Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "LXXVI. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.2\025 (1745), S. 163-168, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2222 [aufgerufen am: ].


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LXXVI. Bagatelle

Du Jeudi 16. Janvier. 1719.

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► J’ai connu le Ministre d’un certain Village situé sur le bord de la mer, qui ne manquoit pas tous les Dimanches, en expliquant aux Pêcheurs un Passage de la Bible, de citer le Texte Original, & de s’étendre sur les différens sens dont les termes Grecs & Hébreux étoient susceptibles. Un de ses Amis l’étant venu entendre, prit la liberté de le turlupiner sur une érudition aussi mal employée. Ebene 3► Dialog► Il me semble, lui dit-il, qu’il y a tout autant de travers d’esprit dans votre maniére de prêcher, que dans celle d’un jeune Prédicateur, qui, se moulant sur les Sermons du fameux Bourdaloue déclamoit devant un Auditoire de Villageois contre le Luxe & contre les Spectacles. ◀Dialog ◀Ebene 3 Le bon homme comprit qu’effectivement son Ami pouvoit bien n’avoir pas tout le tort, & il prit la résolution de prêcher desormais terre à terre. Ce qu’il y a de surprenant, c’est que son Consistoire fut très mécontent de cette réforme, & qu’il pria son Ministre de mêler toujours, selon son ancienne coutume, quelques mots Grecs & Hébreux dans ses Discours, parce qu’il n’y avoit [164] rien au monde qui leur donnât plus de satisfaction. ◀Allgemeine Erzählung

Tant il est vrai que la faculté d’admirer ce qu’on n’entend pas, est enracinée dans les âmes vulgaires, qui s’obstinent à ne pas comprendre que le moyen le plus court de ne rien dire, c’est le silence ; & qui ont toujours la sotte bonté de supposer, que des expressions, qui pour elles ne sont que des sons vuides, contiennent pour les Savans le sens le plus relevé & le plus merveilleux. C’est cette sottise générale du Peuple, qui entraine après elle la sottise particuliére des Pédans de tous les genres. C’est elle qui anime la vanité de ces Messieurs, à faire un étalage pompeux des termes de leur Art, persuadés qu’on ne peut pas acquérir de la réputation à moins de fraix. Celle qu’on se procure par la justesse d’esprit, & par une habileté réelle, coute bien davantage, &, qui pis est, est bornée dans ce petit nombre de personnes qui ont assez de génie, pour rendre justice aux véritables talens de l’Esprit & de la Raison.

Allgemeine Erzählung► J’ai vu, dans un Caffé, les oreilles d’une Assemblée nombreuse s’attacher pour ainsi dire, à la bouche d’un Charlatan de la Philosophie, qui fondoit le raisonnement du monde le plus pitoyable, sur une trentaine de termes de Géométrie & de Physique, prononcés avec emphase. J’ai vu le lendemain, le nom de cet illustre, courir dans toutes les compa-[165]gnies de la Ville. C’étoit un homme d’un savoir prodigieux, un des grands Philosophes de l’Europe. Ce qu’il y a de plus recréatif, c’est que l’admiration des Ignorans pour cette espéce de grands hommes, excite dans leur ame une noble émulation. Ils se piquent de prononcer de grands mots, & ils ont en horreur un langage uni qui n’est pas relevé par quelque terme scientifique. ◀Allgemeine Erzählung A en juger par leur conduite, on est forcé à croire qu’ils s’imaginent réellement que les grands mots & l’habileté c’est la même chose. Dès que le pauvre Damon, le riche Marchand de Toiles, a prononcé le mot d’Atmosphére, il est sur le point de crever de vanité ; il est charmé de lui-même, comme si sa conscience lui rendoit témoignage qu’il eût répandu les lumiéres les plus vives sur une matiére importante.

Il est l’oracle des gens de sa sorte, & il n’y a rien-là que de naturel. On le trouve d’ordinaire chez lui le soir, au coin de son feu un Livre à la main, ce qui le fait passer pour un homme d’une grande lecture. Il a même une Bibliotheque. Dans le fond il n’étudie pas, il ne va qu’à la Chasse des grands mots. Mais comme on retient avec peine ce qu’on ne comprend pas, & que d’ailleurs s’il n’a pas une mémoire fort heureuse, il y a de quoi rire pour un Homme de Lettres, quand il trouve Damon sur son beau dire. Il fait un usage si grotesque d’une partie de ses termes favoris, [166] il en estropie le reste si impitoyablement, & il accompagne la grandeur de ses discours d’un geste si savant, & d’une prononciation si fiére, qu’il n’y a point de Comédie qui puisse offrir au Spectateur une Scène plus divertissante.

Damon le croit pourtant aussi enfoncé dans l’érudition que qui que ce soit au monde ; & parmi ses intimes il reproche quelquefois à la Fortune, l’injustice qu’elle lui a faite, en ne confiant pas à ses soins l’éducation de quelque grand Prince.

Metatextualität► Ceci n’est pas une fable, c’est un fait, j’ose en répondre corps pour corps. Je n’en dis pas autant d’une Lettre qu’on prétend être de la façon de cet habile Homme. Elle est adressée à un Régent, chez qui il a mis son fils en pension ; & si elle n’est pas supposée, on y doit remarquer les derniers efforts d’érudition que le bon homme a faits, pour ne pas demeurer en reste avec celle d’un Savant dont le métier est d’enseigner du Latin & du Grec. Vraie, ou fausse, la Lettre mérite d’être communiquée au Public, la voici. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

Comme vous passez dans la considération publique pour un des plus forts Archivatres, de la Démocratique des Belles-Lettres, & que vous buvez tous les jours largement dans les Pégases [167] sacrés du Parnasse, il est si problématique que mon fils deviendra habile homme chez vous, que je n’en doute pas un moment.

Le petit garçon n’a encore que douze ans, & il sait déja écrire des Epîtres Dédicatoires à sa Gram-maman & à son oncle ; & tout le monde fait la judicature qu’il aura de l’esprit dans ses écritures, lorsqu’il saura un peu mieux l’Orthodoxie, mais on m’assure que c’est d’une notorité inpalpable, qu’il attrapera la maniére d’épeller en moins de rien, dès-qu’il saura la Latinisme & le Grécisme.

Je vous prie, Monsieur, de n’y pas épargner vos inquiétudes, afin qu’à son retour, j’y trouve une heureuse métempsicose.

Je vous dirai qu’aux Langues Virginales près, je me crois capable de prendre moi-même le soin de son élevation, si je n’étois pas détourné de cette expédition par mon Négoce, qui me donne des occupations exagérantes. C’est pour cette raison que j’ai recours á votre industriosité, pour vous prier de me déplacer dans ce devoir.

Comme j’ai pour ce garçon une grande tendresse se filiale, je vous prie, Monsieur, de le traiter avec un peu de docilité ; d’autant plus qu’il est d’une consistance assez foible, & d’une température délicate.

Il est sujet aux émeraudes de tems en tems ; & il n’y a pas quinze jours encore, qu’il eut un archipel au visage, qu’un Médecin attri- [168] buoit à des acrimoines, & à des sériosités du sang.

Heureusement il ne sera pas nécessaire pour le réduire, d’y employer de la rudeße <sic> & de la morositude. Il est d’un assez bon petit naturel, & il ne ressemble pas à certaines parentes du côté de sa Maman, qui par leurs médisances & calomnies mettent la dissanterie par-tout.

J’avois oublié de vous dire, Monsieur, pour faire sentir ses avancemens, qu’il sait assez de Géométrie pour connoître sur les Cartes les Villes Capitales de l’Europe ; & pour le pousser davantage dans cet Artifice, je lui ai fait acheter deux Hémisphéres, l’une Divine, & l’autre Humaine, afin qu’avec le tems il apprenne l’Astrologie par le même moyen, aussi-bien qu’à tirer des Microscopes.

Je voudrois bien encore qu’il n’y allât pas trop avant ; car on dit que tous ces grands Métaméticiens ont des opinions Hétérogénes, qui ménent tout droit à l’Adrianisme & aux autres Hérésiarques.

Quand il sera tems de lui faire faire <sic> une course de Philosophie, vous lui ferez embrasser le Sexe que vous voudrez. Je serois pourtant, sauf votre correction, pour le Sexe Cartésien, ou Pyrrhonique ; parce que pour cette autre Philosophie, qu’on commence à enseigner dans les Universités, il faut un si grand nombre de Mécanismes, que toutes mes Toiles n’y suffroient pas. Cela soit dit uraniquemment, & par plaisanterie. Je suis avec beaucoup d’estime, & avec grande vénérance, Monsieur, &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1