Cita bibliográfica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours XXV.", en: Le Mentor moderne, Vol.1\025 (1723), pp. 234-244, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4056 [consultado el: ].


Nivel 1►

Discours XXV.

Cita/Lema► Non ego illam mihi dotem esse pute, que Des dicitur,
Sed pudicitiam, & pudorem, & sedatum Cupidinem.

Pour moi, je ne fais pas consister la Dot d’une femme dans ses richesses, mais dans sa pudeur, & dans son bon naturel. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Le plus heureux des mortels, à mon avis, est un vieux bon-homme, qui se porte encore bien : il jouït avec liberté, & sans interruption, de la possession de soi-même. Détaché de tout ce qui [235] est hors de lui, il n’a rien à ménager ; il dit naturellement tout ce qu’il a sur le cœur, sans se mettre en peine, si les autres le trouvent bon : s’ils en sont mécontens, tant pis pour eux. Que lui importe, s’il est bien ou mal dans leur esprit ? Il n’a que faire de leurs bonnes graces, puisqu’il ne leur demande rien.

Metatextualidad► Comme je me trouve dans cette heureuse situation, j’ai envie de dire un peu leurs petites véritez aux femmes, dont les bontez me seroient assez inutiles à present ; & je les dépeindrai comme elles sortent des mains de la nature, en les distinguant du fard, dont elle savent embellir leur teint & leurs sentimens. ◀Metatextualidad

Une troupe de fats, qui se sont succedez de generation en generation, ont fait un tel Galimathias, d’Yeux brillants, de charmes, d’appas, de beau sexe, & d’autres termes, qu’on ne sauroit prononcer convenablement qu’avec un soupir, que cette moitié du Genre-humain a changé entiérement d’être ; & qu’on ne trouve plus de femmes dans tout l’Univers. Si elles ne sont pas Déesses, Graces, Nimphes, ou Bergeres, elles sont pour le moins Dames, sans en excepter une seule. Allez aux Noces du plus vil [236] Artizan de Londres, vous y entendrez à tout moment, aux inclinations des Dames, à la santé des Dames, quoi ! personne ne prend-il soin ici des Dames ? On voit par là facilement, qu’il n’y a plus de femmes dans toute la grande Bretagne ; &, par conséquent, je puis dire mon sentiment des femmes, sans que les Dames soient en droit de s’en choquer.

Ce qui m’a mis en mauvaise humeur contre elles, c’est que pendant la semaine sainte j’ai prié fort honnêtement les personnes, dont la conduite n’est pas des plus regulieres, de raccomoder un peu leur conscience, en faisant quelque charité aux martyrs de l’amour, & que j’apprens qu’elles ont fait la sourde oreille à une exhortation si Chrétienne. Elle n’a fait que leur echauffer la bite ; &, pour prix de l’interêt que je prens en elles, je ne me suis attiré que les titres, de radotteur & de vieux Brutal, qui m’ont été prodiguez, sur tout par les pecheurs & par les pecheresses d’un certain rang. Dans le siécle où nous sommes, là, politesse a gagné tant de terrain sur le bons sens, que c’est manquer d’éducation, que de parler des vices des gens de qualité & que les bonnes mœurs ne doivent être éxigées que de la Canaille.

[237] Il faut avouer pourtant, que tout le monde n’a pas eu le cœur également dur, & qu’on a envoyé quelques aumones aux Hopitaux que j’avois recommandez à la charité publique. Mais quelles gens sont-ce, qui se sont distinguez à cet égard ? Un petit nombre de pauvres Domestiques, qui se sentoient coupables d’avoir rendus quelques petits services scabreux à des personnes de naissance ; Retrato ajeno► Une fille de chambre, entre autres, a donné deux écus de l’argent, qu’il lui a vallu l’honneur d’être la Confidente de sa maitresse, & elle a eu la conscience assez délicate, pour vouloir expier par là ce qu’il peut y avoir de criminel dans sa conduite.

Elle n’a pas osé demander à sa Dame, qu’elle contribuât aussi quelque petite chose, par ce qu’il ne lui est pas permis de supposer, qu’il se commette la moindre peccadille dans la chambre de ladite Dame ; quand, pendant l’absence de son Epoux, elle y est enfermée trois heures de suite, avec un jeune Cavalier beau consumé les amours. D’ailleurs, cette Dame est une personne de beaucoup d’esprit, & qui aime la Lecture, & la pauvre fille ne sauroit savoir au juste, si [238] ces personnes ne s’occupent pas à lire ensemble quelque bon livre. Comme elle craint pourtant qu’il ne soit possible, qu’il s’y passe autre chose, elle a donné les deux écus en question, pour mettre sa conscience en repos. ◀Retrato ajeno

Retrato ajeno► On a reçu encore un Dé d’argent d’une petite villageoise, qui confesse, qu’elle a revé souvent d’un beau Gentilhomme, qui vient quelquefois chez elle, & qui lui a fait present d’un demi écu, en l’avertissant de ne se point fier aux gens de la ville ; mais, elle s’imagine, qu’il ne pense pas ce qu’il dit, & elle a envoyé à l’Hopital ce petit présent, parce qu’elle sent bien, qu’elle ne hait pas ce Cavalier autant qu’elle le devroit pour son repos. Ces deux écus, ce Dê… encore quelques autres bagatelles, que toute l’expiation de la masse entiere depechés de la ban-lieue de Londres & de Westmunster. ◀Retrato ajeno

J’ai pourtant calculé que parmi trois cens femmes de cette bonne ville, il doit bien y en avoir une, qui n’est pas sâge. Ce calcul est très modeste. Cependant, on peut voir par là combien de femmes n’ont pas fait la moindre attention à mon conseil charitable. On auroit pu encore [239] raisonnablement attendre quelque petite chose de celles qui sont chastes, & qui pouvoient regarder la triste Situation de nos pauvres patients, plûtôt du côté de la misere, que du côté du crime ; mais, elles ont trop d’horreur du vice, pour avoir quelque charité pour les vicieux.

Il est vrai qu’un Goguenard de mes amis soutient que les femmes sages, qui sont ici à proportion de 299 contre une qui ne l’est point, sont à d’autres égards tout aussi peu vertueuses, que celles qui ont fait vœux de Non Chasteté. Je croi qu’il n’a pas tout le tort : nous sommes incommodez, dans cet âge malheureux par un tâs de femmes précieuses & fantasques, qui ne sont nullement propres à mettre de braves gens au monde. Nous voyons tous les jours les effets incompréhensibles, que produisent sur les Enfans, les frayeurs, & les envies de femmes enceintes ; & je croi qu’on peut conclure de là, que le tour d’esprit, & les fantaisies ordinaires des meres n’influent pas moins sur le naturel, de ce qu’elle portent pendant neuf mois.

Ce n’est à mon avis que faute de choisir des femmes raisonnables, qu’on voit de certaines gens, pour l’Education des [240] quels on n’a épargné, ni soins, ni dépenses, sujets aux passions les plus extravagantes, & à toutes les saillies honteuses, qui peuvent avoir leur source dans un mauvais naturel. Ils ont beau s’être familiarisez avec les meilleures maximes du bon sens, & de la vertu ; il semble que la Réfléxion n’a point de prise sur eux : la raison en est, que le vice & la chimere ont été confondus avec leur être quand ils n’étoient encore que des Embryons, & qu’ils étoient déja avant que de naitre tétus, chicaneurs, impertinents, & acariatres.

La derniere fois que je fus au spectacle, je devins amoureux par procuration, pour le Chevalier Henry Lizard. Retrato ajeno► La Demoiselle, à qui je destinai son cœur, étoit une fille de qualité, dont le Pere a été un des hommes au monde qui eut le plus de merite. Sa Mere, sous les ailes de laquelle elle aime à paroitre par tout, est un modelle de toutes les Veuves de condition : le bon sens, relevé par la politesse, & par les plus belles manieres, est le Caractere distnictif de cette vertueuse Dame ; ◀Retrato ajeno & si nous pouvons enter sur notre famille la jeune branche d’un arbre si précieux, nous croirons faire une meil-[241]leure acquisition, que ceux dont les enfans se marient aux coffres forts les mieux meublez. Hier au soir, j’ai écrit sur ce sujet, à notre Chevalier, la Lettre suivante.

Nivel 3► Carta/Carta al director► « Mon Cher Chevalier,

Il vous souvient bien de la maniere dont nous nous sommes séparez la derniere fois. J’étois déja monté sur votre petit Hongre, que j’aime tant, & sur le point de le mettre au petit galop, quand vous m’arretâtes. Vous me prites par la main, & en me rappellant une agréable conversation, que nous avions eue ensemble sur le commerce des mariages qui est si bien établi parmi nous, vous me priates avec un souris accompagné d’une certaine pudeur, de voir un peu si je pouvois trouver une fille qui vous convint. Je vous le promis ; mais, je n’ai rien vû qui m’agréât, jusqu’à la representation du dernier Opera, où j’assistai, avant Paques. Retrato ajeno► Sa figure, sa Physionomie, en un mot tout m’en plait, excepté son âge, qui est encore bien au dessous de vingt ans. Il y a dans [242] ses yeux une modestie naïve, qui est à l’égard de l’ame, ce que la flœur de la jeunesse est à l’égard du corps, & qui fait voir que cette ame possede déja certaines vertus, & qu’elle prépare chez elle un séjour pour toutes les autres. Pour ce qui regarde son âge, je m’en console, parce qu’elle n’affecte pas d’être moins jeune qu’elle n’est. On ne la voit pas faire étalage d’un air de maturité, par une contenance assurée, par une gorge naissante exposée aux yeux, & par des regards surs de leur coup, enfin par ces manieres qui font dire, qu’il n’y a plus d’enfans à l’heure qu’il est.

J’ôse répondre pour elle, que vous aurez tout son cœur, si vous pouvez réüssir à vous en rendre maitre. Elle n’a aucun commerce avec nos Petits-maitres : elle ne sait manier ses yeux, ni son éventail ; & ce dernier ne passe jamais de ses mains dans celles de quelque Damoiseau. Soyez persuadé, mon cher Chevalier, que jusqu’à present son Frere est le seul homme qu’elle ait regardé en face.

Après vous avoir parlé en homme d’âge, sur son mérite, & sur son édu-[243]cation, il me doit être permis de vous parler naturellement comme à un jeune-homme, à qui la beauté ne doi <sic> pas être indifferente. Elle est belle, comme un ange, mon cher Chevalier ; mais, il y a une certaine dignité dans ses charmes, qui vous rendra de grands services. Quand il faudra qu’elle reçoive vos amis, elle le fera, j’en suis sur, d’un air en même tems noble & insinuant. Vous la verrez représenter parfaitement bien cette partie de vous-même, que vous aimez le plus ; je veux dire la franchise, & la cordialité, avec lesquelles vous regalez vos amis : & sa beauté vous fera autant d’honneur à table, qu’elle vous procurera du plaisir dans le lit.

Ce n’est pas un petit bonheur que d’avoir une Epouze capable de vous rendre plus cher à vos amis, & de préparer les cœurs à estimer un jour vos Enfans.

Je ne vous dépeindrai pas la noble élévation de son front, le charmant incarnat de sa bouche, & l’aimable tout que fait son visage, avec sa gorge, & avec ses beaux cheveux : vous en jugerez vous-même, quand vous [244] viendrez en ville. Vous n’avez que faire de vous presser pour cela : elle ne sera pas si tôt mariée, selon toutes les apparences, puisqu’il y a dans cette ville un grand nombre de filles de sa qualité, qui sont de bien meilleurs partis, à entendre cette phraze dans le sens vulgaire. » ◀Retrato ajeno ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3 ◀Nivel 2 ◀Nivel 1