus ; à l’autre bout étoit le jeune Chansoti, à qui Celamire fit la premiére révérence en entrant à sa place. S’étant tournée de tous côtez Agnette & Alcime eurent les leurs ; aussi-tôt l’on commença une conversation à la muette, dans laquelle les doigts, les évantails & les yeux firent l’ofice de la Langue. Tant de ris, tant d’œillades, tant de contorsions, furent plus qu’il n’en falloit pour me détourner de toute mon atention, que je donnai toute entiére aux yeux de Celamire : je ne fus pas long tems à découvrir que le bon Homme Alcime étoit le sujet de l’Entretien qui se passoit entre Agnete, Celamire, & Chansoti. Pour vous dire ce qu’ils en disoient, il auroit falu être du secrèt. Quoi qu’il en soit, ils ne finirent qu’avec le Prédicateur, & il me faudroit une Lettre de six pages pour vous copier tous leurs gestes. Au sortir du Sermon je me trouvai avec mes trois Muèts à la Société chez Madame Hyeronime : quelle métamorphose ! On auroit dit que Chansoti n’avoit [104] jamais été connu de ces deux Dames, qui firent beaucoup de Cérémonies pour lier avec lui une Partie d’Ombre qu’elles finirent même avec assez de précipitation pour s’acrocher au bon Alcime avec lequel on forma une Volle & nos trois Muets de l’Eglise lui vuidérent consiencieusement la meilleure partie de sa bourse ; ce qui m’a fait juger ensuite que c’étoit de ce Projèt qu’on s’entretenoit pendant le Sermon, dont Agnete disoit, avec son air sérieux, que’elle avoit été fort ennuïée, & que jamais elle n’avoit entendu ce Prédicateur garder une si sote monotonie. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4 Je vous laisse le soin de la Censure, & je suis, &c.

S. B. T. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Les Acteurs de cette scandaleuse Séne ont tous les jours bien des Imitateurs, ce qui ne les excuse pas. On peut les mettre au nombre de ceux que j’ai placez ci-dessus dans le second rang, qui n’assistent aux saintes Assemblées que par corvée, pour ainsi dire, & parce qu’ils n’ont pas autre chose à faire, si Hyeronime tenoit sa Société deux heures plûtôt, il ne viendroit pas se moquer de la Sainteté de la Religion jusques sur son Trône. Metatextualität► Mais je crois qu’il sufit d’avoir donné cette imparfaite description de leur conduite pour en faire concevoir tout le mépris, que toute Personne raisonnable doit avoir à un souverain dégré pour des gens d’un tel caractére. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

H. Scheurleer débite à présent une nouvelle Edition de la Morale Chrétienne, par Mr. la Placette, en deux vol. & augmentée de beaucoup par l’Auteur

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters 1714. ◀Ebene 1