Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. XXXII.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\032 (1715 [1714]), S. 249-256, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4018 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. xxxii.

Le Lundi 15. d’Octobre 1714.

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Je me trouvai il y a quelques jours dans une assez nombreuse Assemblée, où j’eus le plaisir de jouïr de tous les avantages que je pouvois retirer d’être inconnuë, on y parloit de moi, il n’importe en quels termes. Une Dame voulant tirer avantage de ce que j’ai dit dans un de mes Discours contre l’usage presque universellement reçû entre les Hommes, de parler mal du Séxe ; ceci donna ocasion à plusieurs reparties délicates qui portérent la conversation sur le Cocüage. On éxamina une question fort délicate, & qui n’est pas moins embarassante, « si c’est avec droit qu’on rejette sur les Maris l’infamie des Actions des Femmes qui sacrifient leur pudeur à leur plaisir. » La matiére ne fut pas aprofondie sans que quelqu’un ne proposât d’en écrire au Censeur, je promis de mettre aussi la main à la plume ; & comme nous nous sommes communiqué nos Lettres, j’y portai aussi la [250] mienne, & je les reçûs toutes le lendemain matin. ◀Allgemeine Erzählung Metatextualität► C’est du résultat de cette Conversation que je vais composer ce Discours, auquel je joindrai quelques-unes de ces Lettres. ◀Metatextualität

Ebene 3► Un Philosophe Anglois, l’un de ceux qui a le mieux pensé sur les fautes que les Hommes font dans leurs jugemens & dans toute leur conduite ; en un mot, Zitat/Motto► le célébre Locke dit, que nous n’errons que par préjugez, & que des supositions fausses ou douteuses, qu’on reçoit comme maximes incontestables, retiennent dans les ténébres de l’erreur tous ceux qui s’y apuyent & qui fondent là-dessus leurs raisonnemens. ◀Zitat/Motto La solidité de cette réfléxion est apuïée sur l’expérience de tous les jours, & rien ne peut la mieux mettre dans tout son jour que l’opinion que les hommes ont du point d’honneur en général, & de l’infidèlité d’une Femme, par raport à son Mari. Car contre l’opinion généralement reçûë & fermement établie, je crois qu’un Homme qui éxamine les choses sur la régle du bon sens, peut soûtenir que le Cocüage est une chose purement imaginaire, & qu’il y a peu de choses qui puissent moins deshonorer un Homme que les infidèlitez de sa Femme, supo-[251]sant qu’il ne soit pas de ceux qui le savent & le soufrent ; qu’on pense à cette restriction : En éfèt, n’est-il pas certain que ce qui est hors de nous & de notre puissance ne nous touche point, qu’on aplique cette maxime à la chose agitée ; car n’est-il pas impossible au plus sage des hommes, de l’aveu de tout le monde, de mettre un frein à la lubricité d’une Femme impudique : qui est-ce qui est tenu à l’impossible ? Entassons principe sur principe, puis qu’il s’agit de combatre un des préjugez le plus général. Me niera-t-on qu’une action vicieuse doit être imputée à son Auteur. En sera-t-il donc autrement de la honte & du deshonneur qui la suit ? Et n’est-il pas aussi absurde de les faire rejaillir sur celui qui n’y a pas contribué, que de faire part de la gloire qui acompagne une action vertueuse à celui qui, non seulement n’y a rien mis du sien, mais qui même y a résisté autant qu’il a pû.

L’opinion, que je combats, est même en tous sens contraire aux Loix de l’équité qui veulent, qu’un Contract fait en secrèt, & sans y avoir apellé toutes les Parties qui y ont intèrêt, ne leur peut préjudicier. La conséquence est bien naturelle : les Femmes n’apellent pas leur [252] Maris dans ces honteuses collusions, donc elles n’y peuvent rien commettre à leur préjudice. J’aujôterai à tant de preuves une considération qui confirme que ce que nous pensons sur ce sujet n’est qu’Opinion & prévention ; c’est qu’il y a des Peuples entiers qui n’en jugent pas comme nous ; Exemplum► si nous en croïons les Relations des Voïageurs, les Abissins ne trouvent pas mauvais que leurs Prêtres couchent avec leurs Femmes la premiére nuit de leur Nôces, pour atirer la bénédiction du Ciel sur leurs futurs Enfans : quelques Peuples des Indes regardent comme un honneur qu’un Etranger païe d’un Eléphant les faveurs de leurs Femmes : combien n’y en a-t-il pas qui les vendent bien plus cher ? ◀Exemplum Exemplum► Enfin, si nous en croïons l’Histoire ; les Romains étoient peu scrupuleux sur l’article, & ils s’embarassoient si peu de ce que faisoient leurs Femmes en leur absence, qu’en revenant de quelque Voïage, ils avoient coûtume de les en envoïer avertir, pour s’éviter seulement le déplaisir de les surprendre ; car il ne faut pas croire que les Matrones de Rome ancienne étoient toutes des Lucréces non plus que celles de Rome moderne, témoin ce qu’en dit Horace.

[253] Ebene 4► 1 Nos Filles de séduire aprennent l’Art funeste,

D’une étude lascive elles font leurs plaisirs,
Et leur cœur corrompu se prépare à l’inceste,
Long tems avant que l’âge ait meuri leurs desirs.
L’Himen n’en fera point des Epouses fidèles,
Les Plaisirs trop permis ne sont pas assez doux,
Elles vont prodiguer leurs faveurs criminelles,
Sans craindre ni le jour, ni les yeux d’un Epoux.
De sa Femme souvent complice mercenaire,
Un Mari sert lui-même un coupable desir,
Son silence la livre aux vœux d’un adultére,
Prodigue enchérisseur d’un infame plaisir. ◀Ebene 4

A-t-on donc moins estimé Pompée, César, Auguste, Lucullus, Caton, quoi qu’ils aïent eu des Femmes d’une vertu fort déchirée ? ◀Exemplum

Concluons de tout ceci, avec un Auteur Moderne, qu’il faut que les Maris soient plus malhûreux que les autres Hommes, puis qu’on les deshonore, sans avoir seulement de mauvaises raisons pour les deshonorer. Je ne desavouërai pas cependant, qu’il y a des Hommes qui méritent d’être couverts d’infamie pour les sotises de leurs Femmes ; Ebene 4► Fremdportrait► tel est Cornelion qui reçoit chez lui un Ami qui arive des Païs étrangers : Vous êtes nouveau dans cette Ville, lui dit Cornelion, vous y avez peu ou point de connoissance ; vous pouvez passer ici une après-dî-[254]née avec agrément ; quand vous voudrez vous desennuïer ; Mademoiselle, (en montrant une jolie Blonde) ne contribuëra pas peu à vous faire passer le tems agréablement : L’Ami revient ; la Partie n’étoit pas à rejetter : on jouë, on collationne, on boit, Cornelion disparoît, la Blonde reste avec l’Ami, à qui elle fait les avances, l’Ami, que le vin avoit mis de bonne humeur, pousse sa pointe, & les Parties recommencent souvent. Un jour l’Ami voïant passer la Blonde devant l’endroit où il étoit logé, s’informe qui elle est : avec quelle surprise n’aprend-il pas qu’il a violé les droits de l’hospitalité ; mais étoit-il le seul Ami ou Etranger que Cornelion traitoit ainsi, & qu’il métoit aux prises avec sa Blonde Epouse. ◀Fremdportrait ◀Ebene 4 ◀Ebene 3 Metatextualität► C’est un Homme de ce caractére qu’il faut rendre responsable du deshonneur de son Epouse, qu’il a peut-être jetté lui-même dans le crime, on peut dire la même chose de celui dont il est parlé dans la Lettre suivante. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Je ne doute pas, Monsieur le Censeur, que vous n’aïez reçû plusieurs Lettres sur la matiére qui fait le sujèt de celle ci incluse, qui m’est tombée par hasard entre les mains il y a environ deux mois.

[255] Ebene 4► Brief/Leserbrief► Voisin,

C’est envain que vous me donnez des avis qui ne m’aprennent rien de nouveau. Dix ans de Mariage m’ont assez instruit de la conduite de mon Epouse à laquelle je ne veux pas trouver à redire. Que les Allans & les Venans se scandalisent tant qu’ils voudront des fréquentes visites du Chevalier de L * * & de trois ou quatre autres ! Si je veux qu’ils voïent ma Femme, qu’a-t-on à en dire ? Ma Femme est un bien qui m’apartient : j’en peux faire part à qui bon me semble, ceci n’est-il pas dans les règles du Droit ? Ma Clorine a des charmes, ne doivent-ils être que pour moi ? Est-il juste qu’une belle Personne n’apartienne qu’à un seul Homme, & qu’elle soit perduë pour le reste de l’Univers ?

Zitat/Motto► . . . . Trahit sua quemque voluptas,

Hic Nuptarum insanit amoribus, hic Meretricum. ◀Zitat/Motto

Le Chevalier de L * * est du nombre des premiers, si tous les Maris étoient aussi sévéres qu’un Espagnol jaloux, un aussi honnête Homme seroit obligé de faire tréves avec les plaisirs de l’Amour. [256] Mais que direz-vous quand je vous déclarerai que j’y trouve mon profit, & de l’honneur. S’il est permis de mettre son bien en intérêt, ma Femme fait partie de mon Bien, & ma condescendance me fait des Amis, des Patrons, & des Chalans de ceux de ma Femme. Et pour l’honneur, me disputerez-vous que personne ne peut m’en faire davantage que les Amans de ma Femme, puis que l’estime qu’ils font d’un Bien dont j’ai la propriété, marque mon bon goût dans le choix que j’en ai fait, & qu’il est de mon honneur qu’ils connoissent par eux-mêmes toute l’étenduë de mes plaisirs. Au reste, croïez-moi, Voisin, s’il y a du deshonneur, c’est sur le comte des Amans, car les démarches qu’ils font pour enlever le Bien d’un autre, prouvent que ce Bien-là leur manque pour être heureux. Quoi qu’il en soit, souvenez-vous du Proverbe, entre le bois & l’écorce il ne faut pas mettre le doigt ; gouvernez votre Epouse à votre maniére, j’en suis content ; mais permétez-moi de trouver bon que la mienne soit à tout le monde. »

J. P. K. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 4 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Ebene 1

1De la Motte, imité de la 6. Ode du 3. livre d’Horace.