Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "LXI. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.2\010 (1745), S. 61-66, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2207 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

LXI. Bagatelle.

Du Lundi 5. Décembre 1718.

Metatextualität► Suite de la Bagatelle précédente. ◀Metatextualität

Ebene 2► En vérité, si j’étois grand Seigneur, je voudrois avoir nombre de Valets comme les autres, afin de pouvoir faire jetter par la fenêtre, tout homme qui voudroit m’insulter par le compliment dont j’ai fait voir le ridicule dans mon Papier précédent.

Metatextualität► Un certain Rationaliste, qu’on soupçonne d’avoir composé le Misantrope, m’a écrit sur cette matiére la Lettre suivante. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

Metatextualität► « Les idées que vous avez communiquées au Public sur le Cérémoniel, m’ont fait réfléchir sur ce sujet°; & vous voudrez bien, j’espére, insérer dans votre Bagatelle, les Observations que j’ai faites là dessus. ◀Metatextualität

Quoique les hommes croient pouvoir, sans insolence, parler tous les jours à la Divinité même, il semble qu’ils s’imaginent marquer du respect à ceux qui sont tant soit peu au dessus d’eux, en leur adressant directement le discours.

[62] On parle aux Gens de distinction, mais on fait sentir qu’on ne leur parle qu’en tremblant, par le tour respectueux qu’on donne à ses phrases comme si elles regardoient une troisiéme personne.

Pour cet effet, on détache d’ordinaire le titre d’avec la personne, qui en tire toute sa gloire ; on personnalise ce titre ; & on met sur son compte les actions, les sentimens, & les discours de celui avec qui on est en conversation.

Passe encore, si on n’en agissoit ainsi que dans l’occasion ou ce titre a quelque rapport aux choses dont on parle, & si on se contentoit de dire°: Votre Grandeur a-t-elle été au Conseil ? Votre Grandeur fera-t-elle la revue de son Régiment ? Mais ce qui est du dernier ridicule, on attribue à ce même titre, toutes les fonctions animales qui marquent l’infirmité de l’homme, & qui n’ont rien à démêler avec l’excellence de sa nature, ni avec l’élevation de son rang.

Rien de plus commun que ces phrases°: Votre Grandeur a bon appétit°: La Grisette que Votre Grandeur accosta hier, & bien jolie.

Ce ne sont pas seulement les Nations qui se piquent le plus de politesse, qui donnent dans un Cérémoniel si extravagant. Les Hollandois, Peuple naturellement simple & sensé, damment ici le pion aux François, & se mettent de niveau avec les Espagnols & les Italiens. Ils écrivent toujours à la No-[63]blesse des Gens, quand même ces Gens n’en auroient jamais eue ; & quand ils s’adressent à des Personnes véritablement distinguées par leur naisssance, les titres de Votre vraye Noblesse, ou de Votre haute Noblesse, occupent du moins le tiers d’une Lettre ; ce qui rend le stile épistolaire des Hollandois si rabotteux, que la plupart des Gens de qualité ne s’écrivent plus qu’en François.

Les Allemans n’en doivent rien là-dessus aux habitans des Pays-Bas ; au contraire, ils enchérissent sur tous les Peuples de l’Europe. Quand un Italien & un Espagnol ont affaire à leurs égaux, ils s’adressent à leur Seigneurie, & à leur Grace. Mais ceux qui savent leur monde en Germanie, parlent à leurs égaux, non seulement comme à une troisiéme personne ; mais ils se servent, pour parler Grammaticalement, de la troisiéme personne du plurier <sic>°: Veulent-ils aller boire un verre de vin ? Veulent-ils jouer une partie de Billard ?

Mais tout ceci n’est que fadaise, au prix d’un autre abus en matiére de Cérémoniel : abus qui insulte la Raison de la maniére du monde la plus criante.

La Civilité Françoise veut qu’on manque d’égard à nos Superieurs, en les assurant de notre amitiè & de notre estime : il ne faut leur parler que de respect & de soumission. Il est tout aussi contraire à la bienséance, de leur demander de l’estime ou de l’amitié. On [64] doit les conjurer de nous faire des graces ou des faveurs, & de nous accorder l’honneur de leur protection. De bonne foi, il semble que la plupart des gens parlent en l’air, sans avoir la moindre idée des expressions qu’ils emploient.

L’estime véritable ne consiste que dans la connoissance que nous avons des bonnes qualités d’un autre, & cette estime devient une amitié digne d’un homme raisonnable, quand le mérite que nous connoissons à quelqu’un a une relation avec nos sentimens, propre à exciter quelque passion dans notre cœur.

Mais qu’est ce que le respect°? Ce n’est que la persuasion qu’un homme qui nous est égal par sa nature, est au dessus de nous par une grandeur fortuite, à laquelle notre intérêt & la coutume nous obligent à payer quelques hommages extérieurs. Le respect est un devoir qu’on rend d’ordinaire avec dépit aux caprices du Hazard°; au lieu que l’estime, & l’amitié véritable, nous imposent des obligations à l’égard du mérite, desquelles nous nous acquitons avec le plaisir le plus vif.

Que doit penser, je vous prie, quelque Intelligence pure, quand elle voit les imaginations orgueilleuses des hommes, de ces vers de terre, qui se vautrent dans un petit monceau de bouë°? Ils osent dédaigner l’estime & l’amitié de leurs semblables, ils se [65] contentent de leur inspirer de la crainte & de la soumission ; pendant que le Maître de l’Univers ordonne lui-même aux hommes de l’aimer, & qu’il se plait à entendre les protestations sincéres qu’ils lui font de leur amour pour lui.

Ils sont choqués de ce qu’un homme vertueux leur demande de l’estime & de l’amitié, ils veulent qu’il les considére comme des Maîtres & non pas comme des Amis ; pendant que l’Etre Suprême veut qu’on le traite comme un Ami véritable, comme un tendre Pére, qu’il nous commande de lui demander son amour par des priéres continuelles, & qu’il aime mieux nous attirer par sa bonté, que nous effrayer par sa grandeur & par sa puissance redoutable.

Que dis-je ! ces gens même qui ne veulent être regardés que du côté de leur pouvoir & de leur élévation, ont l’insolence d’invoquer l’Etre infini, avec les mêmes expressions tendres & familiéres, dont se sert avec confiance un Chrêtien, qui a apris de son Maître à être débonnaire & humble de cœur.

Je prévois bien qu’on traitera de déclamation tout ce que je viens de dire, & qu’on m’objectera que les termes cérémonieux qui me choquent, ne sont proprement que des formulaires, auxquels on n’attache pas le moindre sens, & qui par conséquent sont [66] incapables d’exciter la moindre idée.

Je suis votre Serviteur, par exemple, est un Compliment dont tout le monde se sert, sans prétendre exprimer par-là, le moindre panchant à rendre service à qui que ce soit.

Je répons en prémier lieu, qu’il est honteux au suprême degré à des Etres raisonnables, d’entrer dans un commerce mutuel de sons vuides, & par conséquent directement contraire au but qu’à eu notre Créateur, en nous donnant des organes propres à nous communiquer ce qui se passe dans notre ame. En second lieu … Cette Lettre étant un peu longue, j’en donnerai la suite une autre fois. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1