Sugestão de citação: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Ed.): "N°. XXVIII.", em: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\028 (1715 [1714]), S. 217-224, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4014 [consultado em: ].


Nível 1►

N°. xxviii.

Le Lundi 17. de Septembre 1714.

Nível 2► Plus soûmis à nos préjugez, à nos sens, & à l’Empire absolu de l’Exemple, qu’aux saines Loix de la Raison, nous tombons tous les jours dans mille fautes, nous sucombons à mille passions différentes ; C’est-là une thése que je tâche de prouver depuis six mois en éxaminant les divers vices dans lesquels on tombe, je me suis toûjours borné à faire sentir que le manque de consulter notre raison en est la principale source. Mais ce n’en est pas la premiére.

Nível 3► Cette premiére source, ce sont les fautes qu’on commet dans l’Education de la Jeunesse ; fautes presqu’irréparables, fautes qui influent sur toutes nos actions sur tout le cours de notre Vie. Les Parens tombent dans ces fautes de cinq maniéres. 1. Par l’amour qu’ils portent à leurs Enfans. 2. Par le choix des Maîtres. 3. Par les Exemples. 4. Par le choix d’une Profession. 5. Enfin, en les établissant.

[218] 1. Rien de plus ordinaire, rien de plus général que de trouver des Péres & des Méres assez imprudens & assez injustes pour mettre entre leurs Enfans une distinction que la nature plus sage qu’eux n’y a pas mis. Je ne vois pas qu’on puisse excuser un pareil caprice. Car en vain, me dira-t-on, que l’un est d’un naturel plus doux, plus flateur, plus engageant ; ce ne sont que des paroles qui ne signifient rien. Vos Enfans sont tels que vous les voulez avoir, leur naturel, leurs talens dépendent de vous. Parlez-leur avec affabilité, avec tendresse, avec douceur, dès avant qu’ils puissent vous connoître, & vous éprouverez qu’ils seront doux & affables ; rudoïez-les, faites retenir à leurs oreilles une voix continuellement menaçante, ils deviendront, chagrins, grondeurs ; un jeune Enfant est comme une cire mole dont un Artiste adroit fait tout ce qu’il veut ; ainsi cette excuse est frivole ; & ces amitiez de préférence ne viennent que d’un caprice qui n’a rien que de très condamnable, sur tout quand on pense que de là naissent des haines dans les Familles qui y sont engendrez par la jalousie que produit ces préferen-[219]ces. J’ai vû une petite Fille de huit ans mourir de chagrin, parce qu’on lui préféroit ouvertement sa cadette, pour laquelle elle avoit conçû une jalousie & une aversion qu’on ne peut exprimer ; Et qui connoît Augerion, & ne sait pas l’animosité qui régne entre lui & une Epouse qu’il a autre fois chéri tendrement ; quelle en est la raison ? elle chérit Francion que son Pére ne peut soufrir, & elle ne veut pas voir Amélie qui est l’objet du plus tendre amour de son Mari. Joignons à cela que les Enfans, qui réfléchissent sur tout, aprennent de là à être aussi injustes & aussi capricieux que leurs Parens dans le choix des objets de leur amitié, ou de leur estime.

Ce seroit ici le lieu, ce me semble, de faire réfléchir les Parens sur le ridicule des aplaudissemens qu’ils donnent à toutes les sotises de leurs Enfans favorisez. Ignorent-ils donc qu’ils jettent ainsi dans ces petites créatures les détestables semences d’un criminel orgueil, & qu’insensiblement ils perdent tout le fruit de la plus belle éducation. Pour les rendre aussi ridicules qu’ils sont dans ces ocasions je pourrois leur apliquer la Fable du Hibou & de ses petits, mais je me contente de l’avis suivant.

[220] Péres charmez des vos Enfans,

Recevez cet avis sincére,
Etant seul prenez votre tems
Pour jouir des plaisirs de Pére :
Mais en public en vérité
Suspendez la Paternité.
Un Pére aveugle croit toûjours
Que son Fils dit choses exquises ;
Mais d’autres voudroient être sourds
Pour n’entendre pas ses sotises :
Car il faut de nécessité
Aplaudir à l’Enfant gâté.

2. Le Choix des Maîtres fait l’article le plus essentiel du devoir d’un Pére à l’égard de l’éducation de ses Enfans. Il seroit inutile de me récrier ici contre la malheureuse coûtume si générale de s’informer combien un Gouverneur, un Précepteur, une Maître, veulent gagner avant de s’informer de sa capacité & de ses mœurs. C’est un mal trop invétéré. On épargne dans cette ocasion, où on devroit être prodigue, car comme il est assez rare de trouver une grande probité jointe à un grand savoir, & à tous les talens qu’il faut pour l’éducation, on ne devroit rien ménager pour se procurer des personnes si rares ; Mais fait-on cela ? j’en appelle à l’experience ; on ne marchandera pas avec un Maître de Danse, ou de Chant, pendant qu’on cherchera à rogner autant qu’on poura sur la pension d’un Gouverneur, ou d’une Gouvernante ; cependant les uns travaillent, à quoi ? à donner un petit agrément, [221] un petit air à votre corps, & les autres donnent leurs soins à former votre esprit, votre cœur, qui sont des biens qui doivent vous rester jusqu’au tombeau, & de la solidité desquels dépend & la tranquilité de votre vie, & même (mais c’est à quoi on pense le moins) un bonheur éternel. Nível 4► Retrato alheio► Que ne doit-on pas penser de Sélénie, & quel blame ne mérite-t-elle pas d’avoir mis auprès de sa jeune Fille me <sic> Gouvernante telle que Rosine. Elle parle bien François, il est vrai, elle brode bien une jupe, elle nuance bien une Tapisserie, je l’avouë, mais elle est orgueilleuse, pleine de son propre mérite, fourbe, rafinée dans les mistéres galans, elle a une passion sans bornes pour l’argent ; Sélénie le savoit, & aujourd’hui elle est étonnée de voir sa Fille en proïe à tous les vices de sa Gouvernante & devenir la Maîtresse de tous les Etrangers qui abordent dans la Ville. ◀Retrato alheio ◀Nível 4

Est-il nécessaire que je déduise ici toutes les conséquences qui naissent de la faute que font les Parens à cet égard, & y a-t-il quelqu’un qui ne comprenne aisément que de là seul dépend que des jeunes Gens deviennent ou scélérats, ou gens d’honneur, ou hipocrites ; car le Disciple est toûjours la copie fidèle de son Gouverneur, & cela influë tellement sur le bien de sa Société, que je ne suis pas le premier qui avancerai qu’il seroit à souhaiter pour le bien d’un Etat que le Souverain établît des Académies, ou plûtôt des espéces de Seminaires de Précepteurs. Nível 4► Exemplum► Je me souviens, à propos de ceci, de la coûtume d’une certaine république de la Gréce, [222] où l’on enlevoit les Enfans à leurs Parens dès le moment de leur naissance, & ils étoient élevez aux dépens de l’Etat sous la conduite d’un bon nombre d’excellens & vertueux Maîtres. Ces jeunes Gens ne connoissoient d’autres Parens que leur Patrie, pouvoient-ils être que de bons, de fidèles, de sages citoïens : de là la félicité d’une Société ! ◀Exemplum ◀Nível 4

3. De toutes les choses qui demandent des Parens le plus de prudence & de précaution dans l’Education des jeunes Gens, on peut dire que c’est leur conduite en leur présence. Un Enfant aïant un Esprit qui ne peut être oisif, il faut qu’il fasse ses fonctions, dont la principale est de penser, de réflechir. Les personnes d’un certain âge trouvent dans les différens états où leur naissance, leur fortune, leur éducation les a mises, différens sujets sur lesquels elles éxercent leurs pensées ; Mais les Enfans n’aïant la tête embarassée ni de revenus, ni de détes, ni de négoces, ni de ménage, ni de gloire, ni de réputation, ils fixent leurs réfléxions & leurs pensées sur les objets les plus intéressans qui s’offrent à leurs yeux, les actions de ceux qu’ils sont apris à respecter & à aimer dès leurs plus tendres ans, les excitent, les atirent, les arêtent infiniment plus que celles de quelqu’étranger ; & naturellement ils donnent leur aprobation à tout ce qui vient de gens qu’ils craignent & qu’ils respectent. Ceci est prouvé par l’expérience même, quels soins doit donc avoir un Pére de ne rien faire devant ses Enfans, ou à leur sû, qui pût ou les rendre moins honnêtes gens, ou le rendre lui-même méprisable.

[223] Nível 4► Retrato alheio► Si Phocion avoit fait réfléxion sur cette vérité le veroit-on toûjours en colére en présence de son Fils, n’éviteroit-il pas les yeux de ce jeune Homme quand il veut faire venir chez lui Catos qu’il entretient dans la vieille ruë, ou Dorine qu’il tient en chambre garnie dans le Westeynde, prononceroit-il en sa presence plus d’obsénitez que n’en contiennent Martial, Pétrone, & Rousseau ; Cependant, Phocion voudroit que son Fils fut un second Caton, & quand on lui vient dire qu’on a vû son Fils dans un tel lieu de débauche, qu’il a insulté un tel, qu’il a maltraité cette Femme, qu’il dit telle ou telle chose de son Pére, il fait l’étonné, il acuse la Corruption de la nature, il ne sait où son Fils a pris une conduite si déréglée ; semblable en cela à un certain Seigneur, à qui un Gouverneur se plaignoit de ce que son Fils juroit à chaque parole, & qui répondoit, ma foi je ne sais d’où ce défaut lui vient, car Dieu me damne je ne jure jamais. ◀Retrato alheio ◀Nível 4

4. De quelque rang que l’on soit, il faut dans la vie se fixer à quelque chose. Les grands aspirent aux grands Emplois, les petits se bornent à certaines professions. Il seroit trop tard d’atendre à vingt ans à faire aprendre à un Enfant la profession qu’il doit éxercer toute sa vie, on s’y prend de bonne heure avec raison, mais on s’y prend mal ; parce qu’on ne consulte en cela, ou que des intérêts de Familles, ou du moins tout autre chose que ce qu’on devroit consulter, je veux dire l’inclination de l’Enfant. Personne en effet n’y a plus d’intérêt que lui : c’est de là que naissent tant de maux, tant de desordres dans les Familles qui influent sur toute la Société. Nível 4► Retrato alheio► Fabius est mis dans les armes par ses Parens, il y reste par obéïssan-[224]ce, il n’a ni valeur, ni intrépidité, ni prudence, il auroit même mieux aimé la Robbe, cependant, ses Parens ont du crédit, ils lui procurent des Emplois ; plus Fabius est élevé, plus il fait de fautes de toutes les espéces, il devient la risée de ses égaux, & le mépris de ses inférieures ; ses Parens meurent : devenu libre il abandonne le service & devient la honte de sa Famille à laquelle il auroit fait honneur, si en consultant on l’avoit fait seoir sur les Lys. ◀Retrato alheio ◀Nível 4

5. Metatextualidade► Le peu d’espace qui me reste ne me permet pas de m’étendre beaucoup sur le cinqiéme article, qui même semble être au delà de l’Education ; mais je l’y fais entrer, parce que, comme on doit, selon moi, raporter l’éducation au bien de la Société, & le Mariage, qui fait une de ses parties la plus considérable, dépendant ordinairement de la volonté des Parens, il semble que cette circonstance doit être comme le perfection & l’accomplissement des soins paternels. ◀Metatextualidade Cependant, y a-t-il quelque partie de l’Education où on fasse de plus lourdes fautes qu’en celle-ci, & quoi qu’un Enfant soit obligé indispensablement à l’obéïssance, cependant, je n’ai jamais pû improuver ce que disoit la Fille de Caton, volo maritum qui me malit quam mea, l’injustice & l’avarice des Péres force souvent à prononcer ce Volo, ou à tomber dans certaines fautes où la pudeur étant une fois sacrifiée, on ne doit pas espérer qu’on la recouvre jamais. C’est l’union des cœurs qui fait le Mariage & non l’union des cofres. Ainsi on ne cessera jamais d’improuver la conduite des Péres qui forcent l’inclination de leurs Enfans, d’autant plus qu’on ne voit sortir de ces Mariages, que jalousie, discorde, haine, amours criminels, Enfans haïs & mal élevez ; quel desordre dans la Société qu’un Mariage forcé. ◀Nível 3 Metatextualidade► Ce seroit me défier des lumiéres de mes Lecteurs de tirer moi-même de tout ceci les conséquences qui influent sur toute la vie, il vaut mieux leur en laisser le soin. ◀Metatextualidade ◀Nível 2

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters. ◀Nível 1