Cita bibliográfica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours LIV.", en: Le Mentor moderne, Vol.1\054 (1723), pp. 541-552, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4085 [consultado el: ].


Nivel 1►

Discours LIV.

Cita/Lema► Inter Scabiem tantam & contagia.

Horat.

Faut-il que nous soyons environnez de si mauvaises mœurs, & que nous vivions dans une corruption si contagieuse ? ◀Cita/Lema

Nivel 2► Je ne croi pas qu’il y ait un pais au monde où l’on parle tant de Religion, qu’en Angleterre, & où l’on ait de si belles occasions de la pratiquer avec zêle. Il me semble que l’esprit le plus beau ne sauroit tirer du cœur le plus pieux des prieres plus pathétiques, & plus ferventes, que celles qu’on prononce dans nos Eglises. Cependant, elles ne font pas sur l’ame des auditeurs l’effet, que naturellement on devoit en attendre ; & ce n’est pas toujours la dureté de notre cœur qu’il faut en accuser. On lit ces prieres la plûpart du tems d’une maniere si peu convenable, si négligée, & avec tant de précipitation, qu’il n’est pas étonnant, qu’elles fassent sur les cœurs des impressions si foibles.

[542] Pour moi, je suis tellement choqué de l’incapacité & de la négligeance de nos Lecteurs ordinaires, que bien souvent, je sors de ma paroisse, pour courir à une autre bout de la ville entendre lire la Lithurgie, à un homme, dont je ne saurois assez admirer l’admirable méthode de prononcer tant d’excellens discours. Le ton de sa voix, & tout son air, m’annoncent, que la devotion fait ses plus grandes délices ; & je ne croi pas qu’il soit possible de l’écouter, sans être saisi du plus profond respect pour les objets, qu’il nous met devant les yeux. J’ai vu plus d’une fois les jeunes-gens de l’un & de l’autre sexe, qui se jettoient des regards significatifs & fort eloignez de la pieté, s’interrompre brusquement au son de sa voix, dont l’autorité sembloit attacher par force leur attention au service divin ? N’y a-t-il pas bien d’apparence, que si toutes nos Eglises avoient de pareils Lecteurs, on n’y seroit pas choqué, par tant d’inattention, & par une irreverance si indigne ?

Relato general► Il y a quelques jours, que m’étant levé de meilleure heure que d’ordinaire, je ne crus pas pouvoir passer mieux les prémieres heures du jour, qu’en assistant [543] aux prieres qu’on lit dans l’Eglise à six heures du matin. Je m’y vis d’abord tout seul, & j’eus tout le loisir necessaire, en attendant l’assemblée, de faire quelques meditations utiles sur moi-même. Je commençai par rappeller à mon esprit toute ma vie passée, par faire l’examen de ma conduite dans toutes les differentes saisons de mon âge. Ensuite, je me mis à considerer les avantages, qu’on peut tirer de cette destination fixe des prémieres heures du jour au service de Dieu, quand, en nous offrant à lui, nous armons notre cœur, par son amour, & par la vive espérance d’une félicité éternelle, contre les attaques, que nous avons à attendre pendant le jour des affaires, & des plaisirs. Il semble que la plûpart des gens seroient au desespoir de renoncer à quelque vice favori, en se munissant de bonne heure des sentimens, qui peuvent lui disputer l’entrée du cœur. C’est pour cette raison, apparemment appuiée de plusieurs autres, que pendant la Confession des Pechez il n’y avoit encore à l’Eglise personne, d’entre ceux, qu’on appelle honnestes-gens. Je n’y voyois qu’un tas de pauvres pécheurs, dont les pechez étoient tous [544] renfermez dans la volonté, & qui n’étoient pas assez riches, pour pecher pas des actions. Il ne paroissoit rien dans leur figure de propre à se tenter les uns les autres, & ils pouvoient avoir à loisir des cœurs humbles & froissez, sans avoir rien à craindre de la vanité & des delices du monde. A peine avions-nous, nous autres pauvres malheureux, mis nos péchez au pied du throne de grace, avec une contrition pieuse & proportionnée à notre indignité, que je vis entrer plusieurs jeunes demoiselles par pelottons, se répandre par toute l’Eglise, fermer brusquement la porte des bancs, & lier conversation, derriere leur eventail, en guise de priere. Je remarquai parmi elles une des filles de Mylady Lizard, accompagnée de la digne suivante dont j’ai déja fait mention. Cette Belle Demoiselle ne manqua pas de faire dévotement le plongeon derriere son éventail, pendant que la fille de chambre, après avoir cherché par tout des yeux, quelque personage conduit dans ce lieu par une dévotion semblable à la sienne, les arrêta à la fin sur un jeune-homme très bien mis. Son air & son habit avoit quelque choses de militaire ; mais, il y [545] avoit trop d’arrangement dans l’un & dans l’autre, pour bien représenter l’extérieur d’un vrai guerrier. Ce petit-maitre s’appuioit nonchalement sur le banc où notre jeune beauté s’étoit placée ; & il la contemploit d’un regard si fixe, qu’il n’étoit pas difficile de deviner à quelle Divinité il addressoit ses vœux. Un spectacle si impur me donna toute l’indignation imaginable, & me força de me distraire du service divin, pour réfléchir sur certaines gens, qui passent dans le monde pour des personnes d’honneur, quoiqu’ils ayent le cœur plus gâté, que ceux qu’on punit comme les derniers des scélérats.

Après avoir été abimé dans ces tristes pensées pendant quelques momens, je vis l’assemblée accrue d’un bon nombre de gens de quelque chose, parmi lesquels je trouvai plusieurs de ces salloppes du grand air, qui, venant à l’Eglise en deshabillé, font voir que c’est à leur beauté naturelle, & non pas a leurs habits, qu’elles doivent leur réputation. Outre celles-là, je découvris plusieurs petites Groupes de ces honnetes Dames, qui assistent aux prieres, pour se parler à l’oreille, & pour s’assortir les unes les au-[546]tres, de sujets de médisance & de Calomnie. Il y avoit quelques personnes, il est vrai, dans les yeux desquelles on remarquoit une joie pure, & qui ne paroissoient s’etre couchées le soir auparavant, que dans l’impatience d’entrer dans ce nouveau jour d’une maniere si chrétienne. Quoique le nombre des gens de ce Caractere soit très-petit, il vaut bien la peine de conserver en leur faveur, le pieux établissement des Prieres du matin, pour lesquelles on ouvre les Eglises dans tous les quartiers de Londres.

Il est vrai que la plûpart de ceux, qui assistent alors au service divin, s’acquitent de ce devoir avec tant de nonchalance, & d’insensibilité, qu’on diroit que ce n’est pas un acte volontaire, mais un fardeau qu’un pouvoir supérieur leur a mis sur les Epaules.

Il y en a d’autres, qui me paroissent encore plus dignes de mépris : ce sont certaines gens familiarisez avec l’Eglise, & qui à force d’y venir la regardent à peu près sur le même pied, que leurs maisons. Ils confondent l’heure de la priere, avec celles qu’ils destinent aux actions les plus ordinaires de la vie humaine. Chez eux, comme il y a un [547] tems fixe pour aller à table, il y en a un pour aller à l’eglise ; & ils sont très contents de leur conduite, après y avoir causé ensemble sur les bagatelles les plus pueriles, au lieu de répondre au veritable but de cette institution Religieuse : Ce sont de ces gens, qui dans tous les quartiers de notre capitale font entre eux de petites ligues, contre le reste du genre-humain. Ce sont les honnestes-gens par excellence, les gens de bien de profession. En jettant un amas de vices & d’ordures sur la réputation de leur prochain, ils croyent nettoyer leur caractere, & le garantir de toutes sortes de taches.

La noire malignité a été de tous tems la mauvaise qualité essentielle de ceux, qui sont habituez à l’exterieur de la réligion, sans en posseder le véritable esprit. Ils ne sont, ni voleurs, ni adulteres, ni mondains ; &, desœuvrez à ces différens égards, ils ont un loisir pernicieux, dont leur noire malice fait l’usage le plus criminel. Les gens du monde, occupez continuellement par des passions, qui les jettent sans relache dans de nouveaux projets, ne pensent pas aux affaires des autres, & ne réfléchissent point sur ce [548] que les autres peuvent penser d’eux ; mais, nos gens de bien, qui par coutume renoncent aux plaisirs des sens, sans les remplacer par ces délices qui ont leur source dans une vertu éclairée, concentrent tout ce que leur cœur a de vicieux dans la passion de déchirer leur prochain, & d’en dépeindre les égaremens par les couleurs les plus noires. ◀Relato general

Metatextualidad► Je sens que je viens de tomber dans un défaut, que j’ai censuré moi-même, dans certains Conteurs à Episodes. Le Caractere de ceux, qu’on remarque aux prieres du matin m’a détourné de mon but principal, qui consistoit à déplorer le malheur des Chrétiens, qui ne connoissent pas le plaisir qu’on trouve à consacrer à Dieu les prémiers moments de chaque jour. ◀Metatextualidad L’experience seule peut nous rendre sensibles à cette douce satisfaction de l’ame. Nous aurions tort de nous en priver, par la crainte de nuire à notre santé, en nous arrachant de si bonne heure aux douceurs du sommeil : Ceux, qui quittent le lit de bon matin, sont les moins sujets à le garder.

Pour animer notre zêle à cet égard, il seroit à souhaiter, que les Ministres mêmes daignassent s’abaisser jusqu’à lire [549] les Prieres, ou du moins que ceux à qui ils confient cette partie de leur charge, fussent plus à leur aize, & d’une condition un peu plus relevée. Ces pauvres gens paroissent si mal en ordre devant l’assemblée Chrétienne, que dans leur air mortifié, & dans les habits négligez qui les enveloppent, on voit plutôt la disette, que le mépris des richesses. Le moyen qu’un homme, qui n’a que cincq cens francs pour vivre, donne toute son attention à la sublimité de son emploi ! Comment peut-il se considérer, sinon comme une espece d’Ouvrier obligé de devancer le jour, & de travailler pour un maigre gain ? Si son cœur n’étoit pas entiérement rempli du sentiment de sa misere, il pourroit l’ouvrir à la satisfaction touchante de remplir un si noble devoir. Il seroit ravi de se regarder comme la bouche de tout un peuple, qui, détournant l’esprit de tout ce qui distingue les hommes dans le monde, se confond ensemble, pour demander à Dieu sa puissante protection contre les desastres qui le menacent, ou son secours dans les afflictions dont il se voit déja accablé. Il parleroit avec une autorité décente, en mettant au pied du throne [550] de grace, les prieres de ses auditeurs, qui s’attachent à ses paroles, pendant qu’il demande pour eux, & ce qui est nécessaire pour cette courte vie, & les biens spirituels, qui après quelque momens de soufrance, nous conduiront à la bienheureuse immortalité.

Mais peut-il mettre son ame dans cette noble disposition, lorsqu’il languit dans la pauvreté, ou du moins lorsque la disette, qui menace sa familles de loin, l’inquiete & le distrait ? La chose est presqu’impossible. La vertu d’un homme devroit être égale à celle des martyrs, & des saints déja glorifiés, si dans cette triste situation, il remplissoit sa charge avec toute la dignité requise. Il ne faut attendre de lui, sinon, qu’il s’en tirera au plus vîte, comme d’une tâche pénible, qu’il n’étalera à l’assemblée, qu’un air bas & rempli de défiance ; & qu’il craindra de se rendre ridicule, en se donnant un certain air de supériorité, qui convient à son Ministere.

De quel ton, je vous prie, prononcera-t-il ces parolles1 , Cita/Lema► Dieu a donné ordre & pouvoir à son Ministre, de déclarer à [551] son peuple, ◀Cita/Lema &c. ? Osera-t-il élever & affermir sa voix d’une maniere propre à exciter l’attention, & à imprimer du respect ? Helas ! non : il craindra de se donner des airs importants devant des personnes, pour qui il est un objet de compassion, & même quelque fois de charité.

Cette triste particularité me dérange, quand je songe à recommander ces exercices de piété à ceux dont la vertu n’est pas encore assez forte pour se soutenir d’elle-même, sans être appuiée d’un ministere imposant. Plut à Dieu qu’il fût possible de remedier à cet inconvenient, & que par là, on pût mettre en vogue, parmi les hommes d’un certain ordre, la coutume d’offrir à Dieu les Premices de chaque jour. Je suis sûr que la société en tireroit des avantages très considérables. Un air plus libre, une gayeté plus pure, regneroient dans la conversation, & dans les affaires ; la franchise & la probité prendroient la place de la dissimulation, & de la fraude ; Une bonne conscience peindroit sa sérénité sur tous les visages. Les premieres heures du jour rectifieroient l’usage, qu’on peut faire des heures suivantes ; & des cœurs, qui [552] auroient commencé la journée par se mettre sous la protection du maitre du monde, seroient en quelque sorte pendant le reste du jour inaccessibles aux vices, avec lesquels cette Protection est incompatible. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1Voyez les Prieres Communes de l’Eglise Anglicane.