Zitiervorschlag: Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] (Hrsg.): "N°. VII.", in: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye, Vol.1\007 (1715 [1714]), S. 49-56, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4010 [aufgerufen am: ].


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N°. VII.

Le Lundi 23. d’Avril 1714.

Suivons nos Réfléxions du dernier Ordinaire.

Ebene 2► Exemplum► Tout n’est qu’Opinion, disoit un sage Païen, aussi glorieux Empereur que judicieux Philosophe : & comme s’il eut voulu nous aprendre comment il faut se conduire pour ne pas donner dans ce défaut, il ajoûte, faisons & pensons chaque chose comme pouvant sortir de la vie à chaque moment. S’il y a des Dieux, ce n’est pas une chose bien facheuse que de quiter le monde, car ils ne nous ferons aucun mal, & s’il n’y en a point, ou qu’ils ne se mêlent pas des affaires des hommes ; qu’avons-nous à faire de vivre dans un monde sans Providence & sans Dieux ? ◀Exemplum

Cette belle Réfléxion éxaminée sur ce qui se passe de nos jours, fait bien connoître la verité de ce qu’il dit ailleurs ; « que toutes choses font toûjours un Cercle, & qu’il n’y a point de diférence entre les voir pendant vingt ou trente ans, ou pendant un tems infini. » [50] En éfèt, tel étoit le tems de Marc-Antonin, tel est le notre ; Tout n’étoit qu’opinion alors ; est-ce autre chose aujourd’hui ? Rien est-il plus rare qu’un homme qui pense, qui fasse usage de sa raison, qui se conduise par principes. On ne pense & on n’agit que sur l’éxemple des autres, soit Parens, ou Amis, ou Voisins, ou Prêtres, ou de toute autre Personnes, qu’on se choisit, ou qui d’eux-mêmes se donnent pour nos Guides.

Ebene 3► Fremdportrait► Philarion est né de Pére & de Mére qui font profession du Catholécisme : sa langue étoit à peine dénoüée qu’on lui a fait aprendre un certain formulaire de Priéres. On lui a parlé d’un Dieu à qui on donne tels ou tels atributs. La memoire de Philarion a-t-elle commencé à se former, on lui a fait aprendre certain formulaire de Controverse ; sorti de l’Enfance, Philarion montra-t-il qu’il commençoit à raisonner ? Une longue Confession de foi & un épais Catéchisme, ont été les premiers argumens avec lesquels on a persuadé Philarion de la Religion dont il devoit faire profession. Il a goûté tant de preuves, il s’y est rendu ; pouvoit-il disputer contre un Pére entêté, contre une Mére bigote, contre un Curé rébarbatif ? Voila Philarion [51] Catholique pour toute sa vie. La Religion est-elle donc un bien héréditaire ?

On va encore plus loin ; car, si Philarion aïant ouï dire qu’il faut éxaminer les matiéres de la Foi, si Philarion aïant lû par hasard le droit & l’obligation de penser librement (Livre detestable chez la gente dévote) il entre en discussion ; & branlant au manche, comme on parle, donne à douter qu’il pense à embrasser de lui-même une Religion ; Quelles huées ! Que de voix vont s’élever contre lui ! Y aura-t-il en lui Vices ou Vertus qu’on n’ataque ? Ne changez pas Philarion, vous êtes né Catholique, vous devez mourir Catholique ; & par la même raison Mustapha est né Turc, il faut qu’il meure dans la foi de son Alcoran. Cela ne prouve-t-il pas démonstrativement que tout n’est qu’opinion aujourd’hui, comme du tems de Marc-Antonin. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Mais on pousse le ridicule, je dirois volontiers l’impertinence, encore plus loin. Le Catholique veut que le Calviniste, le Grec, le Luthérien, quite son Opinion, pour embrasser la sienne ; ceux-ci prétendent réciproquement la même chose du Catholique, pendant que ni l’un, ni l’autre ne veulent acorder aux Particuliers de sa Secte une liberté qu’ils vou-[52]droient établir chez les autres. Sont-ce des hommes qui agissent ainsi, & peut-on dire que la raison est ce qui les distingue des autres Etres dont ils sont environnez ?

Quel remède à un Vice si considérable & si universel ? Celui qu’on emprunte des contraires est souvent le plus promt ; & puis que l’on péche en ne faisant nul usage de son Entendement & de sa Raison, en recevant des Principes au hasard & sur la foi d’autrui sans les avoir bien éxaminez ; qu’on admèt là-dessus des sistêmes tout entiers dans la pensée qu’ils sont vrais & solides : ce qui n’est autre chose qu’une crédulité honteuse & püérile ; il faut au contraire se mettre dans un parfait équilibre à l’égard de toutes sortes d’opinions, jusqu’à-ce qu’on soit convaincu de leur vérité par de bonnes preuves, & en éxaminant les principes avec une certaine liberté d’Entendement, qui est le propre des Créatures raisonnables ; en un mot, ne recevoir aucune opinion par un autre motif que celui de l’Evidence.

Metatextualität► La seconde partie de la Réflexion de notre Empereur Philosophe n’est pas moins de mise en nos jours que la premiére. ◀Metatextualität Nous voïons tous les jours des [53] gens qui portent leur extravagance jusqu’à nier l’Existence d’une Divinité ; C’est à eux que j’en veux à present. Peut-être, diront-ils, que j’ai mauvaise grace de les ataquer après avoir déclamé contre les opinions. Mais je leur répondrai, qu’on ne doit pas les considérer comme gens qui ont une opinion, & je ne leur parle que comme à des Gens que je voudrois qui en eussent une, & qui cessassent de floter entre le croire & le doute.

Je ne crois pas que j’avancerai trop quand je dirai que de tous ceux qui nient & une Divinité & l’Immortalité de l’Ame, il y en a de deux sortes. Les uns soûtiennent cette négation par un esprit de singularité qui les jétent dans une obstination causée par un défaut de lumiére, & pour n’avoir pas donné tous leurs soins à l’éxamen de deux sujèts de la connoissance desquels dépend leur éternité & leur tout. Les autres sont des gens qui sont persuadez de la Vérité de cès deux grands sujèts ; mais à qui le repos brutal des premiers, entre la crainte de l’Eternité, ou du néant, semble si beau, qu’ils croïent qu’il est glorieux de feindre d’être dans des sentimens si extraordinaires, dans lesquels ils font mê-[54]me consister les belles maniéres du monde. C’est-là ce qu’ils apellent avoir sécoüé le joug.

Je demanderai aux premiers s’ils savent qui les a mis au monde, s’ils savent ce que c’est que leurs corps, que leurs sens, que leurs ames ; s’ils savent ce que c’est que ce je ne sais quoi qui pense en eux, s’ils savent qui a formé toutes ces choses, qui les fait subsister, qui les fait cesser de subsister ? Et non seulement cela, mais qui peut faire ces choses ? Leur repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse : car véritablement ils n’ont pas réfléchi sur ces choses, autrement ils auroient été contraints de reconnoître l’Existence d’un Etre Créateur, tout-puissant pour faire & entretenir ses Créatures : voila l’Etre que j’apelle Dieu. Mais que dit, que fait l’Athée ?

Ebene 3► Non, il n’est point de Dieu. Ses foudres redoutables

Ne sont que de grossiéres Fables,
Dont les foibles esprits se sont toûjours repûs ;
Disent cès insensez, cès hommes corompus,
Dont les crimes abominables,
Jamais par les remords ne sont intérompus.
De l’obscur instinct qu’ont les brutes
Leur raison ne difére en rien.
Frapez d’aveuglement tous leurs pas sont des chutes,
Et nul d’entr’eux ne fait le bien. ◀Ebene 3

Par raport à l’Immortalité de l’Ame. Ne peut-on pas dire que leur négation est un entêtement, un Enchantement incompréhensible, & un assoupissement surnaturel. Car toute leur conduite, toute leur façon de [55] parler, tout parle en eux pour cette Immortalité. Ils ne nient point une Eternité, ils font tout ce que les autres font pour se rendre hûreux ; mais ils ne veulent ni de cette Eternité, ni de ce bonheur pour eux-mêmes, ils s’obstinent à chérir le néant. Où peuvent-ils prendre de tels sentimens ? Et quel sujet de tranquilité & de satisfaction que de n’atendre que des miséres sans ressource, s’il se trouve qu’au moment de la mort leur Ame est immortelle, & qu’elle tombe entre les mains d’un Dieu qu’ils auront méconnu ; quelle consolation pour eux, que se refuser toute espérance de Bonheur & de Félicité.

Venons à ceux qui ne font que feindre cès sentimens. S’ils ont le sens commun ils doivent reconnoître qu’ils sont dans une étrange erreur ; en croïant que ce soit-là un moïen d’aquérir l’estime des honnêtes gens, qui ne l’acordent d’ordinaire qu’à ceux qui font profession d’honêteté, de fidèlité, de modération, &c. Toutes Vertus qui sont incompatibles avec les idées qu’ils se sont faites, & de la Divinité, & de la nature de leur Ame. Car il est rare qu’on donne dans ces sortes de Visions, que par un esprit de libertinage, on veut secoüer le joug d’un Etre dont l’immensité & la vigilance nous sont à charge ; on veut être seul maître de sa conduite & n’en rendre comte qu’à soi-même : voila les personnes dont nous tâchons de découvrir le ridicule qu’ils reconnoissent eux-mêmes pour la plûpart, & on peut leur apliquer ces Vers du Satirique.

[56] Ebene 3► Il prêche contre Dieu que dans son Ame il croit,

Il iroit embrasser la Vérité qu’il voit ;
Mais de ses faux Amis il craint la raillerie,
Et ne brave ainsi
Dieu que par poltronnerie.
C’est-là de tous les maux le fatal fondement
Des Jugemens d’autrui nous tremblons follement. ◀Ebene 3

Ils ne font pas réfléxion qu’il n’y a de la honte qu’à n’en point avoir, & que rien ne découvre davantage la foiblesse de l’esprit, que de ne pas connoître quel est le malheur d’un homme sans Dieu ; rien de plus lâche que de faire le brave contre Dieu ; rien de plus insensé que de préférer les horreurs du néant aux consolations d’une Eternité. Je finis par où j’ai commencé, s’il n’y a point de Dieu qu’avons-nous affaire de vivre dans un Monde sans Dieu & sans Providence ? & j’ajoûte avec le même Empereur, mais il y a un Dieu & il a soin des Hommes. ◀Ebene 2

Avertissement.

On trouve à présent chez Henri Scheurleer, Libraire à la Haye, la nouvelle Edition de J. Newton Philosophia Naturalis Principia Mathematica, in 4. qui ne céde en rien à la beauté de l’Edition de Londres, & qu’il vend à la moitié moins que celle ci.

Il debite aussi Les Plaintes des Protestans, par M. Claude, augmenté d’une ample & belle Préface touchant la durée de la Persécution, & sur l’état présent des Réformez en France, 8. Comme aussi toutes autres sortes de Livres nouveaux, tant d’Angleterre que de ce Païs-ci.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters1714. ◀Ebene 1