Zitiervorschlag: Anonym [Eliza Haywood] (Hrsg.): "Livre Dixseptieme.", in: La Spectatrice. Ouvrage traduit de l'anglois, Vol.3\005 (1750 [1749-1751]), S. 339-411, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.3745 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Livre Dixseptieme.

Ebene 2► Metatextualität► Nous avons appris que la Lettre signée Amonie, insérée dans notre dernier Discours, a fait du bruit en ville; & que son Epoux, qui lit assiduement ce que nous mettons au Jour, est très fâché qu’elle ait ôsé faire contre lui des Plaintes publiques, en-sorte que leur Division a augmenté, & tend maintenant à une séparation; mais nous ne devons point être blâmées d’avoir accordé à cette Dame ce qu’elle demandoit, puisqu’elle étoit mieux en état que nous de prévoir les suites de notre Complaisance. Nous souhaiterions même que les choses eussent mieux tourné, & que l’un ou l’autre de ces infortunés Epoux se fût laissé convaincre par sa propre Raison, aussi bien que par nos Réflexions, qu’un trop grand Attachement à une Forme particulière de Culte, dans certains cas, montre moins de Jugement, & peut avoir des Effets plus funestes, que si on écartoit ce sujet de Division, en usant à propos de Complaisance.

[340] Cependant s’il arrive que deux Epoux soient déterminés à persister dans leurs Opinions particulières au Prix de tout l’Amour & de toute la Tendresse qu’ils ont droit d’attendre l’un de l’autre, dans ce cas tous les Membres de notre petite Société sont d’avis, qu’une entière séparation seroit une moindre Violation de la Cérémonie sainte qui les a unis, que s’ils continuoient dans un état, où les Paroles & les Actions les plus légères leur fourniroient toûjours un nouveau sujet de se quereller. ◀Metatextualität

Il faut convenir qu’il n’y a rien de plus triste qu’une telle Crise. Une Séparation de cette Nature doit paroître pire que la Mort à celui, ou celle, qui conserve dans son sein les moindres restes de cette Affection qui les avoit unis. Nous devons tous nous soumettre à notre Sort, & ceux-là montrent plus de Vertu & de Force d’Esprit, qui se conduisent avec plus de Patience, & de Résignation sous les Decrets du Destin ; mais lorsque deux Epoux se séparent volontairement, l’un & l’autre peut s’imaginer qu’on lui a cherché Querelle, pour se défaire d’une Compagnie qui n’avoit plus le Bonheur de plaire.

[341] Mais indépendamment du Jugement que le Public peut porter sur un Incident de cette Nature, on l’a vû produire les plus heureux effets ; nous sommes souvent emportés par la Passion, au point d’ignorer ce qui se passe dans notre propre Cœur. Il nous arrive trop souvent de croire haïr ce qui nous est le plus cher. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Sergius est un fort joli Homme, mais d’un Esprit si hargneux & si intraitable, que quoiqu’il eût épousé, uniquement par Amour, une célèbre Beauté que je nommerai Aranthe, il n’eut pas habité deux mois avec elle, qu’elle crut avoir lieu de se regarder, comme la plus malheureuse de toutes les Femmes. De son côté, il n’étoit pas moins mécontent ; malgré toute la Passion qu’elle avoit sentie pour lui, & qui ne le cédoit point à celle qu’il lui avoit témoignée. Elle ne put pas supporter ce mauvais Traitement. Elle lui rendit avec usure sa mauvaise Humeur ; il y avoit malheureusement trop de Ressemblance dans leur Caractère, ensorte qu’ils ne vouloient jamais convenir que de ce qu’ils avoient avancé eux-mêmes ; l’un & l’autre prenoient Plaisir à se contredire & souffroient avec Impatience la Contra-[342]diction, ils croïoient qu’on ne devoit avoir de la Complaisance que pour eux-mêmes, & qu’ils n’étoient obligés à aucun retour ; Sergius, comme l’Epoux, vouloit être obéï, Aranthe exigeoit de lui les mêmes Egards que s’il avoit été encore son Amant ; & ce Revers commun arrivé à leurs Espérances sembloit avoir éteint toute Tendresse dans leur Cœur. Non seulement ceux qui s’apperçurent de leur Désunion, crurent qu’ils se haïssoient cordialement, mais ils se l’imaginèrent eux-mêmes, & ne souhaitèrent pas avec moins d’Ardeur la Cassation de leur Mariage, si elle avoit été possible, qu’ils avoient désiré auparavant d’en former les Nœuds.

Enfin leur Animosité crut à un tel point qu’ils n’observèrent plus aucune Bienséance, & leur mauvais Ménage devint si public que leurs Parens des deux côtés jugèrent qu’ils feroient mieux de se séparer, que d’inquiéter tout ce qui les environnoit par leurs Clameurs continuelles.

On leur fit à chacun en particulier cette Proposition, qu’ils approuvèrent l’un & l’autre ; Sergius consentit encore à faire de son propre Bien une Pension [343] à Aranthe, qui ne lui avoit apporté qu’un Bien médiocre ; & elle s’engagea de son côté sous le Cautionnement d’un de ses Parens, qu’elle ne contracteroit aucune Dette en son Nom, ni ne lui susciteroit aucune mauvaise Affaire.

Ils se séparèrent donc avec toutes les Formalités possibles à l’exception d’un Divorce, qu’ils ne pouvoient point demander.

Ils parurent quelque tems très satisfaits de ce qu’ils avoient fait, & ils déclaroient dans toutes les Compagnies, que le jour de leur séparation les avoit pénétrés d’une Joye plus vive & plus raisonnable, qu’ils n’en avoient senti dans celui qui avoit éclairé leur Union.

Ils regardoient réellement l’un & l’autre leur Délivrance d’une Situation si désagréable, comme la plus grande Bénédiction du Ciel ; mais ils apprirent bientôt, combien ils se trompoient à cet égard.

Après qu’ils eurent donné suffisamment l’essor à la Rage & au Dégoût, qu’ils avoient conçu l’un contre l’autre, & dès que le Feu de leur Haine ne fut plus entretenu par leurs Contestations réciproques, il diminua insensiblement & [344] se changea dans un Calme, qui avoit un air d’Indifférence, mais qui en étoit réellement bien éloigné. Lorsqu’ils réfléchirent de sang froid à ce qui s’étoit passé entr’eux, des Offenses qui leur avoient paru monstrueuses, perdirent à leurs yeux beaucoup de leur Grandeur, & leur paroissoient toûjours plus légères, plus ils considéroient les sujets qu’ils en avoient donnés.

Ils avoient assez de loisir pour examiner leur propre Conduite, & ils trouvèrent assez de sujets de se condamner, comme aussi d’excuser l’autre Partie ; en un mot l’Absence les convainquit pleinement de ce qu’ils n’auroient vraisemblablement jamais reconnu, s’ils avoient continué à vivre ensemble.

Ils ne manquoient pas de bons Sens, l’un & l’autre, & dès qu’ils se furent défaits de cette Humeur querelleuse & de ces excès de Colère qui avoient occasionné leur Désunion, ils se rappellèrent alors les momens fortunés de leur bonne Intelligence. Chaque tendre désir, chaque doux Consentement, leurs Craintes & leurs Espérances revinrent à leur Esprit. Sergius seroit souvent sorti de son Silence pour s’écrier ; Qu’Aranthe étoit [345] charmante ! Pourquoi ai-je poussé à bout la Douceur de son Naturel & ai-je détruit par mes mauvaises Manières un Bonheur pour lequel j’aurois dû donner ma Vie ! Pourquoi, disoit Aranthe en soupirant, n’ai-je pas considéré le Mérite & l’Honneur de mon Epoux ? Pourquoi l’ai-je provoqué à m’ôter son Amour ?

En un mot cette Tendresse qu’ils avoient sentie autrefois, l’un pour l’autre, subsistoit encore dans leur Cœur quoiqu’elle eût parû éteinte, & reprénant la même Force, les rendoit doublement malheureux, puisqu’ils ignoroient leurs Sentimens reciproques, & qu’ils désespéroient de pouvoir jamais les inspirer. Sergius connut alors qu’il aimoit Aranthe, mais crut être l’objet de sa Haine ; & Aranthe n’étoit que trop sûre de sa Passion pour Sergius, ne doutant pas qu’il ne pensât à elle avec Mépris & Détestation.

Cette Opinion qui paroissoit assés raisonnable, les empêcha de tenter une Réconciliation. Ils évitèrent même tous les Endroits, où ils pouvoient se rencontrer, & le Hazard ne les servit pas sitôt au point de les réunir, sans qu’ils en eussent le Dessein.

[346] Il étoit juste qu’ils fissent quelque Pénitence de leurs Folies, mais enfin ils virent arriver la Fin de leurs Soucis, & le Commencement d’un Bonheur, plus grand non seulement qu’ils ne pouvoient l’espérer, mais qui surpassoit celui dont ils auroient pû jouir, s’ils <sic> n’y avoit point eû de Rupture entr’eux.

La Conviction de leurs Egaremens, & de s’être privés par leur Faute de tout ce qui pouvoit leur procurer quelque Satisfaction, les rendit l’un & l’autre très mélancoliques. Sergius, pour cacher sa Tristesse, passoit la plus grande partie de son Tems à la Campagne, & quand il étoit en Ville, il affectoit des Occupations pour se dispenser de prendre part à ces Amusemens, qui lui avoient tant plû autrefois. Aranthe ne prénant plus de Plaisir avec les vivans, se plut à converser avec les Morts, & vint présque chaque jour à l’Abbaye de Westminster s’amuser à lire les Inscriptions des Monumens.

Il arriva un Jour à Sergius de se promener dans cette vaste Cathédrale, & de venir heurter Aranthe, avant qu’ils se fussent apperçus, l’un l’autre, tant ils étoient ensévelis dans leurs Rêveries ; [347] ils trésaillirent à cette Rencontre imprévûe, mais ils n’eurent pas la Force de faire deux ou trois pas en arrière, quoiqu’ils en eussent d’abord le Dessein.

Aranthe  dit Sergius, avec la plus grande Confusion ; Sergius  s’écria Aranthe, d’une Voix tremblante. Ils s’arrêtèrent là l’un & l’autre, en se regardant fixement, jusqu’à ce qu’Aranthe, trop foible pour soûtenir les violentes Emotions dont son Ame étoit agitée, fut obligée de s’appuyer contre une des Colomnes de l’Eglise, qui se rencontroit à côté d’elle. Sergius remarquant à son état ce qui se passoit dans son Cœur, ne put plus cacher son Attendrissement, & courant la prendre dans ses Bras ; O Aranthe  s’écria-t-il, est il possible que ma Vûe fasse sur vous cet Effet ! O Sergius, répondit-elle, nous nous aimions une fois ! Que nous étions heureux, répondit-il  sa Passion ne lui permit pas d’en dire davantage. Mais il la serroit avec tant de Tendresse qu’elle ne put plus douter qu’il ne regrettât ce Tems, dont elle venoit de parler.

Aranthe, bien loin de repousser ses Embrassemens, laissa tomber sa Tête sur le sein de son Epoux, qu’elle arrosa de ses [348] Pleurs. O Aranthe, dit Sergius, aussi tôt qu’il put parler, notre séparation ne s’est point faite par ta Faute ; ni par la vôtre, reprit-elle en soupirant, j’ai été seule l’Aggresseur. C’en est trop, repliqua-t-il, car tout le Blâme en doit retomber sur moi.

Quelques Personnes, qui parurent dans l’Eloignement, les obligèrent à quitter une Posture qui leur plaisoit tant, ils furent donc s’asseoir dans la Partie la plus retirée de la Cathédrale, & comme ils se condamnoient eux-mêmes pour ce qui étoit arrivé, il n’y eut jamais de Réconciliation plus parfaite.

Ils se rendirent ensemble chez Sergius. Les Domestiques, à la Vûe d’Aranthe, ne purent cacher leur Surprise. Ils s’en apperçurent, & se rappellant avec Confusion, combien leurs Querelles avoient troublé toute la Maison, ils ne doutèrent pas qu’ils ne fussent allarmés, dans l’idée qu’ils alloient les voir recommencer.

Pour mettre Fin à toutes leurs Inquiétudes à ce sujet ; Ne soyez point en Peine, leur dit Sergius ; Je n’ai connu le Prix du Thrésor que je possédois, qu’après l’avoir perdu ; mais je tâcherai maintenant d’expier mes Fautes passées & en rendant Aranthe [349] parfaitement contente, de mettre à leur aise tous ceux qui nous environnent.

Cessez, mon cher, reprit Aranthe, de rejetter sur vous-même le Blâme qui m’est dû ; je ne connoissois pas assez mon Bonheur, comme mon Devoir ; mais je convaincrai à l’avenir par ma Conduite tous nos Domestiques & tous ceux qui nous connoissent, que je sens véritablement toutes mes Fautes.

Sergius ordonna pour le Jour suivant une belle Collation, & fit inviter les Parens de son Epouse & les Siens pour faire Honneur à cette Réconciliation, qu’il appelloit ses secondes Noces. Les deux Epoux redirent alors plusieurs fois, à la grande Satisfaction de toute la Compagnie, comme d’eux-mêmes, ce qu’ils avoient avoué en présence de leurs Domestiques.

Ils connoissoient trop bien leurs Fautes passées pour y retomber, & ils ont pris dans la suite plus de Plaisir à s’obliger, qu’ils n’en avoient auparavant à se contredire. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Metatextualität► Cependant les Dénouemens de cette Nature sont fort rares ; il faut un grand Fond d’Amour pour les amener ; car lorsque la Passion est totalement éteinte, il est présque impossible de la rallumer. [350] C’est pourquoi la Séparation de Personnes mariées a quelque chose d’extrêmement choquant, & outre les autres Infortunes, dont elle est infailliblement suivie, elle perd ordinairement de Réputation les Personnes ainsi séparées. Si elles se conduisent avec la plus grande Circonspection, on les soupçonnera d’avoir d’autres Engagemens ; & comme plusieurs en sont réellement coupables, les plus Innocens ne peuvent éviter la Censure du Public, & toutes leurs vertus ne paroîtront alors que des vices bien déguisés. ◀Metatextualität

Puis donc qu’un Dégoût mutuel, ou une entière Séparation sont suivis de tant d’Inconveniens, avec quel soin devrions nous examiner les Principes & les Sentimens de la Personne que nous voulons épouser, avant que d’entrer dans un état, que la mort seule peut changer, & qui doit paroître pire que la Mort, à tous ceux qui ont encore quelque Prudence, ou quelque Sentiment d’Honneur, malgré leurs Divisions.

Différentes Opinions en matière de Religion sont le plus grand Obstacle à une Réconciliation ; deux Personnes, qui se condamnent sur un Article si es-[351]sentiel, ne peuvent pas s’accorder long-tems, malgré tous leurs Efforts pour y réüssir. Le meilleur Jugement aura beaucoup de peine de se tenir en garde, contre les Préjugés de l’Education, & les Maximes qu’on nous à <sic> inspirées dans nos premières années, & quoique tous ceux qui s’exposent au même Danger que l’infortuné couple, dont j’ai parlé dans mon dernier Discours, puissent être moins malheureux, parce qu’ils sont moins Bigots, cependant il est présque impossible que l’un ou l’autre, ne laisse échapper quelques Expressions propres à donner de l’Ombrage, & à occasionner un Ressentiment & des Murmures secrets, qui empoisonneront leur Félicité, s’ils ne la détruisent pas entiérement.

Metatextualität► Mais en voilà assés sur ce sujet ; je trouve encore dans mon Paquet une Lettre, qui mérite d’être insérée ici, parce qu’elle attaque un Foible trop commun dans les deux Sexes, mais particuliérement parmi les Personnes du mien. ◀Metatextualität

[352] Ebene 3► Brief/Leserbrief► A la Spectatrice.
Madame
,

« C’est une Maxime chés moi que tout ce qui est inutile est impertinent ; ainsi vous faire des Complimens sur l’Utilité de votre Entreprise, ou sur la manière agréable & judicieuse avec laquelle vous l’exécutez, ne seroit que dire qu’il est jour en plein midi. Chacun sent & reconnoît le mérite de vos Ecrits, & vous avez, outre moi, un million d’Admirateurs.

Deplus je crois, ou je suis fort trompé, m’appercevoir que vous préférez la plus légère Insinuation qui peut contribuer au But de votre Ouvrage, à tous les Eloges qu’on pourroit en faire.

Je dois cependant reconnoître, que s’il y a dans un beau Visage des Traits, qui plaisent particuliérement, de même il y a dans votre Dissertation sur le bon & le mauvais Goût, quelque chose qui plait & instruit plus que le reste. On peut dire à mon avis, que [353] sur ce sujet vous vous êtes surpassée, & je ne puis m’empêcher de croire, qu’elle que soit notre Folie & notre Stupidité, que cette Pièce produira quelque effet sur plusieurs de vos Lecteurs.

Si l’on pouvoit rectifier parfaitement notre Goût, il nous seroit impossible d’errer à aucun égard ; mais ce seroit devenir des Anges avant notre Tems, & parvenir où nous n’atteindrons jamais qu’au-delà du Tombeau. Cependant il convient à chacun de s’approcher de ce point de Perfection, autant que la Nature humaine peut le permettre.

Il ne faut, Madame, qu’un peu de soin aux Personnes de votre Sexe pour paroître tout-à-fait Angéliques, puisque la Nature leur donne une Beauté qui approche de celle des Cherubins. Quelle Pitié quand, au-lieu de cultiver ces Charmes naturels, dont le Ciel vous a ornée avec tant de Profusion, vous les déguisez, les gâtez, & souvent les perdez entiérement ! & que vous preniez-même plus de peine pour vous rendre désagréables, que [354] si vous aviez voulu devenir le plus parfait Ouvrage de la Création !

La Spectatrice a très bien remontré que, si les Femmes donnoient à leur Esprit la Moitié des soins qu’elles donnent à leur Figure, elles pourroient le disputer aux Hommes à l’égard des Qualités les plus estimables. Mais je remarque avec Chagrin, que plusieurs Dames lisent avec Plaisir ce qui leur paroît un Compliment à leur Sexe, sans se mettre en peine de le mériter. Je suis bien éloigné d’accuser les Dames d’aucun Penchant vicieux ; au-contraire je les crois plus exemptes de ce Reproche que nous ne le sommes ordinairement. Ce que je veux dire, c’est qu’il leur est trop commun de se méprendre sur ce qui leur convient le mieux, & en aspirant à ce qui leur plaît trop, de se rendre incapables de plaire du tout.

Je ne finirois jamais, si je voulois rappeller les différens Meubles de la Toilette ; d’ailleurs je ne puis pas prétendre les connoître parfaitement, puisque je n’ai point été jusqu’ici assés heureux pour posséder [355] une Femme. Je n’en sçais rien que par le moyen de deux Sœurs, qui ne sont point encore mariées, & qui resteront peut-être dans cet état, tandis qu’elles penseront que la seule Gloire d’une Femme consiste en ce qu’on lui addresse des jolies choses, & dans ces Qualités, qui ne peuvent jamais faire le Bonheur d’un Homme raisonnable, & qui la rendront à la fin méprisable aux Yeux même du Fat qui fait Profession de l’admirer.

Ce seroit descendre trop bas que de s’étendre sur les Fers à friser, les faux Cheveux, le Rouge d’Italie, & tous les autres Ingrédiens qu’on employe à se farder, ou même sur les Oeuillades étudiées, sur cette Langueur affectée dans les yeux, sur toutes les Contorsions de la bouche, & mille autres Gestes aussi ridicules. J’en veux principalement à cette Affectation dans leur Conduite qui, plus que toute autre chose, leur fait perdre le Respect & la Considération de notre Sexe ; lorsqu’elles s’oublient elles-mêmes au point de s’imaginer qu’elles plairont dans un Age mûr, & même dans la Vieillesse, avec des maniè-[356]res qu’on pardonne à peine à la Jeunesse.

Quand je vois une Fille de quatorze ou quinze ans, sauter, rire, folâtrer, je ne suis point choqué de sa Conduite ; mais si je vois une Dame de vingt cinq ans, qui joue de la même manière, j’en ai de la Honte & du Chagrin, & si le Jeu continue jusque à trente, quarante Ans, & même au-delà, quoi de plus monstrueux !

Une Femme peut avoir des Charmes dans tous les Ages, pourvû qu’elle sache les mênager. La Jeunesse plaît par son Innocence ; l’Age mûr par les Charmes de la Conversation ; & la Vieillesse veut être respectée pour ses bons Avis & sa décente Gravité.

En un mot le beau Sexe ne déplaira jamais que par un Défaut de jugement ; dans ce cas, la plus belle Femme ne conservera jamais long-tems l’Amour, ou l’Estime d’un Homme sensé.

Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Un de mes Amis me persuada un jour de faire Visite à une Dame que je nommerai Lisette, & à qui le Public [357] ne rendoit pas un Témoignage fort avantageux ; j’avois oui dire, que c’étoit une Veuve d’environ trente à quarante Ans, nullement jolie & si replete, qu’elle ressembloit plutôt à une Hotesse de Wapping (*1 ), qu’à une Personne de Condition ; & cependant qu’elle avoit la Vanité de vouloir être jeune, belle, & bien faite, & qu’elle étoit réellement une des plus grandes Coquetes de notre Siécle.

Prévenu de cette Idée j’allai chez elle, sans craindre d’y perdre ma Liberté ; mais jamais je ne fus plus surpris, lorsque au-lieu de voir une Vieille étourdie, toûjours en action, je trouvai une Dame qui paroissoit avoir environ l’Age, dont on m’avoit parlé, du reste assez bien conservée, & qui me reçut de la manière la plus polie. Ses Traits n’étoient pas les plus beaux que j’eusse vûs, mais ils étoient fort reguliers ; ils avoient une certaine Douceur & marquoient une égalité d’Esprit, qui me plaisoit beaucoup ; sa Taille ne me parut point si désagréable qu’on me l’avoit représentée, par-[358]ce qu’elle ne prenoit aucune Peine pour la cacher, & elle se conduisit durant notre Visite avec toute la Décence qui convenoit à sa Situation.

Enfin elle me parut telle qu’aucun Homme ne devoit-être honteux d’en faire l’Objet de son Attachement, & quoique je n’en fusse pas tout-à-fait amoureux, je crois fermément que, si je l’avois vûe encore quelques fois aussi sensée, je l’aurois infailliblement aimée.

Je ne pus m’empêcher de faire à mon Ami des Reproches sur le Portrait qu’il m’avoit fait de cette Dame, qui me paroissoit si contraire à ce que j’en avois vû. Il me repondit qu’il avoit parlé comme tous ceux qui la connoissoient, mais qu’il avouoit lui-même ne l’avoir jamais vûe se conduire avec tant de Décence, ce qui le surprenoit extrêmement, & qu’il ne pouvoit s’imaginer d’où venoit un si grand Changement.

Je fis peu d’Attention à sa Reponse, ne doutant point qu’elle n’eût été toûjours la même, quoiqu’il m’assûrât le contraire. Impatient d’en être convaincu, je le priai quelques jours après de me conduire encore chez [359] cette Dame. Il se prêta volontiers à ma demande, en me disant que, si elle conservoit toûjours les mêmes manières, elle lui paroîtroit une très bonne Compagnie.

Nous la trouvâmes au Logis, & mon Ami ayant dit son nom, elle vint en courant nous recevoir au haut de l’Escalier. On mon cher Mr., s’écria-t-elle avec une Voix très différente de celle que j’avois entendue la première fois, je désesperois de vous revoir ; comment j’étois à la mort, quand vous me vites la dernière fois ; présque tuée par mes Vapeurs & si horriblement grave que je devois vous effrayer.

Vous avez pourtant retrouvé votre Gayeté ; répondit mon Ami, en me jettant un Regard, dans le tems que je contemplois avec le plus grand Etonnement ce Changement dans la même Femme.

Nous étions alors dans son Appartement, mais Dieux ! Qu’elle Créature ! Quelle Affectation de Jeunesse ! Comment tâchoit-elle de faire un Saut tantôt à une Fenêtre, tantôt à une autre ; ses jambes auroient peut-être pû s’en acquitter, mais ses pésantes [360] Hanches venoient ensuite en se trémoussant, comme deux paniers sur le Dos d’une Mule.

A l’égard de sa Conversation, je vous en ferai part présque mot pour mot. Vous, Mr. & votre Ami, vous m’accompagnerez ce soir à Ranelagh ; mais comme nous nous excusâmes sur un engagement ; allez vous promener, nous dit-elle, vous ne viendrez pas avec moi, quand même vous le voudriez ; je veux envoyer chercher Mr. . . . Non, à propos, je veux avoir Mylord M. . . . . Que je suis folle d’oublier le Chevalier Thomas ! Oui, oui, il viendra avec moi, sa Femme en perdra l’Esprit. La pauvre Créature ! Ensuite elle termina ce beau Discours avec des ha ! ha ! assés hauts pour faire abboyer tous les Chiens du Voisinage.

Elle nous entretint ensuite sans aucune Liaison d’un Gentilhomme de Campagne, qui s’étoit pendu dans sa Grange, après l’avoir vûe prendre du Tabac dans la Tabatière du Ministre; nous fit le Détail de mille jolies choses, qu’elle avoit achetées derniérement; badina sur la Guerre qu’on alloit faire aux Toiles de Cambray; [361] donna au D. . . tous les Papistes, excepté la Reine de Hongrie ; s’écria que Sullivan avoit merveilleusement chanté à Ranelagh ; nous dit qu’il n’y avoit rien dans la dernière Auction de Cock, qui valût quatre sols ; répéta deux petits Couplets d’une Chanson qu’on avoit faite sur une Dame aux Eaux de Scarborough, & parmi toutes ces choses si peu liées, nous parla assés de ses propres Affaires, pour nous apprendre que le Banquier, qui avoit entre ses mains la plus grande partie de son Bien, avoit été sur le point de faire Banqueroute, & que la nouvelle de sa Fuite l’avoit mise dans cette singulière Humeur, que nous avions remarquée dans notre Visite précédente.

Il falut alors que mon Ami la félicitât, de ce qu’elle avoit été avertie à tems pour placer son Argent dans de meilleures Mains ; Ouï s’écria-t-elle, j’ai eû du Bonheur, autrement j’aurois été obligée de prendre quelque Fat de Qualité, ou un autre pour soûtenir mon Equipage ; ha, n’auroit-ce pas été bien mortifiant pour moi ?

Mais, Madame, si vous aviez vû [362] les différens Gestes, qui accompagnoient ce Flux d’Impertinences, vous en auriez rougi pour elle. Elle se renversoit de tems en tems sur sa Chaise, en étendant des Bras, terminés par deux poignés assés gros l’un & l’autre pour assommer un Bœuf ; quelquefois elle les retiroit, & ses épaules, que la Nature avoit placées fort près des Oreilles, venoient les rencontrer ce qui lui paroissoit sans doute une jolie Posture ; mais elle me parut se plaire particuliérement, à arranger continuellement ses cheveux, qui lui tomboient en grosses Boucles sur les épaules ; & à se servir de ses gros Doigts en place de Peigne, pour les étendre, où les boucler à sa Fantaisie.

Enfin ma Patience s’épuisa en voyant cet Amas d’Affectations & d’Impertinences, & je tirai deux ou trois fois mon Ami par la Manche pour l’engager à abréger sa Visite, avant qu’il voulût partir. Il m’a avoué ensuite qu’il l’avoit fait par Malice, & pour se venger de ce que j’avois ajoûté si peu de Foi à ce qu’il m’avoit dit de cette Dame, qui en méritoit en-[363]core davantage, & plus même qu’on ne peut le dire, comme j’en suis maintenant convaincu.

En sortant de chez elle, nous fumes à une Taverne, où il s’égaya extrêmement sur ma Surprise, & me railla comme je le méritois, pour avoir crû mieux connoître une Femme après une heure de Conversation, que lui-même n’avoit pû le faire après une Connoissance de plusieurs Années.

Nous passâmes delà à une Conversation plus sérieuse, & nous ne pûmes nous empêcher de plaindre le malheureux Penchant de cette Dame à paroître enjouée, & le peu de soin qu’elle prenoit de distinguer ce qui la rendroit aimable ou ridicule, puisqu’elle auroit pû paroître autant l’un que l’autre.

Il convint avec moi qu’elle étoit réellement désirable, lorsque je la vis la première fois ; & je lui accordai aussi volontiers, qu’elle étoit tout l’opposé dans ma seconde Visite.

Il semble que l’Infortune qu’elle appréhendoit, avoit ôté à ses regards l’Emportement & les Roule-[364]mens passionnés qui me parurent ensuite si désagréables, & donné à tous ses Traits un Arrangement, qui leur convenoit parfaitement ; mais dès que ses Frayeurs furent dissipées, elle retomba dans ses premières Folies, & devint aussi méprisable qu’auparavant. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4

Il y a sans doute, bonne Spectatrice, beaucoup de Femmes, outre celle dont je viens de parler, qui doivent passer par quelque Disgrace, avant que de devenir heureuses, & penser qu’elles sont désagréables, avant qu’elles puissent plaire.

Ebene 4► Fremdportrait► Vous avez peut-être ouï parler d’une jeune Créature, plus connue sous le Nom de la Kitten, que sous celui qu’elle tenoit de son Père, elle étoit bien faite, fort déliée, &. les Singeries qu’elle jouoit devant ses Pratiques pour les amuser, convenoient assés à une jeune Personne dans son état. Mais si une Femme riche & de qualité, quoiqu’elle soit jeune & bien faite, s’abbaisse à jouer la Kitten, & à imiter ces miserables, qui n’agissent ainsi que pour vivre, il faut avoir plus de Complaisance pour votre Sexe, que [365] je n’en ai, pour la traiter avec quelque Respect. ◀Fremdportrait ◀Ebene 4

Il est encore doublement ridicule que des Personnes âgées, & lourdes de Taille se donnent ces Airs enfantins & affectes, & perdent tous les Eloges qu’elles méritent, en voulant obtenir ceux qu’elles ne méritent pas, & qu’on ne leur donnera jamais.

Si la Dame de qui j’ai parlé avoit été réellement privée de tout ce que nous nommons Bien de la Fortnne <sic>, elle auroit été certainement estimable pour ce qui est particuliérement un Don du Ciel & de la Nature, une Ame raisonnable & une Figure gracieuse. Ses Inquiétudes lui rendirent le Pouvoir de penser & de réfléchir, & en lui ôtant sa trop grande Vivacité la firent paroître & agir comme elle devoit. Il est fâcheux qu’elle soit retombée sitôt dans son prémier Etat, & qu’elle soit devenue aussi étourdie, aussi vaine, & aussi méprisable que jamais.

Metatextualität► Mais en commençant cette Lettre, je ne me suis pas proposé de m’arrêter sur une seule Personne ; j’ai peut-être [366] été trop long sur le sujet de cette Dame ; mais comme le Portrait que j’en ai fait peut ressembler à quantité d’autres, peut-être contribuera-t-il au But que j’ai dans l’Esprit, qui est de persuader les Dames d’être aussi contentes d’elles-mêmes à cinquante Ans qu’à quinze ; qu’il y a des Charmes, que le Tems même ne peut pas détruire ; & que c’est entiérement leur Faute, s’il n’en agit pas avec elles en Ami plûtôt qu’en Ennemi, puisqu’il leur rendra, si elles le veulent, mille Perfections pour une qu’il leur ôte. ◀Metatextualität

Je vois toûjours avec Chagrin qu’une Dame se désole & se rende misérable, dès qu’il paroit une ride sur son Visage ; & qu’elle employe plus d’Industrie à déguiser le plus petit Pli autour de ses Yeux qu’à guérir les plus larges Playes à sa Réputation ; mais je vois encore avec plus de Peine, qu’elle veuille cacher ses Années & la Décadence de ses Charmes, sous la Parure & les Airs d’une jeune Personne ; & qu’elle affecte à quarante Ans, ce qui devroit lui faire Honte à vingt cinq, si elle à <sic> le Sens commun.

[367] Cependant ce Foible est si commun parmi les Dames, que si elles paroissoient toûjours sous le Masque, il seroit impossible de distinguer la Grand-mère de la Petite-fille ; pour moi j’espère que les Vieilles porteront bientôt des Robes d’Enfant avec des Tabliers à Bavette, aussi bien que ces petites Coëffes, qui leur couvrent à peine les Oreilles, avec leurs Cheveux qui leur tombent sur le Cou.

Mais comme elles se conduisent ainsi uniquement parce qu’elles craignent de paroître vieilles, je désespère de les voir jamais plus raisonnables, à moins qu’elles n’apprennent à se soumettre aux différens états que la Nature leur a destinés, & qui leur paroîtront également agréables, si elles veulent en connoître les Avantages.

Je ne connois aucune Vérité qu’il vous convienne mieux d’inculquer à vos Lecteurs du beau Sexe, ni qui puisse les préserver plus efficacement contre les Fautes de tout genre ; c’est pourquoi dans l’espérance que vous daignerez insérer cette Lettre dans votre Discours suivant, & que vous ajoûterez quelque chose de vous-mêmes [368] à ce sujet, je demeure avec la plus parfaire Vénération. »

Madame,

Votre très humble & très
obéïssant Serviteur.

J. M. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► Il seroit à désirer qu’on ne pût pas appliquer à un grand nombre de Dames, ce que notre Correspondant dit d’une seule. Si nous n’avions pas promis d’observer une exacte Impartialité, nous aurions mis de côté cette Pièce, sous prétexte qu’elle peut contenir quelques réflexions Personnelles.

Qu’y a-t-il après tout de si terrible, qu’on sache que nous avons plus d’Années sur notre tête que nous n’en avions vingt Ans auparavant ? Le Désir d’une longue Vie ne nous est-il pas naturel à nous ? N’est-ce pas ce que nos meilleurs Amis nous souhaitent & le sujet de mille Complimens ? Pourquoi donc murmurons-nous d’y être parvenus ? Pourquoi tâchons-nous de le déguiser, & revenons-nous aux Folies de la Jeunesse, pour [369] tromper le Discernement de ceux qui nous voyent, & donner le démenti à nos Années ?

D’un autre côté quelle Tentative plus vaine ! Il seroit aussi facile au triste Décembre de se revêtir de la riante Verdure du Mai, qu’à cinquante Ans de ressembler à quinze ; cependant ces deux Saisons ont leurs Plaisirs, & comme nous opposons de bons Habits & la Chaleur du Feu aux Gelées de l’Hyver, de même si nous faisons de bonne heure un fond d’expérience & de Connoissances, nous trouverons dans un Age avancé de quoi nous dédommager de la Perte de la Jeunesse.

Les Plaisirs de la première sont flottants, turbulents & sensuels, ceux de la seconde permanens, solides & spirituels, dit un fameux Auteur François ; je suis persuadée que ceux qui ont joui des Plaisirs de la Jeunesse & ont sçu ensuite profiter des avantages d’un Age mûr, conviendront de cette Vérité.

L’Affectation de paroître jeune est certainement la plus grossière de toutes, parce qu’elle renferme tous les autres ridicules ; mais il me paroit que notre Correspondant à dit sur le Caractère de [370] Lysette, vrai ou supposé, tout ce qu’on peut dire à ce sujet touchant notre Sexe ; j’en excepté cette Envie qu’une absurde Ambition de paroître moins vielles que nous ne sommes, fait naître dans notre Cœur contre toutes celles qui sont réellement plus jeunes, ou dont les Traits se soûtiennent mieux contre les Attaques du Tems.

J’en ai vû des Exemples, que je n’aurois jamais voulu croire sur le Rapport d’autrui, ou quelques Femmes ont porté cette Passion au point de haïr même leurs propres Filles, parce qu’elles avoient cette Fleur de Jeunesse, dont ces Marâtres regrettoient la Perte.

Avec quelle Cruauté des Femmes de ce Caractère agiront-elles à l’égard de celles qui sont moins avancées en Age ! Combien de Fautes la noire Envie qui les possède, ne trouvera-t-elle pas, ou n’inventera-t-elle pas, pour leur faire perdre l’estime du Public. Elles chercheront à ternir l’Eclat de leurs Vertus les plus visibles ; donneront un mauvais tour à celles qui sont plus douteuses ; & grossiront les plus petites Fautes qu’elles puissent commettre.

On a de la peine a décider, s’il y a [371] plus de Folie, ou de Méchanceté dans une telle Disposition. Il est sûr que rien n’est plus extravagant que de croire s’enrichir par la Pauvreté de nos Voisins, & il n’y a rien qui ressemble plus à une Furie que de se plaire à ruiner les autres.

Le Sens commun doit nous montrer, qu’on ne nous jugera pas sur le Mérite des autres, mais sur le notre propre. En serai-je plus vertueuse, parce que j’ai découvert les Vices d’une autre ? Quelques Défauts dans les Traits des autres rendront-ils les miens plus aimables ? Etrange Imagination ! Comment peut-on s’en imposer à soi-même sur cet Article !

Si chaque Dame, au-lieu d’exposer les Fautes des autres & de ternir leurs bonnes Qualités, vouloit s’appliquer à regler sa propre Conduite, j’ôse répondre, qu’eût-elle un Visage le plus indifférent, ou fût-elle avancée en Age, le Public ne l’attaquera point sur sa Vieillesse, ou sa Laideur. La Beauté de son Esprit, & la Régularité de ses Mœurs feront disparoître toutes ses Imperfections, & lui attireront l’Estime & l’Amitié de tous ceux qui la connoissent. Ebene 3► Fremdportrait► C’est ainsi que [372] nous disions d’une célèbre Actrice, qui, malgré le désavantage d’une mauvaise Voix & d’une Figure encore plus désagréable, est devenue le plus grand Ornement du Théatre, qu’elle effaçoit la Laideur de ses Traits & de sa Voix. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3 Ainsi celle qui se conduit suivant l’état dans lequel le Ciel la <sic> placée, & qui ne s’écarte point de la Raison & de la Nature, aura des Attraits qui feront disparoître ses Imperfections naturelles, ou le Déclin de son Age, tout sensible qu’il puisse être.

O ! si toutes les Personnes de mon Sexe vouloient se laisser convaincre de cette grande Vérité, on ne diroit plus qu’il y a une vieille, ou une laide Personne au Monde ! On chercheroit avec ardeur notre entretien, & les Hommes ne nous quitteroient jamais, sans désirer de nous rejoindre.

Il semble que ces Réflexions devroient suffire pour engager les Femmes à embrasser le seul Moyen de plaire qui soit en leur Pouvoir. Le désir de nous rendre agréables aux autres n’est pas moins louable que naturel ; mais aucune Femme sensée ne devroit souhaiter d’être applaudie pour les mêmes choses, qui de son propre Aveu méritent plûtôt la Cen-[373]sure. Il n’y a qu’une Coquette sans Réflexion, qui aime des Eloges aussi éloignés de la Vérité que de l’Intention de la Personne qui les donne, comme il lui seroit aisé de s’en appercevoir, si sa Vanité ne l’aveugloit pas. ◀Metatextualität

Mais toute ridicule que puisse être la plus petite Affectation dans notre Sexe, elle est encore moins supportable dans l’autre. Quand un Homme, avec tous les Avantages d’une bonne Education, qui a quelque Expérience dans le Monde, & qui devroit savoir quel petit Mérite c’est d’avoir un Visage agréable, tremble à la vûe d’un Bouton, ou s’alarme à la seule pensée d’une Ride, combien ne dégénère-t-il pas de ce que la Nature l’a formé !

Cependant je n’ai pas besoin d’avertir mes Lecteurs qu’on voit chaque jour dans le Parc, à la Cour, dans nos Caffés les plus fréquentés, & dans la plûpart des Endroits publics, une infinité d’Hommes de ce Caractère.

Combien de fois n’ai-je pas ri en moi-même de voir des Hommes, qui ont beaucoup de Jugement sur d’autres Sujets, si foibles à cet égard, que si on rappelle un Evènement qui s’est passé du-[374]rant leur Jeunesse, ils affectent de n’en avoir avoir <sic> aucune Connoissance, & font mllle <sic> Questions impertinentes, afin de persuader la Compagnie qu’ils n’étoient pas alors dans un Age suffisant pour remarquer ce qui se passoit, & regardent comme un Bonheur de pouvoir déguiser par ce Stratagême quelques-unes de leurs Années !

Enfin quoique chacun désire une longue Vie, nous en trouverons peu qui veuillent reconnoître cet Avantage lorsqu’ils l’ont obtenu, & de tous les Dons du Ciel, c’est celui dont-on se vante le moins, quoique Mr. Waller, dise avec tant de raison, des dernières Années d’une longue Vie ; Zitat/Motto► lorsque le Corps ploye sous le fardeau des Années, l’Esprit s’élève à l’aide de plus nobles Idées ; des nuées d’Affections nous cachent dans la Jeunesse le Bonheur que la Vieillesse apperçoit ; cette sombre Demeure de l’Ame usée, délabrée, laisse entrer une nouvelle Lumière à travers les Ruines que le Tems à faites ; rendus plus forts par leur Foiblesse les Hommes deviennent plus sages, plus ils approchent de leur éternelle Demeure. ◀Zitat/Motto

Mais quoique vous puissions <sic> dire à ce sujet, la Vieillesse amène avec elle une [375] Humeur chagrine, contre laquelle quelques Personnes ont la Sagesse de se défendre, & que peu savent déguiser. Je n’entreprendrai pas de déterminer, si cette Disposition vient uniquement de la Nature, mais je puis hazarder cette Pensée ; à quelque Source qu’on l’attribue, on peut la surmonter, par des Réflexions convenables sur les Avantages solides de la Vieillesse, dont nous nous privons uniquement par notre Faute.

Je pourrois encore ajoûter que la Nécessité de se soûmettre aux Loix de la Nature, doit nous engager à supporter sans Répugnance ce Changement, puisque nous devons tous l’essuyer, à moins qu’une Mort prématurée ne vienne couper la Trame de nos Jours. Mais la Résignation n’est pas à la portée de tout le Monde, il n’y a que ceux qui ont dans leur Cœur les Semences d’une vraie Piété qui en soient capables, & ceux-là n’ont pas besoin d’exhortation. Metatextualität► A l’égard des autres, tout ce qu’on peut leur dire se reduit à cette courte Maxime.

De n’affecter point les Manières de la Jeunesse, & alors la Vieillesse ne leur sera point à charge & ne déplaira point à ceux qui les environnent. C’est pourquoi je fi-[376]nirai ici ce que j’avois à dire sur ce sujet. ◀Metatextualität

Metatextualität► Mes Lecteurs s’attendent peut-être que je m’acquitterai de la Promesse que j’ai faite dans mon penultième Discours, en faisant un Détail de la manière dont notre petite Société à <sic> passé le Tems dans le petit Tour que nous fimes ces deux derniers mois à la Campagne. ◀Metatextualität

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Comme nous étions chés une des Personnes les plus accomplies qu’il y ait sur la Terre, nous ne manquames pas d’être très bien reçues ; mais le Tems qui avoit paru durant tout l’Eté contraire au cours ordinaire de la Nature, n’étoit nullement favorable au dessein principal qui nous attiroit à la Campagne ; & au-lieu de contempler, comme Philo-Nature le recommande, les merveilles de la Nature, dans la Formation de tant de millions d’Insectes & d’Animaux différens, que les Champs, les Prés & les Jardins nous auroient présentés, nous fumes obligées de passer la plus grande partie de notre Tems à couvert, & dans les mêmes Amusemens que si nous avions été à Londres.

Chaque fois que le Soleil venant à bril-[377]ler durant quelques heures rendoit la Promenade pratiquable, nous sortions avec nos Microscopes, mais le Froid extraordinaire, les Pluyes présque continuelles, &, ce qui étoit encore pire, une espèce de Rosée envenimée, qui tomboit de tems en tems, même dans les plus beaux Jours, avoit détruit ces petites Créatures que nous cherchions, ou les avoit obligées à chercher un Refuge dans quelque lieu plus sec & plus chaud, où nous n’avions pas assés d’Adresse pour les découvrir.

Nous vimes à la Vérité un grand nombre de Chenilles, nous nous amusames beaucoup à observer comment au moindre Attouchement elles se ployoient en un petit monceau, à l’aide des anneaux qui environnent tout leur Corps. Nous remarquâmes aussi que la différence de leurs Couleurs venoit des différens Herbages, dont elles se nourrissoient, mais nous ne pûmes jamais concevoir d’où venoient ces belles Taches couleur d’Or, dont quelques unes sont embellies, jusque à ce qu’un Homme d’Esprit, qui assistoit de tems en tems à nos Observations, nous apprit que ces Insectes avoient de petites Fibres, entre leur En-[378]veloppe extérieure & leur Peau, remplies d’une Liqueur plus subtile & plus délicate que celle qui occasionne leur force, & qui se convertit en Glu, quand elles s’attachent quelque part, & que ce Liquide subtil échauffé par les Rayons du Soleil, transpire & prend par là cette belle Couleur dorée.

Comme il y a une très grande Variété parmi ces Créatures, dont il y a jusqu’à trois cents Espèces différentes, disent les Savans, qui portent toutes le même Nom, on ne peut s’empêcher d’admirer la Sagesse & la Justice de la Nature, qui a distribué ses Bienfaits sur des Insectes si méprisables à nos Yeux, avec tant d’Impartialité, que s’ils jouissoient de la Raison, aucune n’auroit sujet de porter Envie aux autres, parce que leurs Qualités sont si également estimables qu’ils ne gâgneroient rien au change.

Il y a des Chenilles qui paroissent à la première vûe plus laides que les autres. Celles-ci sont d’un Brun sale, couvertes de Poils de la même couleur, longs & rudes comme les Soyes d’un Sanglier. Mais quand vous les examinez de prés, vous y trouvez des Beautés que vous n’attendiez pas. Cette Enveloppe veloutée, qui [379] leur est sans doute donnée pour leur sûreté, ne fait que dérober à la vûe une Peau parfaitement émaillée en Or & en Pourpre ; leurs Têtes sont tout-à-fait rondes, parfaitement semblables en Couleur & en Clarté à un morceau d’Ambre. Elles ont de très beaux Yeux, soit qu’on en considère la Forme, ou le Lustre ; j’éprouvai aussi qu’elles ont des dents très aigues, parce que j’en plaçai une sur le dos de ma Main pour l’examiner avec plus d’Attention. Elles ont, comme toutes les autres Chenilles, un grand nombre de pieds, mais leur principale Force, est dans ceux qui sont placés à l’extrémité du Corps, & qui ont assés d’Elasticité, pour que l’Insecte puisse s’élever présque débout, lorsque ce mouvement lui est nécessaire.

Le digne Gentilhomme dont j’ai parlé & qui est un grand Observateur des plus petits Ouvrages de la Nature, nous dit que cette espèce de Chenilles, change comme le Cameleon de Couleur selon le Tems ; si nous étions restés plus long-tems à la Campagne, j’en aurois certainement fait l’Expérience, en conservant dans une Boëte une de ces Chenilles avec de la Terre & des Feuilles de [380] la même sorte dont elle se nourrit ; mais quoique je sois très disposée à déférer à la Décision de ce Gentilhomme, je suis plus portée à croire que la Couleur de ces Insectes vient plûtôt de leur Nourriture que de l’Air qu’ils respirent.

Les autres Chenilles que nous trouvâmes sur les Pommiers, les Choux & les différentes Plantes du Potager, étoient toutes d’un beau Verd, mais sans aucun Poil, ce qui nous faisoit croire qu’elles étoient plus exposées que les autres aux Rigueurs du mauvais Tems. Mais nous trouvâmes ensuite qu’elles avoient une sorte de glû dans leurs Intestins, avec laquelle elles se coloient si bien à l’Ecorce d’un Arbre, ou de quelque autre Plante, qu’elles choisissoient pour leur Azyle, qu’il n’étoit pas au Pouvoir des plus rudes Frimats de Borée de les en détacher. ◀Allgemeine Erzählung

Pourquoi donc nous, qui prétendons être raisonnables ne serions nous pas contens de l’état dans lequel nous sommes placés ? Pourquoi envions-nous les Richesses d’un Voisin, les Qualités Personnelles d’un autre, ou d’autres Biens, sur lesquels nous n’avons aucun Droit ? La <sic> sage Créateur a dispensé à chacun, ce qui est suffisant pour le rendre heu-[381]reux ; & il dépend de nous de ménager les Talens qu’il nous a donnés au point d’avoir tout ce qui nous convient.

N’est-ce pas chez nous une étrange Stupidité de se plaindre que nous manquons d’Amusemens, quand la Nature nous en présente avec tant de Variété, & que nous trouvons de tous côtés de quoi satisfaire un Esprit qui aime les Recherches ! Mais bien loin de voir notre Bonheur, nous négligeons tout ce qui peut nous procurer une Satisfaction réelle, pour courir après des Ombres, des Riens, ou des Joyes passagères, qui font place à des Angoisses réelles & durables.

C’est un Plaisir si innocent, & en même tems si profitable de contempler même les plus petits Ouvrages de la Nature, que je suis très surprise qu’on ne veuille pas le goûter.

On ne doit pas attendre des Officiers de l’Etat, de ceux qui commandent les Flottes ou les Armées, & de tous ceux qui sont employés au Service de la Nation, qui ont embrassé le Commerce, ou quelqu’autre Profession particulière, qu’ils dirigent leurs Pensées de ce côté. Mais les Dames & tous ceux qui ont [382] plusieurs heures de Loisir ne pourroient pas mieux employer leurs Tems.

Chaque Element nous présente avec tant de Profusion des Sujets pour notre Amusement, que nous ne pouvons jetter les Yeux nulle part sans découvrir quelque chose de nouveau. Allgemeine Erzählung► Comme nous nous promenions un matin dans un Endroit du Jardin, où la Terre venoit d’être renversée, pour faire quelque Altération dans l’un des Parterres, Euphrosine, qui s’appuyoit sur mon Bras, s’imagina voir du Mouvement dans quelques parties détachées de cette Terre, & m’en avertit immédiatement. J’avoue que je n’avois pas la vûe assés perçante pour appercevoir cette Agitation. Cependant nous eûmes recours à nos Microscopes, qui nous convainquirent bientôt qu’elle ne s’étoit pas trompée, & qu’il y avoit réellement du mouvement dans plusieurs de ces Mottes de terre répandues sur les bords du fossé, d’où elles avoient été tirées.

Nous appellâmes Mira & l’illustre Veuve, qui s’entretenoient à quelque Distance avec le Jardinier, & dès qu’elles nous eurent jointes, chacune de nous [383] prit une de ces petites Masses animées. Nous apperçûmes donc à l’aide de nos Verres qu’elles étoient remplies de plusieurs petites Créatures vivantes, renfermées dans des Coquilles exactement semblables à celle des Escargots, mais d’une Couleur differente & présque transparentes.

Nous-mimes, pour nous en assûrer, une Quantité suffisante de Terre dans un Pot, avec ces Animaux & quelques Feuilles de Vigne repandues au-dessus ; nous portâmes ensuite le tout dans le parloir (*2 ), en recommandant étroitement à tous les Domestiques de ne point le transporter ailleurs, & de prendre garde que rien ne vint à tomber dessus le Pot, ou à presser la Terre.

Nous primes aussi un Soin particulier qu’il n’y eût dans les alimens que nous avions destinés pour notre petite Famille rien qui pût leur nuire.

Nous ne vimes rien les deux premiers Jours, mais le troisième nous apperçumes avec Plaisir que plusieurs avoient rompu leur Couverture, & broûtoient les [384] Feuilles que nous leur avions laissées pour leur Nourriture. Nous en primes un qui nous parut considérablement augmenté en grosseur ; sa coquille étoit devenue plus dure & d’une Couleur plus brune, nous discernions aisément ces quatre Antennes, ou Cornes, comme on les nomme ordinairement, mais qui sont réellement des Tuyaux qu’ils peuvent étendre, ou retirer comme il leur plaît ; à l’extrémité de ces Tuyaux sont placés leurs Yeux, on nous dit qu’ils leur servent aussi d’Organes pour l’Odorat ; c’est ce que je ne puis pas décider.

Nous vimes parfaitement que c’étoient de vrais Escargots ; & toute méprisable que puisse paroître cette espèce d’Insectes, elle suffisoit pour nous exciter à admirer la Sagesse & la Bonté du Créateur, qui n’oublie pas ses moindres Ouvrages, & qui donne à chaque Créature vivante ce qui lui convient.

Ces Coquilles si minces, qui suffisoient pour défendre l’Embryon, tandis qu’il étoit dans l’Oeuf, ou caché dans les Entrailles de la Terre, n’auroient pas garanti du Froid l’Animal en plein Air ; c’est pourquoi il est pourvû d’un Suc qui se distilant de ses Pores s’endurcit, & se [385] joint à la Coquille, qui croît chaque Jour à proportion que l’Escargot augmente en Grosseur, & lui sert de Maison, ou de Retraite pour se cacher, ou se montrer au déhors, comme il lui plaît, ou comme l’Occasion le demande.

Comme notre Séjour à la Campagne fut fort court, je ne puis pas dire précisément le Tems qu’il faut à cet Animal pour se former ; mais en comptant les Progrès, que firent ceux qui étoient sous nos soins, ce tems peut aller à quatorze ou quinze Jours. ◀Allgemeine Erzählung

J’abandonne l’éclaircissement de ce fait aux Naturalistes, & peut-être le Gentilhomme dont j’ai parlé, & que nous laissâmes à notre Départ pour la Ville, communiquera-t-il au Public une plus ample Description de ces Animaux, que si la Spectatrice avoit entrepris cette Tâche.

Je m’intéressai un peu, je l’avoue, à leur sort, non seulement parce que j’ai pris la Peine d’en élever quelques-uns, mais aussi parce que je leur trouve quelque chose de gracieux & de majestueux, tout vilains & méprisables qu’il puissent paroître à d’autres Personnes.

[386] Metatextualität► Peut-être quelques-uns de mes Lecteurs riront-ils de ce que j’avance ici, mais que ceux qui ont le plus de Penchant à me tourner en ridicule, prennent la peine de les examiner, & je suis assûrée qu’ils changeront de ton. ◀Metatextualität

Il est vrai que ces Animaux, n’ayant ni Jambes, ni Pieds, ne peuvent que glisser d’un endroit à l’autre, & le font très lentement à cause du poids considérable qu’ils portent sur le Dos ; mais aussi ils ont le Cou long & la Tête fort droite, laquelle avec ces quatres Antennes, douées chacune d’un Oeuil transparent, leur donne un Air de Dignité, supérieur à celui que peuvent atteindre d’autres Créatures, dont on fait plus de cas.

Je sçais qu’ils font du tort non seulement aux Plantes & aux Fleurs, mais encore aux Fruits ; cependant ils sont si bienfaisans à l’Homme pour la Guérison de plusieurs terribles Maladies, particuliérement du Scorbut, & des Consomptions de tout genre, que je les crois plus utiles que préjudiciables.

Mais il me semble que j’entends quelques Personnes s’écrier. N’y a-t-il point [387] d’Objets plus dignes de notre Attention que des Chenilles & des Escargots, les plus méprisables de tous les Insectes.

Je réponds à cela que rien de ce qui vient de Dieu, n’est méprisable. Tous ses Ouvrages sont merveilleux ; le Behemoth de cette Terre, ou le Seviathan, qui se joue dans les Eaux, ou le Leopard tacheté des Forêts, ou la Gazelle, si bien proportionnée dans tous ses Membres, ou le Paon décoré d’un si beau Plumage, ne magnifient pas davantage par leur Force le Pouvoir & la Sagesse du Créateur, que ces Insectes par les Propriétés surprenantes, dont ils sont revêtus.

Il est clair que leur Souverain Créateur n’en pense pas comme nous ; il a donné au plus chétifs Reptiles des Armes offensives & défensives ; des Instrumens pour bâtir leurs Maisons, & pour préparer leur Nourriture sans le Secours d’aucun autre Animal. Ils ont assés de Sagacité pour choisir les endroits propres à déposer leurs Oeufs, & assez de Tendresse pour les soigner jusqu’à ce qu’ils soyent arrivés au point de Perfection. En un Mot ils trouvent dans eux-mêmes tout ce dont ils ont besoin, & [388] c’est manquer de Jugement que de mépriser cette espèce de Créatures subalternes ; puisque c’est la seule Volonté du Tout-puissant qui nous les soumet ; & que plusieurs d’entr’eux, s’ils n’étoient pas retenus par la Volonté de cet Etre suprême, pourroient non seulement nous incommoder extrêmement, mais encore nous causer la Mort. Le Crapaud, l’Araignée tâchetée, la perce Oreille qui s’insinue si facilement où il lui plaît, & divers autres Insectes, également méprisables en apparence, sont capables de nous faire beaucoup de Mal, & en ont souvent l’Occasion.

Allgemeine Erzählung► Mais il y a encore une autre Raison peut-être aussi bonne, pour reduire nos Spéculations dans un Cercle si étroit, & qui a dû être sentie de tous ceux qui ont fait la moindre Observation dans cette Saison si dérangée, c’est que l’Esprit est attiré insensiblement par les Sens à une Contemplation qui leur plaît davantage. Il y a dans la Nature plusieurs Animaux dont la Beauté auroit frappé les Yeux ; plusieurs Plantes dont la Couleur & l’Odeur qu’elles exhalent, nous auroient fait désirer de les connoître plus exactement, mais où les trouver ? [389] Les uns, du moins les Reptiles, étoient cachés dans le Sein de la Terre sous la forme de Chrysalide, ou dans le creux de quelque Arbre favorable pour se préserver des Vents froids & de l’Intempérie de l’Air ; les autres étoient gelées en Bouton, avant qu’elles fussent tout-à-fait dévéloppées. Le Soleil, qui égaye & qui vivifie tout, ou comme l’inimitable Milton l’appelle justement, l’Oeuil & l’Ame de cet Univers, quoique parvenu au signe du Lyon (*3 ), & sur le point d’arriver à son Solstice, montroit à peine sa Face brillante ; d’épaisses Vapeurs empêchoient ses Rayons de venir ranimer la Terre, & d’appeller la Sève encore cachée dans la racine des Plantes pour en faire sortir le Feuillage. Au-lieu de cette gaye Livrée qui orne l’Eté, on ne voyoit rien que de sombre, de triste, & qui sembloit annoncer l’Hyver. La Nature entière paroissoit porter le Deuil, comme si les Crimes des Hommes étoient montés jusqu’au Ciel.

Même les Plantes toûjours vertes, & qui prospèrent à l’Ombre, paroissoient [390] souffrir ; on voyoit leurs Têtes pencher contre terre, leurs Feuilles se flêtrir & tomber ; tous les Fruits du Verger étoient sans Goût, aqueux & insipides. L’Abricot jaune, la Pomme couleur de Rose ne montroient aux yeux qu’une Paleur livide. La Prunne avoit perdu sa fleur, avant que d’avoir été touchée. Les Branches trop foibles laissoient tomber leurs Fruits encore verds. L’Homme, l’Oiseau & la Bête, les habitans de la Terre & de l’Air, s’étonnoient & languissoient dans cette triste Saison.

Mes Regards, de quel côté que je jettasse les Yeux, me remplissoient d’une soudaine Mélancolie, au-lieu de ces agréables Idées que la Campagne inspire ordinairement ; ce qui me rappella quelques Lignes du Chevalier Richard Blackmore, qu’il composa, je suppose, sur l’Idée d’un semblable Eté : je dis sur l’Idée, car j’ai ouï dire à des Personnes qui ont vû près de cent Etés, qu’elles ne se souviennent d’aucun comparable à celui-ci.

Zitat/Motto► Les Allées perdent leur charmante Verdure, les Branches sèches laissent tomber leurs Fruits ; les Fleurs meurent, lorsqu’elles vont s’épanouïr, & couvrent la Terre au-[391]tour de leurs Plantes ; l’Infection se communique à l’Air, la Nature entière semble être malade & l’Automne se présente soudain ; ainsi lorsque les Champs, ranimés par les Caresses des Zéphirs, & par les Rayons du Soleil, développent la pompe de leurs Fleurs, l’impétueux Borée se prépare à leur faire une furieuse Guerre, il fait la revûe de ses Légions aîlées ; il part, la Désolation, le suit, les Boûtons qui s’ouvrent, les Herbes qui commençent à pousser, toutes les belles Productions de l’aimable Printems tombent sous ses Efforts ; les Arbres se dépouillent de leurs Feuilles, & le Jardinier désolé, foule aux Pieds ses espérances détruites. ◀Zitat/Motto

Cependant nous ne pûmes pas nous plaindre de de <sic> notre mauvaise Fortune, ou regretter le Tems que nous avions donné à cette petite Course. Mira avoit un proche Voisin, Homme de bon Sens & d’Etude, & grand Observateur. Il vint un jour nous faire Visite, & voyant combien nous étions frustrés dans notre Attente, il nous dit fort obligeamment, que si nous n’étions pas résolues de borner nos Observations à la Terre & à ce qu’elle produit, il avoit un Télescope, qui nous feroit connoître ces [392] Globes au-dessus de nos Têtes, dont les Révolutions passent généralement pour avoir de l’Influence sur tout ce qui est ici bas, sans excepter nous-mêmes.

Mira étoit informée que ce Gentilhomme avoit une des plus belles Machines en ce genre de tout le Royaume, & une petite Tour au sommet de sa Maison, fort commode pour observer les Regions supérieures, c’est pourquoi elle le remercia en notre Nom, & lui répondit que nous acceptions son Invitation avec le plus grand Plaisir.

Le Jour suivant fut marqué pour satisfaire la Curiosité que son Offre gracieuse nous avoit inspirée ; nous l’attendimes avec Impatience, & quoique l’Air fût extrêmement froid ; & que lui-même étant venu nous prendre avec trois de ses Voisins, parût craindre que nous n’en fussions incommodées, nous ne voulûmes point perdre notre Attente, & nous étant bien envéloppées, nous l’accompagnames à sa Maison, qui étoit située sur le Montant d’une Colline, & à la Distance d’environ trois cens pas de la Maison où nous logions.

Il ne conviendroit point d’ennuyer nos Lecteurs en leur faisant la Descrip-[393]tion de la belle Collation qu’on nous avoit paréparée & qui étoit encore relevée par l’Agrément & l’Enjouement de la Conversation.

Dès qu’on eut desservi, notre obligeant Hôte consulta un petit Livre qu’il avoit dans sa Poche, & y ayant trouvé qu’elle devoit être la Position de la Lune & des Planêtes, il nous pria de monter dans son Observatoire.

Cette Tour qui nous avoit parû petite à cause de sa Hauteur, quand nous étions au pied de la Colline, ne laissoit pas d’être fort spacieuse, & outre un Télescope de trente six pieds, avec son Assortiment, elle contenoit deux Globes fort beaux, posés sur des piédestaux d’Yvoire, incrustés de nacre de Perle, un Bureau, des Tablettes, des Livres, & une douzaine de Chaises. On plaça le Télescope contre une grande Fenêtre qui occupoit tout un côté. Les autres côtés de la Chambre étoient garnis de Cartes, qu’on nous dit être extrêmement curieuses ; mais nous ne nous arrêtames point à les examiner non plus que les Globes, parce que notre Attention étoit occupée à quelque chose de fort supérieur. Nous avions une Occasion fa-[394]vorable d’admirer les plus glorieux Ouvrages du Créateur, & il ne nous restoit point de Loisir pour penser à la Manière dont les Hommes les représentent, & qui doit être bien foible, quand on la compare avec l’Original.

Convenons cependant que nous n’aurions jamais eû une juste Idée de l’un, sans le secours des Cartes & des Globes. D’habiles gens doués d’une Pénétration supérieure, ont donné au reste du Genre Humain, comme des Yeux nouveaux, pour considérer les merveilles des Cieux & la Gloire de Dieu dans les plus illustres de ses Ouvrages.

Copernic nous a délivré d’une Nuée d’Erreurs, qui nous enveloppoit depuis tant de Siécles ; & nous a facilité l’Explication de plusieurs Passages des Ecrits sacrés, dont l’Intelligence auroit toûjours été un profond Mystère sans le Secours de son Hypothèse.

C’est à Galilée & à ses Disciples que nous devons l’Invention des ces excellens Verres, qui nous présentent devant nous des Objets très éloignés & nous mettent en état de parcourir la Voute azurée, de voyager dans une infinité de Mondes, que nous ne connoissions [395] point, & auxquels nous n’avions jamais pensé.

Que d’Obligation ont les Savans à Gassendi, de Molières, Cassini, Euclide, au Chevalier Isaac Newton, & même à Descartes, quoique plusieurs de ses Principes soient rejettés avec raison, à Hook, Flamstead, & au Docteur Hally, qui par leurs diligentes & judicieuses Observations ont perfectionné les Découvertes de leurs Prédécesseurs !

Combien d’autres ont encore contribué à nous éclairer ! Mais à qui devons-nous le Tribut de nos Louanges, pour tous les Avantages que nous retirons de leurs Progrès dans la Connoissance des Cieux, si-non à l’adorable Source de toute Sagesse & de toute Science, qui les a mis en état de servir le Genre humain !

Si nous considérons, que de légers Accidens ont souvent occasionne les plus grandes & les plus importantes Découvertes, il faut être autant stupide que profane, pour ne pas reconnoître qu’elles viennent immédiatement de Dieu, & que la Prudence humaine ne fait que reduire en pratique ce dont elle a eû les premières Idées par Inspiration.

[396] Ebene 4► Allgemeine Erzählung► On dit que l’utile Invention du Télescope, vient d’un Faiseur de Lunettes de Middelbourg en Zelande. Cet Homme voyant ses Enfans jouer dans sa Boutique, en tenant à la main des Piéces de Verre, a quelque distance l’une de l’autre, & les entendant s’écrier qu’ils voyoient la girouette d’un Clocher voisin du double plus grosse qu’à l’ordinaire & fort proche d’eux, soupçonna qu’il y avoit en cela quelque chose d’extraordinaire. Il se mêla donc avec eux, & regardant à leur Imitation à travers les Verres, il vit avec beaucoup de Surprise la Vérité de ce que ses Enfans lui avoient annoncé ; aussi ne tarda-t’il pas de profiter de cette Découverte & de faire un Instrument, qui put être allongé, ou raccourci suivant le besoin.

La Nouveauté de cette Machine attira beaucoup de Monde chez lui, chacun admiroit son Industrie, & il fit sa Fortune par ce moyen ; comme plusieurs autres après lui, qui encherirent sur son Invention, jusqu’à ce que Galilée l’eût portée au point de Perfection, où nous la voyons aujourd’hui. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4

Le fameux Chevalier Newton, qu’on loue avec tant de fondement, eut sa pre-[397]mière Idée de la Gravité, en voyant une Pomme tomber d’un arbre. Pourquoi donc ne dirions nous pas avec l’Auteur sacré ? Zitat/Motto► la Course n’est pas pour celui qui est agile, ni la Bataille pour l’Homme fort, mais la Gloire est à l’Eternel qui l’a donnée. ◀Zitat/Motto

Ses Bontés pour l’Homme sont à la vérité merveilleuses ; non seulement il a créé toutes choses pour son Usage, mais encore il lui a donné assés de Sagesse & de Jugement pour comprendre le prix des Graces dont il jouit, & pour devenir en quelque manière Créateur. Ainsi l’admirable Milton a exprimé très élegamment l’état & la condition de ce Souverain du Monde sublunaire, avant qu’il fût dégradé par sa Chute & par la Honte d’avoir péché.

Zitat/Motto► Le Chef-d’Oeuvre, la Fin de tout ce qui étoit déjà fait ; une Créature non penchée vers la Terre & brute comme les autres, mais douée d’une Raison droite, capable de se tenir débout & de gouverner les autres avec un front serein, qui se connoît elle-même & se glorifie de commercer avec le Ciel. Il t’a formé ainsi, toi, Adam, ô Homme, de la poussière de la Terre, & il a soufflé dans tes Narines un Souffle de Vie ! Ici il a fini, & [398] il a regardé tout ce qu’il avoit fait, & voilà tout en étoit bon, repondant à ses grandes Idées. Il s’éleva ensuite suivi d’Acclamations & de la Simphonie de dix mille Harpes qui rendoient une Harmonie Angelique ; l’Air, la Terre resonnoient, les Cieux & toutes les Constellations en retentirent. Les Planetes sembloient s’arrêter dans leurs Stations pour contempler la Pompe de ce Jour. ◀Zitat/Motto

Il étoit difficile d’éviter toutes ces Réflexions à la Vûe de tant de Preuves de l’Industrie, que Dieu a donnée à l’Homme, comme nous en voyons dans cette petite Tour ; & nous les aurions peut-être poussées plus loin, si le Maître de la Maison, après avoir examiné la Position de son Télescope, & vû qu’il étoit fixé, comme il le désiroit, ne nous eût priées de venir l’une après l’autre regarder la Lune, qui avoit été dans son plein, deux jours auparavant.

Comme je n’avois jamais vû cette Planéte, qu’avec mes Yeux destitués de tout Secours, je fus surprise de la trouver aussi grosse, qu’elle me paroissoit à travers le verre ; & de ce qu’elle n’étoit pas Uniformément de ce jaune pâle, que je lui attribuois, mais que sa surface étoit cou-[399]verte de taches obscures, qui la faisoient paroître en quelques endroits comme déchirée & en pièces ; je conclus de là que la Lune, avoit aussi bien que notre Globe, ses Mers & ses Terres, & que leur différente Manière de réfléchir la Lumière causoit cette Inégalité dans la Face de cette Planete.

Lorsque j’exprimai mon Opinion à ce sujet, il s’éleva entre nos Messieurs une Dispute touchant la Pluralité des Mondes ; trois d’entr’eux étoient fortement pour cette Hypothèse, & le quatrième qui pensoit différemment, me paroissoit fort embarrassé pour donner de bonnes Raisons de son Sentiment ; sur-tout après que l’un de ses Antagonistes, ayant tourné le Télescope du côté du Ciel où se trouvoit alors Saturne, & nous faisant considérer attentivement ce Globe, nous le vimes environné d’un Cercle, ou d’un Anneau, qui paroissoit clairement lumineux.

Il nous dit, que cet Anneau est plein de Lunes, ou d’Etoiles, ou d’autres Corps illuminés, semblables aux quatre Satellites de Jupiter, & rangés de façon à donner de la Lumière à un Globe qui a cause de son éloignement du Soleil, se-[400]roit envéloppé, la moitié de l’Année, dans une horrible Obscurité. Et ajoûta-t-il, puisque la chose est ainsi comme nos Yeux nous en convainquent, pourquoi tant de Soins en faveur d’un point stérile ? Convient-il à la Sagesse du Créateur de faire quelque chose en vain ? Et à quoi bon de la Lumière là, où il n’y a point d’Habitans pour en jouir ?

Il conclut de-là, à mon avis avec beaucoup de raison, que les Planétes étoient autant de Mondes habités par des Créatures dont l’Espèce ou la Nature étoit un Mystère impénétrable, qu’il ne nous convient pas d’approfondir.

Son Antagoniste, quoique seul de son Opinion, ne put, ni ne voulut l’abbandonner. Il prétendit que de supposer que les Planétes étoient créées, pour aucun autre But, que pour repandre leurs Influences sur la Terre, c’étoit une Doctrine inconsistente avec la Réligion Chrétienne, & qui sembloit exempter le Genre Humain de la Reconnoissance qu’il doit à Dieu, de ce que ces vastes Corps ont été créés uniquement pour son Usage & pour son Plaisir.

Le digne Maître de la Maison répondit à ceci, qu’il y avoit sans doute de [401] l’Union entre toutes les Parties de la Création, en-sorte qu’elles dépendoient les unes des autres, & se rendoient réciproquement service ; que les plus voisines avoient plus d’Influence les unes sur les autres, & que cette Influence devoit être vraisemblablement réciproque ; comme la Lune, par exemple, nous renvoye la Lumière du Soleil, tandis que cet Astre est caché à nos Regards ; de même notre Terre peut, de la même manière procurer une seconde Lumière à ce Globe.

Il finit cependant son Discours sur la Probabilité de son Sentiment, en disant, que cette Question étant purement spéculative, les Hommes devroient se contenter des Avantages qu’ils retirent des Planétes, sans s’inquiéter de ce qu’ils ne les connoissent pas parfaitement.

Pour prevenir ensuite tout autre Discours sur un sujet dont on ne convenoit pas, il tourna encore son Télescope, pour nous faire observer la belle Planéte qu’on nomme Venus.

Nous autres Femmes, nous fumes extrêmement charmées de ce qu’il avoit terminé de cette manière une Dispute, qui auroit pû être instructive pour nous, [402] en nous faisant connoître les Différentes Raisons dont-on se sert de part & d’autre ; mais nous Appréhendions que deux Personnes de notre Compagnie, qui étoient entrées avec chaleur dans la Dispute, ne se séparassent avec moins de Satisfaction qu’elles ne s’étoient rencontrées.

D’ailleurs, comme Venus est notre Etoile du Soir, ou du Matin, durant toute l’Année, à moins qu’elle ne soit trop proche du Soleil, ce que les Astronomes appellent sa Conjonction, & qui nous prive du Plaisir de la voir ; nous saisimes avec Plaisir cette Occasion de la considérer plus distinctement, que nous n’aurions pû faire sans l’Assistance du Télescope. Mais quel fut notre Etonnement quand au-lieu de la voir ronde, elle nous parut sémi-circulaire, en forme de croissant, comme la Lune paroit dans son prémier Quartier ! Dieu me benisse ! s’écria Euphrosine, aussi tôt qu’elle la vit, ce Globe brillant, que nous admirons tant, ne peut être que le Satellite d’une autre Planéte.

Cette Innocente saillie fit rire nos Messieurs ; mais l’un d’eux nous informa d’abord, que la Raison pourquoi on ne [403] voyoit que la Moitié de cette Planéte, c’étoit parce que l’autre Moitié étoit opposée au Soleil, & que, ni elle, ni Mercure, qui est encore plus proche de cet Astre glorieux, ne sont jamais tels qu’ils nous paroissent de la Terre, mais qu’ils changent continuellement leurs Phases relativement à nous.

Il nous fit aussi comprendre que plus les autres Planétes approchent du Soleil, moins elles sont visibles, & que Mercure qui fait sa Révolution dans trois Mois, peut à peine être vû dans toute sa grosseur, excepté lorsqu’il tend vers sa Conjonction. Venus, nous dit-il, fait sa Révolution dans sept mois & demi, ou environ ; mais comme les Cercles de ces Planétes ne sont point dans l’Eclyptique, qui est la Ligne que la Terre décrit dans sa Révolution annuelle, il n’est pas possible de les voir d’ici, même a travers un Télescope, que dans une Variation continuelle, quelquefois décroissant ensuite dans leur Quartier, & d’autrefois totalement illuminées de la même manière que nous voyons des différentes Phases de la Lune.

Quoiqu’on ne puisse pas acquérir une Parfaite Connoissance du Ciel, & du [404] vrai Mouvement des Etoiles, sans un grand Fond de Savoir, & une longue Suite d’Observations, cependant il nous instruisit de bien des choses touchant ces Corps célestes, & nous en auroit sans doute donné une Idée plus claire, si un Accident soudain n’avoit pas interrompu notre Attention.

On avoit tourné de nouveau le Télescope du côté de Mars, qui étoit Ascendant, dirent ces Messieurs ; mais, comme si cette furieuse Planéte avoit dédaigné de permettre nos Observations, le Ciel s’obscurcit tout à coup, cette Obscurité fut suivie d’un Vent impétueux ; & d’un Orage de Grêle si violent, qu’on fut obligé de retirer la Machine & d’assûrer la fénêtre contre laquelle elle étoit placée.

L’Architecte avoit eû l’habileté de fixer obliquement autour de cette petite Tour des Tuyaux de Bois, qui la préservoient de la plus violente Pluye. Ces Tuyaux étoient tous enchassés dans le Cuivre, comme aussi les Gouttières qui leur fournissoient l’Eau, de peur qu’elles ne fussent endommagées par les Eclairs, qui fondent souvent le plomb, & embrasent le Bois.

Nous restâmes donc aussi bien à l’abri [405] de la Pluye & du Froid que si nous avions été dans notre Chambre ; nous attendions la fin de l’Orage, afin d’avoir le plaisir de considérer de nouvelles Merveilles. Mais le Choc des Elémens, au-lieu de diminuer, devint violent de plus en plus, & plusieurs terribles Coups de Tonnerres précédés d’Eclairs, qui sembloient partir des quatre coins du Ciel, nous remplirent moi & mes Amies, d’une telle Frayeur, qu’il ne fut pas possible à nos Messieurs de nous donner assés de Courage pour rester dans un Lieu qui nous paroissoit plus exposé que tout autre au Danger, tant les Sens ont quelques fois de Pouvoir sur le Jugement.

Car si ces Agens de Destruction avoient la Commission de nous frapper ; dans quel endroit aurions-nous pû être en sûreté ? En vain nous serions-nous cachées dans les Rocs, ou dans les Entrailles de la Terre, ils auroient bien sçû nous y trouver.

Mais, nonobstant tout ce que la Raison & la Réligion peuvent nous dire, il y a dans la plûpart des Femmes une Timidité insurmontable qui ne leur permet pas de soûtenir la Vûe de ces furieux Embrasemens, ni d’éviter de tressaillir, [406] lorsque le terrible Tonnerre gronde en roulant sur nos Têtes, & se partage en Eclats qui semblent ébranler la Terre jusqu’aux Fondemens.

Des Observations communes, sans le Secours de la Philosophie, nous instruisent que l’Eclair est si subtil qu’il peut pénétrer les Corps les plus condensés & les plus solides. Il y a donc de la Folie a vouloir se mettre à l’Abri, à la Faveur d’un Mur de Brique ou de Pierre ; cependant nous y courons dans nos accés de Frayeur, & nous penchons à accuser de Présomption ceux qui sont plus Maîtres d’eux-mêmes.

Ebene 4► Exemplum► On a cependant vû des Personnes de notre Sexe, qu’une vraie Piété & une Foi solide ont mis en état de surmonter leur Délicatesse & leurs Frayeurs naturelles, & de s’exposer, pour une bonne cause, à toute la Fureur les Elemens déchaînés. Il y a actuellement une Dame dans la Comté de Lancaster, qui a donné plusieurs Années à l’Etude de la Médecine ; le Ciel a beni souvent ses Ordonnances, au point qu’elles ont non seulement soûlagé, mais encore gueri parfaitement des Malades, que la Faculté avoit jugés incurables.

[407] Cette excellente Dame ne pardonneroit qu’avec peine à un Domestique, qui différeroit de lui apprendre, que quelque Personne affligée a besoin de Soulagement. Rien de plus ordinaire que de la voir quitter sa Table, au milieu du Repas, ou quand elle est avec ses Amis pour courir à une Chaumière, & exercer en Faveur de ses semblables cette divine Compassion dont elle est animée, quoiqu’ils soyent dans l’Etat la <sic> plus abject & qu’ils languissent sous les plus grossiers Alimens. Souvent au milieu de la Nuit, elle abbandonne son Lit, & monte à Cheval, sans attendre qu’on lui ait préparé un Carosse, & sans être arrêtée par la Grêle, la Pluye, le Tonnerre & les Eclairs, Enfin aucune Heure ne lui paroit hors de saison, aucun Tems peu favorable, dès qu’elle est appellée à faire un Oeuvre de Charité. ◀Exemplum ◀Ebene 4

Metatextualität► Surprenante Commisération ! Courage, Force d’Esprit plus surprenante encore ! Peu sont en Droit de se vanter d’autant de Vertu, mais tous doivent l’admirer & tâcher de l’imiter ; je reviens à mon sujet. ◀Metatextualität

Ces violentes Sécousses dans l’Air, ou comme les François les nomment, les [408] Tourbillons ne cessèrent que lorsqu’il fut trop tard pour retourner à la petite Tour. Nous saisimes donc avec Plaisir le prémier Moment favorable pour notre Départ ; nos dignes Messieurs nous accompagnèrent jusques chez Mira, & marquèrent autant de Chagrin que nous en sentions nous-mêmes, de ce que le Jour suivant étant fixé pour quitter la Campagne, nous ne pourrions pas faire une seconde Visite au Télescope.

Comme nous n’étions pas sûres de pouvoir y revenir la même Année, le Maître de l’Observatoire nous promit de satisfaire, autant qu’il seroit possible, par ses lettres, cette Curiosité qu’il avoit fait naître chez nous, sur le peu que nous avions vû des Regions Planétaires. ◀Allgemeine Erzählung Metatextualität► Et comme des pièces de ce genre ne peuvent manquer de plaire, même aux plus éclairés d’entre nos Lecteurs, le Public peut compter que nous les lui communiquerons aussi-tôt qu’elles nous seront parvenues. ◀Metatextualität ◀Ebene 3

Metatextualität► Tout ce que nous avions en vûe, en faisant ce détail des petites Observations, que nous avons pû faire dans notre courte sortie hors de Londres, c’étoit de montrer aux Lecteurs de notre Sexe, [409] le Plaisir & l’Utilité qu’elles trouveroient à donner à l’Etude de la Physique, quelques Heures d’un Tems, dont elles ne sçavent souvent comment disposer.

Nous craignons d’avoir avancé touchant les Corps célestes plusieurs choses sujettes à Contestation, mais comme nous ne prétendons pas entendre l’Astronomie, & que nous avions uniquement de l’Ardeur pour en connoître superficiellement tout ce qui nous étoit possible, on doit nous excuser, si nous avons négligé les Termes techniques, qui ne s’apprennent qu’à l’Ecole, ou par la lecture des Livres qui expliquent cette Science.

Et si nous avons fait des Méprises plus essentielles, nous espérons aussi qu’on nous les pardonnera, puisque nous avons reçu ces Instructions dans une Conversation qui n’avoit rien de méthodique, qui changeoit souvent d’un sujet à l’autre, & dans laquelle deux ou trois Personnes parloient souvent en même tems.

Si ce que nous avons dit touchant une Etude aussi amusante, peut être de quelque utilité à ces Dames, qui n’ont [410] pas encore tourné de ce côté leurs Spéculations, nous en serons très satisfaites. Nous nous flattons, que quelques Essais suivans, dans lesquels nous traiterons familiérement une Science, qui a été toûjours regardée comme trop abstruse pour les Femmes, y repandront plus de Jour, qu’aucun de ces Traités travaillés, qui par l’Ennui qu’ils inspirent, par leur Dureté & leur Longueur, effrayent les Personnes du Monde, & leur ôtent le Courage de les consulter, ou même de les ouvrir. ◀Metatextualität

Metatextualität► Nous avons reçu derniérement plusieurs Lettres, mais nous n’avons pas encore eû le Tems de les examiner pour savoir si elles méritent d’être rendues publiques par notre Canal. Nous pouvons seulement déclarer que nous insérerons celles qui en sont dignes, & qu’à l’égard de celles que nous supprimerons, nous ne laisserons pas d’être obligées à leurs Auteurs, de leur bonne Intention.

Mais pour empêcher nos Correspondans de se donner une Peine inutile, nous devons leur rappeller, que des Essais de cette Nature sont entiérement calculés pour le Bien du Public, & non [411] pour satisfaire le Ressentiment d’un Particulier, ou des différents Partis, quoiqu’on ait soin de donner aux Invectives un air de Plaisanterie, ou de les avancer avec tout l’Esprit possible. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

Fin de la Dixseptième Partie. ◀Ebene 1

1(*) Quartier de Londres, rempli de Matelots.

2(*) Le Parloir est un Salon à rès de Chaussée.

3(*) On doit pardonner à un Auteur Femelle une petite inexactitude en fait d’Astronomie.