Cita bibliográfica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours VI.", en: Le Mentor moderne, Vol.1\006 (1723), pp. 53-62, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4037 [consultado el: ].


Nivel 1►

Discours VI.

Cita/Lema► Non minor est virtus quim quaerere parta tueri.

Il n’y a pas moins d’habileté à conserver des biens, qu’à les acquerir. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Voilà les femmes de notre famille depechées, & leurs Caracteres courcit deja toute la ville. Metatextualidad► Pour répandre suffisamment du jour sur les Discours suivans, qu’on appellera les Preceptes du Gouverneur, ou si l’on veut les Avis de M. 1 Ironside, il sera necessaire de parler en detail des hoirs males de la maison dont j’écris l’Histoire morale. ◀Metatextualidad

Les talens & les qualitez des femmes, quand elles sont sages, sont presque entierement bornées aux affaires domestiques, au lieu que le caractere & la conduite des hommes doivent être considérées dans des Rélations plus differentes & plus étendues.

Il y a bien de l’apparence, par conse-[54]quent, que Messieurs Lizard occuperont plus long-tems ma plume que n’ont fait Medemoiselles leurs sœurs.

Retrato ajeno► Le Chevalier Henri Lizard de la Compté de Northamton, fils & Heritier du Chevalier Frederic, est entré depuis peu dans sa vingt & sixieme année, & il a fixé sa demeure dans la Province.

Le revenu annuel, dont il jouït dès à présent est de trois mille livres sterling argent clair & net, qui lui reste après avoir payé les taxes ; & satisfait à toute autre charge. C’est un homme qui a de l’esprit, & du jugement, sans pouvoir passer pour ce qu’on appelle d’ordinaire un homme d’un mérite brillant. Ses vertus sont plus grandes que ses agremens, & sa conduite est meilleure que sa conversation : cependant, quand on compare ses manieres & ses actions, avec la situation où la Providence l’a placé, on me peut qu’avouër que c’est un homme d’un mérite solide.

L’éducation, qu’on lui a donnée, a eu pour principal but de le rendre habile par rapport au calcul. Dans toutes les entreprises qu’on lui propose, il saisit d’abord le vrai & le fort d’une affaire, & en moins de rien il est exactement in-[55]struit du profit ou de la perte qu’il y a à attendre du projet dont il s’agit. Cette capacité, jointe à son intégrité naturelle, le rend aussi juste à l’égard des autres, qu’à l’égard de lui-même. Il paye avec toute la ponctualité imaginable, & je suis sur que jamais il n’a songé à bâtir, & à faire faire quelque embellissement à ses jardins ou à son Parc, sans avoir en caisse l’argent qu’il y devoit emploier. Quoique par là il pût se faire servir à meilleur marché qu’un autre, il a un trop bon naturel pour le prétendre ; mais, il tire un autre usage de la supériorité de son exactitude & de sa prudence : c’est qu’il est le maitre de choisir les artisans les plus habiles, & les plus propres à éxécuter ses desseins. Avec son argent comptant, l’Architecte, le Maçon, & le Charpentier, se trouvent un état de faire affaire avec les autres Gentilshommes de la Province, qui les employent inconsidérement, & qui souvent les payent en leur cédant une partie de leurs Terres. Gens peu judicieux, s’il y en eut jamais : ils ne sauroient le mettre dans l’esprit, que s’ils vendoient le terrain même où ils font batir, l’Edifice ne passeroit que pour un vil acces-[56]soire du fond. C’est bien un autre homme, que le Chevalier Henri : il a toujours dans ses coffres, son revenu d’une année, pour être en état de fournir à ses plaisirs innocens, de régaler ses bons amis, & de soulager les malheureux. Ses valets, son betail, & tout ce qu’il possede, ont un air, qui annonce la richesse de leur Maitre. Les gens qui l’approchent le plus, son Baillif, son Valet de chambre, & celui qui a soin de sa cave, ont plutôt l’air content, que gai : les autres Domestiques paroissent vivre dans l’abondance, & non pas dans la débauche.

Comme le Chevalier Henri est dans la fleur de son âge, & d’un naturel fort actif, il ne figure jamais mieux qu’à Cheval. Metatextualidad► Avant que d’entrer dans le détail à cet égard, je dois vous dire que pendant son Enfance tous les jeunes Gentilshommes du voisinage avoient la permission de venir se rendre dans une partie de la maison, qu’on appelloit l’Academie. ◀Metatextualidad Il y avoit là un Maitre d’Ecole assez habile, & d’une conduite très réguliere, qui, outre la table, avoit de la famille une pension de cinquante livres sterling, pour vaquer à l’instruction de tous les Enfans [57] nobles ou roturiers qui vouloient bien être les compagnons d’étude de nôtre jeune homme. Dès qu’ils furent plus avancez en âge, ils pouvoient se servir des chevaux de la maison, pour s’aller promener avec lui : il y avoit toujours dix ou douze chevaux de main tous prêts pour lui & pour ses favoris, qu’il choisissoit avec beaucoup de discernement, & parmi lesquels il partageoit ses bontez avec autant de bon naturel que de prudence. Tous ses Coureurs, aussi bien que les chevaux d’attellage, étoient très bien dressez par un Ecuier, qui étoit aux gages de la maison, & qui dans un manege, où il commandoit absolument, donnoit leçon à tous les jeunes Gentilshommes de notre Comté qui avoient envie d’apprendre ce noble exercice. Cette maniere d’agir nous a procuré, outre de l’estime & du credit dans la Province, des profits très réels, & très considérables. Comme la Noblesse, qui possede à present presque toutes les Terres de la Province, est redevable au Chevalier Henri de la partie de son éducation, dont elle se prévaut le plus, je veux dire de son addresse à manier un cheval, elle préfere les chevaux qui sortent de notre [58] manege à tous les autres, & les pays plus cher de dix pour cent.

Metatextualidad► Tout ce que je viens de dire est la cause, pourquoi notre Chevalier fait si belle figure à cheval. ◀Metatextualidad On fait les heures, qu’il destine à ses cavalcades, & à peine est-il dans la selle, qu’il voit paroitre tous les Gentilshommes du voisinage ses amis, & ses compagnons d’Ecole, prêts à l’accompagner, montez à merveille, & suivis par des laquais de fort bonne mine.

Je ne saurois trop louer notre Chevalier de l’attention particuliere qu’il fait à son Ecurie. Non seulement il fait dresser les chevaux de main, mais encore les chevaux de chaise, & de carosse, dont sa Province produit les plus beaux & les plus vigoureux de toute l’Angleterre. Il y trouve son compte à tous les marchez ce qui n’est pas surprenant ; rien ne releve d’avantage la force & l’agilité d’un cheval, que la bonne grace. Ce n’est pas tout : pour encourager tous ceux, qui ont des haras, il propose toutes les années des prix pour les chevaux, qui excellent dans tous les services que ces animaux peuvent rendre au genre-humain : il y en a pour le meilleur trot-[59]teur, pour celui qui galloppe le mieux, qui va le mieux l’amble, & qui a le meilleur pas ; il y en a encore pour celui, qui tire le plus vite le plus grand fardeau d’un lieu à un autre, & pour celui qui porte le plus loin la plus grande charge. C’est là un des plus touchants plaisirs de notre jeune Seigneur, & il a un gout excellent pour l’habillement des Piqueurs. Pour animer d’avantage les combatants, c’est toujours quelque beauté villageoise de distinction qui tient en main le prix destiné au meilleur trotteur ; & ses amants, qui se disputent ce prix, aussi bien que les bonnes graces de la belle, doivent bien se garder, de regagner par le galop, le terrain qu’ils ont perdu par le trot. Au reste, les chevaux qui ne combattent que pour l’honneur d’avoir le meilleur pas, sont d’ordinaire montez par quelques beaux-Esprits campagnards, qui n’aiment pas à battre beaucoup de païs, si ce n’est par l’imagination. C’est par ces sortes de petits divertissemens aussi utiles qu’agréables, que le Chevalier Henri s’attire l’amitié de ceux qui ne connoissent pas tout ce que vaut son intérieur, & l’estime de tous ceux qui penetrent jusqu’au fond de [60] son caractere. Je dois remarquer encore, qu’il n’est pas amateur des courses de chevaux, dont on fait tant de cas par tout le pais : il trouve qu’il y a de l’inhumanité à arracher à ces pauvres bêtes les derniers efforts de vigueur ; & cela, simplement dans la vue de se divertir. Cependant, pour éviter toute affectation de singularité, il fait courir toutes les années pour le prix proposé par Sa Majesté, avec ordre à son piqueur de ne pas gagner, de ne pas rester aussi trop en arriere ; mais, quand il est avec ses amis familiers, il soutient en bon Gentilhomme Campagnard, que c’est un deffaut dans tous les Ministeres de ne faire attention, qu’aux chevaux qui ont le plus d’agilité.

Metatextualidad► Comme j’écris ici la vie d’un homme de mérite, je m’attache volontiers à des Minuties, persuadé avec Plutarque, que les petites particulatitez caractérisent mieux un homme, que les actions d’éclat. ◀Metatextualidad Rien ne distingue mieux la famille des Lizards, que le détail exact d’une œconomie. Il y a environ six ans, que notre Chevalier en donna un éxemple, qui me persuade, qu’un jour il pourra briller dans la chambre des Communes. Il [61] est vrai que toute sa richesse consiste en terres ; mais, cela n’empêche pas qu’il ne sente, que la valeur de ce qu’il possede dépend de la situation & de degré de notre commerce. Il n’avoit que vingt ans, quand en sa présence je pris l’occasion de demander à un habile Marchand drappier, ce que lui coutoit de louage la boutique qu’il occupoit près de la bourse. Cette boutique, si je m’en souviens bien, a 14 pieds de long, sur 8 de large. Il me répondit qu’il en donnoit 80 livres sterl. & là dessus je laissai tomber la conversation, sans plus y songer : elle avoit pourtant fait de très fortes impressions sur l’esprit du Chevalier ; & le lendemain, je vis sur la table un calcul de la valeur des terres d’une Ile d’une telle étendue, accessible par tant de bons ports, & de la difference de la valeur de ces terres, à proportion de leur proximité des ports, & des commoditez qu’elles pouvoient en tirer. Tout le but de son opération étoit de savoir, pourquoi une seule toile auprès de la bourse valoit mieux que plusieurs arpents dans la Comté de Northamton, & ce que vaudroient ces arpens dans cette Province, s’il n’y avoit point de commerce du tout dans le Royaume. ◀Retrato ajeno

[62] En vérité, je suis mortifié, quand je pense à la conduite de ce jeune homme, & que je considere en même tems avec combien de facilité de gens riches peuvent faire du bien à tout le monde, dans quelque endroit qu’ils puissent avoir fixé leur demeure. Ils n’y songent pas pourtant, quoi que les mêmes moyens, dont ils pourroitent se servir pour être utiles aux autres, sont les plus propres à augmenter leurs richesses, & leur réputation.

Pour moi, je n’attribue la splendeur soutenue de la famille des Lizards, qu’au genie de celui qui l’a tirée de l’obscurité. Ce genie s’est répandu sur tous les hoirs males de generations en generation. Le vieux Chevalier Henri, tris-ayeul de notre jeune homme, se conformant à l’humeur sententieuse de son siecle, a écrit de sa propre main sur tous les actes, qu’il a jamais signez, la Maxime, que voici : Cita/Lema► Il y a quatre bonnes Meres, qui ont mis au monde quatre Filles très odieuses ; la Vérité a engendré la Haine, le Bonheur, ’Orgueuil ; la Sécurité, le Danger ; & la Familarité le Mepris. ◀Cita/Lema ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1C’est le nom de famille, que l’Auteur se donne. Ce mot signifie flanc de fer. Il prétend être d’un tempéramment robuste, & d’une race qui vit très long-tems.