Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XXX. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\031 (1742), S. 171-176, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2175 [aufgerufen am: ].


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XXX. Bagatelle.

Du Lundi 15. Août. 1718.

Zitat/Motto► Des Animaux le pire, c’est un Sot
Plein de finesse. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► C’est la chute d’un des Rondeaux des Métamorphoses de Benserade, & elle nous offre un sens aussi juste que bien exprimé. Il est certain que rien ne fait plus enrager, qu’un homme qui n’est fin que par un défaut de jugement. Ce caractére pourtant n’est pas rare, & la Nature en a été prodigue pour le supplice des honnêtes-gens.

Ceux qui en sont richement doués, font tous leurs efforts pour bannir la sincérité de la conduite du Genre-humain. A leur fantaisie, il ne se fait rien dans les voies unies & simples de la Nature, sur-tout quand les [172] Acteurs jouent un grand rôle sur le Théâtre de l’Univers.

Si un Prince disgracie un de ses Favoris, ce n’est jamais parce que ce Jouet de la Fortune a dit ou fait quelque fadaise qui ait déplu au Souverain ; ou parce que le Prince, par une foiblesse attachée à la Nature humaine, est dégoûté aujourd’hui de ce qui lui plaîsoit hier. Non, c’est que le Favori a trahi les Intrigues du Cabinet ; ou bien ils ne sont brouillés qu’en apparence ; & le Courtisan n’est disgracié, que pour pouvoir entrer en liaison avec une Cabale opposée à la Cour, & pour en découvrir les desseins. En un mot, un Prince ne crache & ne se mouche, que tout cela ne soit des ruses d’Etat, & des rafinemens de Politique.

Ce ne sont pas seulement ceux qui sont au Gouvernail des Royaumes & des Républiques, qui ont à souffrir de ces sottes finesses. Nous autres pauvres Auteurs, qui ne sommes d’ailleurs que trop malheureux, sans être en bute à ces Commentateurs ridicules, nous avons beau faire, nous ne pensons jamais ce que nous disons ; tout ce que nous écrivons, ressemble au Quoi qu’on die de Trissotin, & nous excitons dans l’esprit d’un Lecteur raffiné, mille idées mistérieuses, qui ne sont pas dans le nôtre.

Le Livre de Mr. de Crouzas sur l’Education des Gens de qualité, fournit un bel exemple de la sottise en question. Quelque Bel-Esprit rafiné s’est imaginé que tout cet Ouvrage n’est qu’un tissu de Contrevérités, & ce faux jugement a été presque suivi de tout [173] le monde. Il est pourtant clair que cet excellent Auteur parle très sérieusement. On n’en sauroit douter, pour peu qu’on examine avec attention une démonstration de dix ou douze pages, par laquelle il prouve, que l’Utilité particuliére de chaque homme, prise dans le sens le plus grossier, est précisément la même chose que la Vertu.

Des Esprits de la même trempe ont porté des jugemens tout pareils sur le Commentaire du Chef-d’Oeuvre d’un Inconnu, sur le Paralléle entre Homére & Chapelain ; & ce qu’il y a de plus burlesque, c’est que plus d’un bel-Esprit pense à peu près la même chose sur ce que j’écris à présent. Je ne l’aurois jamais cru, si je n’y avois été forcé par la preuve du monde la plus convaincante. Metatextualität► Voici comment. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► Fremdportrait► Un de ces jours, je reçus la visite d’un bon Marchand plus que sexagénaire. C’est un homme de la vieille roche, qui ne donne dans les modes, qu’autant qu’il faut pour n’être pas entiérement ridicule. Son bon-sens n’est point gâté par l’étude, ni son intégrité par la dévotion. Il passe pour avare, parce qu’il est extrêmement riche, sans se faire un honneur & un mérite de le paroître. Sa maniére de vivre, sobre & réguliére, fait que sa vieillesse peut se passer d’un carosse. Il porte des habits fort unis, mais il a soin que plusieurs honnêtes-gens ne soient exposés sans habits à la rigueur de l’hiver. Il est même homme à gronder sa Servante, de ce qu’elle emploie une allumette entiére pour [174] mettre le feu à ses tourbes : mais en récompense, il n’y a personne dans toute la Hollande, qui distingue davantage sa charité dans les Collectes publiques qu’on fait pour les Pauvres. ◀Fremdportrait

Metatextualität► Ce bon Vieillard, tel que je viens de le dépeindre, me parla d’abord de mon Ouvrage. ◀Metatextualität

Ebene 3► Dialog► Des gens, me dit-il, qui se connoissent en stile, m’ont assuré que c’étoit une chose démontrée, que cet Ecrit vient de la même plume qui nous a donné autrefois le Misantrope. Je n’entre pas là-dedans, parce que je n’ai pas une idée bien nette des principes sur lesquels ces Messieurs fondent leurs jugemens.

Ce que je crois bien savoir, c’est qu’il y a dans notre Bagatelle une Satire d’autant plus utile, qu’elle est couverte sous une complaisance apparente pour les vices & pour les extravagances des Hommes. La plupart d’entr’eux n’ont pas l’esprit de défendre leur cause aussi-bien que vous ; mais ils seroient bien bêtes pourtant, s’ils ne sentoient pas combien les raisons que vous alléguez en leur faveur, sont en elles-mêmes fausses & ridicules, malgré les dehors spécieux que vous savez leur ménager.

En un mot, votre maniére d’écrire me plaît & j’ose vous conseiller de l’exercer sur un sujet aussi utile que fécond. C’est sur le luxe épouvantable, & sur les débauches affreuses, qui croissent comme de l’ivroie, non seulement parmi les Gens de Cour, mais sur-tout parmi nos Marchands.

Bon Dieu! que les choses sont changées depuis ma jeunesse, où les Négocians, glorieux de leur [175] profession, ne manquoient jamais d’y élever leurs Enfans ; ce qui étoit un moyen sûr de maintenir & les Familles & la République.

A présent on se fait honte d’un métier auquel on doit toute sa fortune. Dès-qu’on se voit deux ou trois Tonnes d’Or, on songe à faire de ses Fils autant de petits Seigneurs ; on les envoie aux Universités, où ils oublient le sens-commun, sans y rien apprendre qu’à mépriser leurs Péres, & à dépenser leur bien aux dépens de leur corps & de leur ame. Cela s’apelle étudier, & se qualifier pour la Magistrature.

Que diroit ce bon Prince d’Orange, s’il revenoit au monde ? Lui qui reconnoissoit avec plaisir pour ses Maîtres, de bons Vieillards, qui, avant que d’aller à l’Assemblée des Etats, se rangeoient sous un arbre, pour manger un morceau de pain & un harang salé. Que diroit-il, s’il voyoit dans une Famille Marchande Carosse pour Monsieur, Carosse pour Madame ? Que diroit-il, s’il y voyoit des Buffets chargés de dix sortes de Vins exquis, & des Tables accablées de cette variété de Mets bisarres, dont nous avons obligation au luxe inventif des Etrangers ? Que diroit-il, s’il voyoit le Fils d’un Marchand affaissé sous des Habits si roides d’or ou d’argent, qu’on peut douter s’ils viennent d’une forge, ou de la boutique d’un Tailleur ?

Faut-il s’étonner après cela, que notre Commerce aille tous les jours en déclinant ? Et n’est-il pas naturel que le Luxe perde un Pays, que la Sobriété a fait naître, & qu’elle a soutenu contre toutes les Richesses que les cruels Espagnols ont tirées des entrailles de l’Amérique ? ◀Dialog ◀Ebene 3 ◀Allgemeine Erzählung

Metatextualität► Vous verrez dans ma Bagatelle sui-[176]vante, ce que je pense du Discours de ce vieux Radotteur. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1