Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. XXXI.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\031 (1715 [1714]), S. 241-248, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4017 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

N°. xxxi.

Le Lundi 8. d’Octobre 1714.

Ebene 2► Nous sommes souvent malhûreux parce que nous croïons l’être. Ainsi, nos malheurs dépendent plus pour l’ordinaire de l’opinion que nous avons des choses, que des choses mêmes. Nous sommes encore souvent malhûreux dans le sentiment des Hommes, quand nous ne le sommes pas en effet.

Ce qui doit nous persuader de la vérité de cette réfléxion, c’est la certitude de cette autre ; le Bien n’est Bien que par la convenance qu’il a avec celui qui en est pourvû, & il n’y a en cette vie, ni Bien, ni Bonheur absolu, mais seulement relatif & par comparaison, puisque ce qui convient à l’un n’est pas propre à l’autre. Ainsi les Richesses, dont la plûpart des hommes font leur félicité, sont celles qu’un Philosophe jetta dans la Mer pour mieux s’adonner à la contemplation ; les Hon-[242]neurs & les Plaisirs, qui sont les choses qui flattent le plus puissanment les hommes, sont des croix & des tourmens pour quelques-uns. La Prison, qui est une des plus rudes épreuves de la patience, est néanmoins recherchée de quelques-uns, qui préférent une solitude & une prison perpétuelle aux vanitez du Monde. N’avoir pas d’Amis est, selon-moi, & selon la plûpart des hommes, le plus grand des malheurs, cependant Timon en a fait son plus grand bonheur. La Vie même, le fondement de tous les Biens, a été si importune à quelques-uns, que pour s’en délivrer, ils se sont eux-mêmes donnez la mort : Enfin les douleurs, les afflictions, les maladies qui y conduisent, ne sont, au sentiment des plus célébres Philosophes de l’Antiquité, que des maux imaginaires qui ne font aucune impression sur les Sages.

Metatextualität► A quoi tend cette moralité ? dit sans doute le Lecteur impatient ; à lui prouver qu’il est lui-même l’artisan de son bonheur & de son malheur ; quelle impiété ! va s’écrier quelque tartufe Misantrope. Mais ne précipitons rien ; ou [243] plûtôt étendons cette proposition, & ne portons point quelques coups injurieux à la Providence. ◀Metatextualität

Quand je fais l’homme Artisan de son bonheur & de son malheur, je n’entends pas qu’il dépend de lui de se donner tel ou tel avantage. Ceci est du ressort de la seule Providence, mais poura-t-on me nier que je suis maître d’être content de la situation où la Providence me place, ou d’en être mécontent ? Du premier dépend le parfait bonheur, de l’autre un malheur qu’on sent mieux qu’on ne peut le décrire.

Ebene 3► Fremdportrait► Oustergon est Pére d’une nombreuse famille : quelle Bénédiction ! quelle faveur du Ciel ! Il est le seul objèt de la tendresse d’une sage & adroite Epouse ; quoi de plus précieux ? il posséde des biens assez considérables pour le mettre hors de crainte contre les doutes de l’avenir ; il est même estimé de plusieurs de ses Concitoïens. Cependant, Oustergon est d’une tristesse, d’une mélancolie insuportable, rien n’est de son goût, rien ne le peut divertir, toûjours sombre & rêveur, il n’a pas une heure de contentement dans la vie. Que lui [244] manque-t-il donc ? rien autre chose qu’un rémede sûr pour rectifier son opinion qui lui fait regarder avec jalousie la condition de Percali qui n’a pas d’Enfans, qui a une femme coquette, qui n’a qu’une fortune mal affermie ; mais qui est au timon de l’Etat dont il peut distribuer les Emplois à droite & à gauche, & qui de son côté porte envie à Oustergon, regarde sa situation comme le comble du bonheur, & s’imagine qu’il n’y a pas d’homme sur la terre plus insulté de la fortune que lui-même. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Voila deux hommes dans deux états oposez également malhûreux, & qui se croïent l’un l’autre dans l’état le plus hûreux, & cela par opinion, par imagination : voila le caractére de la plûpart des Hommes qui seroient tous en éfet hûreux, s’ils savoient être contens de leur état ; quoi de plus aisé, quoi de plus rare ! quoi de plus nécessaire ! puis qu’autrement toute la vie n’est qu’une enchaînure de chagrins & de douleurs. Metatextualität► Ces réfléxions m’ont paru devoir précéder la Lettre qui suit, qui y a donné occasion, & qui [245] sert à en prouver la solidité. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

« Puisque votre Censure a l’hûreux effèt de mettre un frein à plusieurs vices qui étoient plus communs, & qui aujourd’hui, s’ils ne le sont pas moins, sont plus cachez, j’ai crû que vous ne desaprouveriez pas la relation d’une petite Histoire qui peut être instructive. Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Gaulartin est Fils d’un Pére qui n’a point épargné ses peines pour lui amasser du Bien, & qui n’a pas épargné son Argent pour lui donner une bonne éducation, dont le Fils n’a pas profité. Les Armes, comme la profession la plus oisive, ont mérité son choix ; là, par la faveur des Amis de feu son Pére, plûtôt que par sa valeur, il obtint bien-tôt une Compagnie qu’il ne garda pas long tems. Une jeune Beauté, mais de la plus basse extraction, en fut la cause, il en devint amoureux à la fureur ; elle fût faire la précieuse, & il falut qu’il eût dit le sacré Oui [246] avant d’en obtenir la plus petite faveur ; le Mariage découvert, notre Etourdi fut obligé de quiter sa Compagnie, parce qu’il n’avoit rien communiqué à son Coronel, & les autres Oficiers ne voulant pas faire le Service avec un Homme qui dérogeoit à ce point. Mais comme si la fortune avoit résolu de le favoriser en dépit de lui-même, on reçut des Lettres de la mort d’un Parent de sa nouvelle Epouse, qui s’étoit enrichi aux Indes, & dont elle étoit seule Héritiére. Un bonheur aussi à propos qu’inespéré, devoit bien, à mon avis, faire concevoir à Gaulartin qu’il devoit en profiter, & devenir sage à ses dépens ; mais aussi facilement qu’il avoit hérité, aussi prodigalement le dépensa-t-il ; il n’y a fêtes, plaisirs, divertissemens, bonne chére, qu’il ne se donna, & à son Epouse, qui eut bien lieu d’en pleurer dans la suite ; car à peine vit-il les derniers Ducats de la Succession, qu’il délogea & fut dans une Ville frontiére s’y donner des airs avec le reste de cet Argent, pendant que sa [247] Femme, obligée de retourner chez son pauvre Pére, rentra dans sa premiére profession de Laitiere. Gaulartin, cependant, rentra dans le Service dans un Régiment étranger, & en quelques années de tems il monta d’Emploi en Emploi, jusqu’à celui de Colonel, il sembloit que ses bévûës l’auroient corrigé : mais il n’eut pas goûté deux ans de Prospérité, qu’ingrat envers le Prince à qui il devoit sa Fortune, il chercha toutes les occasions de le diffamer, & pour juste récompense, il fut encore chassé honteusement de ce Poste honorable, & après quatorze ans d’absence, ou de fuite, il vient d’arriver auprès de sa Femme qu’il a trouvé mariée avec un autre qui lui a fait une Fortune stable. Elle ne veut pas reconnoître Gaulartin, & son Mari d’à présent, ce qui est le curieux de l’Histoire, prend vivement le parti de son Epouse, entreprenant de prouver, que quand il l’a épousée, elle étoit encore fille & vierge. De sorte que Gaulartin a bien la mine d’être obligé de [248] prendre tout de nouveau le Mousquet, & de redevenir de Colonel, Soldat ; ou de briguer une Charge de Porteur de Tourbes, par la recommandation du Mari de sa Femme. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4 Gaulartin n’est-il pas lui-même l’artisan de son malheur, peut-il en acuser qui que ce soit, & les gens de son caractére ne mériteroient-ils pas tous le sort de ce malhûreux dont il est parlé dans la Fable, qui trouva un Licol à la place d’un Trésor dont il n’avoit pas sû profiter : je vous invite à donner quelques charitables avis aux Imitateurs de l’imprudent Gaulartin, & croïez-moi, »

De G * * ce 28. Septembre 1714.

Philorust. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

Avertissement.

H. Scheurleer, vend l’Institution de la Religion Chrêtienne, par J. Calvin, nouvellement traduite, par Ch. Icard, Ministre du St. Evangile, imprimé d’un beau Caractére, en un vol. in folio : Il se vend à un prix très raisonnable.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Ebene 1