Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "Discours Premier", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.8\002 (1760), S. 7-28, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2457 [aufgerufen am: ].


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Discours Premier.

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Un bon homme vivoit au fauxbourg saint Marceau, dans une petite maison assez commode, où il s’étoit retiré pour ne pas entendre gronder sa femme. En y entrant, il avoit dit, elle ne viendra par me chercher ici pour me tourmenter ! Je lui ai abandonné les deux tiers de mon revenu ; elle sera contente de son sort, & moi je bénirai le mien : loin d’une femme méchante que je ne puis plus souffrir ; loin d’un monde faux que je n’ai jamais aimé ; avec une fortune très-bornée à la vérité ; mais avec [8] des desirs très-modérés, je serai heureux ; je n’aurai a envier le bonheur de personne ; & mes jours iront doucement aboutir à ce terme qui est le dernier & le plus heureux de nos jours.

Ces réflexions se ressentoient un peu du chagrin qu’il avoit éprouvé auprès de sa femme ; car après tout, il est fort doux de vivre ; & pour être autorisé à regarder la vie comme un malheur, il faudroit être très-malheureux. Mais le bon homme perdit bien-tôt ses noires idées dans sa nouvelle maison. Il y a mille plaisirs pour les bonnes gens ; & la tranquillité en est la source.

Il n’eut pas plutôt mis le pied dans son jardin qu’il oublia tous ses chagrins passés. Ah, dit-il, il n’y a rien de tel qu’un jardin pour être heureux : on cueille une pêche, on coupe un raison, on taille sa treille, cette treille dont le nom est si doux à prononcer : il n’y a ni femme ni enfans qui vaillent cela. [9]

Tous les matins, à six heures, il faisoit sa petite promenade. Un berceau le garantissoit ensuite des ardeurs du soleil. Une vieille servante, machine à son bruyans, lui apportoit le petit pain & la demi-bouteille ; & pendant qu’il se nourrissoit, elle lui racontoit l’histoire des mauvaises femmes du quartier. Il interrompoit quelquefois la correspondance des dents & de l’estomac pour réfléchir à ce qu’il avoit souffert avec sa femme.

Après le déjeûné il prenoit un livre, le feuilletoit & s’endormoit. Il n’avoit jamais lû autrement. Cependant il avoit de l’esprit ; esprit naturel qui n’a pas besoin de s’instruire, & qui perdroit à s’étendre.

Il retrouvoit la jeunesse dans cet état tranquille, & il se promettoit d’en jouir long-tems ; mais ses amis, qui n’étoient ni sans passions ni sans vices comme lui, croyoient, que c’étoit un parti desespéré que d’avoir quitté le monde. Ils [10] venoient chaque jour le visiter, & vouloient, par leurs importunes raisons, le ramener à la ville. Dialog► Eh ! mes amis, que vous ai-je fait, leur disoit-il, pourquoi me contester un bonheur si sensible ? Je vous assure que je ne suis pas fou ; croyez que je suis très-heureux. . . . . Mais votre femme ! pensez-vous pouvoir l’abandonner sans crime ? l’avez-vous épousée pour la fuir ? . . . Je l’ai épousée pour être heureux ; je n’ai jamais eu que ce seul desir dans le monde ; & c’est pour cela que j’ai fui toute occasion de m’élever, de m’enrichir, de me faire des passions ; je n’ai permis à mon cœur que l’amour ; ma femme n’en méritoit point, & elle doit souffrir que je la confonde avec les choses qui ne peuvent me rendre heureux, puisqu’elle m’a rendu misérable. ◀Dialog

Sa femme l’écoutoit : on l’avoit fait placer dans un petit cabinet, d’où elle pouvoit tout entendre. Elle sortit furieuse & voulut l’étrangler. Dialog► Madame, [11] lui dit-il, je n’ai aucun dessein de vous offenser ; mais vous sçavez que votre mauvaise humeur m’a fait gémir cent fois ! souffrez que je cherche mon bonheur dans le repos. . . . Votre bonheur ! Monsieur ; il ne doit être qu’avec moi ; je ne permettrai point que vous me fuyiez, que vous me méprisez : on ne fuit que des femmes sans mœurs. . . . Des femmes sans mœurs, Madame, ne sont pas toujours des êtres sans humanité ; & vous m’avez appris, qu’avec de la vertu on pouvoit être très-inhumaine. Je n’estime que la douceur, que l’amitié. . . . Eh bien, Monsieur, on en aura pour vous, il ne faut point tant d’efforts pour cela ; vous êtes honnête homme, bon, aimable quelquefois, & je commence à croire que si nous ne nous sommes pas aimés, c’est que nous ne nous sommes pas entendus. Ah, Madame, vous ne vouliez pas m’entendre ; mon bonheur ne vous touchoit point, & vous vous plaisiez à [12] me tourmenter : vous en êtes fâchée aujourd’hui, vous voulez vous corriger ; mais dois-je vous croire plus de sentiment ? celui qui vient de la soumission, a l’orgueil pour ennemi, & n’est jamais durable ! . . . Vous essayerez, Monsieur ; je vous réponds de ma bonne volonté ; il vous est aisé de juger par ma démarche, que je cherche à me raprocher de vous. ◀Dialog

Rien de si beau que ces assurances : les amis qui étoient présens, y mêlerent leurs syllogismes importuns : on l’étourdit, il fut obligé de se rendre ; car les bonnes gens ne déliberent point. Il embrassa tendrement sa femme, & partit avec elle, en regrettant son jardin.

Ennemi de la mauvaise foi, ignorant jusqu’aux moindres ruses, il ne soupçonnoit point sa femme de le tromper, aussi ne le trompoit-elle pas ; elle avoit cédé à l’autorité des bienséances, & elle croyoit que ses engagemens ne lui couteroient rien à remplir ; mais les dé-[13]fauts de l’humeur sont dans le sang ; & il auroit fallu une terrible saignée pour opérer ce miracle : les calmans, les anodins, ni tous les pavots du monde, n’y auroient pas suffi.

Pendant la route, elle lui produigua les caresses, les doux noms, & elle-même y étoit trompée ; mais le soir, pendant le souper, un petit chat, monstre adoré, s’étant trouvé sous le pied du bon-homme, reçût malheureusement l’empreinte du talon ; & le cri qu’il fit fut le signal d’une sânglante guerre. Sa femme l’accusa d’avoir voulu tuer ce chat ; & sa douceur ne fit que le rendre plus suspect. Il se justifia, du mieux qu’il put : Dialog► non, Monsieur, vous ne rentrez chez vous qu’avec des sentimens ennemis ; j’aurois dû le prévoir, & je suis une sotte ; vous me détestez, vous haissez mes chats, vous voudriez que je fusse morte. . . Non, Madame ; mais je voudrois qu’en pensant cela de moi, vous daignassiez me laisser tran-[14]quille ; pourquoi êtes-vous venu me troubler ? Je reprendrai le chemin de ma maison, & vous concevrez enfin, qu’il est impossible que nous puissions nous accorder : ah, Monsieur, vous le reprendrez lorsqu’il vous plaira, dès ce soir si vous voulez : oui, Madame, je le veux encore plus que vous, & vous n’entendrez plus parler de moi. ◀Dialog

Il partit à pied, & ne mit pas longtems à faire le trajet. Sa servante fut fort étonnée de le revoir. Dialog► Ma chere Louison, lui dit-il, tu revois ton maître ; félicite-le ; il est délivré pour jamais de sa femme. Comment, Monsieur, elle est morte ? Non, mon enfant, elle n’a point envie de mourir ; mais elle en a encore moins de me revoir ; j’ai appuyé le talon sur son chat ; elle a cru que c’étoit de dessein délibéré ; & jamais elle ne me pardonnera cette offense. Oh ! cela est bien certain, dit la grosse Louison ; vous pensez juste ; elle est folle de ses bêtes ; si elle avoit [15] jamais eu de l’esprit, elle l’auroit perdu pour elles il y a long-tems. Louison ! dit le généreux bon homme en l’entendant parler avec cette familiarité, ma femme a des passions, & vous avez des devoirs ; celui dont je vous dispense le moins, est de me parler d’elle avec respect. Ma foi, Monsieur, on a bien de la peine à retenir sa langue, quand on voit tant de haine pour un mari, & tant d’amour pour des chats. Vous l’avez dit vous-même, & je ne fais que vous répéter. . . . Sur ce pied-là, reprit-il, j’ai dit plus que je ne devois ; & vous ne deviez entendre que la moitié de ce que j’ai dit. ◀Dialog

Louison ne put que difficilement se contraindre ; mais il paroissoit vouloir être obéi, quoiqu’il parlat avec douceur ; & il le fut, à cause de cette douceur triomphante qui pénétre jusqu’au fond du cœur. Il reprit son train de vie, & y trouva plus de bonheur que la premiere fois, parce qu’il venoit d’é-[16]prouver des choses tristes qui avoient comblé la mesure de ses chagrins.

Il vécut ainsi pendant six mois, ne voulant recevoir personne, n’éprouvant aucun ennui, trouvant que les amis ne sont propres qu’à importuner quand on est parvenu à se faire un bonheur qu’ils ne peuvent pas concevoir. Il vouloit à peine lire les lettres qu’il recevoit d’eux, parce qu’il n’y en avoit aucune où il ne trouva des reproches de sa solitude. Ces gens-là sont singuliers, disoit-il toujours, ils veulent mieux sçavoir que moi ce qui peut me rendre heureux ; je leur montrerois mon cœur rempli de joie, rempli du sentiment de ma félicité, qu’ils ne pourroient pas croire que je raisonne mieux qu’eux. Il concluoit de-là, qu’il n’y a ni raison ni véritable amitié dans le monde, puisqu’on y est assujetti aux idées générales, & qu’on ne peut pardonner à un homme d’y être heureux par ses propres idées. [17]

Il fait un jour connoissance avec une jeune veuve pleine de douceur : il s’attacha à elle, & la cultiva autant qu’il étoit possible. Il alloit la voir tous les deux jours, & il n’y avoit que pour elle qu’il quittat volontier son berceau & ses poiriers. Insensiblement l’inclination devint plus forte, & il lui parut qu’elle étoit mutuelle : il regretta de n’être pas libre. Voilà la femme qu’il me falloit, disoit-il ; mes jours auroient coulé dans le lait ; j’aurois vécu dans un printems éternel ; car je sens que les chagrins m’ont vieilli. Pourquoi le ciel nous condamne-t-il à entrevoir un bonheur auquel nous ne pouvons atteindre ?

Pendant qu’il se livroit à ces ameres réflexions, on vint lui annoncer que sa femme étoit morte. Eh bien, dit-il, j’épouserai la veuve ; j’ai encore le tems d’être heureux, & j’en bénis le ciel.

Il ne donna aucunes larmes au trépas [18] de la défunte : il étoit si franc & si sincere, qu’il ne lui venoit pas dans l’esprit qu’on put feindre des douleurs qu’on ne sentoit pas. Un de ses amis qui avoit trouvé le secret de pénétrer chez lui, lui dit, qu’il falloit au moins, par respect humain, qu’il s’efforçat de pleurer. Non, répondit-il, le préjugé ne m’épouvante plus ; je léverai très-bien les yeux devant ces hommes dont vous me ménacez : quoiqu’esclaves de la fausseté & de l’usage, ils sont faits pour admirer un esprit libre qui ne nuit à personne.

Quelque tems après, il annonça qu’il alloit épouser la veuve. Les donneurs d’avis se mirent en campagne : on l’importuna beaucoup, & il lui fallut essuyer toute la bordée des argumens dont l’esprit commun abonde. La veuve étoit jeune ; on prétendoit que ce nœud mal assorti abrégeroit ses jours, ou l’exposeroit à des chagrins qu’il ne pourroit supporter. . . . Dialog► Quand [19] on a affaire à une femme douce, répondit-il, on peut impunément ménager sa santé ; des deux malheurs que vous me présagez, le premier n’arrive qu’à ceux qui s’immolent à la crainte qu’ils en ont ; le second n’est si commun, que parce qu’on a l’impertinence de ne pas dissimuler cette crainte. . . . On lui représentoit encore, qu’il y avoit de l’imprudence à renoncer à la retraite, puisqu’il y avoit passé de si doux momens jusqu’alors. Oui, disoit-il, mon jardin m’avoit fait oublier toute la terre ; je ne l’aurois pas quitté pour un trône brillant ; mais trouvez bon que je le quitte pour une société douce : on doit toujours chercher à étendre son bonheur autant qu’il est possible ; cette ambition est raisonnable, ou tous les attraits de la nature sont des piéges : j’étois heureux, mais j’étois seul ; mon existence étoit inutile : quand on peut être deux, avec autant d’avantage qu’on en trouvoit dans la retraite, on doit s’y [20] résoudre, & se reproduire : le bonheur des solitaires n’est point innocent, si la nature ne leur a refusé ni un cœur, ni un objet digne de le remplir. ◀Dialog

Avec ces maximes il terrassa les docteurs, ou les fit taire, ce qui revient au même. Mais cette femme si douce l’impatienta cent fois en six semaines : il ne l’avoit pas bien connu, & il la connut trop bien ensuite. Il étoit un peu vif, & la conversation l’ennuyoit quand on y étoit trop aisément d’accord : sa femme disoit toujours comme lui, & il ne pouvoit parvenir à se faire contrarier ; il avançoit quelquefois des choses absurdes, il donnoit des ordres ridicules, grondoit tout le monde dans sa maison, à dessin d’animer cette machine immobile, & il n’y parvenoit pas ; il croyoit que si elle ne s’impatientoit pas, c’étoit qu’elle ne pensoit point. Cela est bien singulier, disoit-il ; je suis né pour éprouver les contraires, & la fortune a pris un étrange plaisir [21] à contraster les causes de ma persécution !

On cassa un jour dans sa maison pour vingt louis de porcelaines ; il affecta de ne pas gronder, pour éprouver si elle ne gronderoit pas : il n’eut pas la satisfaction de lui entendre dire un mot. Dialog► Comment, Madame, lui dit-il, vous ne chassez pas ce maraut-là, vous souffrez qu’on casse tout chez vous ! . . . . Il ne l’a pas fait exprès, Monsieur ; il est assez puni, s’il est sensible. Oui, Madame, mais s’il ne l’est pas, demain vous n’aurez pas un meuble chez vous : est-ce qu’on raisonne si délicatement avec ces drôles-là ! il faut gronder, Madame ; il faut se faire craindre : rien n’est en sureté ici, si vous restez dans cette nonchalance. ◀Dialog

Quelques jours après, un autre domestique cassa la patte à son chien, en présence du bon homme : Dialog► prenez donc garde à ce que vous faites, dit-elle ; vous estropiez ce pauvre animal. Elle [22] se tourna ensuite vers son mari : eh bien, Monsieur, vous voyez que je gronde lorsqu’il le faut ! Qui, Madame ; mais votre chien a la patte cassée, & vous n’êtes guere sensible, si vous croyez avoir assez grondé. . . . La patte cassée ? ah , mon dieu, pauvre Médor : en vérité, ces gens-là sont d’une pésanteur affreuse. . . Ce fut tout ce que la douleur put lui arracher. Elle alla doucement prendre son chien qui étoit étendu sous un fauteuil ; elle l’envoya, plus doucement encore, chez Lyonnois ; & lorsqu’on lui vint dire, deux jours après, qu’il étoit mort : je l’avois bien prévu, dit-elle ; c’est le troisiéme qui périt misérablement par ces gens-là. ◀Dialog

Mille traits de cette espéce, que je pourrois citer, ne la feroient pas mieux connoître ; mais en voici un que je ne dois pas passer sous silence. Son mari la surprit un jour avec un jeune homme très-bien fait, dans une posture très-peu équivoque : il recula à cet aspect, [23] dont aucune coquetterie ne l’avoit encore menacé : il la fit appeler sur le champ ; elle vint sans tarder ; & jamais une coupable n’a eu l’air plus innocent, sans l’affecter. Dialog► Je suis bien surpris de ce que je viens de voir, lui dit-il ; quoi, Madame ! vous, à qui j’ai cru tant de vertu, tant d’amitié pour moi ; vous me trahissez, vous attentez à ma gloire, sans égard, sans ménagement, sans précaution ! Je suis desespérée, Monsieur, de ce que vous avez vû : ce jeune homme m’a surprise dans mon cabinet ; il m’a dit, qu’il se tueroit si je faisois du bruit ; je lui ai envain représenté que j’étois incapable de manquer à mon devoir. . . . Ah, Madame, deviez-vous avoir plus de respect pour ses jours que pour les miens ? Ne sçaviez-vous pas, que ce seroit me percer le cœur ? Oui, Monsieur ; mais vous sçaurez vous-même, que je suis peu faite à me mettre en colere ; il m’avoit allarmée, je ne sçavois plus comment [24] m’y prendre pour me débarrasser de lui. . . . Allez, Madame, ce procédé est indigne ; une douceur qui ne peut repousser un outrage, est un vice du cœur, & vous m’apprenez à connoître le vôtre : je retourne dans mon jardin, qu’heureusement j’ai toujours conservé ; le ciel m’a donné la constance à la place du pressentiment, & je vois qu’il ne néglige rien pour notre bonheur. Puissai-je y perdre à jamais votre mémoire. . . . Je serai fâchée, Monsieur, que vous preniez ce parti, il va me deshonorer dans le monde ; mais je ne sçais point dire des injures, & pourvû que vous m’en épargniez vous-même, je subirai mon sort sans murmurer. Je me suis attaché à vous, parce que je vous ai crue de la douceur, & s’il faut que vous me grondiez sans cesse. . . . . Comment ! gronder ! Madame, dit-il impatiemment ; donnez un autre nom au ressentiment le plus juste ; connoissez mieux les sentimens d’un homme [25] délicat ; on gronde, parce qu’on a de l’humeur ; mais on se plaint, on gémit, on s’éloigne, parce qu’on a de l’honneur. . . . Je sçais cela, Monsieur ; je sçais que vous êtes fondé à vous plaindre ; mais je sçais aussi que qui se plaint, fait du bruit ; & le bruit m’est affreux. . . . Vous n’en entendrez plus, Madame, dit-il avec courroux ; & je vous sacrifie, par mépris, celui que je serois en droit de faire ; jamais je ne vous ferai l’honneur de vous parler. ◀Dialog

Il tint parole ; il partit tout de suite pour sa petite maison. Y vivra-t-il enfin tranquille ? Il a payé cher le plaisir de rejoindre ses espaliers & son berceau ! Leur retrouvera-t-il les mêmes charmes ? Il emporte le souvenir d’une offense cruelle ; ce souvenir gâte tout dans la vie. Voyons si la Providence lui laissera du moins le triste pouvoir de philosopher sur son malheur !

Il rêva dès le même soir à ce qui lui [26] étoit arrivé ; il se sentoit humilié, honteux ; il ne soupa point. Il ne fut pas plus tranquille le lendemain ; il ne regardoit son jardin qu’avec indifférence ; il étoit étranger chez lui, embarrassé devant Louison même : le nom de sa femme suffisoit pour le faire rougir.

Il avoit de l’esprit ; il s’étoit accoutumé à refuser au préjugé, ce respect malheureux qui nous enchaîne tous : la raison vint au secours d’un homme qui lui avoit rendu un si fidéle homage : il s’interrogea, se rendit compte des causes de son état, & fut fort étonné de leur avoir laissé faire un si cruel progrès. Il reprit en un instant toute sa bonhommie, toute sa gayeté : jamais prodige ne fut si prompt. Ah ! me voilà tel que je dois être, s’écria-t-il ; je me retrouve dans ma sécurité présente ! Quel mauvais génie avoit soufflé dans mon cœur la honte & la mort ? [27] Quoi ! une femme perfide aura trahi la foi qui m’étoit dûe ; elle ne rougira point de son crime, & je me chargerois du soin affreux d’en rougir pour elle ? Non, le préjugé a ses bornes, & mon honneur ne doit pas dépendre de quelqu’un qui a perdu le sien. En la méprisant, je m’acquitte envers le Public ; & s’il se trouve quelqu’un qui ne se contente pas de ce mépris, c’est un être barbare.

Il soupa avec une gayeté incroyable, & cependant il rêva encore le soir à son aventure : il se demanda, si elle ne lui imposoit aucune obligation, si une femme que la douceur avoit conduite si loin, n’étoit pas un être à faire enfermer ; & il conclut qu’il n’y avoit pas d’autre parti à prendre.

Pour éviter l’éclat, il lui écrivit le matin, &, dans sa lettre, il la menaça de l’autorité souveraine, si elle balançoit à se retirer à l’instant même dans [28] un Couvent qu’il lui nommoit. Elle lui répondit, avec toute la douceur imaginable, qu’il pouvoit être tranquille sur le sort de ses volontés, & qu’elle alloit obéir. Parbleu, dit-il, voilà une douceur bien opiniâtre. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1